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Portraits

DE STOCKHOLM A BERLIN.

Née le 18 septembre 1905 à Stockholm, Greta Garbo, de son vrai nom Greta Lovisa Gustafsson, est le troisième enfant d'une modeste famille de la Suède du début du XXe siècle. Jeune fille timide et complexée, Greta n'aime pas l'école et lui préfère les planches du théâtre qu'elle fréquente dès l'âge de 13 ans. En 1919, comme la majorité des Suédoises, elle arrête ses études et doit trouver un travail pour subvenir aux besoins d'une famille qui va devoir faire face au décès de Karl Alfred Gustafsson, le père de la jeune fille. Fortement marquée par cette perte, Greta va enchainer les petits boulots (savonneuse chez un barbier, vendeuse puis modèle dans le grand magasin PUB) et en 1921 elle obtient un petit rôle de servante dans le film En Lyckoriddare - qu'elle doit tourner en cachette de ses employeurs - et figure dans deux courts métrages pour le magasin. Ces expériences donnent envie à la jeune femme de continuer dans le théâtre et elle démissionne de son emploi chez PUB pour rentrer au Kungliga Dramatiska Teatern ou Dramaten (Théâtre Royal d'Art Dramatique de Stockholm). Elle obtient également son premier rôle dans le film Luffar-Petter, qui n'enthousiasme pas les critiques mais permet à la jeune fille de connaître sa première expérience de tournage.


Courts-métrages commerciaux pour le magasin PUB : How not to dress (1920) et Our daily bread (1921)

Durant le printemps 1923, Mauritz Stiller, qui prépare le tournage de son nouveau film, est à la recherche de deux jeunes actrices. Gustav Molandeur, alors directeur de l'école de théâtre, lui propose de rencontrer deux jeunes élèves dont Greta Gustafsson. Après une brève rencontre, Mauritz Stiller est fasciné par son visage et engage la jeune débutante pour lui offrir le rôle de la Comtesse Elisabeth Dohna. La légende de Gösta Berling (Gösta Berlings Saga - 1924), où elle joue face à l'acteur suédois Lars Hanson, est le premier grand film de la filmographie de l'actrice. Stiller prend sous son aile la jeune femme, il la modèle, telle de la cire, et imagine déjà le futur de la nouvelle actrice.


Maurice Stiller dirige Lars Hanson et Greta Garbo pour son premier "véritable" film.

Alors que Greta Lovisa Gustafsson se transforme en Greta Garbo (le changement est officiel le 4 décembre 1923) - préfigurant ainsi le début d'une grande carrière -, Gösta Berlings Saga est le dernier film suédois du réalisateur et marque le début de sa chute. Plutôt que de rester en Suède où il peut profiter du succès de son nouveau film, Mauritz Stiller va préférer partir aux USA car il croit au potentiel immense de Garbo et imagine déjà pour lui-même une carrière similaire à celle de son confrère Victor Sjöström.

Mais avant de quitter l'Europe, le cinéaste et son actrice se rendent à Berlin pour la première du film et pour la signature d'un contrat avec David Schratter de la compagnie allemande Trianon AG. Stiller entame alors la préparation de son nouveau film, Odalisken från Smolna (The Odalysque from Smolny), dont l'histoire se déroule en Turquie ; et à la fin de l'année 1924, toute l'équipe se rend à Constantinople pour démarrer les prises de vue. Mais le tournage prend du retard car le réalisateur doit faire face aux graves problèmes financiers de la Trianon et se voit contraint d'abandonner son projet. Bloqué à Berlin pour tenter de trouver de nouveaux fonds, Stiller laisse seule son actrice et son équipe qui passent le réveillon dans un hôtel au bord du Bosphore. Il est sauvé par le réalisateur G. W. Pabst qui rachète le contrat de l'actrice auprès de la compagnie allemande, fait revenir toute l'équipe de Stiller de Turquie et offre à Garbo le rôle de Greta Rumfort dans son film La Rue sans joie (Die Freudlose Gasse).


Garbo à Constantinople en 1924. A droite, l'une des rares photos d'un essai costumes pour le film.

La Rue sans joie est une nouvelle occasion pour l'actrice de laisser éclater sa beauté si particulière et son jeu qui tranche avec celui des deux stars du film, Asta Nielsen et Werner Krauss. Le film de Pabst repose sur une histoire d'une extrême noirceur, dans laquelle un boucher profite de la pauvreté et de la faim pour forcer les femmes à lui offrir leur corps pour un morceau de viande. Garbo y est presque lumineuse, contrastant avec la misère et la bestialité dans lesquelles baigne cette fameuse rue, et traverse le film le plus souvent simplement habillée d'un manteau de fourrure, en le marquant de son regard empreint à la fois de tristesse et de joie.

 

Ce deuxième film européen est également le dernier pour l'actrice, qui va bénéficier de la rencontre entre Louis B. Mayer et son mentor Mauritz Stiller en mai 1925 lors de la première allemande du film de G. W. Pabst. Mayer, alors directeur de la Metro-Goldwyn-Mayer, est à Berlin pour surveiller le bon déroulement du tournage du Ben-Hur ainsi que pour engager Lars Hanson, à la demande de Lilian Gish qui doit tourner The Scarlet Letter sous la direction de Victor Sjöström. Le futur patron de la MGM, déjà conquis par le magnétisme de Garbo après l'avoir vue dans La Légende de Gösta Berling, souhaite l'engager mais il doit faire face au redoutable marchandage de Stiller qui demande un contrat de trois ans. Mayer accepte cette demande et leur annonce qu'ils sont attendus à l'été 1925 à Los Angeles. En juin 1925, Stiller et Garbo embarquent sur le Drottningholm en direction de New York.


Garbo et Stiller pris en photo sur le pont du Drottningholm et à leur arrivée à New York.

DE BERLIN A HOLLYWOOD... LES DEBUTS A LA MGM

Arrivés le 5 juillet, Greta Garbo et Mauritz Stiller ne sont accueillis que par un attaché des relations publiques du bureau new-yorkais de la MGM et un simple photographe qui vont leur servir de guide dans la Big Apple. Pendant trois mois, l'actrice et le réalisateur attendent au Commodore Hotel que les dirigeants de la MGM les contactent afin de valider le contrat. Pour patienter, Garbo réalise une première série de portraits avec Arnold Genthe qui vont accélérer sa venue à Hollywood. Après une parution dans une édition de Vanity Fair, la rumeur veut que Sjöström ait montré ces clichés à Louis B. Mayer qui aurait décidé de faire venir la jeune femme plus vite que prévu.

En août 1925, Garbo arrive à la MGM, signe son contrat et fait la connaissance d'Irving Thalberg qui va très rapidement la prendre en charge : régime, coiffure, tenue, cours d'anglais... il voit en la jeune Suédoise une future star dont le visage et le regard ne laissent pas indifférent. Son nom apparaît dès le mois de septembre sur la liste du personnel de la major et elle réalise de nouveaux essais photo avec Hendrik Sartov. L'actrice et le réalisateur retrouvent également d'autres expatriés suédois, Victor Sjöström et Lars Hanson, qui viennent de rejoindre la MGM.

