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Critique de film
Le film

Baby Cart 2 : L'Enfant massacre

(Kozure Ôkami: Sanzu no kawa no ubaguruma)

L'histoire

Le clan Kurokuwa demande aux Yagyu d’Akashi de tuer Ogami Itto, les Yagyu d’Edo n’ayant plus le droit de l’approcher suite à la victoire du Lone Wolf dans l’épisode précédent. Les Yagyu d’Akashi sont un clan de femmes, des amazones guerrières à la sauvagerie sans borne. Itto quant à lui, poursuit son chemin d’assassin, et a pour mission de tuer un homme possédant le secret d’une teinture unique. Ce secret, le Shogun veut l’apprendre au détriment du han (fief) qui en est l’actuel détenteur. L’artisan est amené à Edo sous escorte musclée afin d’y livrer son secret. Itto va devoir affronter les légendaires frères Ben, Ten et Rai.

Analyse et critique

L’histoire matricielle de la vengeance d’Ogami Itto ayant été exposée dans l’épisode précédent, nulle introduction n’est ici nécessaire et Misumi nous fait rentrer directement dans le carnage. Ce deuxième épisode va achever de définir les codes de la série, soit un scénario prétexte à une succession d’épreuves et de combats, tous plus violents et inventifs les uns que les autres, piochés au gré des pages du volumineux manga de Koike. "Lone Wolf & Cub", la bande dessinée, se compose d’épisodes très courts qui portent chacun une facette de la morale complexe du Bushido. Cette philosophie n’est pas, dans la version filmée, clairement explicitée, et souvent ne peut être saisie qu’en ayant une connaissance même partielle des codes du Bushido ou en ayant lu le manga. Ceci bien sûr n’empêche en rien le spectateur d’être emporté dans ce ballet de mort, les chorégraphies martiales, si directes qu’elles soient, étant d’une efficacité redoutable. La confrontation qui ouvre le film nous montre un combattant s’offrir en sacrifice afin de bloquer la lame d’Itto, fichée dans son crâne, afin qu’un second attaquant vienne à bout du loup solitaire. C’est l’art du Shirahaèdori : laisser l’ennemi te blesser pour immobiliser son arme. Autre exemple, les guerrières du clan des Yagyu d’Akashi (des Betsushikimes), figures parmi les plus terribles de la saga, rabattent leur proie par la technique des huit portes de la perfidie (le Hachimon Tonko ni jin). Elles sacrifient sept guerrières afin d’épuiser la cible, que la huitième combattante vient achever. Ces deux techniques de combat se font écho et montrent bien le pouvoir sacrificiel que porte en lui le Bushido. Yagyu Retsudo incarne lui le déshonneur de la voie du samouraï à une époque où le règne des Tokugawa sombre sous les intrigues de pouvoir. Il joue de ces codes afin de piéger Itto, sans aucun sens moral. Ainsi il sait pertinemment qu’il condamne le clan d’Akashi et attend que la huitième porte soit défaite pour lancer ses hommes à l’attaque, profitant qu’Itto ait baissé sa garde.

La violence va ici crescendo, avec notamment une scène des plus gore où les amazones dépècent un homme, faisant voler ses membres et organes un à un. Les combats sont plus délirants, les méchants plus appuyés et carnavalesques, tels les frères Bentenrai (Benma, Tenma et Kuruma), des tueurs légendaires à qui le Shogun donne carte blanche. Trois personnages archétypiques qui seront repris par John Carpenter dans son magnifique Jack Burton. C’est vraiment le côté sérial, la violence délirante des mangas qui l’emportent sur le classicisme des ken-geki. On peut même voir dans cet enchaînement quasiment ininterrompu de rixes, la matrice des jeux vidéo à venir. Ascendance pas si délirante que ça lorsque l’on voit l’influence de Baby Cart sur le comics américain et le culte qui entoura cet épisode, plus grand succès de la saga.

