Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Blanche

L'histoire

Parmi courtisans, moines, gardes, soldats, un roi et son page, un seigneur et son fils s'opposent par la parole et conduisent le récit en crescendo jusqu'à un affrontement par la force où chacun donne libre cours à ses passions, sublimes ou brutales. L'enjeu : Blanche, la jolie jeune femme du vieux seigneur. Car c'est avant tout une histoire d'amour, d'un amour qui lutte et se débat pour rester pur, au-dessus de la mêlée, des jalousies, des mesquineries et des malentendus (résumé par Borowczyk).

Analyse et critique

Pour son second long métrage en prises de vues réelles, Walerian Borowczyk se lance dans une adaptation très libre de Mazeppa, une tragédie en cinq actes et en vers écrite en 1840 par le poète romantique polonais Juliusz Slowacki. Mickiewicz évoquait à propos de sa poésie "une église belle, mais dans laquelle Dieu n'est pas"... Une jolie définition qui pourrait parfaitement convenir au cinéma de Borowczyk...

Le récit est transposé dans la France du XIIIème siècle. L'héroïne en est Blanche (de nouveau incarnée par Ligia Branice, la compagne et muse de Borowczyk), la femme d'un vieux seigneur (Michel Simon) dont la pâle beauté subjugue le roi (George Wilson) et son page Bartolomeo (Jacques Perrin) qui se mettent à ourdir de sinueux complots pour l'attirer dans leurs couches. Il y a aussi le beau-fils du seigneur, Nicolas (Lawrence Trimble), qui l'aime intensément et avec qui Blanche rêve de s'enfuir. Cet amour rendu impossible par les intrigues des autres hommes qui rôdent autour de la belle permet à Borowczyk de se laisser aller à sa veine romantique et de peindre une fois de plus le portrait d'une femme asservie par les hommes et la société.


Borowczyk va ainsi mettre en place un faisceau d'intrigues guidées par la convoitise et la jalousie des hommes. Blanche en est la victime innocente, femme sacrifiée sur l'autel du désir masculin. La sincérité, la vérité des sentiments amoureux vont se retrouver dévoyées par les agissements des soupirants et des membres de la cour. Ainsi le vieux seigneur incarné par Michel Simon aime sincèrement Blanche. Mais il la retient prisonnière, c'est du moins ce que lui glisse une invitée, la châtelaine d'Harcourt (Denis Péronne), qui la compare à un oiseau en cage. C'est la même qui lui explique qui est Bartolomeo, le célèbre séducteur, semblant dès l'ouverture donner sa direction au récit. Puis ce seront le page et le roi qui ne cesseront de répéter à Blanche qu'elle est dans une prison glaciale, sans fenêtre, sans horizon. Ils la convainquent qu'elle est triste, qu'elle est comme une fleur qui se flétrit. Et ce sont de mêmes rumeurs, de mêmes manipulations qui vont transformer le seigneur en mari jaloux et homicide. Et toutes ces intrigues vont conduire Blanche à se parjurer malgré elle, victime de la folie des hommes. Elle reste pure mais passe aux yeux de son mari, de Nicolas et de la cour pour une traînée. La pureté, l’innocence sont irrémédiablement condamnées dans cette société patriarcale. Dès qu'un personnages est animé de bonnes intentions, le sort s'acharne sur lui et assure sa perte. Blanche, c'est le retournement de tous les codes de l'amour courtois, le dévoiement de la carte du tendre.


