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Livres

Stanley kubrick
Un livre de John Baxter

Date de sortie : 1 septembre 1999
Editions Seuil (Paris)
1997 (2° édition 1999)
Broché: 403 pages

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Analyse et Critique

"Si vous aviez raison, Stanley était prêt à l'admettre. Mais si vous aviez tort, il aurait dépensé un million de dollars pour vous le prouver."

Ecrire la biographie de Kubrick relève véritablement du défi tant on sait que l'homme était très secret et ce, autant autour de sa personnalité que de ses films. Néanmoins comme le dit lui-même l'auteur, "tout le monde a une petite histoire au sujet de Kubrick". Ainsi, pendant plusieurs mois, John Baxter a multiplié entretiens, recherches et coups de fil en tout genre afin de disposer des informations suffisantes pour un travail sérieux. Le résultat est ce Stanley Kubrick, ouvrage assez imposant et qui prend en compte presque l’entièreté de la carrière du cinéaste (le livre est sorti en 97, alors que Eyes Wide Shut était en tournage; cependant, Baxter a fait quelques rajouts suite au décès de Kubrick en 99).

Qui était réellement Stanley Kubrick ? Cette question est au coeur de tout l'ouvrage. A travers les nombreux témoignages récoltés auprès des collaborateurs du réalisateur, l'auteur cherche à cibler son mode de travail et essaie de décrypter son génie. En évitant soigneusement les pièges habituels (l'image d'un tyran misanthrope à la précision maladive), sans les exclure, Baxter trace, au fil des ans, le portrait de cet artiste, qui restera tout de même énigmatique jusqu'au bout.

Sa méthode est classique mais efficace : un film par chapitre. A chaque fois, l'auteur s'attarde sur la genèse de l'oeuvre, généralement l'aspect le plus long et le plus laborieux mais aussi le plus passionnant, sur le tournage toujours mouvementé et enfin sur l’accueil du public, très variable. Ainsi, de pages en pages, la personnalité de Kubrick s'affirme : un homme autoritaire, certes, mais la plupart du temps juste. Il était conscient que l'unique bonne manière de faire les choses était la sienne et il était prêt à se battre pour l’imposer.

L'une des raisons de cette assurance est le temps considérable que prenait le cinéaste à chaque étape de la conception du film. Il y avait d'abord une réelle maturation du projet dans son esprit qui pouvait prendre des décennies (raison pour laquelle il gardera un souvenir très désagréable du tournage de Spartacus pour lequel il fut appelé en dernière minute par Kirk Douglas en remplacement de Anthony Mann). Si Kubrick prenait une décision c'est qu'il avait fait le tour de la question et qu'il s'estimait prêt à répondre (ici, sa passion pour les échecs prend tout son sens). Cette approche presque inédite montre bien que ses directives, parfois troublantes, n'étaient pas insensées et que chez lui, rien n'est du fait du hasard. Le livre regorge d'anecdotes relatant ce trait de caractère, tournant parfois à une obsession, peu compréhensible par son entourage. On prend donc un certain plaisir à suivre les tribulations des scénarios années après années : Kubrick s’y intéresse d’abord, puis s’engage dans un autre projet, y revient ensuite, etc. Cette valse presque inévitable est à l’origine de tous ses films et lui valurent de nombreux ennemis. Et on ne parlera pas des tournages, véritables marathons, où Kubrick ne s’estimait satisfait qu’à la quatre-vingtième prise et qui mettaient les nerfs de l’équipe à rude épreuve.

Ce que voulait Kubrick en réalité, c’est que chaque personne s’impliqua corps et âme dans le film avec la même passion méthodique. Ne rencontrant que rarement un tel enthousiasme, il décida très tôt de tout prendre en charge lui-même. Ainsi, le moindre détail, même le plus insignifiant devait être réglé et tant pis si cela ralentissait la production. Baxter, sans tout à fait adhérer à cette approche, la respecte et démontre à plusieurs reprises son efficacité sans conteste.

S'agissant d'une biographie, l'analyse des thèmes kubrickiens est malheureusement peu poussée mais cependant présente. La plupart du temps, elle n'est qu'un hiatus instructif d'une ou deux pages donnant quelques clés de compréhension. Ce n'est évidemment pas suffisant mais l'intérêt est ailleurs on le sait. Dès lors, on déconseillera l'ouvrage à ceux qui ne connaissent rien au cinéma de Kubrick. Ici, le public visé est le spectateur qui a déjà vu ses films ou la plupart et qui est curieux de connaître leur élaboration.

Le style de Baxter est agréable et très lisible même si on a parfois l'impression de lire un inventaire de faits. C'est d'ailleurs le principale réserve qu'on pourrait émettre : la structure chapitre/film devient trop systématique et lassante à la longue. Difficile donc de faire de l'ouvrage un livre de chevet; il s'agira plutôt d'une source d'informations appréciable et facile d'accès qu'on consultera à l'occasion (dans cette optique, l'index permet une recherche simplifiée). Cela reste plutôt gênant pour un portrait tout de même.

En revanche, l'un des atouts majeurs de l'oeuvre est qu'elle ne se borne pas à expliciter uniquement le point de vue de Kubrick mais prend parfois un recul appréciable qui permet de situer le film dans le paysage cinématographique de son époque (surtout pour les débuts, les années 50 furent en effet très mouvementées à Hollywood). Cette distanciation permet une meilleure compréhension de l'esprit visionnaire du cinéaste - il avait parfois des années d'avance en matière de technique (ses années d'apprentissage par la photographie ont grandement contribuées à en faire ce maître visuel) ou de promotion (la campagne publicitaire autour de Orange Mécanique) - ainsi que sa capacité à répondre aux questions de son temps, et même à celles des temps à venir. C’était peut-être là sa qualité la plus remarquable, point sur lequel Baxter insiste beaucoup, notamment dans sa conclusion inspirée.

Volume riche et sérieux, illutré par une trentaine de photos, Stanley Kubrick est une source non négligeable pour le passionné et la preuve, par l’intermédiaire d’un artiste de génie, que l’art est avant tout une question de volonté.

Par Jack Torrance - le 1 janvier 2003