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Interviews

DVDClassik continue d'explorer les coulisses des restaurations de films et de l'édition vidéo. Après un laboratoire et un studio français, nous sommes allés à la rencontre de SNC, société fondée en 1934 et rachetée il y a une douzaine d'années par le Groupe M6. La SNC possède un catalogue majoritairement composé de films français et de coproductions italiennes ou allemandes. Une partie alimente les sorties "classiques" de M6 Vidéo, le label maison, au gré de différentes collections dont la dernière née se nomme "Projection privée". Nous avons longuement rencontré Ellen Schafer qui nous explique, entre autres, les contraintes matérielles et juridiques nécessaires à l'exploitation de ses films.

DVDClassik: Votre programme de restauration est, en partie, motivé par des questions de conservation du matériel. Quels titres avez-vous restaurés pour que le support ne pourrisse pas ?

SNC : Nous avons effectué beaucoup de restaurations sonores sur les versions étrangères de nos coproductions, par exemple une version allemande suite à une vente en Allemagne ou pour Arte. Beaucoup d’éléments sonores sont en danger, attaqués par le syndrome du vinaigre. Mais la question se pose si nous n'avons pas la possibilité d’amortir les coûts de sauvegarde ou de restauration sur un titre parce que nous n'avons pas de vente : est-ce qu'on laisse tomber l'élément ou est-ce qu'on se dit que c'est intéressant de préserver la version allemande ? Nous avons aussi quelques films que nous aimons bien et dont nous aimerions nous occuper, je pense à Histoire de rire de Marcel Lherbier que nous n'avons pas encore eu l'occasion de restaurer. Nous avons quand même dépensé de l'argent pour stabiliser certains éléments nitrate.

DVDClassik : Dans ces cas-là, est-ce le laboratoire qui vous prévient ?

SNC : Quand il s’agit de films nitrate, stockés aux Archives Françaises du Film, c'est cette institution qui nous prévient. Nous faisons aussi un inventaire de nos éléments. Il y a un vrai problème avec certaines bobines du négatif du Gendarme de Saint-Tropez, même si nous avons beaucoup d'autres éléments intermédiaires en bon état. Nous avons fait une demande d'aide pour ce film, que nous n'avons pas eue - avait-il été considéré comme trop rentable pour faire l'objet d'une aide ? Mais nous allons certainement intervenir parce que c'est nécessaire, d'une part, et d'autre part, parce qu'il s'agit de l'un de nos films phares. Il y a l'acte de conservation et de préservation, et ensuite les travaux nécessaires à l'exploitation. Quand une chaîne demande un master HD, nous n'allons pas forcément faire un nouveau master si les travaux ne sont pas amortissables. Il faut trouver un équilibre financier ; et si le négatif n'est pas fragilisé, si les éléments sont stabilisés et les masters que nous avons peuvent toujours servir à l'exploitation, nous préférons nous concentrer sur les films n’ayant fait l’objet d'aucune restauration. Mais il y a une vraie procédure de sélection car tout est vérifié : avec le photochimique, c'est la course contre la montre. Les actes de conservation ou de restauration ne sont jamais terminés. SNC dépense une certaine somme pour créer un master, mais dix ans plus tard il faut recommencer car les normes de diffusion télévisuelles ont changé. Ce qu'on a inventorié il y a quinze ans ne sert plus tellement aujourd'hui, également parce que deux laboratoires ont fait faillite entre-temps. Le matériel change d'emplacement et peut être endommagé. Et même si on ne touche pas à l'élément, la photochimie est volatile et l'humidité, les champignons, peuvent attaquer la pellicule. Nous sommes constamment en train d'inventorier, vérifier, valider...

DVDClassik : Est-ce que vous y allez souvent ?

SNC : Non, pas personnellement. Il y a une équipe technique dédiée à cela aux Archives Françaises du Film pour les films nitrate, et des équipes aux laboratoires dédiées aux questions d’inventaire : on fait un va-et-vient entre nos services techniques et les gens sur place. Les laboratoires sont aussi stockeurs, ils conservent énormément de matériel et il y a des millions de boîtes à surveiller. On ne peut pas toujours regarder chaque boîte mais on se doit de faire des inventaires régulièrement. On isole les éléments "borderline" qui sont dans un état limite pour qu'ils ne contaminent pas les boîtes voisines, c'est comme en quarantaine. Avec les années, les procédures s'affinent et s'améliorent. Mais c'est aussi une question de budget parce que cet espace de quarantaine se paye.

DVDClassik : Quels sont les autres films que vous êtes en train de sauvegarder ?

SNC : Nous venons de terminer Rue des cascades de Maurice Delbez et Vivre ensemble d'Anna Karina. Nous sommes en train de finaliser les éléments de sauvegarde pour ces deux films. Pour chaque opération de numérisation, nous incluons les actes de conservation, de nettoyage. Il y aura la stabilisation de certains éléments du film. Le Gendarme de Saint Tropez, également. Tous nos inventaires soulèvent des problématiques différentes. Et certains de nos films ne sont même pas dans des laboratoires français, cela pose d'autres problèmes de gestion et de surveillance.

DVDClassik : Parlez-nous de vos coproductions italiennes, une partie importante de votre catalogue...

SNC : Dans les années 50, après la Seconde Guerre mondiale, le Plan Marshall a libéré des fonds pour encourager le travail (et dans le cas du secteur cinématographique, cela voulait dire la coproduction) avec les anciens ennemis. SNC a été l'une des premières sociétés à en profiter en faisant des coproductions avec l'Italie et l'Allemagne et en sortant des films autrichiens dans les salles françaises, comme par exemple les Sissi avec Romy Schneider. C'est l'argent généré par la distribution de Sissi qui a permis le financement de la Nouvelle Vague. Cette idée de coproduire existe depuis les années 50 chez nous. Un "film en coproduction" chez SNC, cela veut dire que SNC est producteur minoritaire et que le producteur majoritaire est italien ou allemand (dans le cas des Winnetou) et possède les négatifs. Nous avons un accès, une copropriété à des négatifs et à des éléments qui ne sont pas forcément en France. Par la suite, SNC a également acheté des catalogues italiens et, dans certains cas, venant aux droits du producteur italien d’origine, nous sommes propriétaires majoritaires des négatifs. Nous avons, par exemple, acheté le catalogue Euro : nous sommes propriétaires pour le monde entier sauf pour la télévision et la vidéo, en Italie. Comme il y a des milliers et des milliers de boîtes en Italie, nous nous sommes dit que c'était plus logique de garder ces éléments dans les laboratoires italiens. Mais je ne sais pas si ce fut un bon choix : cela aurait nécessité une grande dépense au départ mais ce serait sans doute beaucoup plus simple aujourd'hui. L'Italie, c'est compliqué. Il y a souvent des faillites et des problèmes avec des coproducteurs...

DVDClassik : Cela veut dire que vous payez ces loyers, ces conditions de stockage, en France mais aussi en Italie.

