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Critique de film
Le film
Affiche du film

Cocoon

L'histoire

Trois pensionnaires d'une maison de retraite huppée de Floride sont habitués à jouir illégalement de la piscine intérieure située dans une villa proche abandonnée. Lors d'une de leurs excursions, ils découvrent plusieurs gros cocons mystérieux au fond du bassin, ce qui ne les empêche pourtant pas de se baigner. Mais l'effet produit est incroyable : les trois hommes âgés se sentent rajeunir et retrouvent la pleine vigueur de leur jeunesse ; même Joe, atteint d'un cancer, bénéficie d'une rémission. Les cocons sont en fait d'origine extra-terrestre et ont reposé des millénaires dans l'océan, jusqu'à ce jour où des Antariens pacifiques, déguisés en humains, sont venus discrètement les récupérer pour les emporter sur leur planète. Mais leur secret est éventé, d'abord par les retraités qui obtiennent cependant le privilège de continuer à profiter des bienfaits de la piscine, puis par Jack Bonner, le propriétaire du bateau loué par les extra-terrestres pour partir plonger à la recherche de leurs semblables. Bonner tombe amoureux d'une superbe Antarienne alors que la mission de sauvetage se voit bientôt compromise. Mais une nouvelle option va se présenter à l'ensemble des retraités de la pension en attente d'une fin naturelle et inéluctable...


Analyse et critique

Le cinéphile est un animal à sang chaud, son excitation peut retomber aussi vite qu'elle est montée et ses jugements définitifs durent souvent le temps d'un enthousiasme soudain et sélectif. Paradoxalement, et de façon rassurante, ce balancement passionnel ne constitue finalement pas la moindre de ses qualités, surtout lorsque ses sentences sont censées établir une hiérarchie entre les artistes et les époques dans lesquelles ces derniers ont œuvré. Le cinéphile compte fréquemment en décennies, et ses classements de valeur sans cesse remaniés renvoient à l'une de ses raisons d'être et de fonctionner. Il est ainsi une décennie qui a longtemps subi un châtiment sévère de la part des cinéphiles, les plus endurcis comme les plus tolérants, de la part de ceux qui l'avaient vécue comme de ceux qui l'avaient découverte à travers les films. Il s'agit bien entendu des années 80 et les causes de cet ostracisme visant essentiellement le cinéma américain, souvent injuste, sont nombreuses ; on n'en retiendra ici que les deux principales.

La décennie 1980 a d'abord eu "le malheur" de succéder aux glorieuses seventies, qui a vu l'industrie cinématographique des Etats-Unis se transformer en profondeur en lâchant la bride à une nouvelle catégorie de producteurs, scénaristes et cinéastes qui ont livré un nombre incroyable d'œuvres ambitieuses et variées, tant sur un plan dramatique qu'esthétique. Les années 70, tenues pour une parenthèse enchantée (parfois au risque de jeter de l'ombre sur d'autres périodes intéressantes) sont ainsi - et à juste titre - grandement célébrées et même regardées avec amour et nostalgie. Car la liberté quasi totale dont bénéficiaient les réalisateurs américains a été stoppée net à l'orée des années 80, en raison de plusieurs fiascos financiers retentissants et de l'arrivée de producteurs plus captivés par le bruit du tiroir-caisse que par l'épanouissement artistique. La deuxième cause du rejet des années 80 se trouve liée à la première mais sa pertinence, cette fois-ci, reste plutôt sujette à caution. Parmi les cinéastes révélés au cours des années 70 figurent Steven Spielberg et George Lucas, auteurs de films dont le succès public faramineux a durablement changé la face de Hollywood. Leur réussite cinématographique, pourtant certaine (plus pour les films de Spielberg d'ailleurs que pour ceux de Lucas, réalisateur moins talentueux que son compère même si ses premières œuvres le plaçaient parmi les artistes les plus marginaux de son époque), fut mise de côté en regard de leurs succès au box-office.