Le tournage du 1er film américain de Greta Garbo débute en novembre 1925 sous la direction du réalisateur Monta Bell, qui a choisi l'actrice en découvrant ses essais photos réalisés à son arrivée.  Son premier partenaire est l'acteur Ricardo Cortez, dont les origines autrichiennes sont masquées par ce patronyme à consonance hispanique, ce qui lui permet de capitaliser sur le succès d'acteurs latins tel que Rudolph Valentino, Ramon Novarro ou Antonio Moreno. Torrent se révèle un succès au box-office, la première prestation de Garbo est saluée et le travail de William H. Daniels à la photographie annonce déjà leurs futures collaborations. Mais l'actrice n'est pas rassurée par cet environnement complètement nouveau et souhaite que son prochain film soit réalisé par son mentor.

En mars 1926, Thalberg et Mayer cèdent à sa demande et offre à Mauritz Stiller son premier tournage américain avec The Temptress, dont le tournage va s'avérer extrêmement compliqué pour le réalisateur suédois ainsi que pour sa muse. Stiller découvre une toute autre notion du cinéma : des dizaines de techniciens prêts à recevoir les ordres du réalisateur, une pression constante des équipes de production avec Irving Thalberg au premier rang, la difficulté de communiquer et l'impossibilité pour lui de sortir de la structure MGM. A ces problèmes s'ajoute le décès de la sœur de Greta - qui se voit refuser un aller-retour en Suède pour assister aux funérailles - et une mésentente entre le cinéaste et la star masculine Antonio Moreno. A la fin du mois d'avril 1926, après quatre semaines de tournage, Stiller est renvoyé par Thalberg et remplacé par Fred Niblo, encore auréolé du succès de Ben-Hur. L'actrice perd de nouveau ses repères, doit refaire toutes les scènes précédemment tournées par le réalisateur suédois - qui a rejoint la Paramount où il va tourner quatre films dont trois avec Pola Negri - et termine le tournage quatre mois après son démarrage, le 26 juillet 1926.

 
The Temptress (version Stiller).

Le film est un succès au box-office mais ne rapporte rien à la MGM à cause du retard et du dépassement de budget causés par le renvoi de Stiller et le tournage des nouvelles séquences (les scènes imaginées par Stiller où Garbo est écuyère et chevauche un superbe cheval blanc au début du film sont supprimées et perdues). Le deuxième film américain de l'actrice l'impose déjà comme la femme fatale, la femme européenne qui fait tourner la tête des hommes et qui les obligent à s'entretuer pour obtenir sa main. Malgré une histoire assez sommaire et une double fin - afin de convenir respectivement aux publics américain et européen -, The Temptress offre à l'actrice une nouvelle occasion d'être mise en valeur par William H. Daniels et confirme aux dirigeants de la MGM qu'elle est bien une de leurs futurs stars.

Fatiguée et peinée par la perte de sa sœur, la jeune femme souhaite faire une pause afin de retourner en Suède. Irving Thalberg, qui a déjà prévu de la placer sur un nouveau projet, et Louis B. Mayer, qui refuse de briser un début de carrière qui s'avère prometteur, lui refusent cette pause et Garbo est contrainte de retourner sur les plateaux dès le 17 août. Ce troisième tournage aux Etats-Unis va pourtant devenir une étape marquante dans sa carrière, puisque la comédienne va tourner pour la première fois sous la direction de Clarence Brown - qui deviendra son réalisateur préféré et avec lequel elle tournera sept fois - et, surtout, parce qu'elle va rencontrer John Gilbert. Le couple formé à l'écran va également se former dans la vie, et cette liaison entre la superstar de la MGM et la jeune Suédoise va défrayer la chronique et offrir un formidable outil de publicité pour la major au lion. Ainsi, passés les premiers jours de tournage, et voyant la formidable alchimie s'opérer entre les deux jeunes acteurs, Thalberg demande à la scénariste Frances Marion de réécrire certaines scènes afin que l'histoire se focalise sur l'amour naissant entre les deux comédiens.

Le tournage prend fin le 28 septembre et Garbo en sort transformée. Encouragée dans son jeu par Gilbert, dont elle est tombée amoureuse, elle se sent un peu plus à l'aise, arrive à oublier les difficultés rencontrées sur le tournage de The Temptress - qui sera pourtant un succès lors de sa sortie en octobre 1926 - et se permet même de tenir tête au patron de la MGM qui la menace de rompre son contrat si elle n'accepte pas le nouveau script. Aucunement déstabilisée par ces menaces, Garbo refuse la proposition de Mayer et s'enferme chez elle sans donner de nouvelles pendant sept semaines.

La Chair et le Diable est aujourd'hui considéré comme le premier grand film de sa carrière à la MGM car il impose définitivement le style de l'actrice auprès du public et des dirigeants de la firme. Après deux essais qui lui ont permis, difficilement, de prendre ses marques, ce troisième film muet lui permet d'assoir son statut d'actrice star de la MGM. Le film est marqué par les nombreuses scènes entre Garbo et Gilbert - leur rencontre sur le quai de la gare, la scène du bal, de la cigarette dans le jardin, ou encore celle de la communion où l'actrice dépose ses lèvres à l'endroit même ou Leo a posé les siennes - qui font oublier la légèreté du scénario et surtout la présence de Lars Hanson qui est écrasé par l'aura de Greta Garbo. Clarence Brown établit avec l'actrice un lien fort, qu'ils vont conserver sur chacun de leur tournage, et travaille avec elle d'une manière totalement différente de celle qu'il utilise habituellement. Sur le tournage, plutôt que de lui crier ses indications, il s'approche d'elle et, à l'écart des autres, lui présente la prochaine scène telle qu'il la voit. Le film s'avère un gros succès pour la MGM en ce début de l'année 1927, et il va servir de tremplin à la carrière de Greta Garbo.

LA STAR DE LA MGM ET L'ARRIVéE DU PARLANT

L'année 1927 commence comme a fini 1926, l'actrice et la MGM sont en conflit et la star se voit suspendue dès le 26 février. Mais à la suite de discussions poussées, le patron de la major cède et lui accorde un nouveau contrat de cinq ans avec un salaire hebdomadaire de 2 000 $ qui doit évoluer annuellement pour atteindre 6 000 $. Satisfaite par ce contrat, Garbo retrouve les plateaux pour le tournage de son quatrième film MGM sous la direction de Dimitri Buchowetzki où elle retrouve, pour un temps très court, l'acteur Ricardo Cortez. En effet, le tournage d'Anna Karenine est très vite arrêté par Irving Thalberg qui n'est pas satisfait par le travail du réalisateur et par le physique de l'acteur.


A gauche, Love dans sa version signée Buchowetzki. A droite, la première version signée Goulding.

Thalberg remercie les deux hommes, qui seront remplacés respectivement par Edmund Goulding et Norman Kerry, mais le producteur en chef n'est toujours pas satisfait par l’interprète masculin. Il décide alors de recréer le couple vedette du précédent film, afin de capitaliser sur cette romance qui intéresse grandement le public et modifie même le titre du long métrage en ce sens. Anna Karenina devient Love, un titre qui permet au Front Office de la MGM de créer le fameux slogan "John Gilbert and Greta Garbo are in Love", profitant ainsi de la notoriété de Flesh and the Devil et de l'histoire d'amour du couple en dehors de l'écran. La major prend soin également de se démarquer du roman de Tolstoï en orientant le scénario sur les amants Anna Karenine et Alexeï Vronsky. La MGM se permet même de créer une fin alternative heureuse pour le public américain et façonne un personnage féminin plus maternel pour l'actrice, délaissant ainsi le coté tentatrice qui marquait ses trois précédents films.