SNC : Oui. Les italiens ont eu l'idée de facturer le stockage bien avant les laboratoires français. Technicolor Rome, qui est maintenant fermé, nous facturait le stockage du matériel bien avant qu'Eclair et les autres laboratoires en France ne le fassent.

DVDClassik : Attendez-vous que ces producteurs italiens prennent l'initiative de restaurer leurs films ou pouvez-vous lancer un projet de votre côté ?

SNC : Sur nos catalogues italiens, il y a deux cas de figure. Nous sommes coproducteurs majoritaires, et dans ce cas c'est nous qui décidons. Ou nous sommes en co-production minoritaire avec des producteurs qui possèdent plus de territoires que nous, et nous essayons de procéder de façon collégiale pour partager à parts égales les frais de restauration. Les détenteurs du catalogue que nous appelons Balini ont un laboratoire qui peut s'occuper de toute la partie photochimique. D'un commun accord, nous regardons ensuite avec différents laboratoires pour la numérisation.

DVDClassik : Comment les italiens gèrent-ils leurs catalogues ?

SNC : Les Italiens n'ont pas de fonds public pour les aider, comme c'est le cas en France avec le CNC. Ils feront des travaux s'ils ont une vente (en général pour la télévision). Leur master pourra alors être décliné pour la vidéo et la VOD.

DVDClassik : Une partie des droits sur vos films italiens sont clarifiés, vous être propriétaire majoritaire. Comment cela se passe-t-il quand ce n'est pas totalement transparent ?

SNC: Les coproductions italiennes sont toujours complexes. Par exemple, sur cinq coproducteurs, on peut en connaître seulement deux sans savoir où se trouvent les trois autres. Nous pouvons faire des recherches, tout dépend si nous avons envie de faire quelque chose avec le film. L'énergie déployée pour certains films dépasse largement la rentabilité potentielle. Le Conformiste est un bon exemple. Tout le monde le voulait depuis des années mais personne n'était capable de résoudre les problèmes liés aux différentes chaînes de droits, qui sont souvent contradictoires. C'est difficile de toujours savoir qui a fait quoi sur un film des années 60 ou 70. Il y a parfois de faux documents qui circulent, on invente des choses. Un ayant droit peut, un jour, se présenter après des années de silence, avec une chaîne de droits parfaitement juste. Ou on peut tomber sur des faux et usages de faux.

DVDClassik : Avez-vous rencontré ce genre de problèmes, après avoir sorti un DVD par exemple ?

SNC : Oui, de temps en temps.

DVDClassik : Quand vous avez des recherches à faire, engagez-vous un cabinet spécialisé ou faites-vous les recherches par vous-même ?

SNC : Nous avons des réseaux de personnes qui nous aident. Parfois, les réponses sont à chercher dans les contrats. Il faut les traduire pour comprendre qu'il y avait un début de coproduction. Par exemple, la nationalité franco-italienne allait être donnée par les autorités de tutelle si telle ou telle chose était respectée (exemple : s'il n'y avait pas d'acteurs français et aucune scène tournée en France, peut-être que la coproduction française est tombée à l'eau malgré les intentions affichées par les coproducteurs à l’origine). Il faut donc retrouver autant d'informations que possible grâce aux dictionnaires de cinéma, aux génériques de film, aux registres du CNC, aux déclarations des auteurs à la SACD, aux registres de la SIEA à Rome : c'est un vrai travail de détective. Cela arrive même pour des films français. Je prends le cas de certains films que la SNC avait acquis via la société Celia, la société d'André Paulvé. Parmi les titres achetés, certains films produits par Georges Legrand s'y trouvaient. Pour certains films, la chaîne de droits était très claire, mais pas pour tous. J'ai dû aller demander un accès au dépôt du Tribunal de Commerce de Paris des dossiers de faillites des années 40, auprès des archives de la Ville de Paris (car chaque dépôt de bilan fait l'objet d'un dossier). Avec un peu de temps et beaucoup de dérogations, après quatre ou six mois, j'ai retrouvé le dossier et pu constater qu'après le dépôt de bilan, la société Georges Legrand était domiciliée chez André Paulvé qui s'était porté garant pour les films produits par son ami. Il y avait une "garantie de bonne fin" (dans les années 40 !), et c’est en exerçant ses droits de garant de bonne fin qu’André Paulvé a pu récupérer les films en cas de faillite. Il y avait donc une explication logique et juridique, mais cela n'était pas inscrit aux Registres du Cinéma et de l'Audiovisuel (RCA). Il m'a fallu démontrer pièce par pièce, avec des recherches, que les droits étaient bien chez nous. Tout était très carré mais, seulement, établi hors du circuit habituel.

DVDClassik : Je reviens sur Le Conformiste. Comment les problèmes ont-ils été résolus ? Le film est passé sur Arte il y a quelques années, est sorti en Blu-ray un peu avant, à l'étranger...

SNC : Je ne connais pas les détails. Si c'est un film détenu à 100 % par une société italienne, on trouve toujours une solution. Si c'est une coproduction avec les Etats-Unis, même si ce n'est pas si compliqué à résoudre, il y a toujours ce mur des grandes sociétés américaines dont les services juridiques n'ont pas du tout envie de perdre du temps et de l'énergie pour un film des années 70. Si un réalisateur est encore en vie ou si certains personnalités essayent de faire quelque chose, cela peut débloquer certains cas.

Après, il y a aussi la notion que l'on peut voir un film au cinéma et à la télévision, mais pas en vidéo car, à la base, les droits disponibles sont liés aux contrats passés par les producteurs avec les auteurs. En 1942, par exemple, les contrats d'auteur de Jacques Prévert et Pierre Laroche pour Les Visiteurs du soir prévoient la télévision, qui n'est alors pas du tout présente dans la moindre maison en France. Mais la technologie existe depuis les années 30, et le producteur et les auteurs ont eu l'idée que cela pouvait exister et l'ont mis dans le contrat. Aujourd'hui, je n'ai pas besoin de renégocier le contrat avec les auteurs puisque ce détail est clairement stipulé. C'est la même chose avec la vidéo, connue comme technologie depuis l'alunissage, si vous voulez. C'est plus rare mais certains contrats d'auteur des années 60 en parlent. Parfois c’est le contraire, et nous avons des contrats des années 80 visant l'exploitation du film en salle ou à la télévision mais qui ne mentionnent pas expressément la vidéo. Dans le cas où on n'a pas spécifiquement précisé que les droits vidéographiques étaient cédés, il faut les négocier. Parfois les auteurs, les ayant droits, les familles, les successions font des blocages, en général financiers parce qu'ils veulent un "minimum garanti" ou un pourcentage précis. Il y a souvent des négociations longues et compliquées durant des mois, voire même des années. Cela veut dire que, pendant tout ce temps, le film ne peut pas sortir.

DVDClassik : Lorsque vous êtes propriétaire d'un catalogue, avec du matériel, cela ne suffit pas et il faut encore convaincre les ayants droits, recalculer les pourcentages...

