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Portraits

Portrait de Raoul Walsh

Considéré sans conteste comme l’un des grands maîtres du cinéma américain, Raoul Walsh a posé problème à la critique, notamment celle de la « politique des auteurs », car il est assez difficile de trouver les grandes lignes directrices de son œuvre. Nombreux sont les réalisateurs américains de l’Hollywood historique qui, contrairement à Alfred Hitchcock, ont refusé d’entrer dans le jeu de la critique française des années 50 et 60 et s’étonnaient qu’on cherche à intellectualiser leur travail et à y  voir plus que de simples films. Développée à la même époque, la distinction entre auteurs et artisans était censé se faire sur la qualité de la mise en scène des réalisateurs. Mais cette théorie est vite devenue une exigence, celle de vouloir trouver chez les auteurs une unicité dans la totalité de l’œuvre, des points permettant de dire que le film d’un auteur n’aurait pu être réalisé par un autre réalisateur, tandis que les artisans mettaient en scène avec professionnalisme des films impersonnels.

A l’aune de cette doxa, Raoul Walsh est longtemps resté entre les deux rives. Trop talentueuse pour ne pas être considérée comme celle d’un auteur, son œuvre vaste et multiple résistait aux tentatives de synthèse trop rigoureuses.  Amateur de littérature classique, Walsh n’était en rien un intellectuel, comme le prouvent ses films et ses livres. Il n’a cependant jamais renié la qualité d’artiste, contrairement à d’autres réalisateurs  de sa génération qui refusaient de se voir autrement que comme des professionnels de l’industrie du cinéma. Même si le terme d’artiste est à prendre au sens large, Walsh avait trop de culture pour se considérer comme un amuseur public quand il parlait de l’art du divertissement, surtout quand il fait référence à Aristophane juste auparavant, dans la même citation :

« Je suis convaincu que le déclin de Hollywood n’est pas le résultat de la sénilité, mais qu’au contraire il est un retour (temporaire, je l’espère) à l’immaturité de l’adolescence. Il y a des exceptions, bien sûr, et quelques hommes de valeur comme Peter Bogdanovitch. Mais les professionnels de la névrose ont envahi  le cinéma, non point pour en extraire de l’or mais des montagnes d’ordures. Leur production nauséabonde a découragé des millions de spectateurs qui ne reviendront dans les salles, j’en suis sûr, que lorsque nous leur donnerons de bons films. J’ai moi-même filmé ma part de scènes de meurtre, de viols et d’incendies ; mais quelle différence avec la sodomie, le sadisme et la scatologie d’aujourd’hui ! Mes héros n’ont jamais douté de leur virilité et un amant n’avait pas besoin de se déshabiller pour prouver qu’il était un homme ; il lui arrivait même parfois de ne pas ôter son chapeau. Et soit dit en passant, le déshabillage de plus en plus fréquent à l’écran risque de briser certaines carrières. Que d’illusions perdues lorsque les fans découvrent que le tigre que leur héros a dans son moteur n’est qu’une souris ! Il veut évidemment être pris sous le meilleur angle, mais même Max Factor ne peut pas transformer un petit cornichon en banane géante !

D’un autre côté, peut-être y a-t-il un nouvel humour à découvrir - ou plutôt à redécouvrir - dans ces situations délicates. Pour les antihéros de Au service de la gloire et autres films du même genre, le sexe était drôle. Il y a deux millénaires et demi, Aristophane nous apprenait à rire du sexe et les Français ont fait une industrie nationale de l’amour « frustré ». Nos néophytes, pourtant, considérèrent  trop souvent le sexe comme quelque chose de sinistre. Après tout, les garçons seront toujours des garçons et parfois les garçons seront des filles… Je m’élève seulement contre l’infantilisme quand il se donne de grands airs. Je forme le vœu quelque peu optimiste qu’une nouvelle génération de cinéastes dépassera ces obsessions qui relèvent du « graffiti filmé » et apprendra les règles élémentaires du divertissement, lequel est à la base de cette denrée somme toute assez rare : l’art. Je crois vraiment qu’il y a une bonne chance pour que ces jeunes se forment à l’école de la vie et à celle de l’art, car chaque homme durant le temps que dure son existence joue de multiples rôles. » (2)

