Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Charlot soldat

(Shoulder Arms)

Analyse et critique

De tous les courts métrages réalisés au sein de la First Nationa, Charlot soldat est certainement le plus drôle, le plus impertinent, bref le meilleur ! Dans cette aventure, qui devait en premier lieu prendre la forme d’un long métrage, le vagabond a troqué son costume noir et sa canne contre l’uniforme de l’armée américaine. Charlot soldat se morfond dans les tranchées, dort dans un abri inondé et envahi par les rats et subit les attaques incessantes de l’ennemi. Ainsi présentée, l’image ne prête guère à sourire, mais pourtant les séquences de Charlot dans le dortoir sont absolument hilarantes. Comme toujours, Chaplin utilise le rire pour dénoncer les difficultés que rencontre son héros. Ici, Charlot, et par extension le soldat lambda doit faire face à des conditions de vie extrêmes. Cependant, on est encore bien loin de la dure loi de la rue présentée dans Une vie de chien : sur le front, les hommes s’entraident, les chefs sont assez compréhensifs et il règne une belle solidarité au sein des troupes (ses camarades lui proposent du fromage alors qu’il n’a rien à manger). Avec son uniforme, le vagabond multiplie les actes de bravoure et se démarque nettement de son personnage de la rue dont la générosité n’est réservée qu’au coeur des jeunes filles maltraitées ou à l’éducation des enfants abandonnées (The Kid) : pour sauver ses camarades des lignes ennemies, il se déguise en arbre, attaque l’ennemi avec un fromage puant et ridiculise à lui seul la puissante armée du Kaiser. Il finit ses aventures en libérant une belle Française (Edna Purviance bien sûr) et en capturant les principaux chefs de guerre allemands.

Cette vision héroïque du métier de soldat est assez surprenante de la part de Chaplin dont on connaît les aspirations pacifistes. Néanmoins, la conclusion du récit offre un "twist"’ dont nous garderons le secret et qui vient renverser ou du moins altérer ce portrait trop gratifiant de l‘armée... outefois, il est juste de rappeler qu’à cette époque, Chaplin a soutenu l’effort de guerre auprès de ses amis Douglas Fairbanks et Mary Pickford, en tenant des discours pour encourager l’engagement des troupes américaines dans le conflit européen. Cet engagement de l’artiste explique la suppression de certaines séquences initialement prévues qui mettaient en scène la capture de Poincaré, du Roi George V et du Président Wilson. L’effet comique aurait été réussi, plongeant ainsi l’héroïsme troupier dans une forme d’absurdité toute "chaplinienne" et condamnant non seulement les Allemands mais également toutes les autres parties belligérantes. Mais à l’époque, le contexte politique et l’engagement personnel de Chaplin ne lui permirent pas une telle forme de provocation. Il n’en reste pas moins que Charlot Soldat demeure encore aujourd’hui un superbe numéro du comique anglais : il égratigne l’armée mais il livre aussi une mise en scène au rythme soutenu où les gags s’enchaînent à merveille. Le comédien fait ici preuve d’une belle créativité et inscrit son Shoulder Arms comme un pur bijou du film comique auquel Roberto Begnini a dû songer lorsqu’il a réalisé ce chef-d’œuvre qu’est La Vie est belle en 1997. A propos de Charlot soldat, Louis Delluc écrivait : « Ce film justifie tout ce qu’on peut attendre du cinéma. Nous sommes vraiment là dans le domaine fastueux de l’illimité... »

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Dossier : les débuts de Charlot

Poursuivre les comédies First National avec Une idylle au champ

Par François-Olivier Lefèvre - le 22 janvier 2005