SNC : Il y a les droits corporels et incorporels, le matériel et la propriété intellectuelle. On peut très bien posséder les négatifs d'un film sans avoir les contrats d'auteur qui nous permettent de l'exploiter, ou inversement : on peut posséder les droits d'auteur sans avoir le matériel en état pour l'exploiter. Souvent, si un film est très intéressant mais invisible, c'est parce qu'il y a un blocage sur l'un de ces deux niveaux.

DVDClassik : Vous possédez les droits de 6 femmes pour l'assassin de Mario Bava. Qui bloque ?

SNC : Pour ce film précis, c'est plutôt que nous ne sommes pas sûrs de la chaîne des droits. Nous pensons posséder le film mais, n'ayant pas la "preuve totale", nous ne préférons pas nous lancer dans une restauration au cas où une autre personne posséderait les droits en France.

DVDClassik : Et du point de vue italien ?

SNC : Ils doivent, comme nous, gérer des problèmes de matériel et de droits d'auteur, avec en plus très peu d'aides publiques. Et leur marché n'est pas aussi développé qu'en France : il n'y a pas, ou très peu, de ressorties en salle et le cinéma américain y a une place prépondérante. En fait, ils sont un peu désemparés. Beaucoup d'Italiens aimeraient faire des choses mais n'en ont pas les moyens. Toutefois, il y a des gens comme l'équipe du festival Il Cinema Ritrovato à Bologne qui fait un travail formidable, ou comme la société Minerva et son label Raro Vidéo.

DVDClassik : Vous possédez aussi un film de Dario Argento, Cinq jours à Milan.

SNC : C'est le genre de film dont nous sommes en train d'explorer la chaîne des droits. Il y a aussi le cas du Navire des filles perdues, un film de Raffaello Matarazzo pour lequel il n'y a pas forcément de blocage juridique. Il y a apparemment deux montages, une version italienne et une version française, plus sexy, celle que les fans attendent. Nous savons très bien où se trouve le négatif, nous avons fait toutes les recherches, mais la pellicule est chimiquement instable et le négatif a "viré", ce qui est plutôt rare. Nous n'avons même pas de copie de référence utilisable. Nous avons fait un télécinéma à partir du seul élément qui n'a pas "viré" entièrement mais il ne s'agit malheureusement pas de la bonne version pour le marché français. Et ce n'est pas en très bon état, le résultat sera moins bon que pour nos autres restaurations. Ce n'est pas une question d'étalonnage : il n'y a plus de couleurs, comme si c'était en sépia et blanc. Des solutions techniques sont possibles mais cela implique un budget tellement énorme que nous n'avons pas encore trouvé l'équation financière pour faire les travaux de (re)colorisation nécessaires.

DVDClassik : Avez-vous cherché les éléments en Italie et en France ?

SNC : Nous avons cherché dans un périmètre encore plus large, via la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF). Pour faire les choses sérieusement, on fait un appel trilingue en français, en anglais et en espagnol à tout ce réseau. C'est ce que nous avions fait pour La Belle et la Bête. Nous possédions les copies-témoin de la restauration Alekan de 1995 mais, pour voir comment le film était étalonné à l'époque de Cocteau, nous avons lancé un appel et avons pu récupérer des copies positives nitrate de la Cinémathèque de Berlin. Le réseau FIAF est vraiment très large, nous avons parfois des réponses du Mexique, du Québec, etc...

DVDClassik : Vous dites qu'Henri Alekan a ressorti La Belle et la Bête en 1995 ?

SNC : Pour fêter le centenaire du cinéma, il y a eu une restauration photochimique supervisée par Henri Alekan. Ce qui est intéressant avec le numérique, aujourd'hui, c'est que nous pouvons utiliser une multitude d'éléments de sources différentes et équilibrer le tout. En photochimie c'est plus compliqué puisqu'il faut que les éléments soient dans la même polarité et il faut faire des tirages intermédiaires pour pouvoir travailler sur des éléments entièrement positifs ou négatifs, sinon cela donne des qualités d’images très variables et des textures très différentes. Au cours d'une restauration numérique, nous sommes toujours confrontés à des choix, il y a tellement de possibilités : on pourra parfois gagner en netteté mais perdre en contraste, par exemple. Ce qui est le plus difficile, c'est quand on travaille avec beaucoup d'éléments. Avec un film des années 40, la résolution 4K ne pardonne rien. A l’époque du tournage, tout était pensé pour le cache dans le projecteur, le placement des micros, chaque chose était millimétrée pour la finalité de plusieurs étapes intermédiaires (négatives et positives) avant d’obtenir la copie positive destinée à la projection publique. Avec nos numérisations 4K, on a plus d'informations dans l'image et c'est intéressant pour la restauration, mais on la fausse quelque part parce que c'est trop net. Il faudrait également pouvoir expérimenter, faire des tests ; c'est toujours payant mais quand on travaille sur un "petit" film, avec moins de budget, on ne peut pas forcément se permettre d'explorer toutes les possibilités techniques pour redonner au film l'aspect d'origine.

DVDClassik : Vous avez conservé les coins arrondis sur certains films classiques français, notamment La Belle et la Bête... Est-ce vous qui avez fait ce choix ? C'est un cas que l'on voit rarement.

SNC : Logiquement, à partir des année 1930, aucun film n'était montré en projection sans cache, qui était conçu entre autre pour masquer la piste sonore se trouvant sur le photogramme, en marge de l’image. Le cache était placé dans le projecteur mais on pouvait aussi en placer dans la caméra lors du tournage. Le cache n'a pas toujours un côté arrondi. Il a parfois été confectionné sur place par les projectionnistes, et peut avoir des formes différentes. Nous avons mené une enquête technico-historique informelle avec la Cinémathèque française avant de prendre la décision d’ajouter les formes géométriques à l’image restaurée. Mais c'est une vraie question. Si l'on veut restituer l'image du projecteur, celle d'origine, elle n'était pas carrée comme à la télévision. Donc, on doit paradoxalement tricher pour s’approcher de la véritable image d’époque : on fait comme s'il y avait un cache et l'oeil percevra l'image telle qu'elle était projetée à l'origine. Ce sont des choix déontologiques, on peut être d'accord ou pas, dire que c'est artificiel parce qu'on ajoute quelque chose. Nous avons choisi de le faire parce que nous souhaitions d'abord que les films soient projetés en salle. Après, il y a le plaisir de les voir en DVD dans des conditions proches de la salle. Mais on peut toujours débattre quant à ce choix, si c'est le bon. J'aime beaucoup cet autre exemple : un artiste vidéaste des années 70 a restauré vers 2010 ou 2011 l'une de ses vidéos qui était projetée dans une galerie, à l'époque. Il l'organise et se dit qu'il y a un gros problème, que ce n'est pas du tout la bonne image ! Il s'est en fait rendu compte que dans les années 70, tout le monde fumait dans les galeries, qu'il y avait une épaisse couche de fumée qui faisait partie de l'oeuvre, quelque part. Devait-il rajouter une machine à fumée dans la galerie ? Doit-on faire un artifice total ou simplement restituer la conception de l'image ? Il a finalement ajouté une machine à fumée. Après, on aurait pu dire que ce n'était pas forcément la bonne fumée, etc. On est toujours dans ces questionnements.

