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Critique de film
Le film

Adieu, poulet

L'histoire

Alors que la campagne électorale bat son plein à Rouen, le commissaire Verjeat (Lino Ventura) enquête dans une maison close suite à la mort d'un des clients alors qu’il était ‘en peine action’. La tenancière du bordel le prévient qu'elle connait nombre de personnalités importantes et qu’il serait mieux de ne pas aller fouiller trop loin. Dans le même temps il a affaire à la mort de l’un de ses hommes qui tentait de sauver des colleurs d’affiches agressés par un voyou. Il s’avère que ce dernier travaille dans le service de sécurité de l’un des candidats les plus en vue pour la prochaine élection municipale, Lardatte (Victor Lanoux). Avec l’inspecteur Lefèvre (Patrick Dewaere) et même si on lui met des bâtons dans les roues, Verjeat va vouloir aller jusqu’au bout quitte à risquer sa carrière…

Analyse et critique


Pierre Granier-Deferre, réalisateur français quelque peu oublié aujourd’hui, fit les beaux jours du prime time des chaînes hertziennes dans les années 80. Très bon artisan de notre cinéma national, il fut injustement critiqué pour son appartenance à la fameuse "qualité française" que dénigrèrent en bloc, et sans aucun discernement, un grand nombre de journalistes qui ne juraient alors que par la Nouvelle Vague. Ce n’est pas l’endroit pour faire le procès ni des uns ni des autres, l’aveuglement s’étant exprimé aussi bien dans les deux camps : les tenants exclusifs du "cinéma d’auteur" comme ceux ne jurant que par le "cinéma de divertissement". Heureusement, cette guéguerre stérile est désormais terminée, et il est par exemple aujourd’hui possible d’apprécier à la fois les œuvres de François Truffaut et celles d’Henri Verneuil. Pour en revenir à Granier-Deferre, le père, ses plus belles réussites sont à chercher parmi ses premières adaptations des romans de George Simenon (eux-mêmes parmi les tous meilleurs de son imposante bibliographie) : Le Chat en 1971 avec Jean Gabin et Simone Signoret, La Veuve Couderc, la même année, avec Alain Delon et toujours Simone Signoret, Le Train en 1973 avec Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant ; mais son plus beau film est sans aucun doute, et à la quasi-unanimité, l’intriguant et vénéneux Une étrange affaire d’après un roman de Christopher Franck avec le duo troublant interprété par Michel Piccoli et Gérard Lanvin.


C’est Lino Ventura qui, après avoir essuyé son premier échec commercial avec La Cage, demanda à Pierre Granier-Deferre de tourner Adieu Poulet pour lui permettre de rattraper le coup. N’ayant jamais tourné de polar, le cinéaste s’y lança quand même en faisant entière confiance au comédien. Le résultat est inégal mais néanmoins extrêmement sympathique grâce surtout au couple formé, pour une unique fois, par Lino Ventura et le tout jeune Patrick Dewaere. Adieu Poulet s’inspire d’une affaire réelle, celle du meurtre d’un colleur d’affiches survenu au cours d’une campagne électorale à Puteaux. Le réalisateur et son scénariste Francis Veber (qui allait tourner son premier film l’année suivante et aura ensuite la carrière juteuse qu’on lui connait) transportent l’intrigue à Rouen et en profitent pour égratigner les institutions, la politique et les hautes sphères de la France giscardienne gangrénées par la corruption. Dans les années 70, de nombreux films français abordèrent le sujet avec plus ou moins de finesse, Yves Boisset en tête de file. Adieu Poulet est "une sorte de "Dirty Harry à la française", les méthodes des policiers Verjeat et Lefèvre pouvant fortement ressembler à celles utilisées par le personnage immortalisé par Clint Eastwood. En effet, les deux hommes n’hésitent pas à se transformer en "ripoux" pour arriver à leurs fins.


A ma droite le commissaire Verjeat, la cinquantaine, homme bourru et avare de paroles, le visage fermé, n’hésitant pas à mettre le pied dans le plat au risque de se faire remonter les bretelles par sa hiérarchie, mais préférant les remontrances à la perte de sa dignité : Lino Ventura égal à lui-même dans la peau d’un personnage qu’il connait par cœur. A ma gauche un jeune loup fringant et exubérant d’à peine 30 ans, sans gêne, matamore, roublard mais au cœur grand comme ça, prêt à tout pour en découdre si c’est pour filer un coup de main à son mentor : Patrick Dewaere, déjà fabuleux, au tout début d’une des plus belles (mais trop courtes) carrière du cinéma français. La décennie suivante, après le succès foudroyant de L’Arme fatale, nous en trouverons à la pelle, aussi bien dans le cinéma français qu’américain, des duos de policiers aussi incongrus mais dont l’amitié deviendra indéfectible au fil des épreuves. Découvert aujourd’hui, Adieu Poulet pourrait donc sembler vu et revu mais en 1975, Francis Veber devait être l'un des premiers à tester cette mixture dont il se fera une spécialité par la suite avec notamment sa trilogie bien connue mettant en avant Pierre Richard et Gérard Depardieu.


Un scénario bien charpenté mais manquant de subtilité (la morale du "tous pourris" étant là pour en témoigner), une mise en scène carrée quoique impersonnelle et sans éclat, une photographie assez laide et une composition de Philipe Sarde qui ne fait pas partie des ses plus mémorables, pour un polar sans réelle surprise, ponctuée de quelques séquences à tendance humoristique qui le plombent un peu (Dominique Zardi faisant le pitre en plein milieu de la seule scène d’action violente du film, le vol plané des jeunes bouddhistes...), mais bénéficiant d’excellents dialogues et forçant la sympathie par son casting sur mesure (Victor Lanoux, Julien Guiomar, Claude Rich...) et une belle histoire d’amitié entre deux hommes que tout semblait séparer (la séquence de la discussion sur le banc dans le parc après une cuite est sans doute la plus belle du film). Du cinéma populaire bien calibré et très plaisant dans la tradition du cinéma politique de l’époque, dans lequel les magouilles et le pouvoir de l’argent étaient fustigés.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 mars 2009