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Critique de film
Le film
Affiche du film

Adoption

(Örökbefogadás)

L'histoire

Kata (Katalin Berek), ouvrière de quarante ans, voudrait un enfant de Jóska (László Szabó). Déjà père, refusant de quitter son épouse, celui-refuse. Elle envisage l’adoption. C’est à ce moment qu’Anna (Gyöngyvér Vigh) placée dans un foyer voisin, demande à celle-ci si elle lui prêterait une chambre, pour plus d’intimité avec son petit ami (Péter Fried). En acceptant, elle scelle leur amitié.

Analyse et critique

Márta Mészáros, épouse de Miklós Jancsó, tient la réputation de plus prolifique des femmes cinéastes (63 titres à son actif). Adoption, son cinquième long-métrage, Ours d’Or à Berlin en 1975, condense les thèmes pour lesquels elle s’est fait connaître : récit de l’amitié entre une menuisière en usine quarantenaire, Kata (Katalin Berek) et une jeune fille en foyer, Anna (Gyöngyvér Vigh), alors que la première envisage d’adopter seule un enfant et que la seconde cherche à obtenir l’autorisation de se marier,


Adoption observe la lutte de deux femmes contre les attentes ambiantes, se fait le témoin du fonctionnement d’institutions que Mészáros a vécu de l’intérieur, elle qui suite au décès de son père à six ans lors de purges staliniennes, a grandi en orphelinat. Proche dans le ton des premiers Ken Loach, ou de Milestones (Robert Kramer & John Douglas), c'est un film d’intervention au regard pourtant étonnamment nuancé (plusieurs figures d’autorité, médicales ou socio-éducatives y paraissent compétentes dans leurs fonctions). C’est que Mészáros, loin de verser dans la complainte facile sur la lourdeur bureaucratique, traque un autre mal : les attentes dévoyées de la féminité. « Prends garde à ce que tu désires, sachant que tu risques de l’obtenir » semble ce qu’elle chuchote à ses deux personnages

Les différents partis (parents de la fiancée hostiles, éducateurs) ayant accepté l’union, les noces avec Sanyi, pourtant compagnon attentionné jusqu’alors, virent rapidement à la scène, laissant la mariée seule, ses consœurs du foyer semblant pleurer de leur côté qu’une telle chance ne leur soit pas accordée. Quant à l’adoption finale par Kata d’un enfant, celle-ci accomplie, l’attente banale sur un arrêt de bus peut laisser douter que, tout louable que soit son altruisme, celui-ci ne dissipe la grisaille qui lentement s’est implantée sous le crâne et dans la poitrine de cette célibataire. Maîtresse d’un homme, marié et père, qui n’entend pas avoir d’un enfant d’elle (László Szabó, probablement plus connu des cinéphiles francophones pour sa carrière française – Les Nuits de la Pleine Lune, La Sentinelle), elle trouve pourtant une fille de cœur en Anna.


La solidarité féminine unissant l’aînée à la cadette, prise par des regards masculins pour une homosexualité latente, est la relation épanouissante que l’une et l’autre paraissent mettre de côté une fois leurs démarches respectives accomplies. Elle est le lieu de tendresse et de complicité que la réalisatrice filme avec attention, sans fausse pudeur quand la nudité s’installe, mais avec tact, une constante bienveillance. Intéressées l’une par l’autre, mais d’abord relativement distantes (Anna attend de Kata un « service » que celle-ci lui rendra), elles devront en quelque sorte s’adopter, faire du sort de l’autre un intérêt propre.

Adoption est une œuvre remarquablement réalisée. Sur la base de travellings discrets, d’une grammaire simple plongée dans un noir et blanc somptueux, Mészáros aligne en plans moyens tendant au rapprochés une suite de portraits. Sa caméra dévisage travailleuses, pensionnaires d’un foyer ou enfants en attente d’adoption dont la vigueur apparente vient contredire l’affirmation d’Anna (qui porte au fond sur elle-même) que tout orphelin est déjà fêlé. Ce n’est que secondairement que le film donne à ressentir la chape hongroise de ces années, dans l’ennui d’un quotidien sans surprise et par l’attitude de parents oscillant entre désintérêt et désapprobation. L’amitié d’Anna et Kata est d’autant plus précieuse qu’elle prend place dans un climat de désaffection ambiante. Frappante beauté de la jeune fille, traits durcis de celle qui pourrait être sa mère… Injustice du vieillissement féminin à laquelle s’ajoute celle d’un sexisme alors omniprésent. Chercher chaleur humaine : la modernité non-ostentatoire de l’Adoption rend le film d’une intemporalité saisissante, sa sensibilité vindicative en fait un fleuron de la contestation des années 70. Un achèvement féministe.

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La fiche IMDb du film

Par Jean-Gavril Sluka - le 25 août 2015