Mais il ne faut pas se leurrer : l'écran, le système de restitution sonore, la distance des fauteuils par rapport à l'écran, tout a changé et on ne peut pas tout reproduire "comme à l’époque". Mais en même temps, la notion de "à l’époque" peut parfois nous surprendre dans le bon sens. L'exposition "La Machine cinéma" à la Cinémathèque, il y a un an, était extrêmement intéressante. Ce qui l'était encore plus pour moi, c'était à propos du Chanteur de Jazz : nous avons toujours cette impression d'un aspect très mécanique, métallique, pas très proche du son réel. Mais l'exposition a en fait montré que le premier son était très bon. C'est seulement que la restitution sonore sur les appareils d'époque avait un rendu très différent que sur ceux que nous utilisons aujourd'hui.

Dans le cinéma, si l'on regarde l'histoire des technologies, on a un "progrès" dans le sens d’une progression des techniques mais pas forcément en allant vers la meilleure technologie. C'est souvent la technologie la plus simple ou la moins chère qui prédomine et l’on peut citer beaucoup d’exemples. L'élément nitrate est bien supérieur a ce qui a suivi. C'était plus dangereux, c'était plus cher, mais la qualité de l'image nitrate est exceptionnelle. Avec la pellicule, on avait souvent tendance à "progresser" vers des supports moins chers. Entre un film tourné en 1968 et en 1973, il y a un changement radical qui ne va pas dans le bon sens. Les éléments tri-acétate du début des années 70 sont aujourd'hui dans un sale état. C'est souvent plus dur de restaurer un film de 1971 que de 1950 : à la fin du nitrate, les laboratoires maitrisaient tout, c'était nickel. Le négatif d'Orphée était dans un état vraiment extraordinaire. On peut également parler des techniques ou des procédés imposés par le marché international. La télédiffusion via les bandes magnétiques est arrivée beaucoup plus tôt aux Etats-Unis qu'en France parce que les Français avaient un système de rétroprojection à partir des copies 35mm avec une qualité de l'image équivalant à peu près à 825 lignes horizontales, plus proche de la HD d'aujourd'hui que du PAL (qui était en 625 lignes). Pourquoi changer pour une technologie où l'image sera moins précise ? Les ingénieurs français ont résisté aussi longtemps qu'ils ont pu mais, au final, il n'y a pas eu une amélioration de la qualité - juste une normalisation de formats et de procédés moins chers et plus maniables.

DVDClassik : Il y a quand même une nette amélioration du rendu sonore sur les films anciens, je pense à la trilogie de Marcel Pagnol récemment restaurée...

SNC : Oui, il y a actuellement des travaux de restauration sonores formidables, et dans le grand respect de la qualité sonore d’origine. Il ne faut jamais fausser la technologie de l'époque. C'est un peu dommage que l'ère du numérique nous ait habitués à la perfection. Il y a de la beauté dans les erreurs, dans les accidents, le manque d'homogénéité. La pellicule des années 40 est très hétérogène, pleine de grain. C'est comme si on n'aimait que les top models tout lisses et pas les gens dans la rue, avec des visages imparfaits mais intéressants. On fait parfois un fétichisme sur la perfection des choses.

DVDClassik : Mais il y a certains défauts qu'on peut être heureux de voir corrigés, comme les pulsations de luminosité ou de contrastes. Je ne suis pas certain que ces défauts étaient assumée par les directeurs photo de l'époque.

SNC : Oui, c'est possible. (Rires) Dans La Belle et la Bête, il y a des choses qui sont faites délibérément par Henri Alekan pour imiter l'éclairage à la bougie, vacillant. Et comme c'était juste après la guerre, il y avait une pénurie d'électricité et une vraie fluctuation de l'ampérage des lumières sur le plateau. Il ne faudrait pas enlever cela pendant une restauration.

DVDClassik : Oui, ce n'est pas la même chose.

SNC : C'est pour cela qu'on essaye au maximum de se documenter. Pour La Belle et la Bête c'était exceptionnel parce que Jean Cocteau avait tenu un journal durant le tournage. Tous ceux qui s'intéressent au cinéma devraient le lire parce que c'est fascinant. Il parle des acteurs, de l'image, de la technique. L'original est conservé au Musée des manuscrits. Parfois, il n’est pas facile, voire possible, de connaître les intentions d’un réalisateur de l’un de nos films. Une partie de nos archives est à la Cinémathèque française, d'autres choses ont été perdues parce que la société a changé de mains plusieurs fois. De temps en temps les choses intéressantes disparaissent également. SNC a coproduit beaucoup de films de Georges de Beauregard, mais notre dossier sur A bout de souffle est presque vide alors que sur d'autres films il y a des cartons de documents à n'en plus finir, avec plein de notes et annotations.

DVDClassik : Oui, vous possédez certains films de Jean-Luc Godard.

SNC : SNC détient les parts producteurs des films de Godard coproduits avec Georges de Beauregard mais c’est StudioCanal qui gère ces films. Nous avons acheté les droits vidéographiques de Vivre sa vie pour la collection SNC. Nous travaillons avec des sociétés comme Lyre, pour le cinéma italien, ou Les films du Jeudi de Laurence Braunberger avec qui nous avons déjà sorti quelques films en DVD. Notre catalogue est constitué à 95 % des films de la SNC et nous achetons parfois des droits vidéo à l'extérieur.

DVDClassik : Cela se fait au gré des rencontres, des opportunités, des ayants droits qui viennent vous voir ?

SNC : Totalement. Comme nous sommes une petite équipe, cela se joue autour de rencontres et d'affinités. Il y a des gens très cinéphiles parmi nous, mais avec des goûts très divergents. Des choses étonnantes peuvent ainsi apparaître dans la collection SNC, qui est un peu comme votre famille : on a l'enfant prodige et l'oncle qu'on éloigne le plus possible dans le plan de table. Mais, en tant que producteur, nous devons tout préserver.

DVDClassik : Comment gère-t-on une collection de films classiques ?

SNC : Quand je suis arrivée chez SNC (il y a 20 ans cette année !), le catalogue était géré par la CLT au Luxembourg. J'avais un bureau à Paris, dans les anciens locaux de RTL. La CLT avait acheté plusieurs catalogues (Balini, Celia, Euro) qui ont tous fusionné en 2002. SNC a ensuite été vendue à M6 en 2005. On a alors mis en place un système de restauration. Nous avons créé une collection vidéo en restaurant les films, l'inverse de ce que font nos confrères. Au lieu d'avoir une vente télé ou une grosse somme d'argent à allouer à une restauration, nous avons pris le risque de restaurer pour faire une collection vidéo. Certains titres ont très bien marché, d'autres pas du tout. Le nombre de restaurations a baissé parce que nous n'avons pas toujours trouvé la rentabilité. Dans un groupe qui est coté en bourse, on a une "comptabilité analytique", c'est-à-dire que même si vous avez beaucoup de recettes avec les Gendarmes vous ne pouvez pas les attribuer à un film obscur italien. Les recettes d'un film s'allouent uniquement sur ce film. C'est une notion qui semble être peu connue du grand public. On nous dit souvent : « Mais vous êtes riches, vous avez les Gendarmes de Saint-Tropez ! »  Eh bien non, car chaque film doit s’amortir avec les recettes de ses propres ventes. C'est frustrant pour ceux qui imaginent que nous avons beaucoup de ressources mais cela nous oblige à être réactifs pour trouver des équilibres financiers sur chaque film.