La réalisation d'Edmund Goulding et la photographie de William Daniels servent admirablement le film et le jeu de l'actrice. Love regorge de scènes superbes entre Garbo et le jeune Philippe de Lacy, qui semble réellement être son fils tellement l'actrice se montre douce et attentionnée à son égard. Les scènes entre Greta Garbo et John Gilbert constituent également de superbes moments, laissant transparaitre l'amour qui lie les deux stars de la MGM, et la scène de leur séparation est une des plus belles du film.

Love est un nouveau succès pour la MGM, qui conforte Greta Garbo dans son rôle de star montante du studio et lui permet d'enchainer rapidement sur un nouveau film, The Divine Woman, dont le tournage débute en septembre 1927. L'actrice retrouve un compatriote suédois derrière la caméra mais malheureusement pour elle, ce n'est pas Mauritz Stiller. Le réalisateur, qui rêve de tourner ce film avec son actrice fétiche, n'intéresse plus la MGM qui confie la tâche à Victor Sjöström (crédité Seastrom) et le rôle masculin à Lars Hanson qui retrouve Garbo pour la troisième fois.


A gauche, Edmund Goulding et le couple Garbo/Gilbert.
A droite, un portrait de Garbo signé Louise Ruth Harriet, réalisé pour le film de Sjöström (The divine woman).

Sjöström propose à la MGM un scénario superbement écrit qui s'inspire de la vie de Sarah Bernhardt (d'où le titre The Divine Woman). Basé sur un flash-back qui nous renvoie en 1859, le récit nous fait par exemple découvrir le personnage de Martha félicité par Napoléon III et l'impératrice Eugénie. Le réalisateur prévoit même de tourner une scène où l’esprit de Martha rejoint le personnage de Julien (interprété par Lars Hanson), ainsi qu'une séquence en Technicolor bichrome qui nous aurait permis d'admirer, pour la seule et unique fois, Garbo en couleur. Mais la MGM réagit frileusement devant cette histoire si riche, et décide de modifier lourdement le scénario en supprimant de nombreuses scènes (dont celles en Technicolor) et propose une deuxième version en juillet puis une troisième et dernière version en septembre 1927 (dans laquelle le personnage de Martha devient Marianne, afin d'atténuer la ressemblance avec la vraie Sarah Bernhardt) qui rend surtout le scénario plus humain par le biais d'un happy end qui n'apparaissait pas dans la version proposée par le réalisateur suédois. Le tournage se déroule en un peu plus d'un mois pour prendre fin le 7 novembre 1927. Malheureusement pour nous, le film est aujourd'hui considéré comme perdu et seul subsiste un fragment de 9 minutes retrouvé en 1993 chez l'organisme gérant les archives cinématographiques russes, Gosfilmofond.

L'année 1928 débute avec la première de The Divine Woman, un nouveau succès critique et public pour la MGM et l'actrice qui retrouve assez tardivement les plateaux de tournage pour son sixième film au sein de la major. Du 8 mai au 13 juin, Greta Garbo tourne The Mysterious Lady sous la direction de Fred Niblo, qu'elle retrouve après The Temptress, et face à Conrad Nagel qui sera de nouveau son partenaire dans son dernier film muet, The Kiss. La superbe photographie de William H. Daniels, les décors magnifiquement conçus par Cedric Gibbons et la mise en scène entièrement dédiée à l'actrice font de The Mysterious Lady un film référence, une œuvre dans laquelle on ressent l'envie de perfection artistique et esthétique de la MGM et qui définit les bases des futurs films de la Divine.

Tout comme dans Love, Greta Garbo se révèle absolument magnifique dans ce film et l'on se rend compte à quel point un homme comme William Daniels réussit parfaitement son travail de mise en lumière qui va participer à la création du mythe Garbo : une caméra qui capte chaque détail du visage de l'actrice et une lumière qui met en avant son superbe regard. Si le scénario ne sert que de prétexte à la romance entre l'espionne russe et le militaire, le film de Niblo est marqué par la sobriété de sa mise en scène et surtout par la richesse de ses plans travaillés pour l'actrice.


Williams H. Daniels (derrière l'objectif) et Fred Niblo placés sur un élévateur, avant l'apparition des grues pour caméras.

Le film suivant de Garbo, A Woman of Affairs, dont le tournage débute au mois de juillet 1928, se démarque de ses précédents longs métrages. En lui proposant un rôle plus moderne, celui d'une femme de son époque, qui conduit, qui parle aux hommes en égale et qui séduit grâce aux superbes tenues conçues par Adrian - dont c'est la première collaboration avec Garbo -, la MGM offre à l'actrice l'occasion de se démarquer de ses rôles de tentatrice et de se montrer sous un jour plus contemporain.


William H. Daniels et Clarence Brown derrière la caméra, Garbo devant.

A Woman of Affairs, qui réunit de nouveau le trio Garbo/Gilbert/Clarence Brown, se révèle être un très beau film où la complicité amoureuse des deux interprètes est magnifiquement mise en images par le réalisateur et par la photo de William H. Daniels. Le très bon scénario permet au cinéaste de laisser libre cours à un style audacieux et de bâtir une mise en scène particulièrement travaillée où les gros plans sur des détails - une bague qui glisse du doigt de Garbo, l'As de Pique retrouvé dans sa main lors de la scène finale - participent avec intelligence au déroulement de l'histoire. Les décors de Cedric Gibbons parachèvent la beauté plastique de ce long métrage, qui s'avère l'un des meilleurs films de Clarence Brown parmi ses sept réalisations avec l'actrice.

Le tournage de A Woman of Affairs prend fin en août 1928, et malgré l'annonce de la major indiquant que son prochain film sera Tiger Skin sur un scénario de Elinor Glyn, célèbre pour le IT avec Clara Bow, l'actrice se retrouve sur le plateau de Wild Orchids dès le mois d'octobre. Réalisé par Sydney Franklin, ce long métrage voit le personnage de Garbo régresser par rapport à son précédent film ; et malgré la présence de Nils Asther, acteur suédois qui a tourné sous la direction de Mauritz Stiller, le tournage ne se déroule pas dans les meilleures conditions. Le 8 novembre, l'actrice reçoit une lettre qui lui apprend la mort à 45 ans de celui qui l'a découverte et qui la plonge dans une profonde tristesse. Mayer prend les devants en lui donnant le droit de repartir en Suède - ce qu'elle s'empresse de faire le 10 décembre 1928 - à condition qu'elle finisse le tournage en cours. Wild Orchids n'offre pas une intrigue aussi riche que le précédent film de l'actrice, et sa fin est parfaitement calibrée pour satisfaire la morale puisque le mari punit à la fois sa femme infidèle et son jeune amant lors de la traque d'un tigre qui se termine sur la blessure du jeune homme. Si le film pêche par un scénario assez simpliste où la femme cède à la tentation avec un homme plus jeune que son mari, il permet néanmoins de profiter d'une Garbo parfaitement mise en valeur par des jeux de lumières travaillés - de très beaux jeux d'ombres lors des scènes à Java - et des tenues à l'érotisme plus poussé - la fameuse tenue traditionnelle javanaise.