C'est ici qu'entre en jeu un malentendu fâcheux, qui allait persister longtemps : puisque les nouveaux dirigeants hollywoodiens allaient s'inspirer de leurs "recettes" afin de produire des films fortement "marketés" susceptibles d'attirer un nombre toujours plus élevé de spectateurs (notamment et surtout les plus jeunes) tout en considérant secondaire toute velléité artistique, c'est que Lucas et surtout Spielberg (particulièrement visé en raison de son insolente réussite) ne méritaient pas d'être inscrits parmi les cinéastes les plus habiles, audacieux et inventifs de la décennie précédente, de même que leurs films devaient forcément véhiculer le germe du renoncement, le microbe de la facilité, le virus de l'entertainment putassier. C'était bien sûr faire fi des qualités intrinsèques, de l'ambition, de la personnalité et de la complexité du cinéma spielbergien, mais qu'importe, le coupable était identifié. Pourquoi penser autrement ? Il s'est alors opéré un glissement sémantique - toujours présent de nos jours - chez les producteurs fossoyeurs du cinéma des seventies comme chez ceux-là mêmes qui vilipendaient ces derniers : le terme blockbuster n'était plus un qualificatif neutre censé décrire a posteriori un film ayant connu un énorme succès commercial, mais un terme désignant a priori une production appelée à connaître un tel succès du fait de ses éléments constitutifs soigneusement sélectionnés pour arriver à ce résultat.

Heureusement, comme il a été précisé en début d'article, les vents cinéphiles sont changeants. Et grâce également à une mode - valable pour tous les arts - qui fait qu'une génération donnée se retourne sur une génération de vingt ans son aînée pour en revisiter les us et les codes, et la contempler avec une sympathie mêlée d'une soudaine affection, le cinéma des années 80 est redevenu fréquentable dès l'entrée dans le XXIème siècle. Concernant Spielberg, une majorité des commentateurs (à l'exception des plus épidermiques des réfractaires) a enfin compris que son œuvre fut artificiellement considérée - voire parfois mal comprise - et utilisée par des producteurs mercantiles qui n'en avaient retenu que les aspects les plus immédiatement séduisants. On s'est aussi souvenu que Spielberg producteur, via sa société Amblin, avait réussi à bâtir un corpus de films aux qualités nombreuses et surtout marqués d'un même esprit aventureux, vivifiant, faussement naïf, parfois facétieux parfois plus sombre, à la lisière du fantastique ou entrant pleinement dans le genre, prônant une libération physique et psychologique, défendant les élans du cœur, promouvant les sentiments d'appartenance à une communauté, véhiculant une vision positive et engageante malgré les agressions sociales. Il suffit de citer aujourd'hui des titres comme Gremlins, Les Goonies, Retour vers le futur, Le Secret de la pyramide, L'Aventure intérieure, Miracle sur la 8e rue ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ? pour déclencher des sourires et des réactions de tendresse non feintes. Cela dit, force est d'admettre que l'esprit présidant à ces productions était aussi tributaire du contexte moral et sociétal des années 80, sous les administrations conservatrices de Ronald Reagan puis George Bush Sr., au cours desquelles le capitalisme financier prit son envol et où l'individualisme forcené gâcha progressivement les relations sociales en discriminant les laissés-pour-compte de l'idéologie néolibérale. On se doit donc de reconnaître que ce cinéma enchanteur a aussi eu pour caractéristique de très souvent s'éloigner des préoccupations sociales et économiques d'une partie non négligeable de la population.

Parmi les cinéastes soutenus par Spielberg et représentatifs de "l'esprit Amblin" se trouvait alors Robert Zemeckis. Cocoon était alors son projet, qu'il avait mis une année à développer. Mais en 1984, le cinéaste de 32 ans n'avait à cette date réalisé que deux films - I Wanna Hold Your Hand (1978) et Used Cars (1980) - hélas deux fours au box-office. Ironiquement, alors que la 20th Century Fox allait lui permettre de connaître enfin son premier succès avec A la poursuite du diamant vert, les dirigeants du studio ne lui accordaient plus leur confiance après les premières projections tests de ce film d'aventures et en raison des fausses rumeurs concernant un tournage supposé problématique. A leurs yeux, Cocoon, une production dépassant 18 millions de dollars, devait être confiée à un réalisateur plus sûr. Richard D. Zanuck et David Brown, anciennement producteurs des Dents de la mer (1975), se tournèrent alors vers Ron Howard. Le futur réalisateur aimé du tout-Hollywood au sein duquel il a toujours vécu, depuis oscarisé et auréolé de nombreux succès commerciaux, n'avait alors tourné que des téléfilms et trois films pour le grand écran : les comédies confidentielles Lâchez les bolides (1977) et Les Croque-morts en folie (1982), et surtout Splash (1984), grand succès surprise au box-office. Splash, comédie fantastique et romantique mettant aux prises le jeune Tom Hanks (28 ans) avec une superbe sirène interprétée par Daryl Hannah, témoignait, à côté de la loufoquerie de son sujet, d'une vraie sensibilité pour ses personnages et sa réussite commerciale avait placé son réalisateur en tête des jeunes cinéastes sur lesquels Hollywood allait devoir compter.