DVDClassik : Comment sont vos rapports avec le groupe M6 ?

SNC : Nous avons une grande liberté chez M6. La seule contrainte est financière mais on peut faire des choses assez incroyables et c'est très intéressant. Nous avons par exemple restauré Achtung ! Banditi ! de Carlo Lizzani, avec Gina Lollobrigida, un film sur la Résistance ligurienne entièrement financé par une souscription communiste. Un ovni dans le catalogue SNC. Nous avons trouvé un financement en convaincant nos partenaires italiens de prendre la moitié des coûts. Il y a eu une vente TV en Italie qui nous a permis de boucler le tout.

DVDClassik : C'est vous qui gérez les ventes TV pour la France ?

SNC : Une vendeuse s'en occupe chez nous mais je lui prépare parfois le terrain. Par exemple, j'ai lu il y a quelques années que le manuscrit de Casanova avait été acquis par la BNF. Casanova, un adolescent à Venise de Luigi Comencini se trouve dans notre catalogue, je me suis dit que c'était le moment de préparer le film pour l'événement. Je vais alors voir notre vendeuse pour qu'elle démarche les chaînes et nous faisons en sorte que le DVD ressorte et qu'il y ait une diffusion TV en même temps que cette exposition. Parfois les ventes s’imposent autrement. Nous avons filmé le dernier entretien de Dino Risi avant sa mort et nous possédons deux de ses films, Il Giovedi et Il Vedovo, qui étaient inédits et restaurés. Je me suis dit que c'était le moment d'aller les proposer aux chaînes. France 3 et Ciné+ ont diffusé les deux films. Nous les avons sortis en DVD, ça a bien marché, et nous avons trouvé plus tard deux distributeurs pour la salle. On a commencé par le DVD et fini par la salle, un parcours inversé par rapport au schéma habituel. Et parfois c’est un coup de chance. Nous avons pu faire une vente Arte inattendue : Hercule contre les tyrans de Babylone pour une soirée Théma sur la Mésopotamie. Nous faisons vivre notre catalogue de façon très événementielle.

Parfois, et c'est plutôt rare, nous parvenons à convaincre M6 de racheter certains films. Ils les diffusent en pleine nuit, à 3h du matin, mais ce n'est pas très grave : il faut regarder dans le long terme. Dans le cas d’un film qui était invisible depuis longtemps, personne ne le connaît. Les programmateurs de chaîne vont voir qu'il a fait 0 % d'audience par le passé, ce qui est normal puisqu'il n'a pas été diffusé depuis longtemps, voire jamais. S'il passe sur M6, peu importe l'heure : il revient dans un circuit de diffusion et cela va l'aider dans sa visibilité future. La possibilité d'exposer le film est vraiment liée au fait qu'il soit exposé. C'est absurde car sur le seul argument que c'est un film rare, les chaînes refuseront. Par contre, ils prendront un film que quelqu'un d'autre a déjà diffusé. Si mon film est diffusé à 3h du matin sur M6, je pourrai plus facilement le vendre à d'autres chaînes. Je pense que c'est dommage, dans un pays où il y a une vraie politique audiovisuelle, que l'on fait toutes sortes d'interventions en obligeant les chaînes de télévision à produire des films, qu'on ne les oblige pas à montrer des films restaurés. Le CNC dépense beaucoup d'argent, les producteurs beaucoup d'énergie, mais nous avons de moins en moins de possibilités de montrer les films restaurés à la télévision. La salle et le DVD sont importants mais, il faut être honnête, la plupart des gens regardent les films à la télévision.

DVDClassik : Nous avions posé la question à Jérôme Soulet, de Gaumont : pourquoi n'y a-t-il que Arte qui diffuse des films de patrimoine ? Les programmateurs TV sont frileux, se contentent des mêmes succès tous les deux ans, sans sortir de leurs cases, alors que Arte fait ses meilleures audiences de l'année 2017 avec les Clouzot et Le Deuxième souffle...

SNC : Et il y a des standards comme Le Mur de l'Atlantique ou les Gendarmes de Saint-Tropez que l'on peut passer tous les deux ans et que les gens regarderont quand même. Ce sont des films cultes. Mais il y a des titres beaucoup plus compliqués à diffuser qu'il faut quand même voir. M6 va bientôt diffuser Rue des cascades. [NDLR : apparemment diffusé le 9 janvier à 2h45 du matin]

DVDClassik : Pourquoi ne le sortir qu'en DVD et pas en Blu-ray ?

SNC : Nous l'avions envisagé mais un nouvel éditeur semble intéressé pour en faire un Blu-ray, je pense que cela peut se faire, nous attendons.

DVDClassik : J'ai vu que vous aviez travaillé avec Tamasa.

SNC : Nous avons l'obligation de faire le maximum de promotion pour nos films, ce que notre propre label nous permet de faire. Mais si un autre éditeur lance une collection Alberto Sordi, avec une sortie en salle et un coffret DVD, nous pensons que notre film (Detenu en attente de jugement de Nanni Loy), inédit en France, avec une nouvelle restauration, sera bien mis en valeur. Nous faisons parfois ce genre d'arbitrage avec l'idée que c'est bénéfique au film. Nous sommes peu nombreux dans l'équipe et avons une approche plutôt artisanale. La production d'un film est une histoire unique à chaque fois. Pour la distribution, il faut savoir multiplier les partenaires et les contacts et nous travaillons avec énormément de distributeurs salle. S'ils prennent l'un de nos films dont le matériel restauré n’est pas encore amorti, ils payent un "MG" (minimum garanti). Parfois, pour  boucler le budget ou le coût de la restauration, nous avons besoin de vendre le film en demandant un minimum garanti, et si c'est encore très compliqué on peut vendre les droits vidéo à une société extérieure, à titre exceptionnel. Nous avions confié les droits vidéo des Pasolini à Carlotta pendant une longue période. C'était avant la création de notre propre collection vidéo. Malgré leur superbe travail, nous voulions nous en occuper nous-mêmes et leur avons laissé les droits salle.

DVDClassik : Des éditeurs viennent-ils vous voir, vous solliciter ?

SNC : Oui ! Le Chat qui Fume a remarqué qu'il y avait des choses intéressantes dans notre catalogue. Nous aimerions bien travailler avec eux, mais nous n'avons pas encore trouvé la solution financière qui permette de proposer un master de qualité intéressante en leur demandant un MG raisonnable.