Blanche est une héroïne cousine de la Glossia de Goto et le fait qu'elles soient toutes deux interprétées par Ligia Branice ne fait qu'asseoir cette parenté. Comme des incarnations féministes qui traversent les âges. Des femmes soumises au diktat des hommes, de la morale, de la religion, de la société et qui rêvent de s'affranchir, de vivre librement, de s'épanouir dans un amour véritable. Le cinéaste ne cessera de peindre des portraits de femmes entravées par la société et les dogmes, la morale et le patriarcat. Si elles ne parviennent pas toutes à se libérer des carcans qu'on leur impose - loin s'en faut - toujours Borowczyk prend leur parti contre celui des hommes. Si Blanche en vient à se suicider, c'est pour fuir la domination masculine incarnée par le roi, par son époux vieillissant, par le page, tous ces hommes qui la convoitent et veulent en faire leur objet alors qu'elle souhaite vivre avec Nicolas.


Mais comme dans Goto, les femmes ne sont pas les seules victimes de cette société. Les hommes aussi se retrouvent prisonniers de leurs rôles. Tandis que Bartolomeo et le roi poursuivent Blanche de leurs assiduités, le seigneur regarde la scène d'un air triste, Nicolas avec rancœur, mais tous deux se taisent car eux aussi sont soumis. Bartolomeo lui-même ne semble agir que pour correspondre à la légende de Don Juan qui le précède. Dans leurs manigances, le roi et le page en viennent à échanger leurs rôles car ils sont de fait interchangeables, tous deux images du besoin qu'a l'homme d'asservir la femme, de la faire sienne, d'en faire un simple objet de leur désir. Deux scènes viennent appuyer cette idée, deux plans qui se font parfaitement écho, dans le cadrage et la position des personnages, à savoir la réaction outrée de Blanche lorsque le page puis plus tard le roi tentent de lui voler un baiser. Chacun semble ainsi jouer le rôle que l'on attend de lui. Tout semble déjà écrit et est en grande partie annoncé dès le début par la Châtelaine d'Harcourt. C'est comme si les personnages n'avaient plus qu'à enfiler leurs costumes et à jouer la tragédie jusqu'au bout. Et lorsque tous ou presque seront morts, il ne restera plus qu'un roi rendu hagard par la tournure des événements. Alors seulement l'illusion du jeu s'évanouit et la réalité de la tragédie peut sauter aux yeux du souverain. Un instant de lucidité terrible où il se rend compte de toutes ces vies gâchées, de tous ces espoirs détruits pour un inutile marivaudage. Un kaléidoscope d'images de Blanche heureuse, pure et épanouie vient l'accabler. Les jeux de l'amour, le vaudeville se sont transformés en tragédie shakespearienne.


Comme dans Goto, les meurtres et suicides qui ponctuent le film adviennent à cause du moralisme d'une société qui ne fait que prôner les valeurs de la famille, de la loi et de la religion. Les moines sont omniprésents, observant en silence les moindres faits et gestes du château, tout comme les soldats qui ne cessent de guetter à travers meurtrières et fenêtres. Les moines se révèlent d'ailleurs être eux aussi des soldats, leurs crucifix se transformant soudain en dagues, des masses d'armes sortant des manches de leurs toges : armée et religion main dans la main, interchangeables lorsqu'il convient de défendre la morale et les puissants. Le château est une scène de théâtre et tous sont au spectacle. De multiples lucarnes donnent sur les pièces où se nouent les intrigues, pièces qui sont comme autant de scènes de théâtre. Les spectateurs défilent et se régalent du vaudeville qui se joue ici.


