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Critique de film
Le film

Armes secrètes

(Q Planes)

L'histoire

Quand des prototypes d'avions de guerre disparaissent mystérieusement, Scotland Yard envoie le Major Hammond mener l'enquête. Il peut compter sur le soutien du meilleur pilote de la base : Tony McVane (Laurence Olivier) et de la journaliste infiltrée Kay (Valerie Hobson). Le mystère est toujours entier quand l'aviateur est envoyé à son tour en mission d'essai, qui tourne à la catastrophe lorsque son appareil est descendu par un navire en plein océan Atlantique. Mais cette attaque donnera peut-être la clef de l'énigme.

Analyse et critique

Si les films de propagandes anglais produisirent des œuvres parmi les plus intelligentes, audacieuses et efficaces pour délivrer leur message, elles n’en étaient pas moins définies par un cahier des charges. Des cinéastes comme Michael Powell et Emeric Pressburger parvinrent à s’en s’extirper avec audace sur des classiques comme Colonel Blimp, mais nombres de points communs se retrouvaient dans la production "standard" de l’époque. On pense notamment à cette vision d’un peuple uni et surmontant les rapports de classes sur le front comme dans le civil, réagissant avec courage sur le champ de bataille comme sous les bombes du Blitz. Il y a également la veine documentaire dominante dans l’esthétique de ces films, là aussi touchant les deux spectres des Anglais frappés par le conflit. Ceux qui servent en mer de David Lean ou L’Héroïque parade de Carol Reed sont ainsi emblématiques de l’empathie pour le soldat ordinaire au front tandis que Ceux de chez nous (1943) de Sidney Gilliat est la plus touchante tendance du "homefront" avec ces jeunes Anglaises contribuant à l’effort de guerre en usine. Tous ces éléments ne se définiront qu’avec l’arrivée de Winston Churchill au pouvoir en 1940 et sa reprise en main du ministère de l’Information.

Cela autorisait donc auparavant d’autres productions plus surprenantes, souvent dues à Alexander Korda comme ce Q Planes. La menace d’une Allemagne étendant son emprise sur l’Europe plane et Korda y répond au cinéma par une illustration du panache britannique. Les Quatre plumes blanches prenait l'angle du film historique et d'aventures pour évoquer un épisode glorieux de l’armée anglaise tandis que Q Planes plus frontal sur le papier est, lui, un film d’espionnage très ludique. Tous les éléments de la future politique de Churchill sont présents (l’armée fragile, humaine mais glorieuse des Quatre plumes blanches et le mélange de quidams et de professionnels affrontant les espions allemands dans Q Planes) hormis le style documentaire (scènes de vol mises à part). Sortis respectivement en mars et avril 1939 alors que la Deuxième Guerre mondiale allait éclater en septembre, les films autorisent donc encore une approche de pur divertissement qui s’estompe déjà un peu plus dans le flamboyant mélodrame historique Lady Hamilton (1941) qu’Alexander Korda signera par la suite.

Le scénario, même si imprégné des craintes du contexte d’alors, se révèle donc très dynamique et ludique avec une comédie d'espionnage enlevée. A travers l'Europe, les avions prototypes de différents pays dont la France disparaissent mystérieusement en essai et lorsque le phénomène se produit en Angleterre, Scotland Yard dépêche aussitôt le Major Hammond (Ralph Richardson) pour mener l'enquête. Il va avoir fort à faire avec le lobby de l'aviation qui cherche à étouffer ces tracas mais bientôt un second avion disparait en vol, laissant à penser que les Allemands sont derrière ces prises afin de récupérer un nouvel accessoire de vol révolutionnaire. Le ton se fait étonnamment décontracté grâce à la prestation guillerette de Ralph Richardson (qui annonce un peu l'agent secret rigolard de Train de nuit pour Munich (1940) incarné par Rex Harrison), qui sous ses airs étourdis dissimule un fin limier passant de la frivolité au sérieux en un clin d'œil tel ce moment où il identifie la taupe informant les Allemands.

Si Hammond est le cerveau, les muscles seront plutôt représentés par Laurence Olivier, jeune premier fougueux qui joue là un pilote soupçonneux et une aide précieuse pour Richardson. Le charme sera quant à lui porté par une délicieuse Valerie Hobson en journaliste infiltrée couvrant les évènements. Le récit alterne entre vraie tension lors des scènes d'escamotage aérien - superbes scènes de vol mêlant véracité, habiles décors et effets spéciaux de Vincent Korda, pour ce qui semble un terrain d’expérimentations avant l’épopée d’aviation La Conquête de l'air (1936-1940) - et moments décalés où l'on s'amuse des facéties de Richardson qui par son flegme, son parapluie et son chapeau melon qui ne le quittent pas est tout simplement le modèle avoué du John Steed de la série Chapeau melon et Bottes de cuir. Tim Whelan (qui débuta comme gagman pour Harold Lloyd) avait introduit et adapté le piquant de la screwball comedy américaine au cinéma anglais avec Le Divorce de Lady X (1938), et l'on retrouve cette même veine sautillante à travers les échanges vachards entre Laurence Olivier et Valerie Hobson.

Le film aura une influence majeure également sur la future saga des James Bond, qui se ressent particulièrement sur le  final nerveux et spectaculaire même si pas dénué de facilités. Et pour cause, le scénariste Jack Whittingham écrira bien plus tard avec Kevin McClory et Ian Fleming la première mouture d’Opération Tonnerre (avant l’obtention des droits du personnage par la famille Broccoli), le roman, le film et son remake Jamais plus jamais (1983) n’arrivant qu’après. De nombreuses idées y seront donc reprises notamment l’impressionnante méthode d’escamotage des avions. Le mélange entre ton caustique et suspense sera sans doute mieux exploité dans d'autres productions à venir de propagande (Train de nuit pour Munich justement), mais Q Planes sur le fond et la forme s’avère une œuvre avant-gardiste en plus d’être un excellent divertissement.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 22 juin 2015