Le 19 mars 1929, Greta Garbo revient aux Etats-Unis pour entamer le tournage de son neuvième film au sein de la MGM avec le même partenaire masculin, Nils Asther. The Single Standard lui permet de retrouver un rôle très proche de celui tenu dans A Woman of Affairs, le rôle de la femme contemporaine qui se moque des commérages sur sa vie privée et qui se place en égale des hommes. On y retrouve une Garbo aux facettes multiples : indépendante, passionnée, mère attentionnée, et le couple qu'elle forme avec Asther rappelle justement celui du film cité précédemment avec John Gilbert. La caméra de John Robertson et la photo lumineuse d'Oliver Marsh témoignent d'une perfection artistique qui est caractéristique de la MGM et des meilleurs films muets de la fin des années 20 : un style élégant, dynamique, parfaitement écrit et sachant parfaitement mettre en valeur et exploiter le charme et la beauté de ses deux interprètes.

Le tournage se termine à une période où la majorité des majors font face à un véritable bouleversement en basculant dans le monde du film parlant. La MGM hésite encore à faire découvrir au public la voix de sa star et cherche à repousser au plus tard l'entrée dans cette nouvelle révolution technique. Irving Thalberg choisit donc de produire un nouveau film qui sera le dernier film muet à la fois pour l'actrice et pour la MGM, et il sait que ce choix lourd de conséquences ne sera pas pénalisant pour la major : l'actrice, qui vient de réaliser test tests sonores - le monologue en allemand de Margaret dans le Faust de Goethe, la chanson de Solveig, en suédois, dans le Peer Gynt d'Ibsen et la scène de folie d'Ophélie, en anglais, dans le Hamlet de Shakespeare - prouve qu'elle est prête à passer ce cap ; Douglas Shearer, frère de l'actrice Norma et beau-frère du producteur, consacre énormément de temps à perfectionner les procédés d'enregistrement afin de rattraper au plus vite le retard pris sur la Warner et son Jazz Singer. Premier film américain du réalisateur d'origine belge Jacques Feyder, fraichement embauché par la MGM, The Kiss matérialise à l'écran le niveau de qualité que le muet a réussi à atteindre en termes esthétique et artistique. A la perfection de la photographie viennent se greffer la beauté des décors, la richesse des tenues et la maitrise technique du réalisateur, dont les mouvements de caméra et l'intelligence de la mise en scène servent à la perfection le film et sa vedette.  Avec Love et The Single Standard, The Kiss nous offre ce que la MGM a produit de plus beau pour sa star suédoise.


Feyder avec Garbo lors du tournage de la superbe scène du traveling arrière sur le miroir.
Toute la maîtrise de William H. Daniels se résume dans cette photo.

Si le scénario du film n'évite pas les conventions du drame se déroulant dans les classes sociales élevées, la caméra de Feyder, qui semble être tombée amoureuse du visage de Garbo, fait preuve d'une telle fluidité qu'il est impossible de ne pas être séduit par ce dernier film muet de la MGM. Et le public, pourtant demandeur de cinéma parlant, ne boudera pas son plaisir, preuve que ce dernier est toujours attaché à cette star au fort potentiel hypnotique.

LA REINE DE LA MGM… DE ANNA CHRISTIE A QUEEN CHRISTINA

Alors que la première de The Kiss se déroule le 15 novembre 1929, Greta Garbo est déjà en train de tourner depuis un mois son onzième film MGM qui est aussi son 1er film parlant. Louis B. Mayer, qui  avait imaginé le pire pour son actrice - lui faire jouer une grande figure historique tout en la doublant -, valide sans hésiter l'idée d'Irving Thalberg qui propose d'adapter la pièce d'Eugene O'Neill, Anna Christie. Le personnage principal, d'origine suédoise, permet de cacher l'accent encore présent dans la voix de Garbo et diminue le risque de rejet de la part du public lorsqu'il entendra la comédienne pour la première fois.


Un film (Anna Christie), deux réalisateurs, deux versions.
La version américaine (en haut), réalisée Clarence Brown, et la version allemande (en bas), réalisée par Jacques Feyder.

Clarence Brown, qui découvre pour la première fois les problèmes liés à l'enregistrement du son dans un film, retrouve avec plaisir l'actrice pour leur troisième collaboration. Le tournage en seulement 30 jours permet à la MGM de préparer une preview discrète dans les alentours de Los Angeles afin de juger l'accueil du public, et elle va s'avérer payante. La salle est conquise dès la fameuse première phrase de l'actrice (« Gif me a visky, ginger ale on the side, and don' be stingy, baby »), et Mayer en profite pour lancer dans le pays une campagne d'affichage basée sur le slogan « Garbo talks ! » qui permettra au film d'être un nouveau succès pour l'actrice. Cependant, malgré la présence de Brown derrière la caméra, Anna Christie souffre énormément de son origine théâtrale, des contraintes liées à l'enregistrement du son et surtout de l'abondance de dialogues qui rend la mise en scène statique. Ce statisme, qui est également présent dans la version allemande tournée neuf mois plus tard par Jacques Feyder, fait que Anna Christie ne peut supporter la comparaison avec le précédent film de la Divine. Jacques Feyder et Clarence Brown sont comme paralysés par l'arrivée du son, et ils ne peuvent retrouver la qualité de leur mise en scène qui caractérisait leurs précédents films muets. Cette lourdeur qui caractérise les premiers films parlants des studios d'Hollywood va s'estomper au fur et à mesure de l'évolution de la technique sonore.


Les débuts du parlant : un micro à gérer, un matériel plus encombrant et la liberté du muet qui disparaît.
Heureusement, ces problèmes ne perdureront que très peu de temps.

Romance, dont le tournage se déroule de mars à mai 1930, n'apporte pas plus de satisfactions, malgré la présence de Clarence Brown à la réalisation et la beauté des tenues conçues par Adrian. Le film souffre d'un scénario médiocre, du jeu d'un interprète principal peu inspiré et d'une mise en scène tout aussi figée que celle de son prédécesseur. Alourdi par des dialogues qui sont parfois difficilement supportables, Romance s'avère le moins intéressant des sept films tournés par Greta Garbo et Clarence Brown.

Le film suivant, Inspiration, est l'occasion pour l'actrice de retrouver son réalisateur, son directeur de la photographie et son costumier attitrés qui donnent au film un ton et une élégance indiscutables. De plus, la présence de Robert Montgomery, star masculine de la MGM au jeu élégant, permet de faire oublier l'interprète masculin du précédent film de la Divine. Clarence Brown se sent également plus à l'aise dans la réalisation, et sa mise en scène élégante efface sans difficulté son travail précédent. Malheureusement, tous ces éléments positifs ne peuvent masquer un scénario convenu qui fait de ce long métrage - le dernier de l'année 1930 - un mélodrame de plus dans la filmographie de l'actrice.

