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Critique de film
Le film

Baby Cart 5 : Le Territoire des démons

(Kozure Ôkami: Meifumadô)

L'histoire

Itto, après avoir été mis à l’épreuve par cinq combattants du clan Kuroda, accepte une nouvelle mission pour le compte de ce han. Il doit assassiner le prêtre du clan, Jikei, véritable bouddha vivant, qui détient un lourd secret à même de faire s’effondrer le clan. Le seigneur, manipulé par sa maîtresse, veut donner son héritage à la fille qu’il a eu avec elle, pendant que son fils légitime, retenu prisonnier, est caché de tous. Itto doit empêcher que Jikei ne fasse parvenir au Shogun le pli relatant toute l’affaire. La femme du daimyo supplie Itto de laver l’honneur du clan en tuant le seigneur, sa maîtresse et la petite fille de cinq ans. Retsudo est là dans l’ombre, Jikei se révélant en fait être un membre de la sombre famille Yagyu.

Analyse et critique

Misumi, de retour à la réalisation, semble plus que jamais influencé par la mise en scène de Sergio Leone. Figure archétypale, les très gros plans succèdent à des plans très élargis, et même l’ouverture avec ses 5 tueurs peut être vue comme un hommage à celle d’Il était une fois dans l’ouest. Misumi n’en délaisse pas pour autant son travail élaboré d’adaptation du manga, cherchant constamment de nouvelles figures de transposition du médium. Il crée des cadrages savants, joue sur les accords, multiplie les cadres dans le cadre. Autant de trouvailles qui nous montre l’inventivité et le souci constant de recherche d’un réalisateur qui arrive malheureusement au bout de sa carrière. Le film est moins ouvertement outrancier que ses deux premières réalisations pour la saga, et Misumi se place dans le mouvement plus "apaisé" qu’il avait initié avec le troisième volet et que Buichi Saito avait respectueusement poursuivi.

La morale du bushido est de nouveau au cœur du récit. Les vertus d’honneur poussent Itto à des actes douloureux, comme laisser son fils se faire torturer ou accepter de tuer une fillette innocente. Itto, quand il accepte de tuer la famille du seigneur, appuie clairement l’ambivalence du héros de cette saga : "nous cheminons avec le mal". S’il accepte cette mission douloureuse c’est pour laver l’honneur d’une prestigieuse famille, sauver son nom, même si les morts d’innocents doivent se multiplier. Itto dans ces moments là, dans ces choix déchirants, s’écarte complètement de la figure communément admise du héros. Personnage intrinsèquement lié à la culture japonaise, il heurte nos conceptions morales. Personnage ambivalent, il provoque tour à tour empathie ou rejet. Si le cinéma est souvent avare en figures aussi ambiguës, la bande dessinée nous a bien plus habitué à ces protagonistes qui défient et creusent les conceptions morales. On pense bien sûr à Frank Miller et ses personnages torturés d’Elektra ou du Dark Knight, toute une mythologie issue des manga et l’œuvre de Koike en particulier.

Le passage où Daigoro se fait torturer pour respecter sa parole donnée à une pickpocket est très emblématique des liens qui unissent Itto et son fils. Daigoro ne fait que reproduire ce que fait son père. Quand on engage sa parole, on la respecte, avec tout ce qui est tacitement contenu dedans. Itto reste imperturbable, n’intervient pas pour protéger son fils innocent. Daigoro a accepté le meifumedo, et par cela doit accepter son destin, tout comme son père. Ceci n’empêche pas Itto de serrer amoureusement la main de son fils, motif inversé de la fin du quatrième épisode où c’était son fils qui lui étreignait la main comme pour le ramener du territoire des morts. Cette partie du film se concentre sur le personnage de l’enfant. Peuplée d’animaux, de saltimbanques et de spectacles, elle nous rappelle que Daigoro est toujours un enfant. Jusqu’ici son mutisme, le regard sans émotion qu’il posait sur les victimes des combats, parfois même sa propre participation aux massacres, nous le présentait comme un enfant ayant pleinement accepté la route sanglante. Misumi dans ce nouvel épisode nous fait pleinement saisir le drame de Daigoro, la cruauté d’une enfance volée.

Ce quatrième volet de la saga voit une autre composante de l’univers du samouraï faire son apparition, la philosophie bouddhique. Les samouraïs ont adopté le bouddhisme de l’école Zen (la population préférait le shintoïsme ou d’autres écoles moins jusqu’au-bouddhistes ) qui par sa rigueur et son austérité correspondait parfaitement aux idéaux du guerrier. L’art du combat se nourrit de cette discipline spirituelle qui permet de se détacher de la mort et de la peur. Quand Itto est pour la première fois confronté à Jikei, il ne peut tuer le prêtre car son corps et son esprit ne font plus qu’un dans le néant. "Est-il possible d’oublier son moi jusqu’à ce que le subjectif et l’objectif ne fassent qu’un et que le moi ne soit plus que le vide du Mu. (…) Puis-je me débarrasser de l’expérience, du savoir et des talents que j’ai acquis depuis la naissance ? Si tu rencontres le Bouddha, tue le bouddha." (Lone Wolf 13, la barrière sans porte). Le Mu est le vide, objectif de tous les arts martiaux. Il faut que le combattant se concentre uniquement sur l’instant, fasse abstraction de tout le reste. Il doit se détacher de la vie et du monde. Jikei a atteint cet état, et Itto doit le trouver afin de pouvoir lutter contre lui. Il y a une différence majeure entre cet épisode dans sa version filmique, et celle du manga original. Dans ce dernier, Jikei est un prêtre qui dérange les autorité du han par ses demandes renouvelées de baisser les impôts qui accablent les paysans. Itto est engagé pour tuer ce bouddha vivant, pour qu’il perde ce statut dans la mort, et que la révolte soit étouffée. Ici, le propos est quelque pu édulcoré, Itto tue un prêtre, mais celui-ci baigne dans des conspirations et fait partie de la famille de ses ennemis jurés. Dans le manga, c’est le prêtre qui lui explique la voie qu’il doit emprunter pour qu’il puisse le tuer : "si tu dois tuer un homme, tu dois déployer ton instinct du sakki, la soif de mort. Si ton adversaire répond à cette impulsion en déployant le même instinct ou en prenant peur, tu pourras alors lever ton sabre sur lui. Le Mu n’ayant ni énergie, ni mouvement, le sakki que tu projettes se retournera contre toi".

Ce cinquième épisode, s’il ne fait pas évoluer la saga, force de chacun de ses prédécesseurs, marrie avec intelligence les passages quasiment contemplatifs à la furie dévastatrice de combats toujours aussi impressionnants. Le final est à ce titre un long morceau de bravoure où Itto défait ses multiples assaillants dans l’espace réduit du château du seigneur. Misumi fait preuve d’un maestria sans équivoque dans l’utilisation de l’espace et on ne peut que regretter que Le territoire de l’ombre soit son avant dernière réalisation tant il est évident que cet immense réalisateur avait encore beaucoup à nous offrir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film


Introduction et sommaire - Baby Cart 1 - Baby Cart 2 - Baby Cart 3
Baby Cart 4 - Baby Cart 6

Par Olivier Bitoun - le 4 novembre 2005