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Critique de film
Le film

L'Odyssée des mormons

(Brigham Young)

L'histoire

En 1844, après avoir été évincés quelques années auparavant de l’Ohio puis du Missouri, les Mormons sont à nouveau victimes de persécutions dans l’Illinois en raison de leurs croyances religieuses. Les habitants font tout pour les chasser, allant même jusqu’aux expéditions punitives qui se terminent par des meurtres de sang-froid. A la suite d’un procès truqué, Joseph Smith (Vincent Price), le fondateur de leur Église, est violemment abattu par une foule déchaînée. Il trouve cependant en Brigham Young (Dean Jagger) un digne successeur ; malgré l’avis de certains voulant rester pour se défendre, il décide de ne pas tenter le diable et de conduire l’exode de sa communauté hors de cet État où on les malmène. C’est le début d’un long et pénible voyage à bord de chariots vers les plaines d’Amérique du Nord. En 1947, tombés en arrêt devant une vallée située en Utah, Brigham et ses centaines de suiveurs y fondront la future Salt Lake City après avoir passé un rude premier hiver au cours duquel beaucoup faillirent mourir de faim.

Analyse et critique

A la question de Bertrand Tavernier dans son Amis Américais qui voulait savoir si Henry Hathaway avait fait ce film en tant que supporter des Mormons, ce dernier lui répondit : « Absolument pas. J’ai simplement lu leur histoire et cela m’a fasciné. » Sur quoi il enchaînait un peu, parlant de ce qu’il pensait de son long métrage : « C’était un film drôlement bon. Vous savez, le genre de film difficile à faire, c’est un film avec une caravane de chariots. Ensuite, le second genre le plus difficile : c’est le film religieux. Dans Brigham Young, j’avais les deux. On passait des chariots qui roulent à la religion, pour revenir aux chariots qui roulent. C’est un miracle qu’on s’en soit sortis. » Et il avait raison ; sans atteindre des sommets, son film se révèle franchement bon, ne tombant à aucun moment dans le prêchi-prêcha ni dans la mièvrerie, des travers dans lesquels il aurait effectivement pu être tenté de se vautrer avec un tel sujet de départ, l’histoire d’un des "prophètes" de la religion des Mormons qui conduit son peuple vers leur terre promise.

Au final, on obtient une aventure humaine plus qu’un laborieux sermon. Alors que la vie de Brigham Young avait été déjà bien mouvementée, Henry Hathaway et son scénariste Lamar Trotti décident de faire débuter sa biographie au moment où, à Carthage (Illinois), il prend la succession du fondateur de l’Eglise des Mormons après que ce dernier s'est fait purement et simplement massacré par une foule haineuse qui lui déchargeait des coups de fusil à bout portant. Dean Jagger, l’un des très grands seconds rôles des années 40 et 50, semble véritablement habité par son personnage, un homme décrit comme profondément humain et rarement sentencieux. Charismatique sans trop en faire, l’acteur est excellent jusque lors de ce final où, harassés par les épreuves qu’ils ont endurées et l’hiver rigoureux qu’ils ont eu à subir, ses fidèles se retournent contre lui en le taxant de menteur et de faux prophète incapable d’enrayer le dernier fléau qui leur tombe dessus, une invasion de crickets. Lamar Trotti, avec sa tendresse habituelle, finit d’en faire un homme fragile et encore plus attachant.

Ensuite, malgré aussi un Tyrone Power assez effacé et des seconds rôles prestigieux tels John Carradine ou Brian Donlevy, ce sont surtout les personnages féminins qui nous restent en tête après la fin du film. Mary Astor (inoubliable l’année suivante face à Bogart dans Le Faucon maltais) et la sublime Linda Darnell (future Chihuahua de John Ford dans My Darling Clementine), dans l’un de ses premiers grands rôles, nous livrent de magnifiques compositions et offrent ainsi deux très beaux portraits féminins. La première interprète l’épouse aimante et compréhensive de Brigham Young, la seconde une jeune femme qui, après la mort de son père persécuté pour ses croyances, suit la communauté sans pour autant vouloir adhérer elle-même à leur religion et qui tombe amoureuse d’un des membres du groupe. Toutes deux filmées avec grâce et sensibilité, elles sont certainement les protagonistes les plus attachants de cette fresque qui ne manque pas de souffle, narrant les persécutions puis l'exode et enfin l'arrivée de la communauté religieuse dans la vallée du Lac Salé sous les Montagnes Rocheuses, avec les difficultés qu’elle eut à s’y installer au cours d’un premier hiver glacial.

Brigham Young est une sorte de "remake" des DIx Commandements façon western plutôt bien mené par un Hathaway en pleine possession de ses moyens, surtout quand il s'agit de filmer d'immenses paysages et des scènes mouvementées (les séquences initiales montrant les cruelles exactions commises par les habitants de l’Illinois à l’encontre des Mormons possèdent une réelle puissance, celle que Zanuck souhaitait avoir dans ses films à caractère social de l’époque comme Les Raisins de la colère). Une oeuvre parfois bavarde, frisant quelquefois l'académisme par son sérieux imperturbable (quoique la discussion sur la polygamie entre Tyrone Power et John Carradine fasse preuve d’humour) mais retombant toujours sur ses pattes grâce à la conviction du réalisateur, du scénariste et des interprètes.

Même si sa communauté manque un peu de vie (Hathaway est plus un cinéaste de l’individualité que du groupe), même si la caravane de La Piste des géants avait plus d’ampleur, même si la communauté fordienne de Sur la piste des Mohawks était bien plus chaleureuse, il n’en reste pas moins que Henry Hathaway nous offre, avec une figuration importante, une belle photographie et de splendides paysages naturels (le panoramique à 180° qui ouvre la séquence de l’arrivée au-dessus de Salt Lake City est superbe) une épopée spectaculaire et intimiste tout ce qu’il y a d’honorable, une vraie réussite dans son genre qui prône de plus un message respectueux de tolérance. On y voit, à Council Bluffs, les Indiens être les seuls à accueillir avec chaleur les Mormons, se découvrant à l’occasion des frères de persécution dans ce pays qui leur en a fait voir de toutes les couleurs. Enfin, la touchante romance entre Tyrone Power et Linda Darnell achève de faire de ce Brigham Young un western qui mérite d’être redécouvert.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 mai 2010