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Interviews

A l'occasion de la sortie du coffret DVD réunissant 20 épisodes de l'excellente série documentaire "Un film et son époque" régulièrement diffusée sur Arte, nous avons rencontré son initiateur, Serge July. L'occasion d'évoquer sa passion pour le cinéma et cet énorme travail d'écriture et de recherche autour des films...

DVDClassik : Le public vous connaît comme journaliste, militant, patron de presse. Nous avons été surpris de vous voir associé à une série documentaire sur le cinéma, depuis presque quinze ans. Quel est votre rapport avec le cinéma ?

Serge July : Même si j’ai toujours fait beaucoup de journalisme, il n’était pas écrit dans mon projet de vie que je créerais un journal qui m’a occupé pendant 33 ans. J’ai toujours été au cinéma, à la Cinémathèque ou dans les cinémas d’art et d’essai que j’ai vu naître dans les années 60, dans le Quartier Latin. Les Trois Luxembourg, rue Monsieur le Prince, était l’un des premiers multi-salles français. Il passait tout ce qui était Nouvelle Vague française et étrangère. C’est par exemple là que j’ai vu les films de Milos Forman avant qu’ils ne soient projetés à la Cinémathèque. J’ai baigné dans le cinéma et quand on me demandait mon positionnement, je répondais, sous forme d’une semi-boutade : « Nouvelle Vague ».

DVDClassik : Vous êtes-vous tout de suite éloigné d’un cinéma plus commercial pour être davantage dans l’art et essai ?

Serge July : Oui, mais avec des nuances. La consommation du cinéma, quand j’avais une douzaine d’années, c’était du cinéma commercial. On le voyait dans les salles de quartier qui passaient très peu d’art et essai. C’était principalement des films américains ou français comme ceux d’Henri Decoin. La Nouvelle Vague est contemporaine de mes vingt ans. Dès que j’avais du temps libre, j’étais au cinéma. J’aime le cinéma, c’est un mode d’expression qui m’a toujours intéressé. Il se trouve que j’ai plusieurs fois travaillé sur des scénarios, par exemple avec Francis Girod à la fin des années 70, ou avec Miklós Jancsó sur un projet ambitieux que devait faire la Gaumont sur la bataille de Bouvines. Et puis Libération, c’était très lourd... Il y avait de temps en temps un petit créneau qui se libérait, qui me permettait de travailler sur ces projets. Ces scénarios n’ont jamais abouti mais je ne regrette rien.

DVDClassik : Vous avez connu le directeur de la photographie Pierre-William Glenn...

Serge July : Nous étions tous les deux en 4e au Lycée Turgot. On se voyait de temps en temps.

DVDClassik : Ce n’est pas lui qui vous a insufflé la passion du cinéma ?

Serge July : Non. Cela aurait pu être les motos mais, à l’époque, il m’entrainait plutôt vers la révolution... (Rires)




Certains l'aiment chaud de Billy Wilder

DVDClassik : Quel cinéphile êtes-vous aujourd’hui ? Que regardez-vous ?

Serge July : Je vais au cinéma. Et, comme je travaille beaucoup pour cette collection, je vois ou revois beaucoup de films à cette occasion. Par exemple, en ce moment, je revois tous les films d‘Oliver Stone. Et je ne fais pas que cela. Je travaille notamment sur un projet autour de Fritz Lang, je vais donc voir et lire beaucoup sur Lang. Quand je vois des films, c’est beaucoup pour le travail.

DVDClassik : Quels sont vos films de chevet ?

Serge July : Il y a par exemple La Porte du paradis. Les films de Fritz Lang, je suis un Langien. Raoul Walsh et John Ford, également. Je baigne là-dedans, je suis assez classique. Ce sont des films que j’ai vus vingt fois, trente fois, que je connais à peu près par cœur. En même temps, je reste curieux du cinéma, un cinéaste chinois peut me passionner, je suis très éclectique. Tony Erdmann est un film formidable. Je me suis même posé la question de le traiter un jour dans la collection. Je parlais d’Oliver Stone tout à l’heure. Il y a plusieurs de ses films que je trouve remarquables, certains de ses scénarios sont formidables. Je trouve le film sur Edward Snowden très bon. Ce n’est pas pour autant qu’on le fera mais j’aime bien Oliver Stone scénariste, et il y a de très grands films. Il croise quand même beaucoup la route de Quentin Tarantino. U-Turn, par exemple, est un film formidable. Comme Platoon ou Wall Street. Des œuvres que nous serions susceptibles de faire.

