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Critique de film
Le film
Affiche du film

Contes immoraux

L'histoire

La Marée
« Julie, ma cousine, avait seize ans, j'en avais vingt, et cette petite différence d'âge la rendait docile à mes commandements. »

Thérèse philosophe
« 10 juillet 1890. Les habitants de notre région demandent la béatification de Thérèse H., la pieuse jeune fille honteusement violée par un vagabond. »

Erzsébet Bathory
« En 1610. La Comtesse Erzsébet Bathory, accompagnée de son page, visite les villages et hameaux de son comtat de Nyitra en Hongrie. »

Lucrezia Borgia
« En 1498. Lucrezia Borgia, accompagnée de son mari Giovanni Sforza, rend visite à son père, le pape Alexandre IV, et à son frère, le cardinal Césare Borgia. Le dominicain Hyeronimo Savonarola dénonce la vie dissolue du milieu ecclésiastique. »

Analyse et critique

Walerian Borowczyk imagine ce film comme un « manifeste contre l'indécence de la censure », « un sanctuaire de liberté, une île sans interdits ». C'est Anatole Dauman (plus connu pour avoir produit Bresson et Resnais) qui commande le film à Borowczyk. Lui aussi souhaite « provoquer une crise », bousculer le cinéma français et la censure. Les Contes immoraux n'a ainsi rien à voir avec cette vague de films érotiques qui fera le bonheur du box-office au milieu des années 70 suite au succès phénoménal d'Emmanuelle qui sort la même année. C'est un film frondeur, audacieux et irrévérencieux qui bouscule les codes mêmes du genre dans lequel il s'inscrit. Le comité de censure français de l'époque commencera d'ailleurs par interdire le film avant qu'il ne finisse par sortir en salles où il va rencontrer un très large public. Au fil des quatre récits qui composent le film (1), Borowczyk pose des questions sur la morale, la domination masculine, le pouvoir, le désir et la liberté. Ce n'est pas non plus une simple suite de sketches placés les uns après les autres. Chaque nouveau segment (qui nous fait reculer dans le temps) vient compléter le précédent et dialogue avec lui, de nombreuses rimes visuelles et thématiques venant lier le tout. Il est dommage que suite à ce film et au suivant, La Bête, Borowczyk se soit retrouvé épinglé comme cinéaste érotique (quand on ne lisait pas pornographique) et qu'il peinera dès lors à sortir de ce carcan. Car ces deux films sont dans la droite lignée de son travail de cinéaste entamé il y a une vingtaine d'années en Pologne. On y retrouve les mêmes thématiques, les mêmes visions, le même soin apporté à la mise en scène. Mais la débauche de sexe à l'écran a certainement dû embuer les lunettes de nombreux critiques de l'époque...


La Marée est une adaptation de l'écrivain surréaliste André Pieyre de Mandiargues, qui tenait en grande estime le travail du cinéaste. Les deux hommes sont très liés : c'est Pieyre de Mandiargues qui récite le texte d'Une collection particulière (1973), et Borowczyk reviendra par deux fois sur son œuvre avec La Marge (1976) et Cérémonie d'amour (1988). Il tourne également en 1976 un court métrage - Escargot de Vénus - autour du travail de peintre de l'épouse de l'écrivain, Bona Tibertelli de Pisis. André (le tout jeune Fabrice Luchini) profite de la marée pour s'isoler avec sa cousine Julie (Lise Danvers) sur un petit morceau de plage. Arrivé en ce lieu, il lui explique qu'il l'a emmenée là pour qu'elle le prenne dans sa bouche et que lui se retiendra de jouir jusqu'à ce que la mer se retire. Durant ce temps, il lui livrera le secret des marées... mais ce jeu érotique dont il pense être le maître ne va pas avoir la conclusion à laquelle il s'attend. Il s'agit ici d'une histoire de soumission, celle d'une fille de seize ans par son grand cousin qui en a vingt-et-un. Il ne cesse de la rabrouer, de lui donner des ordres qu'elle exécute sans mots dire.


