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Livres

ROAD MOVIE, USA

Jean-Baptiste THORET et Bertrand BENOLIEL

Relié / 240 pages
Editeur : Hoëbeke
Date de sortie : 13 octobre 2011
Prix Indicatif : 45 euros

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Analyse et Critique

America, America
« Le road movie est une route objective, faite de rencontres et de kilomètres, de macadam et de lignes jaunes, et une route intérieure qui n’émerge qu’au terme de la première et, ce faisant, la légitime. De l’une à l’autre, se joue un roman d’apprentissage, un devenir adulte, où le road runner devient ce qu’il est. »

Bernard Benoliel et Jean-Baptiste Thoret partent du « Principe d’Oz » (titre du premier chapitre du livre) pour tracer les grandes lignes d'un genre, le road movie, qui ne porte pas encore son nom au moment où Dorothy quitte sa fermette pour un ailleurs utopique. Pourquoi Le Magicien d'Oz et non - comme on pouvait s'y attendre - Easy Rider comme film emblème ? Simplement parce qu'au-delà du fait que le classique de Victor Fleming est profondément ancré dans la culture et l'imaginaire américains, il contient en son sein la sève même du genre. Dorothy part à la recherche du pays des merveilles mais ce qu'elle découvre à l'issue de son voyage se révèle déceptif. Si la quête est une impasse, Dorothy devait pourtant la faire pour comprendre que cet ailleurs utopique auquel elle aspirait de tous ses vœux était là, sous ses pieds, petit bout de terre aride qui se transforme en home sweet home à l'issue de cette aventure sans lendemain.

Le Magicien d’Oz contient en son sein les deux dynamiques du road movie, et plus largement de la grande fiction américaine : la ligne droite - l’envie de partir, de tailler la route - et la spirale, le retour au point de départ. Le roadrunner est poussé à prendre la route  pour combler un manque, pour échapper à une frustration et ce qu'il découvre in fine c'est qu'il n'existe pas un ailleurs où ses plaies seraient miraculeusement guéries. Il revient au point de départ géographique mais il a avancé dans son rapport à la société, au monde, à l'existence. Le road movie est donc d’abord un itinéraire mental, la recherche d’un « espace utopique situé au fond de soi. »

Le road movie n'est pas à proprement parlé un genre, mais un fil qui traverse le cinéma américain classique comme moderne, et qui relie des œuvres stylistiquement et thématiquement très différentes. En se déployant autour du motif de la route, c'est à un véritable voyage au cœur du cinéma américain auquel nous invite le livre de Benoliel et Thoret. On y explore non seulement le western et le regard rétrospectif que porte Easy Rider et sa descendance sur ce genre fondateur, mais aussi des films aussi variés que L'Emigrant de Charles Chaplin, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ou encore Bip-Bip et le Coyote...  On trouve donc dans ce livre-somme aussi bien des analyses des films matrices que de leur descendance, des œuvres qui s'inscrivent totalement dans le genre comme d'autres qui prennent des chemins de traverse. La route en elle-même n'est pas en effet pour les auteurs une condition sine qua non - c'est le trajet qui compte -, ce qui leur permet d'intégrer dans la notion de road movie des films comme 2001 : l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, Tron de Steven Lisberger, The Swimmer de Frank Perry ou encore Matrix des frères Wachowski. Un trajet qui peut être interrompu, violemment même comme dans le survival, versant dépressif du genre.

Cette richesse du corpus de films étudié permet aux deux auteurs de raconter quelque chose  de l'Amérique. Ils inscrivent constamment ce grand mouvement de la fiction cinématographique dans l’histoire, dans la philosophie du pays. Dès les origines, il y a cette idée de s'enfoncer dans le wilderness, que ce soit pour partir à la recherche d'une forme de pureté originelle ou pour apporter la civilisation. Le road movie est donc un genre typiquement américain, il n’a même de sens pourrait-on dire que dans ce cadre historique, philosophique précis, dans cet espace géographique.