DVDClassik : C’est le genre de cinéaste qui s’intéresse beaucoup au monde contemporain.

Serge July : Oui, il est dans l’actualité. Cela tient à sa biographie. Son père était un trader new-yorkais, lui s’est engagé au Vietnam, par idéal, pour être en première ligne. Il était dans les zones de combat pendant deux ans, a été blessé grièvement trois fois, je crois, en plus d’autres blessures. Il a « ça » de décoration, il a toutes les médailles possibles et imaginables, et en veut beaucoup à l’Amérique. Il était dans une sorte de rage, il a fait trois films qui ont raconté ça. Je trouve que c’est un chroniqueur exceptionnel de l’histoire contemporaine américaine, qu‘il explore en permanence. Sur chaque sujet, il est comme un enquêteur : avant d’écrire le scénario, il passe du temps à voir des traders à Wall Street, pas simplement son père. Sur Nixon, par exemple, il a fait des investigations à n’en plus finir.

DVDClassik : Justement, quel rôle octroyez-vous au cinéma, au-delà du simple plaisir ?

Serge July : Entre les années 60 et aujourd’hui, le cinéma n’a plus exactement la même place. Pour moi, c’était le mode d’expression dominant. Il l’est moins aujourd’hui, notamment parce que les séries TV occupent une grande partie du champ de l’expression réaliste, ou en tout cas de la dimension réaliste que pouvait avoir le cinéma, du rendu du réel qu’il a beaucoup perdu. Par exemple, pour dire les choses simplement, il y a moins de très grands films comme il pouvait y en avoir auparavant. Cela ne veut pas dire que Titanic n’est pas un grand film ; si nous avions l’occasion, on ferait un documentaire sur Titanic. D’ailleurs, dans la collection, nous avons parlé de films très populaires qui sont très maitrisés, qui ont une multitude de facettes et pas simplement le succès. Aujourd’hui, on peut dire que la production est égale mais il y a moins de films de grande qualité qu’avant. Le nombre de grands cinéastes qui faisaient, avant, un film par an n’en font plus. De grands cinéastes ne tournent plus. Tout cela a beaucoup changé.




Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne

DVDClassik : Pensez-vous que le cinéma peut encore éveiller les consciences durablement ? Quelques exemples récents comme La Haine ou Rosetta montraient un certain tableau de la société qui n’a pas changé.

Serge July : Oui, je pense, bien sûr. Rosetta était passionnant à faire, d’abord parce que les frères Dardenne font un cinéma très maitrisé et très porté sur l’acteur et le personnage. Ils sont derrière en permanence, la caméra traque, travaille au corps. Leur cinéma se concentre, comme pour l’éclairage qui est le nôtre, sur la dimension de la société. D’une certaine manière, la région de Liège, l’ancienne région industrielle de la Belgique où vivent les Dardenne, puisqu’ils tournent chez eux. Ils ne font pas beaucoup de kilomètres pour tourner : La Fille inconnue, avec Adèle Haenel, a été tourné chez eux, presque dans leur rue. Mais c’est vrai qu’il y a eu un projet de loi Rosetta sur la question du chômage grâce au succès du film. Le paysage dans lequel travaillent les Dardenne est celui d’une industrie qui s’est effondrée. Ces questions du chômage ou de la précarité étaient à vif dans ce film. La démarche de notre série est de raconter des choses sur la société qui ne sont pas immédiatement visibles mais dans lequel baigne le film, qui lui donnent tout son sens. Les banlieues de La Haine ont un peu changé mais c’est un film formidable. On a eu beaucoup de plaisir à travailler dessus.

DVDClassik : Vous étiez très engagé dans l’extrême gauche pour qui l’Amérique était l’ennemi...

Serge July : Cela ne m’a jamais traversé l’esprit, jamais empêché de voir un film américain, d’aimer énormément Howard Hawks ou Elia Kazan, même s‘il a parlé à la Commission des Activités Anti-américaines, etc. Cela ne m’a jamais empêché de penser que c‘était un cinéaste exceptionnel.

