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Tops de la rédaction

Des cinéastes contemporains en activité, Terrence Malick demeure probablement le plus insaisissable (ne serait-ce que pour sa personnalité fuyante, qui refuse les photos ou les déclarations publiques) et l’un des plus passionnants, notamment dans la manière dont son cinéma, de film en film, questionne le monde à travers des prismes singuliers, qui mêlent la beauté à la violence, et où n’ont de cesse de fusionner l’intime et l’universel. C’est de nouveau dans cet écho que se niche The Tree of Life, son film à ce jour le plus déroutant, qui met en perspective le destin d’une famille texane des années 50 et rien moins que l’histoire de l’Univers : adoptant une structure fragmentaire, anti-narrative au possible, The Tree of Life évoque plus qu’il ne raconte, et de ce choix de la décomposition naît la cohérence globale d’un projet qu’on pourrait aussi bien qualifier de "démesurément ambitieux" que "d’incroyablement prétentieux". Rarement un film aura à ce point évolué sur le fil du rasoir entre le grotesque et le sublime, et il nous faut dès lors reconnaître ici les limites de notre exercice critique, tant le film réclame à son spectateur la manifestation entière de sa subjectivité (le mot est d’ailleurs prononcé par le personnage du père) : il se trouvera des spectateurs effondrés par le ridicule des séquences "spatiales" là où d’autres seront émus aux larmes ; et la partie faisant intervenir les dinosaures en bouleversera certains par sa densité thématique (la naissance et le cycle de la Vie ; la violence du monde ; l’émergence de l’ "individu" au sein de son espèce ; la découverte de la compassion…) autant qu’elle en consternera… Incontestablement, le film s’offre comme une expérience, sinon unique (très "malickien", le film renvoie également à Tarkovski ou à Resnais) au moins d’une intensité rare, dont les plus curieux des cinéphiles ne sauront se dispenser. D’autant que, dans The Tree of Life, Terrence Malick se révèle comme il ne l’avait jusqu’alors encore jamais fait : lui-même élevé dans une famille rigoriste du Texas des années 50 avec ses deux frères, il a connu la perte de l’un d’entre eux, Larry (tandis qu’un autre, Chris, était gravement brûlé dans un accident où il perdit son épouse). La partie contemporaine, assez brève et pas la plus accomplie du film (avec un Sean Penn hagard errant au milieu des buildings de Houston), renvoie donc à son propre rapport au deuil, et permet d’envisager le film dans sa globalité comme une somme de réminiscences, un patchwork de souvenirs (réels ou imaginaires) : ce qui expliquerait l’absence de vieillissement des protagonistes adultes (dont Jessica Chastain, inaltérable et gracieuse mère fantasmée) ou une irruption fugace de l’incongru ou du fantastique (la mère qui s’envole ; la chaise mouvante ; le cercueil de verre…) affirme surtout la dimension éminemment mentale du film, et dès lors l’omniprésence d’une spiritualité intime, extrêmement marquée par une éducation religieuse traditionaliste. Là où certains ont vu une forme de prosélytisme et l’affirmation de l’existence d’un Dieu rédempteur, qu’on nous permette d’envisager le film comme la délicate expérience du deuil à travers la foi et la transcendance : on ne compte plus dans le film les éléments symboliques évoquant l’idée d’une ascension, physique (une échelle, un grenier, un avion, une fusée…) ou spirituelle (grandir, devenir adulte, être responsable, rejoindre Dieu…), et la séquence finale, qui réunit les différents protagonistes dans le vide blanc d’une plage, ponctue le parcours intime du personnage dans l’accomplissement rasséréné de son rapport à la mort. Dans cet exercice mémoriel, Jack - et, à travers lui, le cinéaste - aura brassé large (naître et être, vivre et mourir, dominer et subir, jouir et souffrir, savoir et ignorer, aimer et haïr…) et probablement laissé pas mal de spectateurs sur le bord de cette route tourmentée ; mais ceux qui l’auront accompagné risquent d’être profondément et durablement marqué par cet étonnant voyage. Antoine Royer

A titre personnel, le cinéma de Darren Aronofsky n'avait jamais jusqu'alors provoqué un enthousiasme immodéré, la mégalomanie du cinéaste m'étant au moins aussi embarrassante que la multiplication roublarde de ses influences… On ne peut d’ailleurs guère prétendre que Black Swan sorte de nulle part, tant son intrigue suggère une sorte de mélange entre Les Chaussons rouges (une jeune danseuse un peu naïve est engagée par un chorégraphe exigeant et se met à errer, pour les besoins du rôle, dans les limbes de sa folie) et un traitement à la Polanski, période Répulsion, rendant concrètes les névroses d’un personnage par le biais seul de la forme, sans que l’on sache jamais si ce que l’on voit tient de la réalité ou du fantasme. Mais alors, qu’est-ce qui fait que le recyclage fonctionne, et si bien d’ailleurs, cette fois-ci ? Tout d’abord, il semblerait qu’à l’occasion de Black Swan, la dimension toujours un peu ostentatoire de la mise en scène d’Aronofsky (dont on ne peut pas dire que ce soit un modèle de sobriété ou d’humilité) se soit enfin