Ron Howard est une personnalité attachante du cinéma américain. Mais de par la nature protéiforme de ses films et la facilité avec laquelle il évolue depuis toujours à Hollywood, il est plutôt considéré comme un simple artisan au savoir-faire certain, capable de se plier aux exigences d'un sujet ou d'un studio plutôt que comme un artiste au fort tempérament en quête d'une œuvre personnelle et au style fortement identifiable. Il est certain qu'au vu de certaines productions - Horizons lointains (1992), La Rançon (1996), Le Grinch (2000), Un homme d'exception (2001), De l'ombre à la lumière (2005), Da Vinci Code (2006), jusqu'à Inferno (2016) et Solo : A Star Wars Story (2018) - c'est à un cinéma hollywoodien assez mainstream dans sa forme et reposant sur des fils narratifs très éprouvés que nous avons affaire. Cependant, d'autres films signés par Howard se détachent de cet ensemble par des enjeux moins balisés et une mise en scène plus ingénieuse et stimulante ; on citera Backdraft (1991) avec son approche poétique morbide des incendies, Le Journal (1994), double hommage à la screwball comedy et au monde frénétique de la presse, Apollo 13 (1995), sorte d'ode à l'héroïsme alimentée par la mystique entourant la conquête spatiale, Frost/Nixon (2008), dont le spectacle nerveux repose sur un affrontement dialogué en espace réduit, ou encore l'énergique et parfois expérimental Rush (2013) sur l'amitié et l'antagonisme entre les pilotes de F1 Nikki Lauda et James Hunt dans les années 70.


Des meilleurs films de Ron Howard surgissent quelques thèmes comme la témérité, le dépassement de soi ou le saut vers l'inconnu qui transforme l'individu en testant ses limites. Enfant de la balle, très populaire auprès d'un public familial, Howard a débuté à cinq ans comme acteur à la télévision, s'imposant avec son joli minois dans de nombreuses séries des années 60 puis apparaissant dans quelques longs métrages comme Il faut marier papa (1963), American Graffiti (1973), Du sang dans la poussière (1974) ou Le Dernier des géants (1976). C'est bien sûr la série emblématique Happy Days (1974-1984) qui fit de lui une star, mais Howard se destinait depuis longtemps à la réalisation. Ayant ainsi grandi dans le cocon hollywoodien nourri aux bons sentiments, il n'est pas surprenant que Ron Howard fasse preuve assez tôt d'une certaine candeur et d'un attachement pour des histoires un peu édifiantes qui défendent une vision positive de l'existence. En conséquence, le fait que le jeune cinéaste parvient à déployer ses ailes dans les années 80 paraît somme toute logique. Mais à la vision de Cocoon, on observe que Howard parvient à éviter le piège attendu du sentimentalisme tout en composant admirablement avec deux genres qui se nourrissent l'un l'autre.

Plus grand succès de l'histoire du cinéma en 1982, E.T. de Steven Spielberg n'a eu finalement que peu de descendance au sein du cinéma américain, si ce n'est quelques ersatz marginaux et peu glorieux. Probablement le statut du film de Spielberg a-t-il freiné les ardeurs de la plupart des récupérateurs et des cloneurs en chef. En revanche, le "message" délivré par l'extra-terrestre égaré sur Terre a imprégné bon nombre de productions qui pour la plupart ont sauté à pieds joints dans le conte sirupeux et le moralisme outrancier. Rares sont les films comme Cocoon, clairement influencé par E.T. et l'imaginaire spielbergien en général, qui ont su contourner ces écueils et sont parvenus à trouver leur musique propre. Lorsque Ron Howard reçoit le scénario de Cocoon, clairement une histoire de science-fiction très axée sur la rencontre extra-terrestre, le jeune réalisateur décide de modifier en profondeur sa nature. Très marqué par un projet avorté pour la télévision qui devait mettre en scène des personnes âgées dans leur vie quotidienne, Howard marque de son empreinte le script en accordant une grande place à ses personnages du troisième âge qui sentant leur fin approcher entrevoient un moyen d'y échapper. La vieillesse, la maladie et la fin de vie sont des thèmes rarement évoqués au cinéma, tout particulièrement chez les majors hollywoodiennes. En épousant la forme de la fable et en modernisant la légende de la fontaine de jouvence, Howard et le scénariste Tom Benedek réussissent l'exploit d'en faire les sujets d'un film à grand spectacle qui sait en outre rester à échelle humaine. Et qui plus est, sans passer par des protagonistes où les spectateurs peuvent facilement se projeter (une règle d'airain de la dramaturgie classique).