La soumission est totale car c'est André qui guide l'apprentissage érotique de Julie mais c'est aussi lui qui guide le film, sa voix se faisant omniprésente tandis qu'elle reste silencieuse. Et ce jusqu'au final où Julie, ayant découvert le plaisir malgré la mise en scène d'André, prend les rennes de l'histoire qui, soudain, échappe à son prétendu mentor. Car André ne lui proposait pas une initiation aux jeux de l'amour, il voulait simplement profiter d'elle. En lui intimant de lui faire une fellation, il ne souhaitait que jouir en elle, assouvir son unique désir sans aucun égard pour son plaisir à elle. Mais comme la Belle qui plus tard soumettra la Bête dans le film de 1975, Julie prend le dessus. Elle veut continuer à « jouer » mais André ayant joui, il ne peut la satisfaire et se protège en mettant un terme au jeu. Il est déboussolé car c'est elle alors qui prend l'ascendant et lui qui se retrouve réduit à l'état d'objet, inutile maintenant, incapable de répondre aux attentes de celle qu'il pensait si soumise. Cet éveil du désir, auquel il ne peut pas répondre, le laisse déboussolé car il se sent d'un coup faible et veule. Le film s'arrête brutalement sur le visage déconfit d'André car l'homme n'a plus le contrôle de la situation. Borowczyk ne nous propose pas avec ce conte le récit d'apprentissage attendu, ce qu'il nous raconte c'est la juste revanche d'une jeune fille sur un pouvoir phallocrate et dominateur.


Borowczyk aime s'en prendre à la domination masculine mais aussi à la religion et à ses dogmes - qui en est un autre ersatz soit dit en passant. Il ouvre Thérèse philosophe sur une citation : « 10 juillet 1890. Les habitants de notre région demandent la béatification de Thérèse H., la pieuse jeune fille honteusement violée par un vagabond. » Or ce segment ne va pas aller dans le sens de cette béatification, bien au contraire. La pieuse Thérèse, on la découvre dans la sacristie, caressant les objets de culte avec un désir brûlant. Sa dévotion à Dieu et au sacré a tout de la projection du désir charnel qui s'éveille en elle au sortir de l'adolescence. Et c'est dans la voix de Dieu qu'elle va chercher plus tard les excuses pour se masturber, dans un détournement particulièrement irrévérencieux des textes sacrés de la Bible. Le poids de la religion catholique a certainement beaucoup pesé lors de la jeunesse polonaise du cinéaste et ses films deviennent une manière de critiquer ouvertement la religion, sa morale qu'il juge hypocrite, ses dogmes qui enferment l'homme, le culpabilisent et visent à éteindre en lui toute velléité de joie et de plaisir. Thérèse est une figure forte car elle détourne l'apprentissage catholique pour sa propre satisfaction. Elle se soumet au désir de son corps et s'émancipe en se détournant de la morale chrétienne.


Enfermée dans une sorte de remise par sa marâtre, elle s'échappe en jouant, en rêvant à partir des quelques objets abandonnés là. Son imagination lui permet de fuir la prison dans laquelle elle a été jetée. Cette petite pièce symbolise bien entendu l'enfermement plus grand qu'est sa vie de petite bourgeoise catholique. En découvrant un ouvrage pornographique (Thérèse philosophe ou l'histoire de Madame Boislaurier, célèbre roman libertin datant de 1748 racontant les relations entre une jeune fille et un vieux prêtre), elle s'échappe enfin complètement, trouvant dans le livre une explication au désir qui monte en elle mais aussi une réponse aux questions morales qui la taraudent, transposant le vieux prêtre du récit dans la figure de Dieu elle-même. Lorsqu'au début du film elle s'attardait dans l’église, caressant les robes, les statues, l'orgue, elle comprend que ce n'était pas Dieu qu'elle caressait mais son propre désir. En se masturbant, elle se jette sur son précieux livre de prière, mais ce n'est pas pour expier un sous-disant péché, plutôt pour y trouver le portrait d'un jeune homme (le Tsar Nicolas II ?) qu'elle embrasse avec passion. Il n'est maintenant plus question d'amour de Dieu, mais d'amour mortel. Thérèse libérée. Elle peut alors fuir la pièce par la fenêtre et disparaître dans la nature. Avant d'être rattrapée par un homme, ce violeur annoncé dans le carton d'introduction. La société ne laisse pas facilement les anges s'envoler...