DVDClassik : Quelle est la valeur d'un Minimum Garanti ?

SNC : Ce ne sont pas des montants gigantesques. Cela dépend du film et du risque qu'on estime raisonnable à faire porter par l’acquéreur. Cela peut aller de 0 à 5 000 ou 10 000 euros. Par exemple, nous travaillons à la sortie salle des Aventuriers restauré en 4K et de Tante Zita, deux films de Robert Enrico. Nous avons fait une cession avec MG et l’autre sans MG car nous avons dépensé beaucoup plus pour la restauration des Aventuriers que pour celle de Tant Zita, dont la restauration est déjà amortie.

DVDClassik : Combien vous ont coûté les dernières restaurations 4K ?

SNC : C'est lié à la durée du film, c'est calculé au métrage : plus le film est long, plus il coûte cher. Il y a un protocole de restauration, ce qui implique certaines dépenses incompressibles Nous faisons faire un nettoyage et un ré-assemblage de la pellicule chez un prestataire, comme Daems. Peu de prestataires peuvent encore travailler autant la photochimie, les bains, etc. Chez Daems, il y a certaines techniques qui sont un peu perdues ailleurs. Nous travaillons ensuite avec Hiventy ou Eclair, qui gère par ailleurs tout notre stockage. Quand nous lançons des projets subventionnés par le CNC, nous sommes obligés de faire des shoots sur pellicule de nos restaurations 4K pour conserver le film. On peut aussi, dans certains cas, choisir de faire un nouveau tirage du "marron" qui va conserver le film de la même façon pour les futures restaurations. Il y a l'obligation de sous-titrage pour les malentendants. Plein de choses s'ajoutant à la restauration (l’encodage, la déclinaison sur les supports d’exploitation, etc.), on arrive à des budgets entre 90 000 et 150 000 euros.

DVDClassik : Vous avez restauré Bagarres d'Henri Calef en 4K. Pourquoi ce titre ?

SNC : Il avait des problèmes de conservation et c'est un film plastiquement magnifique, très moderne, tourné en grande partie en plein air, ce qui est assez rare pour 1948. La 4K permet une meilleure restauration et conservation mais c’est surtout intéressant pour l’obtention d’un résultat visuel de grande qualité. Nous n'avons pas trouvé de distributeur salle pour l'instant, mais le film est sorti en DVD et nous l'avons vendu deux fois à Ciné+. Heureusement que le film a obtenu une subvention sinon nous ne serions pas rentrés dans nos frais.

DVDClassik : Et quels sont les prochains films que vous pensez restaurer ?

SNC : Notre prochain titre, je l'espère, sera La Poursuite implacable (Revolver) de Sergio Sollima. Un polar un peu culte, une coproduction entre la France, l'Allemagne et l'Italie. Nous essayons de réunir tout le monde...

DVDClassik : M6 Vidéo a sorti en octobre dernier de très belles éditions des Aventuriers, Le Mur de l'AtlantiqueVivre sa vie et Vivre ensemble. Savez-vous si ces combos DVD / Blu-ray rencontrent leur public ?

SNC : Nous avons eu des échos très positifs sur la qualité des restaurations. C'est déjà bien. Il faut voir Les Aventuriers sur grand écran. C'est un film en "2 perfs", les photogrammes ont deux perforations au lieu de quatre. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, soit un problème mécanique soit un problème de laquage sur le négatif, mais il y avait une fine rayure sur tout le film. Elle n'était pas présente tout le temps sur des précédents éléments de tirage. Nous n'avons pas réussi à la faire disparaître totalement lors de notre remasterisation en HD, il y a une dizaine d’années, mais en 4K et avec les nouvelles technologies de restauration numérique, elle a disparu. Au niveau de l'étalonnage, nous avons pu faire quelque chose de plus fidèle au film d’origine puisqu'on a retrouvé des copies d'époque nous fournissant plus d'indices cette fois-ci. C'est un film qui "claque", avec des passages de luminosité très différents, liés aux lieux de tournage très divers (Paris, l’Afrique, la Bretagne, etc). Ce qui est aussi intéressant avec la 4K, c'est la possibilité d'étalonner également pour le cinéma, avec un rendu plus affiné que pour le Blu-ray.

DVDClassik : Pourquoi avoir choisi de restaurer ces titres ?

SNC : On fêtait les cinquante ans des Aventuriers en 2017 et nous avons obtenu une subvention du CNC : cela semblait être le moment opportun pour faire quelque chose. La motivation était double pour Le Mur de l'Atlantique, un cas un peu particulier. C'est un film souvent diffusé à la télévision qui a été tourné dans des conditions un peu spéciales : Bourvil étant mourant, le tournage fut très rapide. Il fallait d'abord sauvegarder le film car le négatif, utilisé pour tirer des copies (ce qui n'est pas très sérieux), était très abîmé. Le matériel utilisé pour nos masters a toujours été "limite". Et pour sa dernière diffusion, France 3 a refusé notre matériel. Avec les possibilités du 4K, nous avons pu aller plus loin dans la restauration qu’avec la numérisation HD. De nombreuses scènes nocturnes du film étaient illisibles : nous avons pu sortir de cette image aplatie pour retrouver des contours, des contrastes, du détail. Nous avons même eu droit à une petite subvention, couplée à une avance du CNC. Vivre sa vie est une acquisition pour la vidéo uniquement. C'est Laurence Braunberger, des Films du jeudi, qui a suivi la restauration du film. Nous avions eu une bonne expérience avec elle sur Partie de campagne de Jean Renoir. Certaines collaborations sont plus faciles : elle est toujours partante, a de bonnes idées et va faire très attention au projet. C'est un plaisir de travailler avec des gens comme elle. En parlant de ses films, elle vient de restaurer Le Voyage au Congo de Marc Allegret, scénarisé par André Gide et produit par son père, Pierre Baunberger, un documentaire de 1927. Magnifique. Je ne sais pas si ce film sortira en vidéo.

Pour Rue des cascades et Vivre ensemble, c'était très motivé par la présence des réalisateurs qui nous ont demandé de faire quelque chose. Comme Anna Karina avait écrit, réalisé, produit le film Vivre ensemble, c'était plus simple de préparer le terrain. Pour Rue des cascades, c'était plus compliqué puisqu'il a fallu convaincre l'éditeur du livre sur lequel le film est basé et la succession de Jean Cosmos (le co-adaptateur) de renouveler les droits d’auteur. Maurice Delbez, le réalisateur, était totalement partant pour voir son film renaître. Mais cela nous a pris plus d'un an pour finaliser tous les renouvellements. Nous savons que le public s'intéressera au film mais qu'il ne générera pas des recettes phénoménales. Nous avons obtenu une subvention du CNC, le Forum des Images a mis un peu d'argent. Nous avons également demandé l'aide de la Ville de Paris, notamment pour imprimer des brochures afin de mieux accompagner le film. Mais le budget n’était toujours pas bouclé et nous avons aussi organisé un crowdfunding qui a rapporté 20 000 euros : 156 personnes ont participé. C'est chronophage mais le résultat est fantastique : nous avons tout financé de A à Z, en bouclant le budget avec la vente TV à M6. Le film sort en DVD dans notre nouvelle collection, "Projection privée".