La production suivante avec Garbo, dont le tournage se déroule de mai à juin 1931, donne à l'actrice l'occasion de jouer face à un jeune Clark Gable débutant que la MGM commence à opposer à toutes ses stars féminines (Jean Harlow, Joan Crawford, Norma Shearer) sous la direction unique de Robert Z. Leonard. Dans Susan Lenox (Her Fall and Rise), l'actrice endosse le rôle d'une femme qui va souffrir à cause des hommes : trahie, abandonnée et humiliée, elle va tout faire pour retrouver l'homme qu'elle aime et lui prouver son amour. Si le scénario n'offre aucune surprise, le style imposé par le réalisateur étonne par le contraste entre le début et sa fin. Les premières scènes sont marquées par des choix de cadre audacieux, des jeux de lumières travaillés et l'utilisation de grandes ombres portées sur les murs comme pour appuyer les origines scandinaves du personnage.

Par la suite, le réalisateur semble s'inspirer de Freaks avec l'incursion du personnage de Susan dans un cirque aux numéros particuliers. Puis son style redevient classique, sa mise en scène se simplifie et le film perd son originalité au détriment d'un drame mondain - la jeune femme devient la maitresse d'une riche homme d'affaires - puis exotique lorsqu'elle retrouve l'homme qu'elle aime dans un bar perdu de l'Amérique du Sud. Ce changement radical de style peut trouver son explication dans le remontage effectué par la monteuse Margaret Booth après la fin du tournage, et l'on peut imaginer que le film de Leonard était sans doute plus homogène dans sa première version. Le seul intérêt de Susan Lenox (Her Fall and Rise) repose donc sur son affiche, reflet du star-system mis en place par la major qui permet à la star Garbo de jouer face au futur King de la MGM.

Le passage au parlant dans la carrière de Greta Garbo est assez déroutant quand on y prête attention. Sa voix si particulière et son style lui ont permis de s'affranchir des contraintes liées à l'enregistrement mais les deux premiers films - réalisés par Clarence Brown - dans lesquels elle apparaît sont sans doute les moins intéressants de sa filmographie. Mis en scène avec peu de brio, alourdis par des textes longs et au style théâtral, ils ne sont sauvés que par la présence de l'actrice qui fascine le public et par la "patte MGM" qui réussit à concevoir un écrin pour une de ses plus grandes stars. Si Inspiration et Susan Lenox se montrent un peu moins engoncés, ils sont encore loin des œuvres références et le véritable tournant de sa filmographie parlante reste les rôles qu'elle tiendra dans Mata Hari (1931) et Grand Hotel (1932). L'intérêt du premier réside dans l'interprétation envoutante de Garbo dans ce personnage d'espionne et le second dans la maitrise technique du réalisateur Edmund Goulding. Dans son sixième film parlant, l'actrice endosse donc le rôle de la fameuse espionne Mata Hari et répond ainsi à sa rivale Marlene Dietrich qui vient de tourner Dishonored sous la direction de son mentor Josef Von Sternberg pour la Paramount. Réalisé par George Fitzmaurice, Mata Hari s'insère dans le style pré-Code, propre aux films tournés au début des années 30, et permet à l'actrice d'assoir son image de femme européenne, de femme envoûtante usant de ses charmes pour le compte des forces ennemies. Si Mata Hari est sans doute l'un des films les plus connus de Greta Garbo, il n'est pas le plus marquant de sa filmographie, sa mise en scène étant marquée par les problèmes inhérents au parlant et se montrant dans l'ensemble assez inégale (Fitzmaurice y est sans doute pour quelque chose). Le film n'arrive pas à conserver une intensité constante sur toute sa durée et présente quelques chutes de tension (les deux réécritures du scénario ne sont pas étrangères à ce problème) qui, associées à un Ramon Novarro manquant de charisme et écrasé par le jeu de Garbo, empêchent le spectateur de se plonger dans l'histoire. Le film est surtout une nouvelle occasion de mettre en avant la photographie très travaillée de William H. Daniels, qui marque de son travail les scènes les plus importantes du film : la dance de Mata Hari face à Shiva, celle de la bougie de la Madone, celle intimiste entre Garbo et Novarro dans la petite auberge, et bien entendu la scène finale où Mata Hari drapée de noir descend les escaliers pour rejoindre son peloton d'exécution.

En fait, l'œuvre, telle que nous la connaissons, n'est malheureusement pas le film dont la première a eu lieu au Capitol Theatre de New York en décembre 1931, car elle a dû subir les coupes du Hayes Office - lors de sa ressortie en 1938 - et c'est cette version tronquée qui est devenue officielle. La censure a porté sur les scènes suivantes :

- la scène de la danse pour Shiva : la scène est bien plus longue et la danse de Mata Hari devient plus suggestive, la jeune femme semblant même entrer en transe en se rapprochant de la statue. La séquence se conclue sur un plan où Garbo, filmée de dos face à la statue de Shiva, lève le haut de sa tenue pour se retrouver quasi nue.
- la scène du négligé : lorsque Rosanoff ramène Mata Hari chez elle, la jeune femme part derrière les rideaux puis la scène se termine par un fondu sur le militaire qui rentre chez lui. La version originale est censée continuer sur une scène d'amour entre les deux amants avec une Mata Hari vêtue de cette fameuse tenue légère dessinée par Adrian.
- la scène de la bougie : là ou la scène censurée se finit sur un fondu, la scène originale continue sur un gros plan du visage de Garbo, les deux amants s'embrassent puis Rosanoff la prend dans ses bras pour la porter dans sa chambre.

Alors que le film sort à la fin du mois de décembre 1931 et devient le plus gros succès de la MGM pour un film avec la Divine, celle-ci entame le tournage d'un nouveau projet sur lequel Irving Thalberg s'est investi à 100 %. Ce nouveau tournage doit être la démonstration de force de la MGM et doit affirmer la suprématie de la major au lion sur les studios concurrents. Dirigé par Edmund Goulding, Grand Hotel s'appuie sur un casting cinq étoiles, que ce soit du coté artistique comme technique : Greta Garbo, Joan Crawford, les frères Barrymore et Wallace Beery sont les stars d'un film qui doit aussi sa réussite au travail des hommes de l'ombre que sont Willam H. Daniels, Adrian, Cedric Gibbons et Irving Thalberg.


Même si Grand Hôtel est le modèle du "all star cast",
la MGM fait en sorte que toute la distribution tourne autour de sa vedette, et cela même sur l'affiche.

Doté d'un budget de 700 000 $ et exploitant l'un des plus importants plateaux de la MGM, Grand Hotel bénéficie de la maitrise de chacun de ces artistes : une très belle photo noir et blanc qui sait se montrer lumineuse lors des scènes dans le grand hall et très travaillée lors des scènes plus intimes entre Grusinskaya et Von Gaigern ; de très belle tenues pour les deux stars féminines qui sont les actrices de référence du costumier de la MGM ; un superbe décor qui reproduit tout l'intérieur du Grand Hotel, offrant ainsi à Goulding une grande liberté d'action ; et une production tirée à quatre épingles digne du standing de la MGM, et que Thalberg s'évertue à appliquer pour chacun de ses films. Grand Hotel est la production "All Star Cast" de 1932 et cela doit se voir à l'écran.