Le troisième segment s'inspire d'une légende hongroise, celle de la comtesse Erzsébet Bathory qui se baignait dans le sang de vierges assassinées afin d'obtenir la jeunesse éternelle (Julie Delpy en tirera en 2009 le beau et troublant La Comtesse). L'histoire démarre avec la comtesse (Paloma Picasso dans son unique rôle au cinéma) qui parcourt avec son page la campagne. Elle croise un Christ ensanglanté. On lit dans ses yeux une crainte mêlée d'autre chose, de désir peut-être. Des corbeaux croassent et Eros et Thanatos se retrouvent liés dans ce gros plan sur un regard. Le plan suivant montre un couple faisant l'amour dans la paille, ce qui vient par un effet Koulechov à rebours confirmer notre prime impression. Puis c'est l'irruption des soldats qui fait tourner court leur joute amoureuse. Des soldats venus arracher à leurs familles des jeunes filles qui vont devoir suivre la comtesse jusqu'à son château. Avec la promesse que les heureux élues pourront toucher sa robe miraculeuse, ce qui leur assurera un bonheur éternel. S'ensuivent de longs rituels de lavage des corps. Puis la comtesse passe dans le rang des jeunes filles dénudées pour leur faire boire une gorgée d'un liquide rouge, une communion dont on devine rapidement qu'elle n'a que peu à voir avec le rituel catholique.


La comtesse peut alors se présenter aux jeunes filles, vêtue d'une robe de diamants transparente. La timidité et la peur s'évanouissent et elles forment bientôt une horde vorace qui déchire la robe et se gave des bijoux. Scène étrange et envoûtante qu'Erzsébet traverse en silence, comme dans un songe. Sans qu'aucun mot ne soit jamais prononcé, on comprend que la comtesse cherche l'amour véritable et pur. Un amour saphique, elle qui a construit autour d'elle un monde dont sont bannis les hommes. Mais c'est un amour déçu. Déjà, durant le rituel des douches, de jeunes filles s'amusaient à dessiner des phallus sur les murs des douches, ce qui mettait Erzsébet dans une colère noire, elle qui refuse qu'un sexe masculin ne pénètre sa forteresse. Et lorsqu'elle apparaît dans sa robe de diamants, elle met à l'épreuve les jeunes filles qui, se transformant en animaux, perdent toute grâce à ses yeux et n'ont plus qu'à être sacrifiées comme des bêtes d'abattoir. Et elle de se baigner dans leur sang, elles qui l'ont déçue et n'ont pas su l'aimer. Lorsque les hommes apparaissent à la fin du récit, c'est pour procéder à son arrestation. C'est son page, qu'elle considérait comme une amante véritable et pure (elle la revêt dans une très tendre scène amoureuse d'une robe blanche virginale) qui la trahit pour les beaux yeux d'un jeune capitaine. Les soldats pénètrent alors sa demeure, véritable viol de son univers lesbien. Étonnant segment où Borowczyk raconte les crimes les plus horribles (on a tout de même affaire à une histoire effrayante de serial killer qui aura inspiré la légende de Dracula) sans rien montrer des atrocités, nimbant au contraire toute cette partie d'une grande douceur onirique, nous faisant partager la mélancolie de Bathory en filmant longuement son visage silencieux et ses déplacements de fantôme. Borowczyk qui montre a contrario son arrestation par les autorités comme un acte injuste et violent.



On a vu Thérèse enfermée par sa marâtre découvrir le chemin du plaisir avec un concombre et abandonner Dieu pour le monde des hommes. On a vu Julie soumise par son grand cousin s'éveiller pleine et entière, plus forte qu'avant, humiliant son prétendu mentor. La dernière héroïne des Contes immoraux, Lucrèce Borgia, va, elle, se livrer complètement à une sexualité débarrassée de toute morale, avec le concours de ceux-là même qui sont censés incarner le dogme catholique. Ce segment raconte en effet les rapports incestueux de Lucrèce Borgia avec son père, le Pape Alexandre VI (interprété par le grand cinéaste Mario Ruspoli), et son frère le cardinal Cesare Borgia (que joue le fils de Ruspoli) à qui elle rend visite en l'an 1498 en compagnie de son mari Sforza. Tandis qu'ailleurs à Rome le moine dominicain Hyeronime Savanarole dénonce la vie dissolue des Borgia, le trio s'adonne à une véritable bacchanale, non sans avoir pris le soin d'écarter l’embarrassant époux de Lucrèce. Savanarole explique dans sa diatribe que Lucrèce a été mariée de force par son père à Sforza. Elle est donc une nouvelle figure de ces femmes soumises aux hommes et aux dogmes que Borowczyk dépeint depuis le début de son film.