DVDClassik : Parlez-nous justement de cette nouvelle collection DVD...

SNC : Nous nous sentions un peu coincés par "les Maîtres italiens" et les classiques français parce que beaucoup de films sont bien italiens, mais pas forcément de "maîtres". Pendant un certain temps, nous avons fait des sous-collections "peplums", "comédies italiennes", etc. sans forcément avoir assez de films à chaque fois pour alimenter les sorties. Pour se libérer un peu de ces labels, nous avons crée "Projection privée", une collection beaucoup plus large qui nous permet de continuer avec nos restaurations et redynamiser les titres.

DVDClassik : Pourquoi n'est-ce pas Arte qui diffuse Rue des cascades ?

SNC : Ah, j'aimerais beaucoup. Arte pourrait le faire ! Vivre ensemble c'est aussi typiquement Arte, nous essayons vaillamment de les convaincre. Il y a aussi le travail formidable de Ciné+ et Bruno Deloye, qui nous a sauvés mille fois du désespoir total par rapport aux ventes. Mais comme StudioCanal dispose d’un vaste catalogue eux-mêmes, leurs tarifs sont bas. Et quand vous avez dépensé 124 000 euros pour restaurer un film et que les prix de cession ne dépassent pas les 15 000 euros, c'est frustrant.

DVDClassik : En même temps, ces chaînes thématiques sont vos principaux clients pour la télévision.

SNC : Sauf qu'ils privilégieront leur propre catalogue, c'est la synergie naturelle de groupe entre StudioCanal et Canal+. Après il y a la notion d'indépendance de programmation. Paris Première, qui fait partie du Groupe M6, est très indépendante, ils diffusent ce qu'ils veulent sans être obligés de piocher dans le catalogue SNC. Des sociétés comme Gaumont n'ont pas de lien avec les chaînes de télévision et  font énormément de choses avec la salle, mènent beaucoup d'événements de front et essayent de rendre disponible leur catalogue. Il ont fait le pressage de DVD à l'acte, ils ont expérimenté plein de choses. Gaumont, comme Pathé, ne sont pas cotés en bourse, ils n'ont pas les mêmes contraintes que nous. Et ce que fait Gaumont est admirable, c'est une vraie politique interne, appuyée à tous les niveaux de l'entreprise. StudioCanal est, quelque part, un peu victime de son avant-gardisme car ils ont fait très tôt des restaurations et des remasterisations avec leurs fonds propres. Les autres compagnies faisaient beaucoup moins - voir rien - à l’époque mais aujourd’hui c’est les retardataires qui bénéficient le plus des subventions du CNC. Quelque part, pour une société comme SNC ou StudioCanal qui ont beaucoup restauré sur leurs fonds propres, c’est un peu injuste de recevoir des refus de subvention juste parce que nos confrères, qui ont longuement attendu pour restaurer leurs films phares, présentent les films plus "patrimoine" que nous devant la commission sélective. Les sociétés qui ont commencé les restaurations tôt ont du matériel qui pré-date les normalisations techniques actuelles, et doivent souvent recommencer la numérisation sur les titres qui ont fait l’objet des premiers télécinéma HD.

DVDClassik : Et le rythme des restaurations s'enchaîne depuis dix ans. Filière HD puis 2K puis 4K, les délais de montée en qualité se raccourcissent.

SNC : Oui, c'est bien le problème. Nous avons commencé la numérisation 2K dès 2008 mais nos films les plus forts, financièrement parlant, ne sont pas toujours disponibles en 2K car nous avons commencé en 2006 avec la HD. Les films les plus complexes financièrement ou juridiquement parlant sont souvent en 4K parce que nous avons attendu pour les numériser. C'est un peu absurde mais aussi totalement logique : on commence les vagues de restauration avec les films les plus rentables.

DVDClassik : Avez-vous un budget annuel, une enveloppe ?

SNC : Nous essayons déjà d'anticiper les problèmes de conservation, comme je vous l'ai expliqué. Il y a une petite enveloppe annuelle pour cela car nous n'aimons pas les surprises en comptabilité. Nous nous y prenons environ un an et demi avant la sortie, mais c'est toujours un peu compliqué parce que tout dépend des demandes de subventions. Si nous ne les obtenons pas, est-ce qu'on essaye quand même ? Actuellement, nous travaillons jusqu'à trois films par an. Certains années, c'était plutôt une trentaine de films. Nous avons restauré et/ou remasterisé environ 150 films depuis 2006.

DVDClassik : Parlons maintenant des cessions de droits. Lorsque La Belle et la Bête sort aux Etats-Unis, chez Criterion, est-ce vous qui gérez cela directement avec eux ?

SNC : Oui. Pour la petite histoire, la première vente du film sur le territoire américain a été faite en 1956 avec la société Janus, qui a été rachetée dans les années 60 par deux amis (Turell et Becker). Ce sont leurs deux fils qui gèrent aujourd'hui le label Criterion.  Le contrat concernant La Belle et la Bête est renouvelé tous les huit ans de façon ininterrompue depuis 1956.

DVDClassik : Les DVD que vous avez sortis il y a dix ans sont-ils toujours disponibles en magasin ?

SNC : Pas forcément car certains pressages sont arrêtés. Nous avions sorti Le Maitre et Marguerite d'Aleksandar Petrovic qui est aujourd'hui introuvable, tout a été vendu. C'est un peu dommage parce que Malavida a sorti J'ai même rencontré des Tziganes heureux et j'aurais bien aimé anticiper la demande... Nous envisageons un réassort.

DVDClassik : Travaillez-vous avec la VOD ?

SNC : Globalement, tous nos films restaurés sont disponibles en VOD. Mais les plateformes décident ce qu'elles veulent prendre, ou pas. Ce n'est pas nous qui imposons. Certains plateformes ne prendront que du matériel en 2K, ce qui est tout de même encore plus limitant sachant que la VOD ne marche pas encore pour le cinéma classique, en tous les cas pas pour notre catalogue.

DVDClassik : Que faites-vous au quotidien ?

SNC : Par exemple, aujourd'hui, j'ai fini le dossier de demande d'aide au CNC pour Les Bras de la nuit, un film avec Roger Hanin et Danièle Darrieux, qui n'est plus exploité depuis très longtemps. La deadline d'envoi des dossier est aujourd'hui donc, après notre entretien, je vais l'envoyer aux Archives Françaises du Film. Nous avons une copie du film à partir d'un élément absolument pourri, mais c'est la seule chose que nous ayons pour le moment. J'ai fait une fiche technique avec un diagnostic très précis qui indique si la pellicule est gondolée, déchirée, s'il y a des pliures, des poussières, des photogrammes manquants, quel est le pH... Nous avons fait un budget avec les devis, des analyses préparatoires des éléments vérifiés : 68 000 euros de restauration, 16 000 euros de tirage, 4 000 euros de préparation photochimique. On met aussi les contrats d'auteur, des photos du film, la presse de l'époque (il faut retrouver des articles). C'est typiquement assez chronophage et il faut le faire plusieurs fois par an. La commission change, donc ses membres sont plus ou moins sensibles aux films de telle ou telle époque. Même si Les Bras de la nuit n'est pas considéré comme un "grand" film, il y a Roger Hanin et Danièle Darrieux, je pense que c'est intéressant de le rendre de nouveau visible. Sinon, nous sommes en train de régler un problème avec un producteur italien qui a profité de la faillite d'un laboratoire, du flou de la situation, pour bloquer l'accès à notre matériel. Nous avons eu recours à des avocats pendant plusieurs mois et nous allons peut-être finir par troquer quelques parts producteur en échange des bobines.