mise en adéquation avec ce qu’il raconte (ce qui, par exemple, n’était pas toujours le cas dans son film précédent, The Wrestler, dans la continuité formelle duquel il s’inscrit en partie) : plus le délire paranoïaque se développe dans l’esprit de Nina, plus l’outrance et la stylisation grignotent ainsi le film. Avec une belle diversité dans ses moyens visuels, celui-ci évolue ainsi de la chronique post-adolescente au délire horrifique, le remarquable traitement de certains personnages (dont Beth, incarnée par Winona Ryder, ou la mère de Nina, par Barbara Hershey) faisant office de ponts habiles. Surtout, le film possède une dimension extrêmement charnelle, physique, presque éprouvante par instants, qu’on percevait déjà dans The Wrestler, mais qui gagne surtout ici un relief érotique particulièrement saisissant : poussée dans l’exploration du territoire inconnu de sa propre sensualité, Nina y découvre des élans contradictoires de plaisir et de douleur, de puissance et de vulnérabilité (une séquence particulièrement intense, à partir de la discothèque, s’achève par la scène de sexe la plus étrange et la plus troublante que l’on ait vue depuis longtemps)… Autre qualité majeure, l’interprétation : au cœur de l’intrigue, il y a la difficulté pour une danseuse d’incarner à la fois, dans le ballet du Lac des Cygnes, le Cygne Blanc pur et ingénu et le Cygne Noir séducteur ; non seulement Natalie Portman, dans l’un des rôles de sa vie, accomplit cette gageure (en particulier dans l’émouvante fébrilité de la première partie), mais elle fait progressivement apparaître les deux Nina, parfois dans le même plan ! Sa performance, proprement inouïe, est qui plus est exaltée par son association avec Mila Kunis, rivale fantasmée au charme envoûtant, empoisonnant… Sorte de drame paranoïaque opératique, Black Swan distille ainsi sa tension jusqu’à une extraordinaire et excessive séquence finale qui, à la limite subtile entre le sublime et le grotesque, bascule à l’ultime seconde, et de notre point de vue (l’unanimité ne se fera pas sur une séquence aussi radicale), du bon côté. Alors le film ne nous fera pas forcément réviser avec indulgence les œuvres précédentes de Darren Aronofsky, qui a su ici transformer quelques uns de ses défauts en qualités flamboyantes : mais force est de reconnaître que les petits malins font parfois de grands, de très grands films. Antoine Royer

Los Angeles, aujourd’hui : "il" est blond, parle peu et conduit comme un virtuose. On le recrute pour se faufiler entre les mailles de la police après des braquages auxquels, lui, "il" ne prend jamais part. Et puis, un jour, les choses vont mal tourner… Le projet passe pour avoir circulé pendant plusieurs mois à Hollywood, passant d’un faiseur à un autre, et le film aurait pu n’être qu’un oubliable ersatz supplémentaire de la franchise Fast and Furious si, un jour, il n’avait échu dans les mains de Ryan Gosling ; le jeune comédien allait, non sans culot, transmettre le script à Nicolas Winding Refn, jeune et extrêmement prometteur cinéaste danois, dont l’une des principales caractéristiques - outre une maîtrise technique hors normes - est de se plaire à ne jamais être où on pourrait l’attendre. Voici donc comment, dans un filmographie, un film d’action hollywoodien avec des bolides vient succéder à l’errance métaphysique d’un guerrier viking (le très impressionnant Valhalla Rising)… Le ton est assez vite donné, lors d’une impressionnante séquence en pré-générique : l’atmosphère et la gestion de la temporalité compteront plus ici que les péripéties, les carambolages ou les fusillades ; et passé d’ailleurs le braquage initial, il faudra d’ailleurs attendre près d’une heure pour que l’action surgisse à nouveau : comme dans Valhalla Rising, on sent Winding Refn avant tout captivé par sa figure quasi-mystique de héros mutique (où est la projection autobiographique dans ces personnages de marginaux ?) et par son changement de statut, son parcours vers l’ailleurs. Car Drive décrit bien une sorte de (re)naissance, un accouchement depuis le ventre mécanique des voitures avec lesquelles il ne faisait qu’un, vers quelque chose de plus organique, de plus viscéral : il faut voir le sang recouvrir, jour après jour, mort après mort, le blouson du Driver, machine de sang-froid au regard projeté vers un improbable horizon. Une nouvelle fois, mais dans un style encore une fois bien différent, Winding Refn tend ici vers la recherche de la forme absolue, et c’est peut-être ici la limite de son film, exercice visuel d’un brio certain mais en partie affaibli par la pauvreté des enjeux dramatiques. On avait, à ses débuts, avec la trilogie Pusher, osé une comparaison entre Winding Refn et le Martin Scorsese de Mean Streets, pour les milieux décrits mais surtout pour l’énergie de la mise en scène et du montage. Quelque part dans la continuité, Winding Refn fait ici son Taxi Driver, avec ce personnage de chauffeur mutique sombrant dans l’ultra-violence parce qu’il peine à communiquer avec une jeune femme ; mais si le film de Scorsese s’ancrait, y compris stylistiquement, dans le New York des années 70, Winding Refn adapte sa mise en scène au