La grande force de Cocoon, tant sur le plan du scénario que de son découpage visuel, réside dans l'équilibre délicat trouvé entre la fable fantastique et la comédie dramatique. Le recours au surnaturel via les effets spéciaux est assez sporadique dans le montage du film, et pour ces scènes l'alchimie entre la réalisation et le travail des magiciens d'ILM fonctionne tant et si bien que le sens du merveilleux opère et cède souvent la place à la pure émotion. Il n'y a certes pas une once de mauvais sentiments ou de malignité dans Cocoon, mais les épreuves que doivent affronter les hommes à l'approche de la mort ne sont jamais évacuées. Même le sexe est franchement évoqué, de façon humoristique, quand les septuagénaires et octogénaires retrouvent une érection suite à leur bain dans la piscine régénératrice. Ayant à son service un casting prestigieux composé de vétérans du cinéma et du théâtre, Howard fait une totale confiance à ses acteurs et aère sa mise en scène pour permettre à ces derniers de se libérer, voire même d'improviser. Don Ameche (L'Incendie de Chicago, La Baronne de minuit, Le Ciel peut attendre, Le Porte-avions X), Wilford Brimley (Le Cavalier électrique, The Thing, Les Aventuriers du bout du monde), Hume Cronyn (Le Facteur sonne toujours deux fois, Les Démons de la liberté, On murmure dans la ville, Cléopâtre) et son épouse Jessica Tandy (Le Château du dragon, Ambre, Le Renard du désert, Les Oiseaux), Jack Gilford (Le Forum en folie, Catch 22) ou encore Maureen Stapleton (L'Homme à la peau de serpent, Vu du pont, Intérieurs, Reds) se prêtent au jeu et délivrent des performances à la fois émouvantes et d'une belle fraîcheur. Lorsqu'il s'agira de faire un choix - partir vivre pour l'éternité sur une autre planète ou rester sur Terre pour mourir - c'est tout un discours sur l'acceptation de la mort qui se met en place. Et l'ultime séquence, dans laquelle quasiment tous les locataires de la maison de retraite fuient en bateau pour rejoindre le vaisseau spatial venus les emmener, constitue nettement une allégorie du dernier grand départ que tout le monde (la personne concernée comme ses proches) se doivent d'assumer de façon sereine.

Bien entendu, la solennité relative du propos est contrebalancée par les nombreuses touches d'humour, principalement lorsque les retraités retrouvent joyeusement la pleine possession de leur corps et s'amusent comme des adolescents, inconscients des conséquences de leurs actions. L'aspect comique est parfois amené de façon lourdingue quand survient une chanson pop estampillée eighties - avec synthés et boîte à rythme - qui aujourd'hui vrille les oreilles, ou lorsque le réalisateur se laisse griser par ses ralentis dans l'enceinte de la piscine pour bien montrer que les acteurs réalisent vraiment leurs plongeons. Une fonction similaire est dévolue au sympathique Steve Guttenberg, échappé des comédies potaches Police Academy, qui campe un jeune navigateur sans le sou, maladroit mais bienveillant, qui vient en aide aux extra-terrestres pour aller chercher les cocons en pleine mer. Sa romance extraordinaire avec une alien (interprétée par la fille sculpturale de Raquel Welch, c'est dire) est prétexte à un scène suggestive dans la piscine, dont la sensualité étrange le dispute à l'humour. Cocoon, film au charme naïf et espiègle à la fois, malgré ses afféteries et ses rares lourdeurs, représente le haut du panier des productions de studio des années 80 et aussi un sommet dans la carrière de Ron Howard. Son subtil mélange de fantastique, de comédie (sociale, de mœurs) et de drame, transporté par l'émouvante bande musicale de James Horner, a franchi les années en conservant ses qualités de feel good movie sensible et jubilatoire.

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La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 28 septembre 2018