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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ces garçons qui venaient du Brésil

(The Boys from Brazil)

L'histoire

Ezra Lieberman (Laurence Olivier), célèbre chasseur de criminels nazis, reçoit un étrange appel d’un jeune admirateur. Ce dernier lui indique que le Docteur Mengele (Gregory Peck), criminel de guerre nazi caché en Amérique du Sud, prépare une expérience visant à restituer le Troisième Reich. Pour accomplir cette dernière, Mengele et ses complices prévoient l’assassinat de 94 hommes à travers le monde. Lieberman se lance alors dans une enquête aussi étonnante que terrifiante...

Analyse et critique

Le 5 septembre 1978, The Boys from Brazil sort sur les écrans américains. Tiré d’un roman d’Ira Levin, ce film a comme particularité de mixer les genres avec brio. Une particularité due en grande partie à son auteur : romancier de science-fiction reconnu pour son inventivité, Ira Levin a souvent vu son œuvre faire l’objet d’adaptations sur grand écran. En 1956, son premier roman, Baiser mortel, est mis en scène par Gerd Oswald. Douze ans plus tard, Roman Polanski s’empare de Rosemary’s Baby pour donner naissance à l’une des pièces maîtresses du film fantastique des années 70. Les Femmes de Stepford (Bryan Forbes), Piège mortel (Sidney Lumet), Un baiser avant de mourir (James Dearden), Sliver (Philip Noyce) et Ces garçons qui venaient du Brésil sont également adaptés. Aujourd’hui encore, les histoires de Levin restent appréciées : Les Femmes de Stepford a ainsi fait l’objet d’un récent remake tandis que Ces garçons qui venaient du Brésil doit à nouveau être porté sur grand écran.

En 1978, la première version du film est mise en scène par Franklin J. Schaffner. Après l’échec de Islands in the Stream en 1976, le cinéaste cherche de nouveaux projets. Malgré sa carrière et ses multiples récompenses, il devra attendre 1978 et sa rencontre avec Lew Grade pour entrevoir le bout du tunnel. A la tête d’ITC, Grade est surtout connu pour avoir produit des séries anglaises à succès comme Le Saint ou Space : 1999. Il est également celui qui a permis aux célèbres poupées de Jim Henson de s’emparer du petit écran pour le plus grand plaisir des enfants (The Muppet Show). A la fin des années 70, Grade fait preuve de sagacité en faisant appel à des réalisateurs américains quelque peu délaissés par les studios. Peter Hyams peut notamment le remercier pour lui avoir permis de réaliser Capricorn One, l’un des beaux succès de l’été 1978 aux USA. Lorsque Lew Grade propose à Schaffner de réaliser Ces garçons qui venaient du Brésil, ce dernier est rapidement convaincu. Non seulement le roman le passionne mais le mode de production d’ITC (en marge des studios hollywoodiens) est un gage de liberté qu’il ne peut refuser.

Tourné en Angleterre, en Autriche, aux États-Unis et au Portugal, le film respecte le budget et les délais alloués par ITC. Lors de sa sortie sur les écrans, il bénéficie d’un excellent bouche-à-oreille. Cet engouement du public est amplifié par la présence de Gregory Peck, James Mason et Laurence Olivier en têtes d’affiche. Considérés comme des retraités par les grands studios, ces comédiens bénéficient encore d’un énorme capital de sympathie du côté des spectateurs. En mêlant les genres, Ces garçons qui venaient du Brésil passionne les jeunes cinéphiles et marque toute une génération de son empreinte. Certes, on est loin d’un phénomène tel que celui provoqué par Star Wars (1977), mais nombreux sont ceux qui, aujourd’hui encore, gardent un souvenir solide de ce film au scénario étonnant.

La principale qualité de Ces garçons qui venaient du Brésil réside dans l’histoire imaginée par Ira Levin : roman de science-fiction, d’espionnage, récit politique, le récit est un thriller riche en rebondissements et au suspense omniprésent. Il était donc évident que son adaptation pour le grand écran serait aisée. Le scénario, rédigé par Heywood Gould, fait preuve d’une réelle efficacité dramaturgique. Une efficacité que l’on doit au nombre impressionnant de péripéties rencontrées par les personnages, mais également au mode de construction du récit basé sur le « What if ? » Autrement dit : « Que se passerait-il si les hypothèses avancées dans le film se révélaient possibles ? »

L’histoire raconte comment le Docteur Mengele tente de redonner vie à la puissance nazie. Pour arriver à ses fins, il procède à des expériences monstrueuses. Le drame prend alors la forme d’une mise en garde à l’égard de la science et en particulier de la génétique. Il s’inscrit dans une lignée de films de science-fiction particulièrement en vogue dans les années 70. Des films à la fois sérieux et pessimistes, dont la particularité était de se baser sur des hypothèses réalistes. Citons Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973) et sa perspective d’une crise alimentaire mondiale, L’Âge de Cristal (Michael Anderson, 1976) qui traite du vieillissement de la population, ou encore Rollerball (Norman Jewison, 1975), récit d’anticipation sur les dérives du spectacle. Ces garçons qui venaient du Brésil s’appuie sur donc la génétique et en particulier sur les expériences de clonage humain. Si le sujet n’était pas autant d’actualité qu’aujourd’hui, il n’en demeurait pas moins envisageable d’un point de vue théorique. Dans ce sens, le récit prend une allure réaliste et participe au sentiment d’angoisse du spectateur.