cadre de son action, la clinquante Cité des Anges : dans la continuité de Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin ou de certains films de Michael Mann (dont Le Solitaire ou Collateral) - et y compris parfois pour le pire (couleurs flashy ou musique électro eighties) - Drive s’envisage comme une pérégrination urbaine et nocturne, parsemée de saisissantes bouffées de violence. Là encore, Winding Refn se démarque de tout-venant du cinéma d’action américain et rejoint les prestigieux noms sus-cités en refusant d’envisager la représentation de la violence avec une forme de complaisance cynique : ici, des super-héros ne butent pas des super-vilains la clope et le sourire au bec, en balançant des punchlines débiles, mais des actes de véritable sauvagerie, brutaux et imprévisibles, surgissent soudainement et de façon difficilement soutenable. Ils participent, à leur manière, à l’abstraction globale d’un film assez difficile à appréhender, mais qui finit par convaincre par sa cohérence esthétique. Car s’il était lors de l’annonce pour le moins improbable compte tenu du synopsis du film (l’amour de la Croisette pour les grosses cylindrées n’est pas de notoriété publique…), le prix attribué au Festival de Cannes 2011 est finalement d’une évidence redoutable : l’intérêt de Drive se limite en effet, et fondamentalement, à sa mise en scène. De la même manière, donc, qu’en littérature, où le style d’un auteur peut transcender une histoire banale, c’est de la sensibilité de chaque spectateur à la "patte Winding Refn" que dépendra son appréciation de Drive. A titre personnel, et tous bémols mis à part, l’exercice de style nous a semblé absolument brillant. Antoine Royer

1979 : un groupe d’amis bricole un court métrage quand survient, sous leurs yeux, un étrange et spectaculaire accident de train. Très vite, l’armée débarque, boucle le périmètre, et bouscule la vie paisible de leur communauté. Ils ne vont pas tarder à réaliser qu’un événement incroyable vient de se produire sous leurs yeux… et sous l’objectif de leur caméra. Enfant prodige de la télévision américaine passé au cinéma dans le cadre de franchises plus ou moins florissantes (Mission Impossible 3, un reboot de Star Trek…), JJ Abrams n’avait pas encore eu l’occasion de témoigner sur grand écran de sa personnalité propre, celle d’un amoureux du cinéma qui fut adolescent dans les années 80. Super 8 comble à ce point ce manque qu’on a parfois l’impression d’un trop-plein, comme si le cinéaste avait voulu en un film compacter toutes ses obsessions ; à la genèse de Super 8 existaient en effet plusieurs projets distincts que le producteur-réalisateur a fusionné, quitte à créer un objet cinématographique parfois un peu bâtard : d’une part, on est saisi par la grande référentialité d’un film qu’on croirait sorti des années 80 et qui s’applique parfois un peu artificiellement à restituer l’atmosphère des productions qu’Abrams avait tant aimées en tant que jeune spectateur ; et d’autre part, Abrams tient à développer son intrigue sans le moindre cynisme, avec une linéarité et une sincérité parfois désarmantes dans leur premier degré. De fait, Super 8 est donc un film qui voudrait exister pour ce qu’il est, mais tout en étant en permanence tourné vers les modèles qu’il copie. La principale ambition du film, qui en deviendrait parfois sa plus grande faiblesse, serait de fusionner ces deux élans sans jamais en privilégier un seul, au risque de laisser sur la route les jeunes spectateurs d’aujourd’hui (pour qui les studios Amblin ou George Romero ne sont pas des références immédiates) mais aussi de révéler son impuissance à voyager dans le temps : Super 8 n’est ni E.T., ni Rencontres du Troisième Type, ni Stand By Me, ni Les Goonies, ni The Thing - et son principal tort est peut-être d’essayer d’être tout ça à la fois… Évidemment, le film n’est pas dépourvu de qualités ponctuelles et, prises individuellement, certaines scènes démontrent le savoir-faire magistral d’Abrams - mais l’ensemble manque singulièrement d’unité (l’accident de train, par exemple, renvoie à une conception très moderne du découpage de l’action cinématographique, qui s’articule toutefois fort mal avec les séquences l’encadrant), et les différentes lignes narratives semblent au final ne jamais réellement se croiser. La dernière partie du film, qui devrait proposer la résolution des divers enjeux, s’avère ainsi malheureusement beaucoup plus assommante qu’émouvante. C’est finalement quand il se concentre simplement sur le plus touchant de ses sujets (ce groupe d’adolescents d’une cité résidentielle du fin fond de l’Amérique, qui voit l’étrange s’immiscer dans son quotidien) que Super 8 parvient à convaincre, grâce notamment à la belle présence d’Elle Fanning (sœur de Dakota vue récemment dans Somewhere de Sofia Coppola) : de façon assez révélatrice du souci fondamental de Super 8 (pour dire les choses simplement : n’est-ce pas inquiétant que le blockbuster le plus excitant de l’année le soit parce qu’il proposait de revenir à un cinéma d’un autre temps ?), le meilleur moment du film reste probablement son générique de fin, où la magie la plus basique du cinéma-bricolage s’exprime enfin. Antoine Royer

