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Critique de film
Le film
Affiche du film

Au nom du pape roi

(In nome del papa re)

L'histoire

En 1867, l’Etat pontifical romain en guerre contre les troupes de Garibaldi subit un attentat dans lequel 23 zouaves trouvent la mort. La comtesse Flaminia, mère naturelle de Cesare Costa, un des trois terroristes immédiatement arrêtés, vient trouver Monsignor Colombo, un juge du Sacré Conseil, pour qu’il lui vienne en aide. Pour le convaincre, elle lui révèle qu’il est le père de Cesare, né d’une relation éphémère. Colombo fait libérer Cesare mais se trouve confronté à un cas de conscience : peut-il favoriser un accusé et laisser condamner les deux autres. Déjà en proie au doute face à sa responsabilité, sa foi en l'institution épiscopale se trouve alors ébranlée.

Analyse et critique

En France, Luigi Magni est loin d’être le plus connu des cinéastes italiens. Dans le vaste genre de la comédie à l’italienne, les noms de Monicelli, Risi ou Comencini jouissent d’une réputation bien plus importante. Un statut légitime pour ces hommes, mais il est regrettable que Magni ne bénéficie pas d’une visibilité comparable. Ce réalisateur romain, qui connut un succès certain en Italie, a principalement construit sa filmographie autour de l’histoire de Rome qu’il raconta à de nombreuses reprises. Au cœur de cette œuvre, on distingue une trilogie informelle constituée des titres les plus réputés de son auteur : Les Conspirateurs, Au nom du pape roi et Au nom du peuple souverain. Trois films prenant pour décor l’histoire romaine du XIXe siècle, cinématographiquement liés par leur interprète principal, Nino Manfredi, ami proche et collaborateur régulier de Luigi Magni.

C’est un épisode s’étant déroulé en 1867 dans la Rome pontificale qui sert de point de départ au récit d'Au nom du pape roi. Alors que la guerre qui mènera à l’unification de l’Italie trois ans plus tard fait rage, un attentat perpétré par de jeunes révolutionnaires a lieu contre une caserne de zouaves dans la ville de Rome, qui est alors encore la capitale d’un Etat indépendant dirigé par le Pape. Les auteurs, qui seront arrêtés et exécutés, sont les derniers condamnés à mort de l’histoire de l’Etat pontifical. Le contexte historique choisi est complexe, mettant en jeu le mouvement garibaldien, le statut de l’Etat romain et les différents évènements traversés par l’Italie au cours du siècle. Pourtant Magni parvient à en tirer un film d’une grande limpidité en choisissant d’utiliser le contexte historique comme la toile de fond d’une histoire à échelle humaine et à la portée universelle. L’idée du réalisateur n’est pas de réaliser un film historique au sens classique du terme. Dans son film, pas de grandes leçons, pas de rappel de la situation mais surtout une caméra qui se place à hauteur d’homme, au sens littéral du terme. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre en découvrant Au nom du pape roi, nous ne verrons par exemple pas le moindre plan large sur la ville ou sur le Vatican, des images qui auraient pourtant pu sembler évidentes pour traiter un tel sujet. Magni met toujours les personnages au centre de son cadre. Il n'y place jamais une foule, mais généralement tout au plus quelques individus, volonté évidente du cinéaste de traiter l’humain avant tout et d’utiliser un sujet historique pour en tirer des leçons contemporaines sur la nature humaine. Il retravaille donc son scénario en y incluant deux personnages de fiction. D’abord celui de Cesare Carlo, un des trois terroristes dont il fait le fils naturel d’une comtesse, puis celui de Don Colombo, un prêtre mais aussi un magistrat tourmenté du Saint-Siège qui va découvrir qu’il est le père du jeune Carlo. Ce sont leurs destins et leurs tourments que va filmer Magni sur un ton mêlant le drame et l’humour comme seuls savent le faire les cinéastes italiens.