DVDClassik : Dans votre carrière de journaliste, n’avez-vous pas été tenté de conjuguer la politique et le cinéma ? Pourquoi ne pas avoir choisi la voie du cinéma ?

Serge July : La question ne se posait pas. D’abord je ne faisais pas que journaliste politique. Et puis cela n’a commencé qu’à partir de 1981. Auparavant, je dirigeais le journal qui se suffisait à lui-même. J’ai rajouté un peu de journalisme politique et comme je faisais un peu de télévision et de radio, cela confortait cet aspect-là. Mais ce n’était pas possible de le faire en plus de la direction du journal. Et j’avais beaucoup de respect pour les gens que j’avais embauchés ou qui étaient au service cinéma de Libération. Je n’avais pas envie d’écrire à la place de Serge Daney...

DVDClassik : Même avant l’époque de Libération, vous n’auriez pas choisi de monter un journal ou autre chose ?

Serge July : Je vais vous étonner, la seule revue que j’ai montée avant Libération, c’était une revue de théâtre.

DVDClassik : On parlait tout à l’heure du scénario. Vous n’aviez pas le temps de vous y consacrer ?

Serge July : Exactement, cela demande de l‘investissement. Parfois, ça marche, parfois ça ne marche pas. Il faut refaire les scénarios, écrire une cinquième version, une sixième version, etc.

DVDClassik : Et la réalisation ?

Serge July : Cela a pu m’intéresser mais c’est la même chose, cela accapare. J’ai réalisé un journal qui faisait mon bonheur...




Le Petit monde de Don Camillo de Julien Duvivier

DVDClassik : La cinéphilie de patrimoine se réduit, semble de moins en moins active. Les éditeurs que nous avons pu rencontrer regrettent souvent que la presse ne soit pas un relais suffisamment fort de leur travail, de leurs efforts. Celle-ci se concentre beaucoup sur les grosses sorties, les gros évènements...

Serge July : Il y a des raisons. Il sort aujourd’hui un nombre de films incalculable : on ne peut pas parler de tous les films, il n’y aurait pas la place suffisante dans les journaux. En plus, l’aspect promotionnel joue beaucoup mais il n’y a pas que cela. Avant, les films sortaient de manière différente. A bout de souffle, c’était dans deux salles. Aujourd’hui, c’est sur 40 salles voire 800 salles. Il y a une sorte de laminage médiatico-promotionnel, les enjeux financiers sont gigantesques. Un film qui ne marche pas est retiré de l’affiche la semaine suivante. La vie des films n’est souvent pas très longue, même pour des œuvres importantes ou qui pourraient être jugées importantes. Parmi la sortie frénétique des films, quelques-uns peuvent s’installer parce qu’il y a un support promotionnel, mais cela ne suffit pas à en faire un succès. Par exemple, Snowden ne fait pas une performance. C’est dommage, c’est un sujet que tout le monde connaît, qui intéresse, on dit que l’époque est complotiste... Je ne sais pas expliquer cela mais le film n’arrive pas à s’installer. Il y a pourtant eu des interviews d’Oliver Stone absolument partout. C’est donc plus compliqué que cela. Il y a énormément de films, le public fait des choix. Et qui va au cinéma ? Ce sont beaucoup les retraités. Le public du cinéma a changé et n’a plus exactement le même âge qu’avant. Les jeunes sont pris par d’autres médias, les jeux vidéo, les séries TV, etc., qui sont plus ciblés sur eux. Tout cela joue un rôle, cela ne veut pas dire que les films actuels sont mauvais. Le mode de consommation n’est simplement plus le même.

DVDClassik : Par rapport au patrimoine, n’y a-t-il pas un manque de transmission de la culture ?

Serge July : Pathé a créé le cinéma Les Fauvettes dans le quartier des Gobelins, à Paris. Des salles très modernes, très bien équipées pour voir des films en copies neuves. C’est une idée formidable ! Cela devrait être un énorme succès, pouvoir par exemple revoir Il était une fois en Amérique sur grand écran... Eh bien non. La salle fonctionne mais pas au niveau que cela devrait être. Gaumont, Pathé ou UGC ont aussi essayé de ressortir certains films dans leurs complexes de salles. Sur les 18 salles, on peut bien proposer un grand film d’il y a vingt ou trente ans. Evidemment, il n’y a pas de cinéma muet, assez peu de noir & blanc parce que, sauf cas exceptionnel, cela attire moins. Cela montre bien, je pense, que le cinéma a changé de statut dans l’esprit public.