DVDClassik : C'était son but, en fait...

SNC : Probablement. Vous dépensez énormément d'argent sans avoir eu gain de cause, c'est frustrant. Nous préparons aussi la sortie en salle de Vivre ensemble avec Malavida. J'étais il y a quelques jours avec Anna Karina et son mari concernant les crowdfunders à qui il faut envoyer les DVD et avec qui nous organisons une projection en sa présence. Elle va signer des photos, des choses comme ça.

DVDClassik : Combien de titres possédez-vous ?

SNC : C'est difficile de le savoir, nous ne sommes pas sûrs de la chaîne des droits pour certains films. Pour d'autres titres, nous possédons les droits sur certains territoires mais nous n'allons pas les restaurer nous-mêmes parce qu'un coproducteur est majoritaire et que ce serait à lui de s'en occuper. Il y a autour de 250 films dont les droits sont clairs. Nous avons aussi des parts producteur dans plein de films qui ont été restaurés par d'autres sociétés. Par exemple, pour nos films coproduits avec Georges de Beauregard (comme A bout de souffle, Pierrot le fou, La Religieuse), c'est StudioCanal qui possède aujourd'hui le mandat sur ces films et qui se charge de les restaurer. Comme nous ne possédons que 30 % des droits, nous cofinançons indirectement ces restaurations. StudioCanal ne nous demande pas de cofinancement mais ils déduiront les frais de restauration de notre part, de nos 30 %. Dans l'architecture contractuelle de la plupart des coproductions, celui qui est producteur majoritaire doit non seulement s'occuper du renouvellement des droits d'auteur mais aussi de la restauration du film, qu'il aura le droit d'opposer à son partenaire coproducteur.

DVDClassik : Lorsque vous faites des acquisitions de droits vidéo, c'est pour quelques années à peine ?

SNC : Généralement, c'est pour sept ans.

DVDClassik : Est-ce que l'achat de droits par un tiers, si un éditeur vous achète les droits d'un film par exemple, peut encourager une restauration ? Ou est-ce plutôt l'inverse : un film restauré motivera l'achat de droits ?

SNC : Beaucoup de gens s'intéressent aux films qui n'ont pas été restaurés mais quand ils apprennent qu'il y a le Minimum Garanti à verser, cela devient compliqué. Ce cas de figure s'est déjà présenté avec des droits pour la salle et le DVD. Mais c'était trop difficile de justifier la restauration parce que le Minimum Garanti proposé n'était pas assez élevé. Nous ne pouvons pas obliger une petite structure à dépenser disons 35 000 euros pour avoir un master ou un DCP. Après, si nous savons que quelqu'un est vraiment intéressé, on arrive parfois à jongler entre d'autres ventes pour justifier l'investissement.

DVDClassik : Lorsque les Italiens restaurent vos films en coproduction, êtes-vous au courant ?

SNC : Nous avons deux co-producteurs majeurs en Italie. Avec l'un des deux, c'est toujours dans la transparence, on sait, on partage. Avec l'autre ce n'est pas le cas. J'ai rencontré les deux en essayant de mutualiser nos ressources. L'un a trouvé cela formidable, on travaille depuis des années ensemble, mais l'autre non.

DVDClassik : Dans vos rapports avec M6 Vidéo, arrivez-vous à les convaincre de sortir certains titres ?

SNC : Cela peut arriver. L'idée de départ était de sortir tous les films. Nous étions très enthousiastes, nous avons beaucoup restauré, beaucoup sorti. Le public n'a pas toujours suivi donc nous avons été obligés d'ajuster, d'affiner, de davantage surveiller financièrement.

DVDClassik : Qu'est-ce qui a le plus marché, par exemple ?

SNC : Des choses comme Les Cracks, Le Mur de l'Atlantique, les Gendarme, La Piscine, La Belle et la bête. Nous avons également eu quelques succès de prestige intéressants. Aux Etats-Unis, par exemple, nous avons eu un article dans le Wall Street Journal par rapport à notre restauration des Visiteurs du soir. Ici en France, l'un de nos films, Oedipe roi de Pasolini, était proposé au baccalauréat l'année dernière. Contre toute attente, nous avons vendu beaucoup de DVD de ce titre plutôt exigeant de Pasolini. C'est quelque chose qu'on ne peut pas anticiper et qui va générer plein de ventes. Le succès d’un film peut aussi varier selon le territoire. En France, il y a un peu le paradoxe entre les films classiques, plus pointus, que nous proposons et l'image d'M6 en tant que "jeune chaîne qui monte". Nous n'avons pas de catalogue assez vaste pour avoir une grande marge de manœuvre avec notre ligne éditoriale, il y a beaucoup de films intéressants mais pas forcément connus dans notre catalogue. Mais je pense comme Jean Cocteau qui a dit que "le public veut découvrir ce qu'il connaît déjà"... Comment faire en sorte de motiver les gens à découvrir quelque chose qu'il ne connaît vraiment pas ? Nous avons également sorti des films inédits en France, des films extrêmement rares ou compliqués, comme Les Cannibales de Liliana Cavani ou Achtung ! Banditi ! de Carlo Lizzani. Des choses très peu associées avec la marque M6. Je pense que nous avons aujourd'hui une crédibilité, la collection existe, le public la connaît.

DVDClassik : Je pense que c'est un peu la même chose pour TF1 Studio, perturbée pendant un temps par la marque TF1.

SNC : Oui, ils ont un catalogue très intéressant, cela leur a pris un certain temps avant de s'imposer par rapport à la chaîne. Mais TF1 Studio fait un travail magnifique aujourd'hui.

DVDClassik : Pensez-vous que la marque M6 a créé un amalgame pour les acheteurs ?

SNC : La chose la plus compliquée est de donner envie sans être noyé dans la masse. Ce n'est pas tellement "être ou ne pas être M6" mais plutôt de motiver le public à aller vers nos films. On nous a reproché les couleurs de nos jaquettes mais finalement, quand on arrivait à la Fnac où il y avait des centaines de DVD alignés, on repérait les nôtres de loin. Fuchsia et orange !

Entretien mené le 8 décembre 2017. Tous nos remerciements à Ellen Schafer et Stéphanie Chiche.

Par Stéphane Beauchet - le 12 janvier 2018