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Critique de film
Le film
Affiche du film

Barquero

L'histoire

Après avoir violemment pillé une ville, la bande de Jack Remy cherche à fuir vers le Mexique. Sur le chemin, un fleuve qui peut uniquement être traversé en empruntant une barge tenue par un dénommé Travis. Remy envoie des hommes en éclaireur pour neutraliser Travis et assurer le passage de la bande. Après l’intervention de son ami Phil, Travis reprend le contrôle de la situation et parvient à faire traverser les habitants du bourg qui s’est créé autour de son embarcadère pour les mettre en sécurité sur l’autre rive. A l’arrivée des hommes de Remy, les deux groupes se font face de chaque côté du fleuve.

Analyse et critique

Cinéaste extrêmement prolifique durant l’âge d’or hollywoodien, Gordon Douglas fait partie des réalisateurs qui ont su s’adapter avec succès aux évolutions stylistiques connues par le cinéma américain durant les années 60.  Il contribue ainsi à la modernisation du polar avec les belles réussites que sont Le Détective et Tony Rome, comme il intègre avec brio les nouvelles tendances du western américain, influencé par les innovations des réalisateurs italiens. Dès sa première réelle incursion dans le genre, Douglas réalisait avec The Doolins of Oklahoma une belle pépite du genre et il continuera par la suite d'explorer de dernier avec un succès régulier, jusque dans les années 60 avec le formidable Rio Conchos. Evidemment, comme pour tous les réalisateurs dépendant des sujets qui leurs sont confiés, il y également quelques westerns ratés dans la filmographie de Douglas comme La Diligence vers l’Ouest, indigent et dispensable remake de La Chevauchée fantastique de John Ford. La balance reste toutefois extrêmement positive, Douglas réussissant le plus souvent à exprimer sa solide technique de metteur en scène. En 1970, sa dernière incursion dans le genre sera Barquero, une nouvelle réussite à mettre à son crédit.


Barquero porte la marque de son époque dès les premières images, avec le pillage d’une ville par la banque de Jack Remy, d’une violence marquante. La séquence fait la preuve immédiate du savoir-faire de Douglas qui propose quelques idées de mise en scène intéressantes, notamment lors de l’assaut d’une grange. Des défenseurs de la ville sont à l’étage mais le réalisateur ne les filme jamais, se concentrant sur les coups de feu des assaillants puis nous indiquant le dénouement du combat par les gouttes de sang qui coulent à travers les lattes du plancher dans une image simultanément gore et suggestive. Cette ouverture est le point culminant de la violence dans Barquero qui, s’il comportera encore quelques séquences brutales, prendra par la suite une dimension plus psychologique et plus statique, lorsque l’action se concentrera autour des embarcadères de Travis. Gordon Douglas n’a plus besoin d’en rajouter, cette séquence d’ouverture a apporté son lot de tumulte et a fait son effet pour installer une atmosphère violente et presque nihiliste qui restera dans l’esprit des spectateurs pour le reste du film.  Après cette explosion initiale, le récit se pose sur les rives d’un fleuve qui sépare naturellement les deux camps antagonistes pour empêcher toute confrontation directe avant l’inévitable affrontement final.

Barquero raconte l’opposition de deux hommes. D’une part Travis, exemple typique du personnage entêté qui s’engage d’abord dans l’action par intérêt personnel avant de mettre son énergie et sa force au service du collectif. Travis est un défricheur. En ayant construit sa barge, il a aboli une frontière, acte symbolique typique d’une multitude de héros du western. Il a attiré par cette action une nouvelle population, qu’il appelle les « squatteurs », des hommes et des femmes venus de l’Est qui représentent le futur du pays et la fin du mode de vie sauvage qu’il symbolise. Travis ne porte pas ces squatteurs dans son cœur, et Gordon Douglas l’illustre en filmant le comportement parfois méprisable de certains d’entre eux, notamment un pasteur qui profite du passage des pionniers dans le village pour leur extorquer quelques dollars. Mais Travis comprend qu’il est un personnage du passé, que sa "race" va disparaître pour laisser la place aux squatters comme l’explique le personnage d’Anna, interprété par la magnifique Mariette Hartley, lors d’une des séquences les plus touchantes du film. Conscient du temps qui passe, Travis va donc presque malgré lui se mettre au service de la communauté face à la menace que représente la bande de Remy tout en sachant qu’il sera tôt ou tard oublié par cette communauté, dans un geste qui le rapproche du héros fordien typique. Choix de casting intéressant, c’est Lee van Cleef, dont la carrière est largement associée au western italien, qui tient le rôle de Travis, typique du western américain traditionnel. Si Van Cleef n’a jamais été le plus grand des comédiens, son allure et sa présence suffisent à la réussite de ce personnage remarquablement bien dessiné.


Sur l’autre rive se tiennent Jack Remy et sa bande, un groupe de bandits vaguement révolutionnaires. Dans le rôle de Remy, l’acteur fétiche de Sam Peckinpah et du Nouvel Hollywood, Warren Oates, se taille la part du lion. Il compose un personnage particulièrement ambigu, partagé entre violence absolu et rêves de grandeur. Sa première apparition lors du massacre d’ouverture est fascinante. Plus que sa participation, c’est son regard sur le massacre, lorsqu’il boit son café en observant ses troupes, qui glace le sang. La présence de Oates à cet instant est formidable. Si sa troupe est essentiellement avide d’argent, les motivations de Remy sont plus complexes, et sa rage d’être bloqué dans sa fuite par un simple fleuve en est décuplée. Douglas filme alors la bascule du personnage dans une forme de folie avec beaucoup d’inventivité, notamment dans deux séquences qui sont certainement parmi les plus belles de Barquero. La première nous plonge dans un rêve de Remy, moment onirique assez incongru dans le western, et nous raconte l’ascension de Remy, lorsqu’il a pris le contrôle de sa bande. La seconde, formidable, voit Remy tirer de rage et de frustration dans le fleuve. Un moment absurde et surprenant, qui déplace la problématique du film d’une simple opposition entre deux clans à celle d’un homme face aux éléments. La grande réussite de Douglas dans la mise en scène de Barquero est de parvenir à dépasser le simple postulat de départ du film pour créer des personnages et des oppositions complexes. Il crée un rapprochement naturel entre les deux personnages principaux, tous deux idéalistes à leur façon, en proie à des idées fixes de grandeur, l’un se voyant en héros de la révolution mexicaine, l’autre en meneur de la conquête de l’Ouest, et tout deux à la tête d’un groupe de gens qui leur ressemblent finalement si peu.

Autour de ces deux protagonistes, Douglas construit une galerie de personnages très réussis avec notamment Phil, l’ami de Travis interprété par le vétéran du western Forrest Tucker, aux dialogues savoureux. Le cinéaste peint également de jolis portraits de femme, avec Anna, femme libre dont Douglas ne juge jamais le comportement, et Nola, interprétée par Marie Gomez en femme forte, compagne de Travis. Il exprime également tout son talent pour les séquences d’action avec un final remarquable, qui tire le maximum du décor choisi pour le film. Douglas a su façonner une sorte de huis clos en plein air, utilisant l’espace restreint constitué par les deux rives pour créer un duel psychologique, fascinant et passionnant. Une belle manière de mettre un terme à sa brillante contribution à l’histoire du western.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 24 novembre 2018