DVDClassik : Auriez-vous des idées pour faire revenir le public ?

Serge July : Je fais ce que je peux, une collection pour aider les gens à regarder les films de manière un peu différente, à travers une sorte de radiographie qui ouvre à la fois sur l’histoire du cinéma et l’histoire contemporaine. Je suis très content de faire ça, je pense que c’est très utile. Je remercie France 5 et Arte qui nous ont permis de créer la série et de la continuer.

DVDClassik : Il n’y a pratiquement plus de culture cinéma à la télévision, aujourd’hui... Vous êtes un cas à part.

Serge July : Même s’il est diffusé à un rythme irrégulier, il n’y a que nous qui faisons un magazine sur le cinéma. Oui, c’est un cas à part. Uniquement grâce à Arte depuis quelques années. C’est un investissement important que fait la chaîne.




Les Trois jours du Condor de Sydney Pollack

DVDClassik : Comment êtes-vous arrivé à la production de cette collection, comment est né ce projet ?

Serge July : C’est né par quelqu’un qui travaillait à Canal+, que je voyais assez souvent avec Marie Genin, la productrice de la collection. C’était fin 2001-début 2002. On discutait, il cherchait des idées. Parmi ces idées, il y avait celle de, non pas faire le portrait d’un cinéaste, genre Renoir ou Kazan, mais entrer en profondeur dans un film emblématique pendant 52 minutes. Le portrait du cinéaste à ce moment-là et le portrait de la société. Parmi tous les films dont Canal+ possédaient les droits de diffusion, nous en avons choisi un pour faire un pilote. J’avais très bien connu Coluche, y compris pendant ses années difficiles. J’aimais bien Tchao Pantin, je trouvais que c’était un film vraiment intéressant. Nous sommes donc partis là-dessus. Mais il y a eu un changement d’organigramme à Canal+. Ceux qui trouvaient l’idée très bonne n’étaient plus là, comme cela arrive souvent, et cela n’intéressait plus les nouveaux responsables des programmes. Avec Marie Genin, nous avions écrit un scénario qui a été lu par quelqu’un de France 5. Il nous a dit : « Je suis partant, je suis prêt à le faire ! » C’était passionnant à écrire, notamment sur le personnage de Coluche. J’avais suivi sa crise : sa femme l’avait quitté, il était plongé dans la drogue et allait assez mal. Notre film reflétait bien ça, y compris le travail de Bruno Nuytten sur l’éclairage. Ce n’est pas le seul film de l’histoire du cinéma avec cette particularité mais c’est très réussi en tant que tel : un film tourné de nuit, dans un décor réel entièrement éclairé, jusqu’aux rails de chemins de fer. Cela créait beaucoup d’agitation dans le quartier. Nous avons interviewé Bruno Nuytten, Claude Berri, Agnès Soral. Mais pas Coluche. Sauf que nous étions plusieurs à pouvoir le raconter : sur ce qu’il avait vécu, comment il était pendant le tournage, pourquoi il tournait finalement un film très dramatique. La chaîne a aimé notre travail et nous avons continué. Il y a eu une commande pour Rome, ville ouverte qui était un projet compliqué que nous avons finalement pu mener à son terme. C’est Marie Genin qui l’a tourné avec Caroline Champetier. C’était également passionnant pour plein de raisons, mais en particulier pour Roberto Rossellini parce qu’il y avait beaucoup d’archives. Il y a de nombreux centres d’études rosselliniennes en Italie. Nous avons fait beaucoup de recherches sur la période très particulière que raconte le film. 1943, Mussolini est renversé et les Nazis occupent l’Italie de manière très violente. Catholiques et communistes, les deux principales forces, vont travailler ensemble contre l’occupant. Rome, ville ouverte raconte cela. Le Petit monde de Don Camillo également : nous traiterons d’ailleurs ce film plus tard, c’était l’une des raisons pour lesquelles je voulais en parler, indépendamment de l’hommage que je souhaitais rendre à Julien Duvivier, même si ce n’est pas son meilleur film.