La conclusion des mémoires de Raoul Walsh, Un demi-siècle à Hollywood, résume probablement le message que le cinéaste souhaitait laisser, comme auteur. Savoir jouir de la vie avec mesure en s’adaptant, au fur et à mesure du temps qui passe aux différentes opportunités que l’existence présente. L’art, dont il revendique le nom pour qualifier son œuvre, est un artisanat qui se résume avant tout dans la forme, quelquefois transcendée par le génie. Et le reste est littérature.

Mais justement, puisque Raoul Walsh aimait la littérature, les notions de destin, de chance à saisir, et surtout cette religion de l’Action par laquelle il résumait l’œuvre de sa vie, n’y a-t-il vraiment pas une profondeur réelle et constante, non pas tant dans les sujets de ses films, mais chez les héros de ses films ? Ici, il faudrait oublier la notion grecque du héros pour en revenir à celle plus prosaïque et aussi plus universelle du héros de roman, comme ceux de Stendhal que Walsh affectionnait : le héros - acteur de l’univers qui l’entoure, créé par le romancier. Une valeur me paraît commune à tous les héros walshiens, qu’ils soient positifs comme souvent, ou négatifs comme dans White Heat ; que leur destin soit heureux ou tragique, comme dans Colorado Territory ou, exemple encore plus représentatif, comme le Custer de They Died With Their Boots On. Cette valeur, c’est celle du courage. Non pas le faux courage, la témérité qui n’est qu’ignorance de la peur, la témérité qui est celle de Custer au début du film, durant la guerre de Sécession. Le vrai courage, comme le définit le philosophe Vladimir Jankelevitch, c’est le choix de l’action fait en connaissance du risque et de la peur que la prise de risque engendre. Le choix de la vie et du mouvement : « Etre brave, au contraire, c’est avoir le dessus, même s’il faut finalement succomber. La menace terrifiante est ici prise à la gorge, sommée de se découvrir et de dire son vrai nom. Le diable ne peut pas nous faire mal, mais il peut nous faire peur. Le brave conjure par sa bravoure cet envoûtement de la frayeur : comme lui, gardons-nous simples, pauvres, nus et sans arrière-pensées, indifférents aux détails mesquins, pour que le diable crève de notre innocence et de notre courage. » (9) Cette définition correspond parfaitement à la dernière action de Custer, faite en connaissance des risques, non pas comme un geste téméraire et glorieux, mais comme un geste utile à la communauté. Il ne s’agit pas d’un sacrifice, mais d’un rempart humain devant la barbarie, et bien sûr pas devant la barbarie des Indiens, mais celle de la lâcheté et du profit matériel qui gouvernent le monde qui vient. Bien plus qu’un portrait glorieux et historiquement faux du général Custer, Raoul Walsh, dans ce qui est peut-être son plus beau film, nous donnait le portrait de l’idéal du héros selon son cœur : un homme simple mais brave.

A la fin de sa carrière, le héros de Walsh a vieilli et peut être tenté de se laisser couler dans la douce corruption du monde qui l’entoure. Mais les trois héros campés par Clark Gable dans Le Roi et quatre reines, The Tall Men et surtout Band of Angels sont l’illustration que la vie d’un homme courageux sera peut-être plus solitaire que par le passé, plus isolée comme celle de Dan Kehoe qui a malgré tout la chance de s’être trouvé une compagne, mais que le renoncement n’y a pas de place possible. Parce que le courage n’est pas un principe, une religion ni même une morale, on ne peut y renoncer. Le courage, c’est la volonté naturelle de l’action chez celui qui ne peut accepter de ne pas tenir les rênes de sa propre vie, « car chaque homme durant le temps que dure son existence, joue de multiples rôles. »

   

Les Films de Raoul Walsh chroniqués sur DVDClassik

Par Paul Fléchère - le 1 mars 2011