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Critique de film
Le film
Affiche du film

Boulevard de l'espérance

(Il viale della sperenza)

L'histoire

Rome. Trois jeunes femmes, Franca, Luisa et Giuditta, habitent une petite pension où elles attendent la célébrité et la fortune, à Cinecittà. Luisa a l'occasion, grâce à son petit ami opérateur, de participer à une importante audition pour un film. Mais c'est sans compter sur l'aguicheuse Franca qui, sans scrupule lui souffle le rôle et devient par la même occasion la maîtresse d'un producteur. Malheureusement, face à la caméra, la plantureuse actrice est empruntée. Luisa la remplace en urgence, tandis que Giuditta fait simplement une croix sur une improbable carrière et décide de retourner en province avec son ancien fiancé.

Analyse et critique

Ancien médecin, journaliste et documentariste, Dino Risi, qui se cherche encore, décide pour son deuxième film de poursuivre la voix tracée par Luciano Emmer dans Les Fiancées de Rome (Le Ragazze di Piazza di Spagna, 1952). Un film qui racontait le destin de « trois jeunes filles à la recherche de la réussite professionnelle et de l’épanouissement sentimental. » (1) Risi copie la forme du récit et pioche dans la distribution du film d'Emmer plusieurs interprètes : Cosetta Greco, Liliana Bonfatti et le tout jeune Marcello Mastroianni (acteur encore modeste, il est doublé dans Boulevard de l'espérance par Nino Manfredi et crédité au générique sous le nom de "Mastrojani"). Le sujet du film et son traitement sont désormais archétypales : le monde du spectacle et la quête illusoire de l'image de soi. Le film annonce la comédie italienne, sur un mode encore sage et réaliste. Boulevard de l'espérance est un film "post-néo-réalisme" de facture sobre et classique.

Le premier plan est celui d'un boulevard vu depuis l’intérieur d'un tram. Ce tram blanc et bleu, qui mène pour 30 lires le petit peuple à Cinecittà, qui est en définitive "un tramway nommé désir". Trois jeunes femmes, Franca, Luisa et Giuditta, sont chacune en route sur ce boulevard de l'espérance. Sous la conduite de Dino Risi, un désespéré souriant, elle vont se fracasser contre des images. L'horreur chez Risi est comique, signe de grande sagesse : une pensionnaire cache la brûlure d'un projecteur derrière une éternelle frange à la Veronica Lake. Nos trois héroïnes sont comme trois chercheuses d'or. Tout au long du film défile également une ribambelle de petits acteurs ratés, en quête de notoriété. Ils prennent leurs cours d'art dramatiques dans une salle de pugilat : tout un symbole. Sur un mode mineur, il n'est pas interdit de voir ici un petit croquis réaliste de Mulholland Drive. Dans les deux films, une route mène au royaume des images de soi, dans l'univers du cinéma, à travers son pouvoir, transfigurant et narcissique. Chez Risi, Cinecittà et ses acteurs en péplums sont un monde essentiellement artificiel. Sous son casque de Viking, Luisa, figurante, est triste. Une scène voit la modeste Giuditta pleurer - son fiancé de province lui a fait honte - dans un décor de carton-pâte, sous des projecteurs. Elle "joue" là ce qu'elle imagine être sa propre vie.

Trois femmes en quête d'images

Franca (Piera Simoni) : elle est plantureuse et porte haut sa poitrine. Elle est au moins aussi belle que sa rivale et co-pensionnaire Luisa. Elle s'intéresse d'ailleurs à son jeune fiancé (Marcello Mastroianni), un opérateur qui travaille pour un producteur à la recherche d'une starlette. Franca, à travers le cinéma, affiche ses ambitions narcissiques et veut faire du cinéma pour être admirée... La réalité du métier, savoir jouer la comédie, mettra fin à son univers de posture - son jeu est ridicule. Derrière cette quête d'amour, c'est bien sûr une quête de reconnaissance que le producteur, qui deviendra son amant, ne parviendra jamais à combler : c'est une image d'elle qu'elle lui a vendue et qu'il a achetée. Franca est en réalité une beauté triste. Elle se consolera de son échec dans les bras d'un riche industriel en tant que femme entretenue, comblant finalement sa vraie nature derrière une façade assumée, sans leurre.

Luisa (Cosetta Greco) : rivale de Franca, elle affiche également de jolies formes sous sa nuisette. Plus réaliste, Luisa ne veut pas se contenter d'une image artificielle d'elle-même, elle est à la recherche d'une véritable reconnaissance. Lorsque son fiancé embrasse sa rivale, Risi a l'idée de filmer les deux points de vue depuis des miroirs - très nombreux dans le film -, ce sont des reflets qui se répondent. Car en définitive, lorsqu'elle remplace Franca, elle est également figée dans une posture - elle pose en belle personne et n'a pas un mot de dialogue. Son fiancé, derrière la camera, exulte de son image. C'est sa plastique qui lui permet d’accéder à son tout premier "vrai" rôle - pour tout dire assez modeste. Dés les premiers plans du film, Risi montre les deux rivales, Luisa et Franca, côte à côte dans un tramway, poudrées, le visage dissimulé derrière une bonne couche de maquillage. Aucun mépris de la part de Risi pour ce narcissisme des pauvres qui est une recherche légitime d'amour-propre dans un monde du paraître.

Giuditta (Liliana Bonfatti) : contrairement à ces deux co-pensionnaires, Giuditta a un physique plus banal qu'elle surestime. Elle souffre d'un complexe de provinciale et se croit destinée à une grande vie. Elle recherche des "signes" du destin à travers des mancies. Son fiancé de province n'est pas du tout à la hauteur d'Errol Flynn, l'idole dont elle a encadré la photo sur sa table de nuit. Guiditta a de l'amour-propre et recherche une reconnaissance sociale.

Ces trois portraits nous parlent à nous tous, qui cherchons quelque-part notre Cinecittà. Giuditta finira par repartir avec son fiancé, qui en plein Studio lui a fait honte par ses manières de provinciale. Elle acceptera une vie plus modeste, mais ô combien plus heureuse, en trouvant sa juste place. C'est elle qui est le personnage à la destinée la plus heureuse. Elle déchire avec bonheur l'image d'Errol Flynn, non sans l'avoir embrassée une toute dernière fois.

La mise en scène de Risi, volontairement invisible, souvent en plans moyens, sans effet de grand angle ou sans grands mouvements d'appareil, capte ces trois portraits à la manière d'un témoin bienveillant mais lucide et implacable. Film très juste, plutôt que démonstratif, ce Boulevard de l'espérance, assez rare, est une oeuvre à découvrir.


(1) Voir le livret du DVD.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Franck Viale - le 8 mai 2015