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Critique de film
Le film
Affiche du film

C'est la vie

(Downhill)

L'histoire

Roddy Berwick (Ivor Novello) et Tim Wakely (Robin Irvine) se sont inconditionnellement jurés loyautés l’un à l’autre dans le cadre de leur vie universitaire. Quand Tim abuse d’une serveuse et passe au vol, Roddy, par égard pour la bourse de son confrère, prend le blâme, se retrouvant exclu de l’Université et mis au ban de sa famille. C’est le début d’une impitoyable descente aux enfers.

Analyse et critique

Une vidéo virale lancée récemment à titre promotionnel par la collection Criterion montre en un montage d’un peu moins de deux minutes une série de regards dans l’œuvre d’Alfred Hitchcock, yeux exorbités saisis par l’angoisse, le tourment ou la malveillance. Gageons que ce sens de l’expressivité si particulier doive pour une grande part à la pratique par Hitch de l’art du muet. Dans son œuvre non-parlante, Downhill et Easy Virtue occupent la place ingrate d’œuvres à moitié reniée, représentants du mélodrame plus que du film à suspense, coincés avec d’autres titres anecdotiques tel Champagne entre son premier chef-d’œuvre évident, The Lodger, et les talkies à venir dès Chantage. Ils valent pourtant mieux que cette réputation, ne serait-ce que par tous les thèmes qu’ils annoncent, un sens visuel affirmé réduisant les intertitres à leur portion la plus congrue.


Downhill (C’est la vie) doit une partie de l’inimitié que lui exprimait son auteur à sa mésentente avec un producteur tyrannique (Michael Balcon) et un jeune premier pourtant déjà employé dans The Lodger (Ivor Novello). L’histoire en est simple : camarades de fac, Tim Wakely (Robin Irvin), boursier, et Roddy Berwick (Ivor Novello), héritier, se jurent loyauté indéfectible. Quand Tim passe au larcin, c’est Roddy, par égard pour la position de son ami, qui prend le blâme. Commence pour lui une chute aux enfers (symbolisée très littéralement par maintes descentes d’escaliers) qui, d’expulsion universitaire en déroute amoureuse, d’emploi de gigolo à enlèvement maritime, le confronte à des bas-fonds interlopes qui, de toute évidence, fascinent plus Hitchcock qu’un petit monde académique propre sur lui. Comme deux cartons l’annoncent, à Tim « The World of Make-Believe », à Roddy « The World of Lost Illusions ». Pointe la plus cruelle de l’intrigue, personne ne semble dupe d’à qui incombe réellement la faute. La conservation des apparences représente pour les personnages une telle nécessité que chacun, victime consentante comprise, est prêt à la payer d’une excessive injustice.


Downhill entame un motif obsessionnel de l’œuvre hitchcockienne, avec celui du fugitif : celui du faux coupable, accusé à tort, faisant pénitence pour un coupable non-démasqué. Un innocent y subit traque et punition, avant un retour à l’ordre généralement teinté de cinglante ironie. Hitchcock limite ici sa propension à l’humour noir, ne le laissant apparaître que de façon éparse (les rombières flairant dans une salle de bal le garçon à bas prix). Sa période anglaise se distingue par une manière observatrice soucieuse d’analyse sociale, révélant (ici par un déclassement) les marquages nets d’une société britannique ultra-classée. L’injustice que subit Roddy agit comme révélateur de la masse opprimée sur laquelle l’élite du Royaume-Uni assoit son pouvoir.


Il y a cependant plus chez Hitchcock, pas pour rien un héros de la critique catholique, que la stricte mise à jour d’une inégalité. Si le faux coupable est innocent de ce dont on l’accuse, reste attaché à lui le soupçon d’une culpabilité diffuse, d’une faute plus fondamentale pour laquelle il paierait – seulement à tort au regard d’un autre motif. Coupable d’être innocent, selon ce mouvement de pensée magique faisant qu’on soupçonne un poissard d’avoir à quelque part cherché son malheur. Personne n’est jamais très innocent chez Hitchcock. Roddy, dont la désinvolture se moquait sans même se rendre compte d’une bande d’orphelins quémandant vivres pour un sou insuffisant, va plus tard se retrouver lui-même à la rue, errant hagard parmi les miséreux peuplant la périphérie londonienne. De l’indifférence, il passera lui-même à la massive paupérisation. Il y a, à découvrir ce fond de révolte primitive chez Hitchcock, la même émotion qu’à la rencontrer dans le Jean Santeuil de Proust, révélation d’une radicalité qui, sans paraître affichée dans l’œuvre à venir, irriguera souterrainement jusqu’à ses moments les plus détachés.


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La fiche IMDb du film

Par Jean Gavril Sluka - le 31 octobre 2014