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Critique de film
Le film
Affiche du film

Arizona

Analyse et critique

Alors que la Columbia était restée jusque-là en marge du genre, n’ayant produit que quelques films de série sans importance, elle sort en cette fin d’année 1940 son premier western de prestige avec un gros budget à la clé. On pourrait à juste titre se demander pourquoi il reste encore si méconnu de par nos contrées, et quelle est la raison pour laquelle il n’a quasiment jamais été cité dans quelque anthologie que ce soit. Cela paraitrait logique au vu de son intrigue assez conventionnelle et de sa mise en scène qui ne propose que peu d’éléments susceptibles de nous faire sauter au plafond, mais c’est loin d’être le premier film dans ce cas. Pourtant Arizona aurait assurément mérité qu’on s’y attarde un peu, car il se démarque des autres westerns de l'époque sur un point. En effet, ceux qui n’étaient pas trop clients du côté propre des westerns de ce début de décennie allaient enfin avoir de quoi se mettre sous la dent. Car même s’il ne reste mémorable, cet Arizona tranche avec tout ce que nous avions pu voir ces deux dernières années sur la plan du réalisme, Wesley Ruggles ayant porté une très grande attention à l’authenticité ; peu de westerns avaient jusqu’à présent mis un accent aussi fort sur moult détails, qu’ils soient vestimentaires, physiques, décoratifs ou autres.

On y trouve donc un aspect documentaire qui n’est pas négligeable et qui est pour beaucoup dans le fait de suivre le film sans aucun ennui. Ses cinq premières minutes, qui nous font traverser la ville façon caméra subjective comme si nous la découvrions en même temps que les pionniers, ne manquent pas d’allure. Rarement avions-nous pu voir des pionniers aussi sales, leurs chariots aussi dégingandés, les rues aussi poussiéreuses. Rarement un cinéaste ne s’était autant attardé sur les visages des figurants (un peu à la manière de ce que fera Sam Peckinpah plus de vingt ans plus tard), sur les scènes de rue. Rarement les personnages principaux d’un western (William Holden et Jean Arthur, quand même) n’auront été aussi peu glamour (mal rasés, crasseux...). Rarement les habitations et les objets (armes, meubles, outils) ne nous avaient paru aussi véridiques. Il faut dire que le décor de la ville a été construit en cours de tournage et que quasiment aucun extérieur n’a été tourné en studio, ce qui donne encore plus de naturalisme à Arizona qui conte l’expansion de Tucson à travers le parcours de la première femme blanche américaine venue s'installer dans cette ville.

Outre une passionnante description documentaire de la vie quotidienne de l’époque (on peut croiser dans les rues grouillantes de la ville champignon : un barbier attirant sa clientèle par un air de banjo, des enfants se baignant en pleine rue, un juge statuant en extérieur avec face à lui uniquement l’accusé qu’il vient de rencontrer...) et de la construction presque en direct d’une ville au milieu du désert (un décor qui deviendra "Old Tucson" et qui sera réutilisé par la suite à maintes reprises), il y a aussi d’intéressantes notations historiques. Bref, nous trouvons dans le film de Wesley Ruggles (qui avait réalisé dix ans auparavant le très bon Cimarron) de nombreux éléments originaux pour l’époque susceptibles d’intéresser le westernophile le plus aguerri. Nous assistons aussi aux débuts prometteurs de William Holden et à une interprétation bien rôdée, quoique manquant un peu de fantaisie, de Jean Arthur dans un rôle dans la droite lignée de sa Calamity Jane de The Plainsman de Cecil B. DeMille et de son personnage dans Seuls les anges ont des aies de Howard Hawks, à savoir une femme de tête qui n’a pas froid aux yeux, seule au sein d’un milieu à très forte proportion masculine, sachant aussi bien manier le revolver que le rouleau à pâtisserie.

Quant aux seconds rôles, ce sont eux qui nous procurent le plus de plaisir, que ce soit Edgar Buchanan en juge éméché, Paul Harvey en associé d’une grande gentillesse, Porter Hall qui joue le directeur de la société de transports concurrente et surtout Warren William, homme de l’ombre manipulant son petit monde en espérant secrètement un jour devenir le despote de la ville. Dommage que le film soit un poil trop long et bien trop bavard. En deux heures de temps, les amateurs d’action seront obligatoirement frustrés, n’ayant eu droit qu’à deux attaques indiennes assez efficacement filmées. Même le duel final entre William Holden et Warren William, qui promettait d’être le climax du film, se déroule hors champ. Malgré une mise en scène manquant singulièrement de personnalité et un scénario de Claude Binyon bien trop conventionnel, le ressenti d’ensemble est pourtant positif d’autant que le film, qui n’a pas la réputation d’un classique, se révèle une agréable surprise car l’intrigue et la romance se suivent avec intérêt si ce n’est avec passion. Les amateurs de films épiques et mouvementés devront pourtant se tourner vers d’autres titres.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 juin 2010