Le drame noué par le cinéaste se joue à deux niveaux. Il y a d’abord l’intime, l’histoire d’un fils et de son père qui ne se connaissent pas et vont se retrouver par le hasard des événements historiques. Le thème de l’enfance et du rapport au père est un classique du cinéma italien. En découvrant Au nom du pape roi, on pense au film de Dino Risi, Il Giovedi, ou à L’Incompris, le chef-d’œuvre de Luigi Comencini. Le film de Magni porte la même émotion en montrant le lent rapprochement entre Don Colombo et Carlo, dont on pressent qu’il ne pourra se conclure que tragiquement. Un rapport filmé avec une immense pudeur et parfois une grande dureté, comme lorsque le jeune Carlo déclare à celui qu’il ne sait pas encore être son père que les deux choses qu’il déteste le plus sont les prêtres et son père. C’est la grande crise de la cellule familiale qui nous est présentée, celle d’un père qui croit aimer son fils, ici en le sauvant de la peine de mort presque contre son gré, et d’un fils qui ne reconnait pas cet amour, persuadé d’être incompris de son père comme de toutes les figures d’autorité. Un thème universel que Magni aborde avec une grande sensibilité grâce à des dialogues ciselés et quelques scènes fortes qui culmineront dans une séquence qui voit Carlo braquer une arme vers le visage de son père. Une image à la fois symbolique d’une relation père / fils presque impossible mais aussi de la fracture totale que souligne Magni entre ce symbole de l’autorité et la jeunesse. C’est la seconde thématique forte du film, où l’autorité est évidemment incarnée par l’Eglise. On le comprend dès l’ouverture, où l’on voit Don Colombo, magnifiquement interprété par le génial Nino Manfredi dans un de ses plus beaux rôles, prêt à démissionner de sa charge de magistrat. Il comprend déjà le décalage qui existe entre une Eglise enfermée dans sa tour d’ivoire et le peuple italien. Ce décalage va lui apparaitre encore plus évident quand il devra secourir son fils et tentera de sauver les deux autres accusés de la guillotine. Petit à petit, il constate l’écart entre les principes de charité de la chrétienté et une Eglise qui pourchasse et condamne à mort. Cette situation culmine lors du morceau de bravoure du film, la parodie de procès qui voit condamner deux jeunes terroristes et durant lequel Colombo nous offre un formidable discours mettant en lumière les dérives de l’Eglise. Magni ne s’attaque pas ici à la chrétienté mais à l’institution qui s’écarte de sa vocation et du peuple, pour devenir un instrument de pouvoir et de répression qui ne comprend plus rien aux aspirations de ceux qui devraient être ses fidèles.


Traiter un tel sujet en 1977, alors que l’Italie est plongée dans les années de plomb, c’est évidemment pour Magni une manière de se plonger totalement dans le débat politique. Mais cette analyse doit être faite avec un certain recul : Magni ne prend pas parti. Il ne cherche pas, par exemple, à prendre position quant à l’attentat en lui-même, dont il ne juge jamais la légitimité et qu’il élude même extrêmement rapidement à l’écran. Une manière de signifier qu’il ne souhaite pas prendre position, à travers son œuvre, avec l’une des forces politiques de l’Italie contemporaine. Son message a des visées plus élevées, il tire un signal d’alarme en illustrant l’écart qui se creuse entre le peuple et des élites incapables de comprendre de nouveaux enjeux et de nouveaux mouvements. Un message qui passe avec une grande subtilité, le parallèle historique valant mieux qu’un long discours. Cette finesse de traitement est d’ailleurs ce qui caractérise l’ensemble du film. Au nom du pape roi n’assène rien, il raconte avec une grande efficacité une histoire qui porte intrinsèquement ses messages sur la famille, l’Eglise et la société. Le propos est d’autant plus allégé que, comme beaucoup de ses compatriotes à l’époque, Magni fait appel à l’humour pour dédramatiser son film. Cela passe évidemment par le choix de Nino Manfredi, acteur qui sait passer en un clin d’œil du registre dramatique au registre comique, cela passe aussi par le personnage du valet, formidablement interprété par Carlo Bagno, que l’on croirait tout droit sorti d’une pièce de Molière, faisant passer par le rire les éléments moraux essentiels du film. Cela passe enfin par quelques situations remarquables, notamment la composition du tribunal épiscopal, fait de vieillards croulants, symbole évident de la décrépitude de l’institution, mais également image particulièrement drôle à l’écran.

Au nom du pape roi est une œuvre multi-facettes. A la fois drame intime, réflexion sociale, drame historique et comédie, il mélange ces aspects avec un grand équilibre en ne sombrant jamais dans la leçon ou la farce pour conserver une profonde force à son propos. Une force également véhiculée par l’extrême fluidité de sa narration et par la grande beauté de sa photographie. Magni, qui sait se faire anticlérical lorsque l’Eglise tourne le dos à ses valeurs de charité et de pardon, ne cache pas non plus son admiration artistique pour le décorum religieux. Et il traduit ce dernier avec brio à l’écran, en nous offrant quelques somptueuses compositions comme la salle du tribunal ou bien les décors finaux au siège des jésuites. Des scènes qui sont l’occasion - il faut le signaler - d’une apparition du génial Salvo Randone, l’inoubliable interprète des Jours comptés, qui vient compléter un casting de choix et parachever un film en tous points remarquables. Il est urgent de découvrir ou de redécouvrir Au nom du pape roi, film incroyablement riche et juste, qui nous donne l'immédiate conviction que Luigi Magni mérite lui aussi sa place parmi les grands noms du cinéma italien.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 28 décembre 2015