Depuis la mort de son père et la disparition de son oncle alcoolique, Hugo Cabret vit clandestinement dans les rouages de l’horlogerie de la Gare de l’Ouest. Passionné de mécanique, il dérobe des pièces dans une petite boutique de jouets tenue par un vieil homme. Mais un jour, celui-ci le surprend et lui confisque son précieux carnet de notes. Obstiné, le jeune Hugo va tout faire pour récupérer son carnet, sans savoir qu’il se lancera ainsi dans une improbable aventure au cœur du passé et des rêves… Ce n’est pas sans une forme de circonspection, voire d’inquiétude, que nous avions initialement entendu parler d’un projet mettant Martin Scorsese, jadis cinéaste new-yorkais du tumulte et de la violence, aux commandes d’un film de Noël en 3D, adapté d’un ouvrage récent de littérature jeunesse, et se déroulant dans un Paris enneigé de féérie rétro… Ce cher Marty avait-il rejoint les rangs de tous ces anciens iconoclastes, avalés, fondus, reformatés par un système de production aliénant, à l’instar par exemple de son complice d’autrefois, Robert de Niro, réduit depuis des années à (mal) jouer les utilités dans des comédies ou des polars bas-de-gamme ? Assez vite, toutefois, Hugo Cabret dissipe une bonne partie des doutes : l’apparence et la base des enjeux narratifs sont bien ceux, plutôt convenus, du blockbuster hivernal (notamment dans cette vision assez curieuse, probablement héritée en partie de Jean-Pierre Jeunet, d’un Paris d’antan à travers des filtres jaunâtres), mais on est d’emblée séduit par la vivacité jamais ostentatoire des mouvements de caméra et l’utilisation pertinente d’une 3D qui, refusant autant que possible les effets de "jaillissement", s’emploie avant tout à définir l’extraordinaire topographie du cadre de l’action et joue sur la profondeur de champ, en définissant notamment plusieurs niveaux de plan, à la manière par exemple des découpes des théâtres d’ombres chinoises. Surtout, loin de Harry Potter ou des contes initiatiques similaires mettant à l’épreuve de jeunes protagonistes surdoués, Hugo Cabret s’inscrit a priori dans un cadre réaliste, presque "dickensien", et la modestie de ses ressorts scénaristiques (en gros, et de façon métaphorique, "réparer" l’automate) révèle à quel point l’essentiel est ailleurs : la magie, dans Hugo Cabret, n’est jamais ailleurs que dans les rêves des protagonistes et dans la façon dont ceux-ci parviendront à s’épanouir dans une réalité parfois douloureuse. Quelque part, autant pour l’obstination attachante de ses deux jeunes héros que pour l’élégance de sa narration, pour son refus du schématisme dans la caractérisation des personnages (il n’y a aucun "méchant" dans le film, ce qui est assez rare dans un film hollywoodien pour adolescent) ou pour la conscience affirmée de son environnement (culturel chez l’un, naturel chez l’autre), Hugo Cabret nous a parfois fait penser à Hayao Miyazaki, compliment insurmontable dès qu’il s’agit du cinéma jeunesse contemporain. Par ailleurs, à mi-film, et de façon assez inattendue, Hugo Cabret nous offre une forme de cours d’histoire du cinéma, comme pour rappeler à quel point le 7ème art est, de toutes les inventions humaines, celle qui se rapprocherait le plus de l’étoffe des rêves. On sait depuis toujours à quel point Martin Scorsese, historien émérite et contributeur actif à la restauration de films autrefois disparus, est attaché à la mémoire du cinéma, mais jamais jusqu’alors cette obsession n’avait à ce point transparu dans son propre travail : reconstituant les mythiques studios de Georges Méliès à Montreuil, il prend un plaisir communicatif à y re-tourner certains des plans les plus fameux de la carrière du cinéaste, pour en évoquer l’émulation passionnée autant que l’infinie malice de certains de ses légendaires tours de passe-passe. On ne sait dans quelle mesure une telle séquence touchera les spectateurs les plus jeunes, mais la mise en route du projecteur et la redécouverte par Jeanne D’Alcy Méliès des images issues de son flamboyant passé nous aura, à titre personnel, bouleversé comme rarement. Ces derniers mois, Georges Mélies avait fait l’objet d’une admirable exposition à la Cinémathèque de Paris, tandis que l’inestimable Serge Bromberg consacrait un documentaire à la restauration de la version en couleurs du Voyage dans la lune. Pour pédagogiques et passionnantes qu’elles aient pu être, ces deux initiatives manquaient en partie de ce qui fait la plus attachante réussite de Hugo Cabret : la transmission du plaisir originel, fondamental, primitif, de raconter des histoires. En ce sens, avec Hugo Cabret, Martin Scorsese ne se fait pas simplement le biographe fantaisiste de Georges Méliès, mais bien le vecteur contemporain de son imaginaire. Et ce que nous craignions être la manifestation d’une forme de renoncement de sa personnalité s’avère ainsi, au final, l’un des gestes les plus intimes de sa filmographie : pas son meilleur film, certes, et loin de là - mais l’un de ceux qui traduisent le plus profondément l’amour inconditionnel qu’il porte à son art. Antoine Royer