Un vaudeville qui ne cesse de jouer sur les fausses pistes, Borowczyk s'amusant à manipuler le spectateur. Les personnages se trompent, se mentent, ourdissent des complots, en sont la cible d'autres et le spectateur de se perdre dans les multiples entrelacs du récit. Les personnages se font passer pour d'autres et chacune de leurs actions conduit à des résultats inattendus, si bien que l'on perd assez vite le fil de l'intrigue. Tout est faux, et l'on peine vraiment à savoir ce que veulent et pensent les différents personnages. L'innocence et la pureté sont ainsi emportées dans un maelstrom de perversité et de calcul, dans ce jeu pervers ourdi par les puissants et dont Blanche est la proie. C'est d'abord le page Bartolomeo, célèbre séducteur de la cour, qui tente de la séduire. Puis le roi qui veut la posséder, Bartolomeo devenant alors sa victime et Blanche se retrouvant prise entre leurs manigances. Si les plans du roi échouent à chaque fois, ils ne font cependant qu'enfoncer Bartolomeo - alors que l'on s'attendrait qu'il profite des erreurs de son maître - jusqu'à le conduire à sa perte. Et lorsque Nicolas se sacrifie pour prouver aux yeux de tous l'innocence de Blanche, il précipite malgré lui la chute de son aimée. Tout est trouble dans ce récit qui bat en brèche les classiques relations de cause à effet en ajoutant à la complexité des intrigues l'imprévu, l'impensable.

Pour son premier film en costume, Borowczyk nous offre un magnifique livre d'images, s'appuyant sur une reconstitution sobre et d'une grande efficacité. Les couleurs, les costumes, chaque objet sont soigneusement sélectionnés par le cinéaste qui passe comme à son habitude plus de temps sur plateau à peaufiner des éléments du décor qu'à diriger les acteurs. Ce raffinement ne signifie pas maniérisme, et ce souci du détail ne tient pas du tape-à-l’œil ou de la citation mais vise à dégager une véracité des situations et des scènes. Car si Borowczyk œuvre dans le domaine de la fantaisie, de la fable, du conte et du fantastique, il y a toujours chez lui cet impérieux souci de réalisme. Ou du moins de recherche de la crédibilité au sein d'un système très formaliste, voire parfois abstrait.


Comme dans Goto, Borowczyk met en place des plans-tableaux, cadres figés merveilleusement construits et habillés où l'on sent l'imprégnation de la peinture médiévale. Mais le cinéaste ne se contente pas de singer l'art du Moyen Âge, il joue également sur des cadrages singuliers, n'hésitant pas parfois à couper les visages des personnages qu'il est en train de filmer. Le cinéaste bouscule les habitudes de son chef opérateur Guy Durban, allant à l'encontre de tout ce qu'il a pu apprendre jusque-là. Durban commence à éclairer classiquement le film mais lors du visionnage des premiers rushes, Borowczyk demande à tout retourner en imposant cette lumière diffuse - la « Goto Light » comme la décrit le cameraman Noël Véry - qui porte indubitablement sa marque. Il impose également l'usage de longues focales afin d'aplatir l'image et d'ainsi retrouver cette sensation de tableau qu'il affectionne alors particulièrement. Le mouvement n'est présent qu'au sein du cadre ou dans le jeu avec ses frontières, la caméra, elle, ne bouge que très peu. Quelques panoramiques horizontaux ou verticaux, mais pas de caméra portée hormis dans le final où l'on suit la course folle d'un cheval emportant le corps de Bartolomeo. Pas plus de mouvements optiques, le zoom étant banni de l'écriture cinématographique de Borowczyk à ce moment de sa carrière.

Sa mise en scène évoluera beaucoup avec son film suivant, Les Contes immoraux, mais pour l'heure il y a une cohérence totale entre Goto et Blanche, que ce soit thématiquement ou stylistiquement. Dans ces deux films les choix des cadres, des focales et des lumières produisent une mise à distance du spectateur. Ce n'est pas émotionnellement que l'on réagit à ces films qui peuvent apparaître très froids, presque cliniques. Il y a ici une forme d'objectivité dans la manière de relater les faits qui interdit une relation "charnelle" au film. Cette distanciation ne veut pas dire ennui, et Blanche est un film rendu passionnant par la manière dont Borowczyk travaille un matériau bien connu (l'imagerie médiévale, le fabliau, la ballade...) pour en faire quelque chose d'original et de moderne qui lui est propre.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : TAMASA DISTRIBUTION

DATE DE SORTIE : 8 mars 2017

La Page du distributeur

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 3 mars 2017