L'Empire des sens de Nagisa Oshima

L’histoire de Roberto Rossellini est passionnante, comme la gestation d’un film qui est fait au moment où l’Italie va se libérer. Nous cherchions des documents sur Rossellini racontant le tournage. Tout le monde connaissait l’existence d’un cours qu’il avait donné au département cinéma de l’Université de Huston, au Texas. Aucune trace en Italie. Nous avons beaucoup cherché et nous l’avons trouvé. Cela nous est arrivé plusieurs fois de retrouver des archives. Sur L’Empire des sens, par exemple. Le tournage avait eu lieu à Kyoto dans une illégalité semi-tolérée. Ils envoyaient chaque soir les rushes à Paris pour qu’ils ne soient pas saisis. Très peu de gens assistaient au tournage des scènes de sexe : Nagisa Ôshima, son chef opérateur, les deux acteurs. Nous avons appris qu’un étudiant était présent, il filmait le tournage. Notre documentaliste a retrouvé les rushes en cherchant dans les rayonnages de l’université de Kyoto. On voit Ôshima tourner, donner des conseils, construire les plans. Nous avons fait ensuite Le Dernier tango à Paris avec Bernardo Bertolucci, tourné avec Bruno Nuytten. J’avais trouvé son travail formidable sur Tchao Pantin et on était restés assez liés. Nous avons pu tourner ensemble, rencontrer le directeur de la photographie Vittorio Storaro qui travaillait à Verone sur une exposition de ses éclairages sur 3 000 m2. C‘était absolument gigantesque. Il était très étonné de voir Bruno Nuytten filmer notre modeste interview. C’était frappant et émouvant, Storaro avait beaucoup d’admiration pour Nuytten. A juste titre. Les Enchaînés était formidable à faire. C’est un film exceptionnel, avec les rapports d’Alfred Hitchcock à la guerre, le travail qu’il a effectué pour la préparation de ce film, avec les histoires atomiques. Hitchcock a été suivi pendant plusieurs mois par les services secrets, sidérés qu’il travaille sur quelque chose qui devait rester pour eux un secret absolu : utiliser l’uranium pour en faire une arme. Hitchcock sortait du montage d’un film sur les camps de concentration - qui n’a pas été diffusé tout de suite - à partir de documents tournés par les troupes américaines. Il y a une continuité dans Notorious avec la question des anciens Nazis, toujours menaçants et toujours actifs.

DVDClassik: Il y a beaucoup d’archives dans vos documentaires. Les réalisateurs de bonus DVD ont souvent du mal à en trouver et à obtenir des budgets. Vous avez la chance d’avoir des moyens plutôt confortables.

Serge July : C’est cher. Les voyages, les collaborateurs... Tout cela est compliqué au niveau du budget mais cela nous assure des moyens suffisants pour maintenir la qualité.

DVDClassik : Comment se font les commandes par les chaînes ?

Serge July : C’est au cas par cas, surtout maintenant avec Arte. C’est quand même très lié au passage du film. Ce n’était pas le cas de France 5 qui, jusqu’à une période récente, ne diffusait pas de films. Cette contrainte n’existait pas, c’était plus ouvert.

DVDClassik : Le rythme de diffusion a-t-il toujours été irrégulier ?

Serge July : Oui, toujours. Cela varie parce que le système est quand même complexe. Cela dépend du passage du film sur la chaîne, il faut qu’elle en possède les droits et qu’elle ne l’ait pas diffusé récemment. Nous ne faisons que des films récents depuis trois ou quatre ans : Lost in Translation, Le Procès de Viviane Amsalem (1) ou Mommy, par exemple.




A nos amours de Maurice Pialat

DVDClassik : Sur quels critères choisissez-vous les films ?