Le Docteur Roberto Ledgard habite une grande propriété près de Tolède, dans laquelle il garde enfermée une mystérieuse jeune femme, Vera, sur la peau de laquelle il se livre à des expériences scientifiques. Qui est-elle ? Pourquoi est-elle là ? Sur quoi le Dr Ledgard travaille-t-il vraiment ? Tant de mystères que Pedro Almodovar prend dans un premier temps soin d’entretenir, en veillant à distiller ses précieuses informations de façon parcimonieuse. Évidemment, les lecteurs du roman Mygale de Thierry Jonquet, dont La Piel que habito est une adaptation, disposeront d’une certaine avance sur les autres quant au dénouement de l’intrigue, savamment tordue, mais pour autant, La Piel que habito est aussi essentiellement un film d’atmosphère, à la lisière du fantastique, dont la richesse visuelle suffirait presque seule à capter l’attention : une nouvelle fois, la façon dont Almodovar filme les femmes, et en particulier la peau parfaite de sa splendide actrice principale (Elena Anaya), a quelque chose d’envoûtant, de fascinant autant que d’inquiétant. Il faut toutefois, dans La Piel que habito, passer outre une première partie assez frustrante durant laquelle le cinéaste brouille les pistes, éparpille les morceaux du puzzle et s’abandonne à quelques fantaisies un peu grotesques (le personnage du Tigre, la partouze adolescente durant la nuit du bal…) pour ensuite, par la grâce d’un subtil et malin mouvement de caméra amorçant le deuxième flashback, entrer dans le vif du sujet : au-delà de l’emboîtement des éléments épars, c’est toute la cohérence formelle comme thématique du projet qui apparaît doucement, pour révéler la force et la richesse d’un film qui, s’il évoque Franju (Les Yeux sans visage) ou Hitchcock (Vertigo), s’avère au final surtout éminemment almodovarien : la maternité ; les rapports de domination ; la transformation du corps ; la transgression des genres ; le poids du passé ; la fusion de l’Eros et du Thanatos ; et cet humour noir grinçant… La Piel que habito brasse un certain nombre de thématiques chères au cinéaste pour transcender le registre horrifique et débouler, non sans énergie, dans le domaine de l’intime et du psychique. Surtout, La Piel que habito dresse une sorte de pont entre l’outrance colorée de ses premières œuvres et la gravité sensible de ses derniers films : les retrouvailles avec Antonio Banderas, avec lequel il n’avait pas travaillé depuis Attache-moi en 1990 (film dans lequel le comédien séquestrait déjà une figure du désir et qui, précédant Talons aiguilles, peut faire office de charnière dans sa carrière), marquent ainsi le retour d’un personnage masculin fort, viril et tourmenté dans son cinéma quand celui-ci avait ces dernières années tendance à être davantage féminin, ponctué de figures masculines plutôt androgynes. Ce faisant, la question centrale des corps, leurs identités respectives et leur confrontation (question qui habitait aussi le travail de Louise Bourgeois, plusieurs fois citée dans le film et remerciée par Almodovar durant le générique de fin), apparait ainsi comme le véritable sujet de ce film récapitulatif (on pense ici à Matador, ici à Kika, là à Parle avec elle…), dont la densité et le potentiel de trouble méritent qu’on s’y attarde... Antoine Royer

En 1942, plusieurs détenus s’échappent d’un goulag sibérien et entament une improbable marche vers la Mongolie, puis vers l’Inde… Adaptation apparemment très libre du roman A marche forcée (The Long Walk) écrit par Slavomir Rawicz à partir non pas de l’expérience personnelle mais de témoignages d’anciens détenus, Les Chemins de la liberté porte l’incertaine mention « adapté d’une histoire vraie », sans que les détails de celle-ci n’aient pu être avérés. On aurait pu alors redouter que Hollywood, s’emparant à sa façon de l’extraordinaire potentiel dramatique d’une telle histoire, ait opté pour un traitement grandiloquent et sur-signifiant, exaltant la bravoure de ces héros jusqu’à un happy-end cathartique recouvert de violons… Il n’en est rien, et cela n’est guère surprenant compte tenu de la présence de l’australien Peter Weir au générique. Ce cinéaste admirable, dont le dernier film sorti dans les salles françaises date déjà en 2003 (l’exceptionnel Master and Commander), nous avait déjà montré à l’occasion sa non-inclinaison pour le spectaculaire abrutissant : ceux qui attendaient un film de pirates viril avec Russel Crowe y avaient en effet découvert un passionnant film d’historien, s’attachant bien plus à la routine quotidienne de la vie en mer ou aux études de zoologie du médecin incarné par Paul Bettany. D’une certaine manière, et dans ses plus beaux moments, Les Chemins de la liberté refuse, à l’identique, les concessions les plus grossières au mélodrame pour afficher une grande pudeur et une incontestable élégance formelle : cinéaste de la nature (depuis ses premiers films australiens jusqu’à Master and Commander, en passant par exemple par Mosquito Coast), Weir n’hésite pas à laisser, lors de plans larges et longs, ses personnages se perdre dans l’immensité des déserts qu’ils traversent. Des neiges sibériennes aux abords du lac Baïkal, puis des étendues désertiques de Mongolie aux sommets tibétains, c’est