Pour aller vite, dans le road movie primitif (le western) on prend la route pour conquérir le territoire, pour évangéliser, pour civiliser. Si l'on part, c'est dans un but concret : fonder un foyer, bâtir une ville, transporter du bétail, apporter la loi, fédérer... une vision qui change radicalement entre 1969 et 1974 où la route devient une quête de liberté. Seulement, l'absence de sens pèse sur la façon dont le Nouvel Hollywood met en scène la route, et c'est le vide existentiel qui s'empare d'un genre qui devient dès lors métaphysique. On bascule dans la quête de soi et non plus dans la quête d'une nation, d'un peuple, même si la question primitive (la communauté américaine existe-t-elle ?) demeure toujours en arrière-plan.

Thoret et Benoliel analysent très précisément ces années 70 et montrent comment ces films se situent historiquement dans les années 30, passant par dessus la génération des parents pour se référer aux grands-parents, à quelque chose de plus authentiquement américain. Des années 30 marquées par la crise, décennie douloureuse qui ramène le peuple américain (ou du moins sa représentation cinématographique) à des valeurs morales, éthiques que l'on retrouve dans  ce film emblématique qu'est Les Raisins de la colère (l'un des rares films de Ford étudiés, ce qui n'empêche pas le cinéaste d'être présent à chaque page du livre. Les cinéastes des 70's se raccrochent à cette image romantique et bien qu'ils incarnent le versant désenchanté du road movie traditionnel, il y a au fond d'eux cette croyance en un horizon, un ailleurs possible.

Les auteurs rebondissent d'admirable manière en montrant comment Hitchcock avec La Mort aux trousses démontre avant même l'avènement du Nouvel Hollywood qu'un tel horizon n'existe plus, que suivre la route c'est désormais suivre un programme. Hitchcock - dont la lucidité frappe une fois de plus - évoque la commercialisation du territoire, la maîtrise par l'autre de son voyage (c'est l'époque de l'explosion des voyages organisés) et annonce par là-même  la situation catastrophe des années 70 où prédomine l'idée que la liberté individuelle est un leurre et que tout est conditionné, manipulé par une entité supérieure. Hitchcock pose ainsi très tôt les bases du road movie moderne, l'inanité du genre et la notion de réseau à partir de laquelle va se développer le road movie 2.0. Entre temps, après la mutation métaphysique du genre durant ce qui peut être considéré comme son âge d'or (le terme est d'ailleurs utilisé pour la première fois à l'occasion de la sortie de Five Easy Pieces de Bob Rafelson), c'est la déliquescence réactionnaire des années 80. On ne prend plus alors la route pour se trouver mais simplement pour valider l'idée que l'unité américaine existe belle et bien. Une négation totale du road movie en somme que l'on retrouve dans des films récents comme Little Miss Sunshine.

Aujourd'hui, ce n'est pas dans ce genre de film estampillé indépendant, et qui ne fait que rejouer des partitions bien connues, que l'on retrouve l'essence du genre. Le road movie 2.0 se love dans les réseaux, nouveaux territoires où le genre a la capacité de se réinventer. Ce n'est évidemment pas en mettant jetant une famille dans un car Volkswagen couvert de peintures Flower Power que l'on fait vivre le genre. C'est en montrant que dans un monde où tout est balisé, écrit, interconnecté, il existe des embranchements qui permettent encore d'échapper aux mailles du réseau. Néo / George Kaplan, même combat ?

Thoret et Benoliel ne cessent ainsi d'aller et venir dans le temps, faisant fi de la tyrannie de la chronologie pour se livrer à une exploration via des fils, des échos, des thèmes. Vision explosée mais rendue constamment cohérente par la précision de leur travail et la pertinence de leurs analyses. Magnifiquement illustré, Road Movie, USA a tout du classique instantané du livre de cinéma., aussi indispensable aux cinéphiles qu'à tous ceux qui souhaitent comprendre un peu mieux ce qu'est l'Amérique.

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Par Olivier Bitoun - le 14 décembre 2011