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Critique de film
Le film
Affiche du film

Assassin sans visage

(Follow Me Quietly)

L'histoire

Un tueur en série se faisant appeler "The Judge" sème la terreur et la mort dans une grande ville des Etats-Unis. Après chaque meurtre, il laisse une note dans laquelle il exprime une volonté de purification qui laisse peu de doutes sur son état de santé mental. Il n’agit que lors des nuits pluvieuses où son instinct de meurtre semble se réveiller. Son mode opératoire est d’étrangler ses victimes à mains nues. Chargé de l’enquête, le lieutenant Harry Grant piétine dans ses recherches et finit par inquiéter son supérieur. Totalement investi dans sa mission, il est secondé par le fidèle sergent Art Collins à l’humour laconique qui parvient à peine à tempérer son obsession. Sa rencontre avec Ann Gorman, une journaliste aussi charmante que têtue, qui lui propose une tribune libre dans son journal en échange de la primeur de ses informations, va bouleverser son enquête. D’abord réticent à cette collaboration qu’il juge hors de propos, le rude lieutenant va bientôt tomber sous le charme de la belle. D'autant que cette dernière saura se montrer fort utile dans la conduite de son enquête. Mais Grant est surtout l’auteur d’une méthode inédite d’investigation : la création d’un mannequin à l’image du meurtrier grâce aux différents indices accumulés afin de permettre une identification plus probante. La traque s’intensifie et l’étau finit par se resserrer autour du tueur...