sa mise en scène qui rythme le film, bien plus que les péripéties mettant à mal les protagonistes. Avec une forme d’humilité autant qu’une parfaite maîtrise de ses outils techniques, Weir livre un film d’une facture apparemment très (trop ?) classique, mais qui, par la force même de son sujet, se concentre sur l’essentiel : des personnages (avec de subtils antagonismes) murés dans une prison à ciel ouvert, contraints de collaborer pour survivre… l’important n’étant pas tant le terme de leur voyage que le trajet qu’ils auront emprunté… A ce sujet, si la toute dernière scène n’est pas forcément la plus réussie du film, elle révèle en particulier que ce chemin du retour évoqué dans le titre original (The Way Back) n’était pas tant vers la liberté que vers le pardon. A défaut d’être le film le plus parfait de Peter Weir, Les Chemins de la liberté vient donc confirmer qu’il existe encore de grands cinéastes capables, sobrement, de réaliser des films de studios… personnels. Antoine Royer

Parmi les très nombreux projets accumulés par Steven Spielberg au fil des ans, l'adaptation cinématographique des aventures du célèbre reporter belge figurait en tête des attentes exprimées par les fidèles du cinéaste et par beaucoup de lecteurs de Tintin. Cette longue maturation s'explique évidemment par la grande difficulté à retranscrire à l'écran à la fois l'univers graphique de la bande dessinée et l'esprit de l'œuvre de Hergé ; au point qu'il a fallu l'avènement d'une nouvelle technologie pour que Spielberg - très peu enclin à réaliser à film en "chair et en os", les expériences passées lui donnant d'ailleurs raison - se lance enfin dans cette aventure. En effet, grâce à la technique de la performance capture, initiée sur grand écran puis savamment utilisée par Robert Zemeckis dans des films comme Le Pôle Express, La Légende de Beowulf ou Le Drôle de Noël de Scrooge, Steven Spielberg fait le pari - insensé pour beaucoup - de trouver des correspondances entre cette technologie impressionnante et la fameuse "ligne claire" de la bande dessinée belge. Un pari insensé pour bon nombre de raisons : le risque de trahison que n'hésiteraient pas à pointer certain thuriféraires de Tintin, le fait que ce personnage européen ne puisse pas être assez fédérateur aux Etats-Unis pour connaître un grand succès et enfin - ce qui nous importe le plus ici - la question de savoir si le style spielbergien n'irait pas se noyer dans l'ivresse technique que peut générer une telle entreprise. Pourtant, s'il est bien un cinéaste capable d'adapter Tintin au cinéma tout en restant fidèle à son art, c'est bien Spielberg. C'est également ce que pensait Hergé après qu'on lui a montré Les Aventuriers de l'Arche perdue, et l'artiste belge donna d'ailleurs l'équivalent d'un blanc-seing au réalisateur lors d'une conversation téléphonique entre les deux hommes qui eut lieu peu avant la mort de l'auteur. Spielberg - dont l'un des films français préférés est L'Homme de Rio, qui entretient justement bon nombre de correspondances avec le héros créé par Hergé - fut amené à s'intéresser à Tintin grâce de l'un de ses collaborateurs qui estima que les premières aventures d'Indiana Jones présentaient quelques ressemblances avec l'univers du reporter. C'est ainsi que près de trente ans après, associé au Peter Jackson du Seigneur des Anneaux et à son studio d'effets spéciaux Weta, Steven Spielberg produit et réalise enfin le film tant attendu. Et le résultat est fidèle aux espérances, Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne se révèle fabuleux et étourdissant à plus d'un titre. D'abord pour une raison qui faisait craindre le pire aux tintinophiles : le film respecte de manière étonnante le matériau de base ; grâce au scénario malin et érudit écrit par les scénaristes britanniques Edgar Wright et Steven Muffat, qui avec quelques libertés bienvenues construisent un récit centré autour du Secret de la Licorne avec des éléments piochés dans Le Trésor de Rackham le Rouge et Le Crabe aux pinces d'or, on retrouve quasi intact l'esprit de l'œuvre originale. Dans le film comme dans la BD, Tintin est un personnage miroir (c'est ainsi que Spielberg nous le fait découvrir à l'écran, après un passage de relais émouvant entre un dessin original présenté par un Hergé animé et le héros), sur lequel viennent se projeter les traits de caractère des autres personnages et leur évolution psychologique ainsi que les pensées et les émotions des lecteurs/spectateurs. La psychologie du reporter - sauf exceptions dans certains albums - a toujours été réduite à portion congrue, le garçon se contentant plutôt de porter un regard distancié mâtiné d'ironie sur les lieux et les êtres qu'il est amené à rencontrer ; Tintin est avant tout le vecteur d'un mouvement perpétuel qu'impulse Hergé et le porteur de nos rêves d'évasion et de notre soif inextinguible d'aventure. Ainsi Spielberg évite heureusement toute psychologisation à outrance - dont les Américains sont connus pour être très friands - et fait logiquement de la geste "tintinienne" à la fois le moteur et le carburant de son récit comme de sa mise en scène. De fait, ce sont les autres