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Critique de film
Le film

Cléopâtre

(Cleopatra)

L'histoire

Lors de sa conquête de l'Égypte, Jules César tombe sous le charme de la reine Cléopâtre. Peu après être rentré à Rome, il se fait assassiner. Cléopâtre accorde alors ses faveurs à Marc-Antoine, totalement ensorcelé, puis projette de l'empoisonner afin de régner seule sur l'Égypte, mais son amour la conduira à tenter de sauver Marc-Antoine de la menace qui plane sur lui à Rome...

Analyse et critique

Le Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz (1963), fort de ses qualités mais aussi de sa production tumultueuse, occulte désormais la perception cinéphile pour ce qui est des films consacrés à la souveraine d’Égypte. Il y eut pourtant auparavant cette vision de Cecil B. DeMille dont le traitement détonne : exit la profondeur psychologique, la rigueur historique et le spectaculaire, l’intérêt du réalisateur est ailleurs. Bien que respectant relativement bien la trame historique connue et déroulant la même construction que la future version de Mankiewicz (soit deux parties consacrées à la romance/formation avec César puis à la folle passion pour Marc Antoine), le film hésite entre la veine des comédies conjugales de la période muette et la grandiloquence passée et à venir du réalisateur dans le péplum. Le film sort deux ans après l'extravagant Signe de la Croix (1932), réalisé avant l’application effective du Code Hays par les studios. DeMille y faisait montre de la schizophrénie qu’on lui connaît notamment dans le péplum, la célébration de la piété ne fonctionnant qu’en parallèle de la démonstration d’une luxure qu’il se délecte à filmer. On retrouve cela dans Cléopâtre, l'un des derniers vestiges de l’ère pré-Code (le film sort l’année même où les studios, pressés par les ligues de vertu, décideront de l’appliquer scrupuleusement) dont l’atmosphère transpire le stupre.


Claudette Colbert propose une interprétation étonnamment triviale (dans la lignée de celle du Signe de la Croix) tout en charme mutin et sensualité. Quand Mankiewicz hésitera volontairement entre la femme et la déité dans sa vision de Cléopâtre, DeMille choisit une approche plus terre-à-terre. Poses aguicheuses, tenues largement dénudées et regard coquin servent notamment les troublantes scènes de séduction entre Cléopâtre et Marc Antoine. La réception de Cléopâtre en l'honneur de son hôte romain met ainsi en scène des femmes-panthères se faisant fouetter avec plaisir par des hommes à l'accoutrement SM. La même scène propose une pêche en mer dont les filets contiennent des jeunes filles dénudées, les membres entremêlés dans des postures lascives. Le clou du spectacle sera l’étreinte entre Cléopâtre et Marc-Antoine dissimulée par un rideau mais dont les va-et-vient sont rendus par les mouvements des galériens sur le bateau, tandis que l'orgasme libérateur s’illustre lorsque des danseuses lanceront des paillettes après quelques minutes. La métaphore est un peu plus présente que les écarts explicites du Signe de la Croix, mais le fameux paradoxe d’un DeMille chrétien rigoureux mais au talent suspect pour retranscrire les atmosphères païennes s’exprime à plein.


Tous ces artifices détournent pourtant de la facette purement dramatique du récit. L'histoire d'amour entre César et Cléopâtre est assez expédiée et sert uniquement à montrer les talents de séduction et de manipulation naissants de Cléopâtre, César (Warren William) n'étant jamais réellement dupe et se servant d'elle pour étancher sa soif de pouvoir. On est loin de la chaleureuse complicité entre Rex Harrison et Liz Taylor chez Mankiewicz, ou de celle mentor/élève du plus méconnu et anglais César et Cléopâtre (1945) entre Claude Rains et Vivian Leigh. La romance entre Cléopâtre et Marc-Antoine (Henry Wilcoxon) est bien plus approfondie, ce dernier étant décrit comme un gros rustre irréfléchi, rendu totalement docile par son amour pour la reine d'Égypte. Étonnamment touchée par cette maladresse, la souveraine succombe aussi. DeMille ne 's'embarrasse guère de l'attirail géopolitique et historique et privilégie de rester au plus près de ses personnages. L’approche intimiste, presque statique, joue ainsi dans la description de cet amour dont les soubresauts passent par les nuances de la photo de Victor Milner, collaborateur régulier du cinéaste. On alterne ainsi entre ce ton feutré et le sens du gigantisme attendu chez DeMille qui aura la même approche dans Samson et Dalila (1949), son autre grande romance antique. L'épique et la véritable émotion forment réellement un tout lors de la bataille finale où se joue le destin tragique du couple, avec en clou la magnifique scène où les Romains trouvent une Cléopâtre agonisante dans son palais. Un DeMille étonnant donc, tout en ruptures de ton formelle et thématique.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 13 novembre 2018