Analyse et critique

Richard Fleischer vient de s’éteindre en mars 2006 à l’aube de sa 90ème année. Le hasard veut que l’éditeur Montparnasse sorte au même moment dans sa Collection RKO l’un des tout premiers films du cinéaste, son septième pour être exact. Fleischer était entré à la RKO en 1942 au département des Actualités où il eut à produire et réaliser des séries de courts métrages. Il rejoignit ensuite le département des séries B où il put se faire la main et acquérir un style en signant une suite de films noirs et de thrillers. Le futur cinéaste (insuffisamment) remarqué de 20 000 lieues sous les mers, des Vikings, du Voyage fantastique ou de Soleil Vert quitta le studio sur la première grande réussite artistique d’une filmographie promise au succès d’envergure : L’Enigme du Chicago Express en 1952, point d’orgue stylistique de cette première partie de carrière. Troisième film dans la chronologie de ce court cycle consacré à ce genre de films très prisé du public de l’époque, Assassin sans visage (Follow Me Quietly, 1949) laisse deviner l’empreinte d’un futur grand réalisateur au détour de quelques séquences de haute volée. Il reste surtout un petit modèle d’efficacité narrative qui a l’ambition, comme les autres thrillers construits sur une structure équivalente, de nous conter, avec une certaine concision mais également sur un rythme relativement soutenu, la résolution d’une intrigue criminelle en un minimum de temps. Dépassant rarement les 60-70 minutes, ces films offrent un spectacle suffisamment captivant, sinon d’une folle originalité, qui permet aussi de donner une idée du traitement de la criminalité par le cinéma traditionnel de cette période de transition faisant suite à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Assassin sans visage s'avère surtout intéressant pour deux raisons qui tiennent, pour la première à son inscription dans un genre précis, et pour la seconde à la caractérisation du meurtrier. En premier lieu, ce court thriller de Richard Fleischer (qui n’a en fait de film noir que le générique avec ses images nocturnes inquiétantes filmées au ras du trottoir et sous la pluie) appartient à cette deuxième génération de films noirs qui est marquée par un réalisme accru dans la retranscription des rouages de l’enquête, du métier de policier et du milieu urbain qui en constitue le terrain d’observation (malgré les recherches visuelles qui peuvent rester poussées comme en témoigne le travail exceptionnel effectué par le couple Anthony Mann / John Alton). Mann et Henry Hathaway sont les représentants les plus prestigieux de ce nouveau courant. Il n’est donc point étonnant de retrouver le nom d’Anthony Mann au générique d’Assassin sans visage, le réalisateur de La Brigade du suicide et de Marché de brutes étant l’un des coauteurs de l’histoire originale. En ce qui concerne la figure du meurtrier, Follow Me Quietly est, comme le rappelle justement Serge Bromberg dans sa présentation du film, un véritable « jalon dans l’évolution du film criminel » puisqu’il met en scène un serial killer. Il faut bien convenir que depuis M le Maudit (1931) de Fritz Lang, les productions traitant des forfaits inquiétants de ce type particulier d’assassin ne sont pas légion. Si ce sujet est très prisé de nos jours, surtout depuis la vague de films initiée par Le Silence des agneaux en 1990 et Seven en 1995, il n’en était rien à ce stade du polar classique où la personnalité, complexe ou non, du policier - ou bien du journaliste - primait sur celle du criminel (et même si les exemples de gangsters violents et répugnants abondent, un rôle dans lequel s’illustra à plusieurs reprises un acteur débutant nommé Richard Widmark). Il n’est pas fortuit que le maître d’œuvre de cet Assassin sans visage soit Richard Fleischer qui s’illustra deux décennies plus tard avec deux portraits saisissants de serial killers que sont L’Etrangleur de Boston (1968) et L’Etrangleur de Rillington Place (1971), deux œuvres d’une grande audace formelle qui sont entrées dans l’histoire du cinéma grâce à leur étude troublante, rigoureuse et glaciale de deux grands psychopathes. De même que le lieutenant Grant est obsédé par le tueur qu’il poursuit, il semble que Fleischer finira lui-même par être hanté par la figure de l’étrangleur. Mais ce serait rendre un bien mauvais service au film qui nous intéresse ici que de trop le comparer à ces deux productions futures du réalisateur, car la performance artistique n’est pas du même ordre ; mais il est des correspondances qui méritent d’être signalées, surtout quand elles mettent en lumière les préoccupations d’un cinéaste. Nous avons plutôt devant nous une œuvre de jeunesse qui se suit avec grand plaisir. Et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Assassin sans visage bénéficie d’un découpage très classique. En dehors de quelques scènes conçues pour apporter quelques petites touches de suspense (avec des arrêts sur image, des gros plans du flic obsédé par sa mission, quelques panoramiques appuyés, un flash-back rapide, l’utilisation de la pluie, l’usage du silence lorsqu’il s’agit de montrer enfin le visage de l’assassin), la réalisation se contente souvent d’emballer la narration sans trop de temps morts, exception faite de la petite romance traitée d’ailleurs assez négligemment, un passage obligé qui semblerait n’avoir pour fonction que de développer un tant soi peu des personnages qui n’existent quasiment que par leur profession. Les dialogues sont nombreux et les scènes explicatives se succèdent pour la bonne cause : faire partager aux spectateurs la routine d’une enquête de police. Heureusement, les scènes s’enchaînent suffisamment vite pour éviter le piège du didactisme. Richard Fleischer, selon ses propres dires, n’avait pas encore trouvé son style et avançait progressivement de film en film. Il n’était pas de ceux qui marquaient d’un coup d’éclat leur entrée dans le septième art, suivant ainsi la plupart des réalisateurs talentueux œuvrant au sein des studios... sauf que son ambition allait bientôt l’amener à se démarquer de ces derniers. La bonne idée du scénario (celle d’Anthony Mann ?) est de maintenir cachés l’identité et le visage du criminel - à ce sujet, si ce dernier ne frappe véritablement que deux fois à l’écran, la tension octroyée par la narration et la mise en scène permet heureusement de maintenir une certaine angoisse - et la police a quasiment toujours un train de retard jusqu’à l’irruption de l’indice fatal.