La rencontre entre John Barrymore et Greta Garbo, rencontre que beaucoup craignent vis-à-vis du caractère des deux stars et du risque de conflit, se révèle amicale et sincère, ce qui se ressent lors des scènes que les deux comédiens ont en commun. De la même façon, le choc attendu entre les deux actrices superstars de la MGM n'a pas lieu, et Joan Crawford regrette même de ne pas avoir une seule scène face à Garbo et de ne pas avoir eu plus d'occasion de la côtoyer sur les plateaux - Garbo tourne la journée avant de quitter les lieux quand Crawford arrive pour tourner le soir et même la nuit.


Les photos prises sur le plateau montrent Garbo uniquement avec John Barrymore.
A droite, Garbo et Goulding lors de la première scène de l'actrice dans le film.

Si le jeu assez marqué de l'actrice suédoise, qui interprète une danseuse russe, peut souffrir de la comparaison avec celui de sa partenaire, plus libre et plus contemporain, le film de Goulding est une très belle production MGM où la mise en scène exploite au mieux l'espace du Grand Hotel, se plait à nous donner la vision de chacun des personnages et place sur un même pied d'égalité les cinq stars présentes à l'écran. Le rôle de Garbo semble être le miroir de sa vie privée - la lassitude des studios (le fameux « I just want to be alone »), le besoin de se ressourcer en d'autres lieux (ses nombreux allers-retours en Suède), l'interprétation d'un personnage inaccessible pour le public (sa discrétion en dehors de la MGM, son refus des interviews) - et son jeu assez artificiel, presque irréel même, colle idéalement à son personnage. Garbo et Grusinskaya ne font plus qu'une, l'actrice trouve dans ce personnage une occasion de jouer sa propre vie et Grusinskaya trouve en Garbo l'actrice parfaite pour l'incarner. Et le public ne boude pas son plaisir à découvrir Grand Hotel puisqu'il sera le film plus rentable dans la filmographie de l'actrice avec plus de 900 000 $ de recettes.

A la suite de Grand Hotel, Greta Garbo doit retrouver le réalisateur Jacques Feyder dans l'adaptation d'une pièce de Luigi Pirandello, Come tu mi vuoi. Mais la MGM est inquiète à propos du sujet et craint de décevoir le public en laissant ce dernier sans réponse quant à la réelle identité du personnage joué par l'actrice. Feyder préfère abandonner toute idée de nouveau film avec Garbo, et il laisse sa place à George Fitzmaurice et à un film bancal dont le seul intérêt est l'opposition de la Divine, arborant une chevelure blonde à la Jean Harlow, face à Erich Von Stroheim. Le reste du film se montre plus qu'anodin, Melvyn Douglas ne pouvant rivaliser avec ce dernier, et la mise en scène plate fait regretter l'abandon de Jacques Feyder. As You Desire Me se révèle être l'un des films les plus faibles de l'actrice avec Romance et souffre, qui plus est, de la comparaison avec les productions précédentes et surtout la suivante.

En juillet 1932, quelques mois après la fin du tournage de As You Desire Me, Greta Garbo, dont le contrat de cinq ans signé en 1927 vient de prendre fin, part pour la Suède pour n'en revenir qu'en avril 1933. A son retour, la MGM lui propose un contrat qui sera signé en novembre 1933 et qui correspond mieux aux souhaits de l'actrice : deux films et 275 000 $ pour chacun d'entre eux. Dorénavant, et jusqu'à la fin de sa carrière, Garbo ne souhaite signer que des contrats dont l'échéance se limite à un ou deux films maximum, afin de lui laisser le libre choix dans ses rôles et dans son envie de quitter ou non le monde du cinéma. L'actrice est une star de la MGM, ses films ont toujours été des succès et la major ne souhaite plus se mettre à dos cette actrice capable de tout arrêter à n'importe quel moment. Début août 1933 débute alors le tournage de Queen Christina sous la direction de Rouben Mamoulian, qui sort juste du tournage de The Song of Songs avec Marlene Dietrich pour la Paramount. Ce projet, dont l'origine remonte au tournage de Anna Christie pendant lequel Garbo et Saska Viertel échangèrent sur l'idée de réaliser un film sur cette reine, offre à l'actrice l'occasion de se glisser dans la peau d'un personnage historique dont elle se sent proche. En incarnant le Reine Christine, Garbo nous fait oublier ses personnages de tentatrices en devenant réellement la femme qui a régné sur le Royaume de Suède au XVIIe siècle et dont la liberté de mœurs accentue encore l'identification au personnage.

Si le choix de l'actrice est parfaitement clair, il n'en est pas de même pour celui qui doit interpréter le personnage de Don Antonio, l'envoyé extraordinaire du roi d'Espagne qui va tomber amoureux de Christine. Thalberg pense à John Barrymore, Franchot Tone, Leslie Howard, Ricardo Cortez, Fredric March ou Nils Asther mais c'est Laurence Olivier qui sera retenu sur les conseils du frère de David O. Selznick. Mais ce choix va très vite montrer ses limites puisque lors de la première semaine de  tournage - la scène d'amour dans l'auberge -, l'alchimie entre Garbo et Olivier est inexistante, l'actrice se montrant glaciale vis-à-vis des différentes tentatives de séduction de l'acteur anglais. Au bout de 12 jours, Laurence Olivier est remercié et Greta Garbo réussit à convaincre Mayer et Mamoulian de choisir l'acteur qu'elle souhaitait depuis le début, John Gilbert. Brisé par le passage au parlant - non pas à cause de sa voix mais en raison d'un conflit avec Louis B. Mayer -, l'ancienne superstar de la MGM n'est plus que l'ombre de lui-même et n'arrive pas à retrouver le succès qui était le sien à l'époque du muet. Même si ce film ne lui permettra pas de faire redécoller sa carrière (il décédera en 1936, miné par ses excès de boisson), Gilbert prouve qu'il est néanmoins un acteur qui mérite une place dans ce cinéma parlant malgré un jeu qui peut paraître légèrement daté. Guindé dans sa fourrure lors de son arrivée à l'auberge, étonné de découvrir que sous cette tenue masculine se cache une femme fragile et très simple, il offre à Christine un amour sincère qui contraste avec la froideur de Magnus.

Le film doit beaucoup à la mise en scène de Rouben Mamoulian, qui brosse avec beaucoup d'attention et de sobriété le portrait de cette femme qui renonce à ses responsabilités afin de ne pas perdre sa liberté. Loin de la surenchère esthétique d'un Von Sternberg dans The Scarlet Empress, le réalisateur d'origine arménienne a choisi de limiter les décors au plus simple, afin de mettre en valeur cette femme qui ne parvient pas à trouver sa place dans ce costume de Reine. Sa caméra est centrée sur Garbo, et plus particulièrement sur ce visage androgyne qu'il se plait à filmer en gros plan comme pour faire ressortir l'émotion, la chaleur qui court sous la glace. La scène de la chambre et la scène finale deviennent dans les mains de Mamoulian des instants de grâce, des moments de silence chargés en émotion où chaque mouvement de caméra est millimétré. La scène finale conclut parfaitement l'histoire en nous offrant un des plus beaux plans de la Divine, qui trouve dans Queen Christina l'un des plus beaux joyaux de sa filmographie. Garbo n'incarne pas la Reine Christine, c'est la Reine Christine qui prend vie à travers Garbo.