Elle aussi trouve la libération dans le sexe, enfreignant les tabous (l'inceste) et emportant avec elle dans le stupre un pape et un cardinal. Mais cette débauche ne se fait que dans le jeu, aussi amoral soit-il. Lucrèce, son père et son frère s'excitent en regardant des dessins de coïts de chevaux (ce que l'on retrouvera également dans La Bête) et le Pape Alexandre VI ne cesse de s'amuser à titiller son gendre, jouant sur sa paranoïa et sa crainte d'être empoisonné. La bacchanale même est prétexte à jeux érotiques et rires. La débauche n'a rien d'infernale, elle est charmante et enjouée. De morale, il n'y en aura aucune à tirer de cette histoire : le mari est arrêté, tout comme Savanarole qui, après avoir hurlé dans le vide (on ne voit jamais le public à qui il s'adresse), est embastillé à son tour avant d'être brûlé vif. Quant à Lucrèce, un joli poupon souriant naît de ses relations incestueuses. Un enfant béni et baptisé comme il se doit. Le péché n'engendre pas ici la bête mais un petit angelot. Ce dernier segment est ouvertement satirique et outrancier. Borowczyk utilise comme fond musical La Messe de Notre Dame de Guillaume de Machaud, l'un des plus anciens morceaux de musique sacrée. Une véritable profanation à l'image de ce sketch sacrilège, joyeux et déluré.

Si Borowczyk se lance à partir de ce milieu des années 70 dans l'érotisme, c'est par volonté de dénoncer la pudibonderie de notre société. Il affiche avec panache son immoralisme, prône la libéralisation des mœurs, appelle à enterrer tout ce qui empêche l'épanouissement de l'homme... ou plutôt de la femme. Il dénonce les tabous, la morale, tous ces outils que le pouvoir religieux ou politique mettent en place pour faire de l'existence une prison. Il prône la liberté, la joie, le plaisir. La naissance de l'enfant de Lucrèce Borgia - fruit de l'adultère et de l'inceste - c'est le triomphe de l'immoralité. Il est aussi l'incarnation de l'hypocrisie de l’Église catholique, son père étant au choix un pape ou un cardinal (Borowczyk ne tranche pas). Et l'enfant d'être célébré par la papauté tandis qu'est brûlé vif celui qui incarne la morale, la loi et l'ordre, Savanarole. Mais si Lucrèce satisfait ses désirs en toute impunité, ce n'est pas le cas des autres femmes du film. Comme dans Goto et Blanche, elles sont les victimes du diktat des hommes et de la morale, et si elles parviennent à s'en affranchir ce n'est que pour un temps. Thérèse se fait violer alors qu'elle vient de découvrir le plaisir solitaire de l'onanisme. Julie, elle, se retrouve frustrée dans son apprentissage à cause de la faiblesse de son cousin. Quant à Erzsébet, son rêve d'un monde débarrassé des hommes la conduira à la mort. Il n'est pas anodin que Borowczyk termine son film sur Lucrèce, la seule qui sorte vraiment victorieuse. Avec cette remontée dans le temps que nous propose la succession des segments, le cinéaste semble nous glisser l'idée qu'au fil des âges le sort des femmes ne s'est pas vraiment arrangé et que l'homme et la société patriarcale demeurent d'impérieux prédateurs.


La mise en scène de Borowczyk évolue beaucoup avec ce nouveau film. Il abandonne pour partie les cadres rigides et savamment composés de ses premiers films en prises de vues réelles et utilise avec plaisir la caméra à l'épaule et de nombreux mouvements de caméra. Le film bénéficie d'une photo magnifique, que ce soit en extérieur (les superbes plans sur les falaises et la mer dans La Marée ou la campagne d'Erzsébet Bathory) ou dans les intérieurs (en particulier ceux de Erszébet Bathory). La qualité de la photo tient beaucoup à Noël Véry qui arrive sur le film comme opérateur caméra. C'est lui qui photographie La Marée, remplaçant au pied levé Guy Durban, le chef opérateur habituel de Borowczyk qui accepte de moins en moins les partis pris du cinéaste qui viennent bousculer ses habitudes. Véry s'en sort si bien que Borowczyk lui propose également de faire le début d'Erszébet Bathory, sans prévenir Durban avec qui le cinéaste va définitivement se fâcher. On doit donc à Véry les passages les plus somptueux du film, l'ex-opérateur comprenant parfaitement les desiderata d'un cinéaste qui apporte un soin constant à l'élaboration de ses images. Même lorsqu'il délaisse le 35mm pour le 16mm avec Thérèse philosophe (tourné avec une petite caméra Krasnogorsk), la qualité de l'image témoigne de l’œil de Borowczyk, de son savoir-faire technique, les textures et les couleurs étant tout aussi bien servies par ce format "amateur" que par celui professionnel du reste du film, et surtout le cinéaste utilisant le grain de pellicule pour se rapprocher de la texture d'une toile, d'un Canson.