Serge July : Dans cette collection, nous parlons des films que nous aimons. Nous vérifions que les droits sont disponibles pour pouvoir utiliser des extraits car certains détenteurs peuvent refuser. Par exemple, on voulait faire un film de Stanley Kubrick, Orange Mécanique, mais la Warner n‘a pas voulu. Il se trouve que Michel Ciment, qui nous aide régulièrement, connaissait très bien Kubrick, était lié à sa famille, aux ayant-droits. La famille a donc fait pression auprès de la Warner pour que nous puissions faire le film. C’était un deal assez exceptionnel. Mais il ne faut pas que les droits soient trop élevés parce que si on est à 10 000 $ les 30 secondes, nous ne pourrons pas faire le film. Pour nous, il faut que ce soit un grand film, mythologique, et qu’il y ait en même temps une histoire à raconter. Déjà, sur le parcours du cinéaste : par exemple dans Le Dernier tango à Paris, l’histoire de Bertolucci est importante, le projet du film n’est pas né comme ça. Le documentaire, c’est aussi le portrait d’un film et le portrait d’une société. Orange Mécanique et les rapports à la violence, la question du langage... Nous ne voulons pas être dans un rapport polémique avec le réalisateur ou l’équipe du film, ce n’est pas notre angle, mais le documentaire fait parfois peur aux cinéastes. Par exemple, Michael Cimino ne voulait pas que nous fassions Voyage au bout de l’enfer. Ni Emir Kusturica pour Underground. Ces deux cinéastes totalement différents ont assez mal vécu les polémiques qui eurent lieu en France autour de ces films exceptionnels. Les deux se sont fait traiter de fascistes, pour simplifier. Ils ne voulaient plus en parler, je l’ai regretté. Pour Michael Cimino, nous nous sommes même posé la question de changer de film, et traiter La Porte du paradis qui est l’un de mes films préférés. Nous n’y sommes pas arrivés. Nous avons eu des soucis avec Woody Allen lorsque nous avons voulu parler de Manhattan. J’ai appris que le film était en fait très inspiré d’une histoire personnelle qu’il avait eue, non pas avec une étudiante, mais une lycéenne. Pour lui, c’était hors de question d’en parler. C’est une histoire passionnante parce qu’il voulait détruire le film : il était prêt à faire un film gratuitement pour United Artists en échange. Je me suis incliné mais je regrette...

DVDClassik : Nous nous sommes demandés si ces choix de films reflétaient votre personnalité. S’ils ne représentaient pas des étapes de votre vie, par exemple.

Serge July : Sans doute, mais de manière lointaine parce qu’il y a tellement de contraintes. Avec Marie Genin et Antoine de Gaudemar qui dirigent la collection, nous parlons toujours des films que nous aimons. C’est parce que nous trouvons que Mommy est un très grand film que nous avons voulu l’inclure dans la collection. Si le cinéaste refuse de nous parler, même pour des raisons tout à fait légitimes, nous ne pouvons rien faire. On ne peut pas faire un documentaire sur un film de Woody Allen sans Woody Allen ! Mais on parle de films qu’on aime, même si c’est Le Père Noël est une ordure ou Don Camillo.

DVDClassik : Nous avons justement constaté que vous ne sépariez pas le cinéma d’auteur et les films plus populaires. Ce cinéma dit "commercial" renseigne-t-il aussi sur l’époque (comme nous le pensons) ?

Serge July : Je suis un cinéphile marginal parce que je ne fais pas cette distinction. Nous avons voulu le signifier. Quand nous faisons Les Tontons flingueurs, nous savons que ce n’est pas un film qui a fait avancer le cinéma. Mais il y a une magie qui fonctionne, et c’est passionnant à la fois sur l’époque et sur ce moment du cinéma français. Il y a le statut du jeune, de la fille, et les histoires particulières comme celle de Lino Ventura, les catcheurs à l’intérieur du film. Il y a un humour formidable. Ce qui nous plaisait dans Le Père Noël est une ordure, c’était l’histoire du Splendid. Un moment de l’histoire de l’humour français a été incarné par le Splendid. Et il se trouve que le moment qui l’incarne, c’est ce film, plus que Papy fait de la résistance par exemple. Le Père Noël est une ordure est le film qui condense tout cela et qui joue aussi un rôle dans l’humour français. On aurait pu se lancer dans une histoire de l’humour à travers ce film. Il y a une magie dans Les Tontons flingueurs, le rôle du verbe est important. Tous les films auxquels Michel Audiard a contribué ne sont pas forcément réussis, celui-ci l’est. Poiré-père produit ce film, le fils fait Le Père Noël... Ce qui me plaisait beaucoup dans Les Tontons flingueurs, c’est que Georges Lautner a vécu la Nouvelle Vague positivement, comme une libération en terme technique, une libération des moyens de tournage. On pourrait presque dire que c’est l’autre versant de la Nouvelle Vague qui n’aurait pas été possible sans la Nouvelle Vague. Le changement était radical, et c’est aussi dans le film.