A droite, la scène finale mythique est le fruit de la collaboration entre Rouben Mamoulian et William H. Daniels.

La REINE DE LA MGM… DE THE PAINTED VEIL à NINOTCHKA

Alors que son début de carrière à la MGM est marqué par une densité de tournage importante (dix films entre 1926 et 1929/30), Greta Garbo voit cette cadence diminuer (trois films en 1931, deux en 1932 pour ensuite passer à un film par an sauf, en 1938 et 1940) grâce à une notoriété qui lui permet de choisir ses projets et de mettre fin aux films imposés. Ainsi, alors que le tournage de Queen Christina prend fin le 24 octobre 1933, l'actrice ne retrouve les plateaux de la MGM qu'en juillet 1934 pour le deuxième film de son contrat.

The Painted Veil, adaptation d'une nouvelle de W. Somerset Maugham, est un mélodrame exotique prenant place en Chine et proche dans l'histoire du film muet de 1927, Wild Orchids. Les points marquants du film de Richard Boleslawski ne sont pas à mettre au crédit de sa mise en scène mais plutôt du coté des habituels maitres artistiques de la MGM. Adrian habille magnifiquement l'actrice suédoise et la coiffe d'un turban pour faire ressortir la beauté de son visage, Cedric Gibbons crée de superbes décors qui participent à l'immersion du spectateur dans le film et enfin William H. Daniels fait des merveilles. Son travail sur la lumière permet de magnifier des scènes telles que celles du spectacle chinois, de la visite des temples, ou encore les scènes intimistes entre Garbo et Herbert Marshall avec ces pinceaux de lumières jouant à travers les voiles. La comédienne y est radieuse, naturelle dans la première partie et extrêmement sincère et amoureuse lors de la dernière partie où elle choisit de rester avec son mari. La présence de Greta Garbo, qui irradie l'écran et prend le dessus sur ses deux partenaires, donne un tout autre cachet à ce film qui serait resté assez anodin sans sa participation.

A la fin du tournage, l'actrice signe un nouveau contrat de 275 000 $ pour son prochain projet et David O. Selznick, alors producteur au sein de la MGM, lui demande d'accepter un film sous sa direction. Il lui propose de devenir l'héroïne de The Garden of Allah - qui sera finalement tourné en 1935 sous la direction de Richard Boleslawski avec Marlene Dietrich - ou de Dark Victory - qui, lui, sera tourné en 1939 sous la direction d'Edmund Goulding avec Bette Davis -, mais elle refuse ces deux rôles et préfère s'investir dans le remake parlant d'Anna Karenine que la MGM prévoit de tourner. Envisagé comme réalisateur pour le second film, George Cukor n'est pas intéressé par le choix de Garbo et cède sa place à Clarence Brown. Réalisée huit ans auparavant, la version muette ne peut être comparée à la production de Selznick qui veut proposer une adaptation plus luxueuse et plus respectueuse de l'œuvre de Tolstoï. Si les restrictions du Code Hayes obligent les scénaristes à supprimer tout rapport au fils illégitime d'Anna et à restreindre les scènes d'amour passionnelles entre la jeune femme et son amant Vronsky, le film de Clarence Brown s'avère une très belle adaptation du roman. Le réalisateur, qui retrouve Greta Garbo pour la sixième fois, dépeint l'histoire d'amour avec profondeur et émotion en s'appuyant, comme à son habitude, sur une photographie soignée et sur des décors qui apportent une grande richesse aux différentes scènes. En reprenant le rôle d'Anna Karenine, Garbo s'applique à offrir une nouvelle approche du personnage en profitant de son expérience - elle avait seulement 22 ans à l'époque contre 30 pour ce tournage - et en apportant plus de finesse et de distinction à sa composition là ou la fougue l'emportait dans la version muette.

A l'époque du tournage de Love, Garbo et Gilbert formaient un couple Anna/Vronsky réellement amoureux, impétueux et dont la perfection éclatait à l'écran. Cette relation était le point central du film, la photo de William Daniels mettait en valeur la beauté de l'actrice que la caméra de Goulding captait dans le moindre de ses détails, et le lien mère/fils apportait une touche de sensibilité qui finissait d'embellir l'ensemble. Le personnage de Karenine voyait son importance réduite, tout comme le reste des personnages, et tout le film reposait sur les épaules de Gilbert et sur la grâce de l'actrice.

Dans cette nouvelle version, Alexeï Karenine est interprété avec puissance par Basil Rathbone, et son personnage tient une importance capitale dans la liaison entre les deux amants et surtout dans le lien qui unit la mère et son fils. L'acteur racé nous fait ressentir toute la peine et la haine qu'il ressent à l'égard de cette femme qui l'abandonne pour un autre homme, et sa prestation face à Garbo marque durablement le film de Clarence Brown. Malheureusement, Fredric March n'arrive pas à contrebalancer cette force insufflée par Basil Rathbone et son personnage de Vronsky ne répond pas à l'idée que l'on peut se faire du personnage. Le comédien n'arrive pas à faire oublier la première version du personnage interprété par John Gilbert, qui se montrait réellement fou amoureux de la jeune femme et prêt à tout pour elle. Ici, March semble moins inspiré, bien moins fougueux que Gilbert, et son interprétation ne marque pas aussi fortement le film que celle de Basil Rathbone. Malgré cela, le film mis en scène par Clarence Brown est une très belle adaptation du roman ; la réalisation soignée, la direction d'acteurs et la qualité de la production en font une excellente alternative à la version muette et l'un des films marquants de la carrière de l'actrice.


Garbo, Brown et Daniels se retrouvent pour la sixième fois.

En juin 1935, un mois après la fin du tournage, Garbo signe un nouveau contrat pour deux films devant lui rapporter 250 000 $ chacun. Après un silence de plus d'un an marqué par le décès, le 9 janvier 1936, de l'acteur John Gilbert, l'actrice retourne dans les studios de la MGM en juillet pour le tournage de son nouveau film. Irving Thalberg, qui rêve depuis 1931 de faire tourner Garbo dans une adaptation de La Dame aux camélias, obtient satisfaction lorsque cette dernière accepte le rôle principal de Camille sous la direction de George Cukor. Terriblement affaibli par la maladie, Thalberg va s'investir au maximum dans cette production, au point de vouloir assister aux premiers rushes, avant de décéder le 14 septembre 1936 à l'âge de 37 ans. Greta Garbo trouve dans le personnage de Marguerite Gautier le plus beau rôle de sa carrière, et Cukor lui offre un écrin digne de ce rôle par le biais d'une mise en scène d'une élégance éblouissante. Chaque scène est composée tel un tableau où tout est réglé dans les moindres détails et le réalisateur montre dès les premiers plans une réelle maitrise de son sujet, de sa mise en scène et surtout de ses acteurs. Greta Garbo incarne un personnage aux multiples facettes - tour à tour naturelle, aimante, angoissée, humiliée, frivole, menteuse, désespérée et surtout résignée - et trouve toujours un geste, une position, un regard qui apporte un plus aux dialogues et qui prolonge sa pensée, l'état d'esprit dans lequel se trouve son personnage. De la première scène au théâtre, où elle glisse à travers cette foule d'hommes qui se retournent à son passage, aux scènes intimes face à Armand où elle l'embrasse affectueusement sur le visage telle une mère, à l'affrontement avec Monsieur Duval et jusqu'à la scène finale, Garbo n'est que perfection, aisance, beauté et fragilité.


