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Critique de film
Le film
Affiche du film

Comme un chien enragé

(At Close Range)



 

L'histoire

Brad Jr. vient de quitter l'école et s'ennuie dans sa petite ville de Pennsylvanie. Il revoit son père, Brad Sr., qui a depuis longtemps quitté sa famille pour vivre en bande avec ses copains avec lesquels il a monté un gang de vols de véhicules. Brad Jr., de plus en plus admiratif, finit avec un groupe de copains par faire la même chose. Encouragé par les aînés, le jeune gang vole des tracteurs. Le drame éclate lorsque la police s'en mêle.

Analyse et critique

James Foley réalisait son chef-d’œuvre et l'un des grands classiques des 80’s avec ce mélodrame puissant qu’est At Close Range. Le film s’inspire d’un fait divers réel qui s’est déroulé en 1978 dans l’Etat de Pennsylvanie : une bande de malfrats avait recruté des adolescents qu’ils avaient par la suite assassinés quand ces derniers étaient devenus des témoins gênants. Foley donne une transposition romancée de ce drame qui avait choqué l’Amérique en y greffant des thèmes déjà présents dans son formidable premier film, le drame adolescent Reckless (1984). On y trouvait déjà une jeunesse paumée et sans but, les figures parentales défaillantes ainsi que cette candeur touchante dans la description des premiers émois amoureux. Reckless par sa fougue et son insouciance lorgnait vers une sorte de relecture du Lauréat (1967) façon teen movie existentiel, et en reprenant ces questionnement dans le cadre de ce fait divers très sombre, le cinéaste aboutira à un résultat encore plus intense.


La scène d’ouverture montre d’ailleurs bien cet écart au sein du récit entre romanesque insouciant et folie latente. Brad (Sean Penn), jeune adolescent paumé, débarque dans le centre ville où, au sein de la même séquence, il s’illustrera par sa douceur et ses envies d’ailleurs - les regards prolongés sur la belle Terry (Mary Stuart Masterton) puis la séduction maladroite qui s’ensuit - et son goût pour le danger lorsqu’il défiera un quidam en s’accrochant à sa voiture. Les ralentis et la musique de Patrick Leonard (avec un main theme entêtant qui est une version instrumentale de la superbe chanson Live to tell de Madonna) alternent ainsi avec une mise en scène de l'urgence pour montrer avec brio le gout du danger et le besoin d’affection de Brad dans une dualité qui lui causera bien des ennuis. Déscolarisé, sans travail ni repères, Brad et son frère Tommy (Chris Penn) voient revenir dans leur vie cet illustre inconnu qu’est leur père, Brad Senior (Christopher Walken). Séduisant, dangereux et menant la grande vie, ce père exerce immédiatement une attirance irrésistible pour Brad qui va s’en rapprocher. Brad Senior est en fait un malfrat qui avec sa bande écume les maisons et entrepôts de la région à coups de cambriolage nocturne. Brad, après avoir fait ses preuves avec ses jeunes acolytes, va ainsi chercher à intégrer l’équipe de son père, avant de comprendre à quel point ce dernier est un monstre égoïste. Sean Penn, étendard de la jeunesse white trash, impose une présence forte et fébrile à la fois :  froid et déterminé quand il se perd dans une délinquance vaine, anxieux et gauche dès qu’il s’agit d’exprimer ses sentiments. Face à des interlocuteurs bienveillants, cette fragilité est un atout fendant la carapace du mauvais garçon (on note une belle alchimie entre Sean Penn et Mary Stuart Masterton, toutes les figures féminines étant aimantes et protectrices dans le film) mais lorsqu’il croise la route de son géniteur, il fera figure de proie sans défense.


Christopher Walken, à l’inverse, fait preuve d’une retenue glaciale synonyme de danger en père indigne. L’acteur n’exprime jamais la menace qu’il incarne par un jeu agressif, au contraire il sera toujours rigolard et avenant, rendant ses écarts aussi imprévisibles que brutaux. Nulles pulsions incontrôlées chez lui, c’est un être froid et pragmatique qui élimine tout obstacle perturbant son entreprise, même s’il s’agit de ses fils. L’attitude chaleureuse peut s’estomper en un instant pour laisser place à un visage opaque et un regard sans expression alors qu’il commet l’horreur. L’intrigue montre ainsi Brad se rapprocher et chercher à ressembler à ce modèle paternel faussement attirant jusqu’à découvrir à quel point il est malfaisant. On alterne entre la romance juvénile de plus en plus fusionnelle entre Brad et Terry et les larcins qui prennent de plus en plus d’importance. Cette opposition se fait symboliquement entre le jour et la nuit : la lumière signifie la plénitude, l’épanouissement (la scène dans le champ, la longue baignade où Foley laisse éclater ses élans clippesques déjà exprimés dans Reckless), tandis que la nuit symbolise le mal et la mort. La photo de Juan Ruiz Anchía s’orne de velléités naturalistes et contemplatives à la Terrence Malick dans les scènes de jour (rappelant son travail pour Maria’s Lovers (1984) d’Andreï Konchalovsky) tandis qu’elle prend des teintes bleutées et spectrales lors de tous les assassinats nocturnes. Le mal est comme en sourdine, attrayant et facile pour mieux nous tromper sous les sourires de Christopher Walken qui est une sorte de Faust (il a vraiment une sorte d’aura surnaturelle démoniaque dans son allure) dans un cadre réaliste. Faute d’avoir rompu le pacte, Brad s’aliène la seule famille non dysfonctionnelle du film mais aussi la plus dangereuse, fidèle et rancunière, celle du crime. Foley aligne les moments chocs, aussi insoutenables que sobres dans la dernière partie où Brad et ses amis sont menacés par crainte d’une enquête du FBI.


En survivant à l’impensable, notre héros devient réellement une sorte de martyr, dont Foley fait observer les stigmates alors qu’une ultime fois il hésitera entre la pulsion et la retenue, la vengeance et la justice, dans un dernier face-à-face puissant. Sean Penn s'avère absolument extraordinaire, plus écorché vif que jamais et exprimant l’incrédulité de son malheur et de celui qui en est la cause dans une ultime séquence bluffante au plan fixe lourd de sens.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 28 août 2018