Les scènes d’action sont formalistes au possible, barbares, surréalistes, le sang éclabousse littéralement l’écran. Les murs, le sable, semblent saigner. Ce sang imprègne la texture même d’un monde transfiguré par le destin meurtrier d’Itto. Tout au long de la saga, l’eau, la neige, le sable, deviennent des réceptacles à la contagion du monde par la violence et la barbarie. Les figures de mort se chargent par moments d’une poésie morbide. Un combattant au cou tranché déclare qu’il rêvait depuis toujours d’entendre le Mogari-bue, la flûte du tigre tombé. C’est le bruit du sang qui s’échappe de la plaie en un fin sifflement, rappelant le bruit du vent. Etrange sérénité qui tout à coup vient interrompre le carnage.

Si les combats se suivent à un rythme infernal, nulle lassitude ne s’empare du spectateur, chacun trouvant sa forme propre. Misumi renouvelle constamment les figures martiales et leur mise en image. Un combat se fait fantomatique par la surimpression d’actions captées sous des angles différents, à un autre moment le cadre est envahi de circonvolutions psychédéliques… inventions formelles où l’on retrouve également ces duels filmés sans autres bruits que celui de la lame qui tranche la chair. Le travail sur le son est constant, comme par exemple des mouvements de caméra guidés par un bruit de cloche. Cette cloche est celle qui tintait le soir où il fut trahi, c’est le symbole de l’acte fondateur de la vengeance du loup solitaire. La caméra s’approche d’Itto et s’en éloigne en fonction de l’intensité du bruit, ou encore, panoramique circulaire englobant le père et le fils, s’accélère au rythme agitato des tintements. Il y a corps entre le son et l’image, et ces scènes nous montrent avec force expressivité la vigilance constante qu’Itto doit conserver pour faire face aux dangers qu’il encourt. Misumi multiplie ainsi les expérimentations sonores, comme lorsqu’il interrompt brutalement une musique en pleine montée chromatique pour marquer la fin d’un danger. La partition musicale épouse la mise en scène du cinéaste, croisement détonnant de pop psychédélique et d’instruments traditionnels.

Si les combats tiennent la part belle de ce second volet, Koike et Misumi poussent également plus avant le personnage d’Ogami Itto, nous montrent jusqu’où son désir de vengeance peut l’emmener. Quand il se met au service d’un clan, qu’importe si les raisons sont morales ou pas. On comprend rapidement que le han qui l’emploie comme assassin protège seulement ses intérêts et désire continuer à exploiter ses paysans. Ils matent une révolte, sous l’excuse qu’elle est fomentée par le Shogun, alors que les paysans ne demandent qu’à être mieux considérés. Les liens complexes qui lient Itto et son fils, s’ils ne sont qu’effleurés au grand désarroi de Koike qui désirait que Daigoro prenne plus de place dans les films, n’en sont pas moins exposés avec force. Une scène magnifique nous montre Itto expliquer à ses adversaires qu’il est prêt à sacrifier son fils, car tous deux ont pris le chemin de meifumado, et acceptent ainsi leur destin sans sourciller. Itto et son fils doivent être prêt à tout subir, tout accepter, même si cela ne signifie pas qu’ils se refusent à combattre jusqu’au bout. Cette courte séquence nous plonge irrémédiablement dans l’enfer de ce père et de son fils, plongés malgré eux dans l’enfer de la violence et de la mort, enfer qu’ils acceptent et font leur.

L’enfer est représenté par le motif de la rivière, omniprésent dans la série. Le Sanzu-no-kawa des japonais a la même fonction que le styx (le titre anglais de cet épisode est d’ailleurs Baby Cart at the River Styx), les morts devant traverser la rivière Sanzu pour gagner l’au-delà. Lorsqu’un bateau s’enflamme sur un fleuve, cette symbolique nous ramène au chemin blanc entre le feu et l’eau évoqué dans le premier épisode.

Le film a été tourné dans l’immédiate foulée du Sabre de la vengeance, avec la même équipe technique, et ce sans même attendre la sortie de celui-ci et son résultat au box office. Le film est de nouveau un succès considérable, et le troisième opus ne tarde pas à voir le jour.

En savoir plus

La fiche IMDb du film


Introduction et sommaire - Baby Cart 1 - Baby Cart 3
Baby Cart 4 - Baby Cart 5 - Baby Cart 6

Par Olivier Bitoun - le 15 novembre 2005