personnages qui sont chargés de faire ressortir l'impact émotionnel du film : le capitaine Haddock, transposé presque à la perfection avec son alcoolisme et ses contradictions, est assailli de questions existentielles qui le rendent formidablement attachant ; les Dupont-Dupond sont croqués avec tout le burlesque qui sied à leur maladresse à leur caractère farfelu ; et enfin Milou, s'il perd sa voix, gagne sacrément en charisme et en malice. Ensuite, visuellement, Les Aventures de Tintin s'avère également une réussite par le soin méticuleux apporté au réalisme des décors conjugué à l'aspect volontairement lisse des personnages (qui pourra certes rebuter certains spectateurs) : de cette manière, la "ligne claire" de la bande dessinée se voit habilement transposée sur un autre support artistique. Enfin et surtout, on a le plaisir d'observer un Spielberg totalement épanoui - et même survolté - dans sa réalisation, parvenant à concilier ses figures de style habituelles aux avancées technologiques que permet la performance capture (de véritables acteurs bardés de capteurs informatiques sont filmés sur écran vert afin de créer le substrat des personnages numériques travaillés ensuite en postproduction). Sans jamais sacrifier l'atmosphère mystérieuse, l'humour et la quête d'aventures propres à son histoire (même si, hélas, le spectateur aura toujours un train d'avance sur le plan dramatique), le cinéaste imprime un rythme soutenu à son film, crée d'impressionnants plans-séquence, pousse son jeu habituel avec le hors champ vers ses retranchements, propose des scènes d'anthologie (le flashback mettant en scène le Chevalier de Haddoque, la folle poursuite dans le marché oriental), se joue du montage avec des raccords surprenants, bref s'amuse tel un enfant dans une aire de jeux avec une fluidité incroyable tout en conservant la signature visuelle qui lui est propre (le découpage dans l'espace, l'aspect chorégraphique, les entrées et sorties de champ, le rôle de la lumière, le montage signifiant). Spielberg et ses scénaristes se permettent même, avec gourmandise et drôlerie, de disséminer dans leur film des références à différents albums de Tintin et à l'univers cinématographique du réalisateur ; ainsi la rencontre entre le cinéaste et Hergé aboutit à une œuvre qui n'est surtout pas un compromis bâtard entre deux mondes, mais au contraire à une création singulière qui respire presque à chaque plan les apports conjugués des deux grands artistes de l'émerveillement, de l'enfance et de l'aventure trépidante. Bien sûr, Spielberg, si confiant dans son approche formelle et technique, se laisse parfois déborder par son enthousiasme en tombant quelquefois dans une certaine facilité ; mais il suffit de se souvenir du ratage que constituait Indiana Jones et le royaume du Crâne de cristal pour ne pas bouder son plaisir devant ce spectacle ébouriffant, qui rend par ailleurs compte des formidables perspectives qu'offre la technologie utilisée (on passera sur la 3D, moyennement intéressante ici, contrairement au Hugo Cabret de Martin Scorsese) si elle se trouve entre les mains expertes d'un vrai artiste en pleine possession de son art. Ronny Chester

En Iran, aujourd’hui, un couple se sépare : elle veut quitter le pays avec leur fille, il veut rester pour s’occuper de son vieux père malade. En attendant le divorce, elle part habiter chez sa mère. De son côté, pour s’occuper des tâches quotidiennes, il engage une jeune aide ménagère. Et puis, un jour, le hasard, imprévisible et cruel, va faire basculer leurs vies à tous. Ces derniers temps, les nouvelles du cinéma iranien n’étaient pas fameuses : entre la baisse de la productivité (et de l’inspiration) d’Abbas Kiarostami, la discrétion de la famille Makhmalbaf et la condamnation scandaleuse de Jafar Panahi et de Mohamed Rasoulof à 6 ans de prison pour « propagande contre le régime », il y avait de quoi désespérer. Quand bien même elle ne demeurerait qu’une goutte de consolation dans un océan de déprime, la belle réussite de ce cinquième long-métrage d’Asghar Farhadi, couronné d’un Ours d’Or à Berlin et d’un étonnant succès public à peu près partout dans le monde, a de quoi mettre du baume au cœur, et ce pour diverses raisons. D’une part, il est encore possible aujourd’hui en Iran de réaliser des films forts, qui soient politiques sans tenir du discours partisan, et d’autre part, de parvenir à faire des longs métrages empreints d’universalité et qui n’existent donc pas seulement en révolte au contexte local : si elle nous parle de l’Iran d’aujourd’hui en tant que cadre de son action, l’histoire contée dans Une séparation aurait pu se passer à peu près partout dans le monde sans pour autant perdre de sa puissance. Une séparation est donc avant tout le film d’un auteur, Asghar Farhadi, réalisateur, producteur et scénariste, remarqué il y a quelques années pour A propos d’Elly. Dans la continuité de ce titre, Une séparation interroge la justice des hommes, la question de la vérité individuelle, en refusant toute forme de jugement moral : en décrivant soigneusement les situations, les raisons et les ressentis de chacun de ses protagonistes, le film nous