Grâce à la trouvaille du lieutenant Grant, la création du mannequin censé faciliter les recherches, Fleischer construit autour de ce dernier quelques scènes qui apportent un sentiment bienvenu d’étrangeté ; le serial killer est ainsi constamment présent à l’écran, interagissant avec les différents protagonistes de l’enquête, alors que sa réelle présence physique fait défaut dans la grande majorité du film. Une scène en particulier pousse même cette approche vers une sorte de fantastique mal intégré - avec le risque réel d’entacher la crédibilité du film - lorsque Grant se retrouve seul un soir dans son bureau avec le mannequin qui se révèle être l’assassin qui avait pris un temps la place de son avatar (on se demande ce qui avait pu passer par la tête des scénaristes, la vision subjective de cette scène par le policier supposé hanté par sa proie ne peut même pas fonctionner car cette inversion intervient quand ce dernier s’éclipse du décor). C’est le tour de force de la réalisation de parvenir à faire exister le tueur, et laisser planer la menace qui l’accompagne, par cette simple mais efficace idée de mise en scène. Là où Fleischer se fait une nouvelle fois réellement plaisir c’est quand il aborde la séquence d’action finale dans une usine. Le cinéaste parvient à parfaitement intégrer l’architecture de ce labyrinthe de métal dans la course poursuite qu’il met en scène avec un certain brio, en sachant trouver les angles et un découpage alerte pour permettre aux personnages d’évoluer parfaitement dans un décor susceptible à tout moment de véhiculer la notion de danger. Sans aller jusqu’à faire de cette séquence une prouesse artistique d’exception, on n’hésitera pas à dire que cette dernière constitue - avec l’utilisation du mannequin - l’intérêt principal de ce thriller sur un plan strictement formel.


Les limites d’Assassin sans visage seront à trouver du côté de la caractérisation des personnages et dans le jeu d’acteur. On veut bien passer sur le manque de justification concernant les actes du serial killer ; après tout, Hollywood nous épargne pour cette fois les délires freudiens censés servir d’analyse psychologique pour l’assassin compulsif. Si la durée et l’ambition du film ne permettent pas de s’appesantir sur l’étude des personnages, on aurait néanmoins souhaité plus de consistance dans le traitement du trio principal. Un certain nombre de clichés suffisent à les faire exister : le flic gentillet et sans aspérités entièrement tourné vers son enquête mais dont l’obsession ne l’amènera jamais à questionner son jugement ni sa mission, la jolie blonde arriviste qui ne sait pas cacher son attirance pour le beau mâle, et le partenaire cynique doté comme il se doit d’une ironie à toute épreuve. Ce dernier est joué par Jeff Corey, acteur de second rôle régulier au cinéma et à la télévision, qui vole presque la vedette au jeune couple dès qu’il est à l’écran. Le lieutenant Grant est interprété par le fade William Lundigan, comédien de seconde zone croisé dans L’Aigle des mers et La Piste de Santa Fé de Michael Curtiz ou La Maison sur la colline de Robert Wise et surtout comme vedette de plusieurs séries B anonymes. Face à lui s’active l’inexpressive Dorothy Patrick dont les moues servent parfois de technique de jeu. Les plus observateurs des cinéphiles se souviendront d’elle dans House by the River de Fritz Lang et dans Les Inconnus dans la ville (1955) où elle retrouvera Fleischer.

Dans Assassin sans visage, son personnage de reporter de journal à scandales apporte in fine l’indice qui conduira à l’identification du psychopathe. Le film aurait pu développer à ce sujet une thématique passionnante sur le rapport entre la presse à sensation, la littérature policière et la naissance de la pulsion criminelle. Il ne fait qu’effleurer de loin cette idée, mais on ne pouvait décemment pas demander à un thriller de série, produit typique d’un certain système de production, de trop sortir de son format. De même que l’on regrettera que le choix des comédiens se soit porté sur des artistes au talent bien limité, alors qu’un casting de série B ne signifie pas nécessairement une distribution de piètre qualité - on compte bon nombre de comédiens de talent ayant œuvré dans ce domaine. Ces réserves étant faites, on restera néanmoins plus que satisfaits de la possibilité de visionner ce thriller fort sympathique, sachant ménager quelques scènes et idées fortes dans un ensemble de facture assez commune. Et surtout ravis de l’opportunité de découvrir l’un de ces premiers films peu visibles d’un grand cinéaste en devenir nommé Richard Fleischer.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 17 mars 2006