Les Tontons flingueurs de Georges Lautner

DVDClassik : Une séparation d'Asghar Farhadi est une fenêtre ouverte sur l'Iran actuel. D'autres films européens ont la même visée. Or le dernier film américain étudié, Les Trois jours du Condor, date de 1975. Avec le bouleversement planétaire que nous vivons, la victoire de Donald Trump aux présidentielles, n'y a-t-il pas de films américains plus récents susceptibles d'être analysés selon votre optique ?

Serge July : Les majors américaines sont très dures, soit pour des questions financières soit parce qu’ils veulent maitriser la chaîne des bonus. Il y a une difficulté matérielle que nous avons vu se renforcer. En plus, les majors sont dirigées par des lawyers, des avocats, qui ne discutent pas. On arrive heureusement à faire des deals mais c’est plus compliqué. En même temps, le cinéma américain change, les séries TV occupent de plus en plus de place. Vous allez visiter les studios à Hollywood, on y tourne peu de films et beaucoup de séries. Cela aussi a changé.

DVDClassik : Quel est votre rôle dans le processus de création de la série ?

Serge July : J’écris le scénario et je peux conduire les interviews, ce n’est pas systématique. Il y a un réalisateur, nous essayons en général de nous répartir les tâches.

DVDClassik : Sur combien de temps travaillez-vous un épisode ?

Serge July : Jusqu’à six ou sept mois, parfois. C’est beaucoup de travail.

DVDClassik : Est-ce que le format de 52 minutes n’est pas un peu contraignant ? Auriez-vous parfois envie de faire des épisodes plus longs ?

Serge July : Je pense que cela lasserait les gens. Pour nous, c’est un bon format. Nous nous sommes posé la question une fois, c’était sur Le Mépris pour lequel nous avons interviewé Jean-Luc Godard, chez lui, filmé par Caroline Champetier. Il a fait un commentaire du film, plan par plan. D’une certaine manière, nous avons un peu bouleversé le documentaire pour laisser la place à l’interview de Godard qui était passionnante. Le résultat était formidable mais la structure reste un peu particulière. Nous avons refait du plan par plan avec d’autres réalisateurs mais cela avait moins d’intensité qu'avec Godard.




Le Mépris de Jean-Luc Godard

DVDClassik : Vous avez axé votre collection sur le rapport sociétal et historique. Moins sur l’analyse filmique.

Serge July : C’est notre choix. Cela ne veut pas dire qu’on ne parle pas cinéma. Cela a une place, essentiellement à travers le réalisateur, son histoire, sa manière de filmer. La façon de travailler de Michael Haneke est très particulière. Comment il monte son film... L’aspect biographique l’emporte aussi parfois, comme avec Tess et l’histoire de Roman Polanski, à cette époque.

DVDClassik : Mais cela a fonctionné pour Godard...

Serge July : Oui, cela a marché complètement et cela prend beaucoup de place. Nous n’avons que 52 minutes et nous regrettons parfois de ne pas pouvoir faire quelques minutes supplémentaires.

DVDclassik : Est-ce que la série s’exporte ? Y a-t-il une demande pour ce genre de documentaires à l’international ?

Serge July : Tout est limité par les questions de droits. Nous les acquerrons en général pour la France et l’Europe, beaucoup d’épisodes ont une version anglaise. Mais la rediffusion de nos épisodes, en quelque sorte, après le passage à la télévision, se retrouve souvent en bonus DVD. Comme c’est le cas de la nouvelle édition de Tchao Pantin.

DVDClassik : Y aura-t-il d’autres épisodes après Mommy ?

Serge July : Bien sûr. Nous sommes en train de finir Mommy, qui sera diffusé sur Arte pendant le prochain Festival de Cannes. Nous travaillons actuellement sur le choix du prochain film. C’est au cas par cas.

(1) Le 40e épisode de la sérié, consacré au Procès de Viviane Amsalem, a été diffusé sur Arte le 29 Novembre dernier.

Entretien réalisé le 10 Novembre 2016. Un grand merci à Serge July pour sa disponibilité, ainsi qu'à Fleur Trokenbrock (des Editions Montparnasse) et Marlene Dionnet (de Folamour).

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