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Critique de film
Le film

Boulevard du crépuscule

(Sunset Boulevard)

L'histoire

Joe Gillis, scénariste fauché, est relancé une fois de plus par ses créanciers. Deux gros bras lui réclament sa voiture qu'il déclare ne plus avoir en sa possession, avant de partir la récupérer discrètement pour la mettre en lieu sûr. Sur sa route, il recroise les deux brutes et une poursuite s’engage. Pour leur échapper il se cache sur une petite route et y découvre une immense demeure décrépie. Quelqu’un le hèle de l’intérieur, il semblerait qu’on l’attend...

Analyse et critique

Quand Norma Desmond dit à celui qu’elle croit être le fossoyeur qu’elle désespère de voir arriver : « Enfin vous voilà ! Pourquoi m’avez-vous fait attendre si longtemps ? », c’est bel et bien, sans le savoir, au scénariste qu’elle a en face d’elle et même au cinéma tout entier qu’elle s’adresse. Norma est une star. Une star du muet qui fut adulée et chérie et qui, avec l’arrivée du parlant, est brutalement tombée en désuétude. « Je vous reconnais, vous étiez une grande » ; « Je SUIS une grande, ce sont les films qui sont devenus petits. » Norma vit dans l’illusion de sa gloire perdue, dans un monde tout entier figé en cette époque bénie où elle recevait des milliers de lettres de fans par semaine. Joe Gillis, scénariste arriviste et corrompu, abusera de sa confiance et profitera de la situation en aidant Norma à préparer son "come-back".

Considéré dès l’écriture comme traitant d’un sujet brûlant, le script de Sunset Boulevard fut distribué aux différents intervenants avec une mention spécifiant bien la nécessité de tenir secret le contenu du scénario. Billy Wilder avait raison, Sunset Boulevard sera très mal reçu par la profession. Il faut dire que Wilder dresse un portrait terrible de l’industrie cinématographique. Hollywood fabrique des vedettes, il fait d’individus des monstres aux égos boursouflés, les exploite et les oublie. Joe Gillis (incarnation de cet Hollywood sans morale) traitera Norma avec mépris jusqu’à ce qu’il saisisse comment tirer profit de la situation dans laquelle le hasard l’a plongé. Film sur la célébrité et ses dérives, violent pamphlet contre la puissante machine hollywoodienne, Sunset Boulevard porte également un regard plein de tendresse sur le cinéma et sa magie. Le retour de Norma aux studios Paramount pour y rencontrer Cecil B. DeMille (sur le tournage réel de Samson et Dalila) permet d’ailleurs au cinéaste de signer l'une des plus belles séquences du film : Norma y sera reconnue par les siens, ceux qui font le cinéma, les techniciens et figurants des studios, ces petites mains sur lesquelles Wilder porte un regard plein d’une bienveillante affection.

Cette subtile alchimie de tons (version emphatique de ce que seront plus tard des films plus nuancés tel La Garçonnière où, là non plus, le rire n’est jamais très loin des larmes) se retrouve dans le jeu grandiloquent de Gloria Swanson. On est ébloui par son incroyable présence à l’écran. Ses éclats de colère, sa détermination sans faille et sa fragilité font de sa prestation l'une des plus belles performances d’acteur de l’histoire du cinéma. Cette star imaginaire à la personnalité baroque est aujourd’hui une véritable icône et représente à jamais à nos yeux de cinéphile l’image même de la "Diva". Gloria Swanson fut véritablement une des idoles du muet. Contrairement à Norma Desmond, elle survécut au passage à l’ère du parlant, tournant même dans une comédie musicale, mais disparut tout de même des écrans quelques années plus tard. Sunset Boulevard marqua en 1950 son retour au cinéma dans un premier rôle pour une performance absolument inoubliable.

S’il faut saluer la performance de Gloria Swanson, il faut également louer l’intégralité d’un casting particulièrement bien choisi. Erich Von Stroheim hésita longuement avant d’accepter le rôle de Max qui offrait, tout de même, de tragiques résonances à ce qu’avaient été son parcours et sa vie. Lui qui fut l’un des plus brillants réalisateurs des années 20 et offrit au cinéma quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre (il dirigea d’ailleurs Gloria Swanson dans Queen Kelly en 1929) fut rejeté par Hollywood à force de dépassement de planning et de budget (Foolish Wifes coûta plus d’un million de dollars, ce qui en 1922 était absolument faramineux). En 1950 il n’était plus qu’un second rôle au visage connu, un faire-valoir de luxe. Wilder lui rendra l’un des plus émouvants hommages d’un réalisateur à l’un de ses pairs en le replaçant à nouveau, le temps de la dernière séquence du film, derrière une caméra. Von Stroheim, revenu exprès d’Europe aux Etats-Unis pour y tourner le film, retournera définitivement finir ses jours en France après le tournage.

On le voit, le film tisse habilement des parallèles entre pure fiction et matériau historique, et si cette spécificité du film lui confère un aspect particulièrement jouissif (comme une sorte de connivence entre le film et le spectateur "initié"), l’essentiel de sa beauté n’est pas là. Nul besoin en effet de connaître la biographie de Von Stroheim ou celle de Gloria Swanson pour éprouver du plaisir à la vision de ce chef-d’œuvre. Le scénario d’une richesse infinie ménage de formidables rebondissements, les dialogues étincelants fourmillent de répliques cultes et cet incroyable mélange de tonalités entre rires, larmes et compassion fait du script de Sunset Boulevard un bijou à l’éclat inégalé. Ce mélange des genres (film sur la folie ? film sur le cinéma ? film noir ?), cette atmosphère mortifère teintée de fantastique, l'inventivité de la mise en scène, la qualité globale d’une production en tous points irréprochable et la sublime prestation de Gloria Swanson font définitivement de Boulevard du crépuscule un chef-d’œuvre absolu.

Dans les salles

DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS

DATE DE SORTIE : 9 NOVEMBRE 2016

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En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Harry Dawes - le 29 janvier 2003