Un réalisme et une angoisse que le scénario renforce en faisant appel à des personnages existants : interprété par Gregory Peck, le Docteur Josef Mengele était un scientifique nazi, plus connu sous le surnom morbide "d’Ange de la mort". Proche d’Hitler, il sévissait au camp de concentration d’Auschwitz où il a participé à l’organisation des chambres à gaz et où il s’est livré à des expériences horribles considérées comme des violations graves de la Constitution des Droits de l’Homme. Après la guerre, il réussit à s’enfuir en Amérique du Sud où il vécut 35 ans jusqu’à sa mort en 1979, soit quelques mois après la sortie du film de Schaffner ! Pour lui faire face et donner corps au drame, le scénario lui oppose Ezra Lieberman. Certes, ce nom est une pure invention mais ce personnage est fortement inspiré par Simon Wiesenthal, le célèbre chasseur de criminels nazis, à qui l’on doit de nombreuses arrestations parmi lesquelles celles d’Adolf Eichmann ou Karl Silberbauer (l’officier qui avait arrêté Anne Frank). L’utilisation de ces deux personnages réels fait basculer le scénario dans l’uchronie. Dès lors, l’efficacité du récit est décuplée laissant le doute s’emparer de l’esprit du public.

Une efficacité dramaturgique que Schaffner n’aura aucun mal à mettre en images. Sa longue expérience, tant à la télévision que sur grand écran, associée à un sens du cadre inné, lui a permis de mettre en scène de grands moments de cinéma. En 1964, il signe notamment Que le meilleur l’emporte, formidable film de politique-fiction avec Henry Fonda. Viendront ensuite les trois pièces majeures de sa filmographie : La Planète des singes, Patton et Papillon. Avec Ces garçons qui venaient du Brésil, sa mise en scène démontre à la fois un réel savoir-faire et une belle inventivité. Affranchi des studios hollywoodiens, le cinéaste n’hésite pas à expérimenter. A titre d’exemple, la scène finale est assez impressionnante : Gregory Peck et Laurence Olivier s’affrontent dans une maison au milieu d’une meute de dobermans. Schaffner fait alors preuve d’audace dans ses cadrages et dans sa volonté de montrer toute la bestialité de l’affrontement. La violence et la surprise provoquées par ce final concluent le film de façon assez spectaculaire et laisse le spectateur quasi-KO sur son siège. Le montage de la première séquence est également remarquable : il permet à la fois de présenter le personnage d’Ezra Lieberman et de plonger le spectateur en plein cœur de l’action avec, en point d’orgue, l’arrestation haletante du jeune chasseur de nazis interprété par Steve Guttenberg. Toutes les scènes ne sont pas aussi prenantes mais, globalement, le film peut être considéré comme un thriller réussi.


Enfin, il est impossible de parler de Ces garçons qui venaient du Brésil sans évoquer le trio de comédiens en tête d’affiche. Commençons par James Mason qui incarne Eduard Seibert, un des lieutenants de Mengele. Un an après son interprétation dans Croix de Fer (Sam Peckinpah), il tient ici un rôle de moindre importance où il a malheureusement tendance à surjouer. On sent alors les faiblesses de la direction d’acteurs de Schaffner, un défaut qui n’arrangera pas non plus la performance de Gregory Peck. Néanmoins, si Peck a lui aussi tendance à cabotiner, son jeu sied assez bien à la folie du personnage de Mengele. Lorsqu’on lui propose le film, le comédien est d’abord réticent. D’ailleurs, il a longtemps considéré ce rôle comme l’unique performance totalement antipathique de sa carrière. Mais la perspective de dénoncer les horreurs du Troisième Reich et de jouer aux côtés de Laurence Olivier suffit à le persuader d’accepter ce rôle difficile. Enfin, le trio est complété par Laurence Olivier qui prend ici le chemin inverse de celui de Gregory Peck. Après avoir interprété Christian Szell, le dirigeant nazi poursuivi par Dustin Hoffman dans Marathon Man (John Schlesinger, 1976), il cherche alors à adoucir son image. Le rôle de Lieberman correspond parfaitement à ses attentes. Il l’accepte avec enthousiasme et, fidèle à ses habitudes, peaufine chaque détail de son interprétation (il travaille notamment l’accent juif du ghetto de Vienne pendant des semaines avant le tournage). Sa performance est touchante, car il arrive à montrer les faiblesses de son personnage (Lieberman est un vieil homme dont la santé est défaillante) tout en dégageant une détermination sans faille. Rappelons qu’à l’époque du tournage, Laurence Olivier était atteint d’une grave maladie musculaire. Une maladie qui rendait douloureux le moindre de ses gestes. Lors d’interviews, Gregory Peck souligna son courage, notamment dans la scène finale où les deux hommes se battent devant la caméra de Schaffner. Sa performance fut justement reconnue puisqu’il obtint le prix du meilleur acteur de la National Board of Review en 1978 et fut nominé pour l’Oscar (remporté cette année-là par Jon Voigt dans Retour de Hal Ashby).

Trois légendes du cinéma en tête d’affiche, un cinéaste possédant un réel savoir-faire et libre d’expérimenter son cinéma, un scénario extrêmement efficace, que demander de plus donc pour passer un excellent moment de cinéma ? Alors certes, on pourra toujours reprocher au film de se servir d’éléments historiques extrêmement graves pour alimenter un récit dont la réelle ambition n’est que l’efficacité dramatique. Restons-en donc à cette approche du film et apprécions-le tel qu’il est, un thriller à la fois palpitant et original.

Dans les salles

Film réédité par Swashbuckler Films

Date de sortie : 15 décembre 2012

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Par François-Olivier Lefèvre - le 15 octobre 2009