On note également une merveilleuse gestion de l'espace, notamment dans Erzsébet Bathory où la demeure de la comtesse devient un labyrinthe mystérieux, un château de conte de fée dans lequel se retrouvent enfermées les jeunes vierges. Dans Lucrèce Borgia, l'action se déroule dans une pièce unique, une de ces scènes de théâtre que Borowczyk affectionne tant. Autre scène, mais en plein air, le petit bout de plage épargné par la mer dans La Marée, fine bande de galets où les corps unis d'André et Julie sont caressés par les vagues. Ou encore la forêt qui devient une jungle impénétrable dans La Bête lorsque la Belle se retrouve poursuivie par les assiduités du monstre, une jungle qui se métamorphose en clairière bucolique, printanière, quasi enchanteresse lorsqu'elle découvre le plaisir dans les bras de son amant simiesque.


Le sens esthétique du cinéaste s'affine donc grandement avec ce film. Son usage des couleurs et la composition savante de ses cadres se réfèrent aux tableaux de l'âge classique. Ce goût de la beauté, cette recherche de la perfection esthétique, on les retrouve dans son attachement à magnifier les nus féminins. Il filme les peaux, leur blancheur ou leur aspect cuivré, les rondeurs, les formes. Le soin apporté à la lumière, à la composition des cadres, à la palette des couleurs confèrent à ces nus la beauté des peintures raphaélites. Borowczyk célèbre la beauté et, par-là, évite le simpliste frisson érotique recherché habituellement par les films érotiques. C'est bien moins le désir qu'il cherche à faire naître chez le spectateur que l'envie de beauté. Et comme il donne de l'épaisseur à ses personnages féminins, comme il épouse leur lutte contre le patriarcat et une société qui ne cesse de les condamner, il est évident qu'il n'utilise pas les corps féminins mais qu'il célèbre leur beauté.


Borowczyk est un artiste précieux. Dans la façon par exemple dont il choisit soigneusement les objets. Dans la plupart de ses films, il n'en sélectionne que quelques-uns. Choix parcimonieux qui donne aux ustensiles un véritable rôle dans les histoires, qui en font des objets signifiants. Armes du crime ou de volupté, les objets ne sont pas de simples accessoires mais des extensions de la psyché des personnages. Cette préciosité, on la retrouve dans le choix des vêtements. Borowczyk apporte un grand soin à la sélection des étoffes, des textures, des parures, et il peut passer un temps infini à bien positionner un drapé sur un corps. Les scènes de déshabillage font toujours l'objet d'une grande attention (voir celle d'Erzsébet Bathory), véritables rituels lors desquels la beauté se livre lentement, en douceur.

Ces scènes sont des rituels mais a contrario de ceux absurdes de Goto, ils acquièrent ici une autre dimension. Une dimension qui tient du sacré. Pas un sacré religieux, mais un sacré païen venant célébrer la féminité et le sexe. C'est Thérèse qui se découvre grâce à l'usage d'un concombre qui devient à ses yeux un nouvel objet de culte. C'est une communion profane à laquelle Erzsébet Bathory invite ses vierges. C'est Lucrère Borgia et l'orgie incestueuse à laquelle elle s'adonne entre les murs du Vatican. Borowczyk transgresse les interdits, dénonce le poids de la religion, des lois, de la société, du patriarcat... Et cette dénonciation peut parfois tendre volontairement à l'amoralité. Mais il ne s'agit pas pour lui de nier toute morale, mais de combattre celle que la société dominante impose, quitte à ruer un peu brutalement dans les brancards (l'inceste du dernier segment). Les Contes immoraux sont une forme de Décaméron moderne en somme, Borowczyk prenant comme Boccace la défense des femmes et s'amusant lui aussi à étriller les mœurs du clergé.


(1) A ces quatre segments s'ajoutait dans le montage initial un cinquième, La Bête du Gévaudan, troisième dans l'ordre du film. Borowczyk va finalement le retirer pour en faire le segment onirico-pornographique de son film suivant, La Bête, qui sortira dans les salles l'année suivante. Dommage car ce segment trouvait sa place logique dans le film : la Belle prenant l'ascendant sur la Bête, c'est Julie dominant in fine André tandis que le phallus chevalin de la créature annonçait les dessins zoophiles qui allaient mettre en émoi Lucrèce et ses deux amants.

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Par Olivier Bitoun - le 10 mars 2017