place face à d’irrésolubles contradictions de logiques et de points de vue, sans qu’il nous soit jamais possible d’incliner d’un côté ou de l’autre. Et c’est bien là que se situe la grande force du film, dans la manière dont les relations humaines y sont décrites selon des systèmes complexes, irréductibles à de simples alternatives binaires (le bien ou le mal ? coupable ou innocent ? part-elle ou reste-t-elle ? savait-il ou ne savait-il pas ? son père ou sa mère ?) : à titre d’exemple, la religion, sujet sensible s’il en est en Iran, est montrée dans ses multiples ramifications, dans la manière dont elle comprime les êtres autant qu’elle transcende leur grandeur et leur respect de la vérité. C’est ainsi que Farhadi cherche constamment à impliquer son spectateur, que ce soit par une qualité d’écriture dont on ne peut soupçonner la précision avant d’avoir repensé le film dans sa globalité, mais aussi par une mise en scène extrêmement habile (le premier plan n’est-il pas en vue subjective ?) pour le sortir de sa passivité habituelle et l’interroger sur son propre regard : progressivement, on repense en cours de film à ces dialogues en partie anodins auxquels on aurait dû prêter une plus grande attention, à ces images trop furtives pour être clairement définies et pour alors autoriser la certitude, à ce que l’on a vu mais aussi à ce que l’on ne nous a pas montré… Et on reste au final sans voix face à ce tout dernier plan, qui atteint l’incroyable gageure de maintenir une salle presque entière assise, pour une fois, jusqu’à la fin du générique ! Si Une séparation est donc bien un film éminemment politique, c’est tout bien considéré presque moins dans ce qu’il révèle de la société iranienne (même si l’on est frappé par ces récurrents rituels de voilages féminins, à tous âges) que dans la manière dont il invite globalement à la réflexion, à la reconsidération des choses, et donc à la prise en compte du point de vue opposé. Voilà donc un très grand film, qui met ses admirables qualités cinématographiques (écriture extrêmement dense ; qualité globale d’interprétation exceptionnelle ; mise en scène "d’apparence" documentaire mais en réalité très travaillée ; montage qui ose des jump-cuts très nerveux, des raccords signifiants ou des ellipses insensées…) au service d’un discours salutaire de pondération et de pertinence. Antoine Royer

Trois destins entremêlés, trois personnages esseulés par une expérience traumatisante de contact rapproché avec l’Au-delà : Marie, une journaliste française de renom, emportée par la vague d’un tsunami et qui aura, l’espace d’un instant, oscillé à la frontière de la vie et de la mort ; Marcus, jeune enfant londonien, qui aura vécu la disparition brutale de son frère jumeau ; et George, à San Francisco, doté de pouvoirs médiumniques qu’il vit comme une malédiction. Avec toute la déférence que l’on doit à Clint Eastwood, qui s’impose d’autant plus depuis que le cinéaste a en partie délaissé les personnages marginaux pour aborder les "grands sujets" de société (l’euthanasie, l’Apartheid, la vie après la mort…), on ne comprend vraiment pas bien comment il a pu accepter de porter à l’écran ce scénario assez inepte de Peter Morgan, dont la structure chorale tarabiscotée provoque quelques moments un peu grotesques (la partie finale, à Londres !) et dont, surtout, on ne voit absolument pas où il veut en venir. On ne prétend pas que les questions soulevées par cet Au-delà soient toutes inintéressantes, loin de là, mais le décorum ésotérico-candide dans lequel il baigne laisse, au mieux, dubitatif (quand il n’embarrasse pas)… Le film repose donc sur le concept d’un Au-delà perceptible uniquement par quelques initiés, qui se retrouvent isolés du commun des ignorants par un savoir qu’ils n’auraient pas dû acquérir : passée la perplexité initiale, l’idée pouvait présenter un certain potentiel, à condition de ne pas limiter sa mise en œuvre à l’affliction des trois personnages… Écueil mélodramatique sur lequel s’empale un Peter Morgan en configuration Marc Levy… Avec un handicap aussi massif que ce script lourdaud et stérile, il est dès lors presque miraculeux que Clint Eastwood réussisse un film aussi peu antipathique, mais sa mise en scène s’ancre solidement sur ce qui fait cruellement défaut à cette structure narrative : la sobriété et l’efficacité. Deux qualités qui saisissent dès l’impressionnante ouverture du film, et qui se trouvent régulièrement confirmées au détour de quelques séquences touchantes parce que modestes : on pense en particulier aux deux-trois scènes réunissant Matt Damon (très bien) et Bryce Dallas Howard (admirable), parmi les plus belles du film - la partie française, réunissant Cécile de France et Thierry Neuvic, nous inspirera beaucoup moins d’éloges, tant elle manque souvent de justesse. L’impression globale demeure donc très mitigée, et si le film n’inquiète pas sur les qualités de Clint Eastwood en tant que cinéaste, on espère qu’il saura à l’avenir faire preuve d’un peu plus de discernement dans le choix de ses sujets... Antoine Royer

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Par Ronny Chester - le 19 janvier 2012