Ce portrait du photographe Clarence Sinclair Bull est
le premier des deux portraits en couleurs de la divine réalisés dans le cadre d'un tournage.

Face à elle, Robert Taylor apporte une fraicheur, une élégance et une naïveté bienvenues dans le film. Le jeune acteur de 25 ans, qui a déjà séduit à l'écran des stars telles que Joan Crawford, Barbara Stanwyck ou Janet Gaynor, trouve en Armand Duval le rôle qui va faire de lui une future star de la MGM. Taylor donne à ce personnage de faire-valoir de Marguerite une humanité et une sincérité qui se ressentent fortement lors des scènes entre les deux amants. Armand tombe amoureux de Marguerite et voit en elle une femme qu'il veut protéger, et à laquelle il souhaite apporter un véritable amour quel qu'en soit le prix. Prêt à tous les sacrifices pour vivre avec Marguerite, Armand va devoir affronter le refus de son père mais également la liaison qu'elle entretient avec l'arrogant baron de Varville.

Le personnage du baron représente d'ailleurs le point de rupture entre Marguerite et Armand : forcée par le père du jeune homme à ne plus jamais revoir ce dernier, la jeune femme n'a plus d'autre solution que de se tourner vers l'homme qui l'entretient depuis le début. Interprété par Henry Daniell, dont le visage froid convient idéalement au personnage, Varville va participer à sa façon à la chute de la jeune femme. Il en est de même pour le personnage du père d'Armand, interprété par Lionel Barrymore, qui offre l'une de ses plus belles scènes au film en amenant Marguerite Gautier aux larmes lorsqu'il lui demande de renoncer à l'amour de son fils et qu'il lui fait comprendre que son statut le lui interdit. Greta Garbo fait preuve d'un interprétation d'une grande intelligence lorsqu'elle doit affronter ces trois hommes qui représentent trois approches différentes - humiliée par Varville, désespérée de devoir oublier Armand, menacée par Monsieur Duval -, l'actrice offre dans chacune de ces scènes une interprétation qui frôle la perfection. En plus de cela, affaiblie par une maladie qui la ronge à petit feu, elle réussit à insérer cet élément tragique en jouant, par exemple, sur sa perte de souffle qui l'oblige à s'isoler ou qui l'amène à esquiver les approches fougueuses d'Armand.

De la même manière que pour Queen Christina, Greta Garbo s'imprègne complètement de son personnage et contribue à lui donner vie de la plus belle des façons en associant son visage, son regard et sa voix au rôle qu'elle interprète. Peu nous importe de savoir que la description faite par Alexandre Dumas fils de Marguerite ne corresponde pas à celle de Garbo, l'actrice est faite pour ces rôles où son jeu si particulier marque le film d'une empreinte indélébile. La scène finale est d'ailleurs un exemple supplémentaire de la finesse et de la beauté du jeu de l'actrice suédoise. Au seuil de la mort, elle cherche à se montrer radieuse pour l'homme qu'elle aime ; elle lui sourit, le laisse parler comme pour emporter avec elle ses derniers mots puis s'éteint lentement dans ses bras en arborant un visage serein. George Cukor réalise un de ses plus beaux films, sans doute le plus beau de l'actrice et démontre, par sa mise en scène et l'élégance de ses plans, l'étendue de l'interprétation et la grâce de la comédienne.


En haut à droite, Garbo et George Cukor. En haut à gauche, et en bas (en couleurs), l'envers du décor.

Le tournage de Camille prend fin en octobre 1936 - même si des scènes seront retournées durant le courant du mois de novembre - et le film est présenté lors d'une première le 22 décembre 1936, puis proposé sur tous les écrans dès le mois de janvier 1937. En mai, Garbo revient à la MGM afin de tourner le second film de son contrat et retrouve pour la septième et dernière fois Clarence Brown. Bernard Hyman, qui a pris la place de Thalberg, lance la production d'un film racontant la rencontre de l'empereur Napoléon et de la comtesse Marie Walewska. Ce scénario, qui avait été proposé à Thalberg par Salka Viertel, ne plaisait pas au producteur car il pensait que le décor politique serait trop compliqué pour un public américain. Après quelques modifications faites au script et l'idée de prendre Charles Boyer comme acteur principal, Thalberg était revenu sur sa première impression.

Conquest, qui devait être tourné avant Camille, est le film le plus onéreux de la filmographie de l'actrice mais également celui ayant généré les plus grosses pertes. La réalisation de Brown, qui ne s'appuie pas sur la photographie de William H. Daniels mais sur celle de Karl Freund, profite du budget pour mettre en images avec beaucoup de classe la romance entre les deux amants et le sacrifice de la jeune comtesse. Charles Boyer incarne avec sérieux le personnage de Napoléon, profitant de son accent français pour appuyer le réalisme de son interprétation ; et en jouant sur l'ambigüité de son rôle, à la fois romantique mais aussi très ambitieux, il réussit presque à prendre le film à son compte. Il est d'ailleurs presque logique de reconnaître que Conquest est un film de Charles Boyer avec Greta Garbo, non pas que l'actrice soit cantonnée à un rôle de figuration, mais le film accorde légèrement plus d'importance à la soif de pouvoir de l'empereur qu'à la romance entre les deux personnages. L'actrice n'en reste pas moins un élément important du film et elle apporte élégance et naturel au personnage de la comtesse Walewska.

Une nouvelle fois, on apprécie la perfection de la technique propre à la MGM avec une production luxueuse et un superbe travail sur les décors et les tenues, mais on peut regretter un léger manque de rythme sur l'ensemble du film. Si nous sommes loin de la maitrise d'un Queen Christina ou de Camille, Conquest offre l'occasion de retrouver Garbo dans un rôle de femme dévouée et résignée à vivre une existence dans l'ombre de cet homme de pouvoir.


Pour le dernier film de Garbo avec Clarence Brown,
celui-ci conserve son habitude de glisser ses consignes de tournage à l'oreille de l'actrice.

Malgré cet échec commercial, la MGM maintient sa confiance en Greta Garbo et lui propose un nouveau contrat de 125 000 $ mais en le limitant à un seul film. En 1938, l'actrice est toujours la star de la MGM aux cotés de Joan Crawford ou de Norma Shearer, mais le cinéma a changé et les attentes du public ne sont plus les mêmes. Ces changements se ressentent sur les résultats au box-office des grandes majors hollywoodiennes, et des actrices comme Greta Garbo, Joan Crawford, Bette Davis, Marlene Dietrich ou Katharine Hepburn se voient affublées du titre de "Poisons du box office" par le National Theater Distributors of America. Ces comédiennes, qui ont été à l'affiche durant la fin des années 20 et les années 30, sont menacées par une nouvelle génération d'actrices, par un changement des goûts du public - qui se tourne vers les films noirs, les westerns, etc. – et surtout par une conjoncture mondiale qui touche l'Europe. Ce dernier point est sensible car le continent européen représente un marché important pour Hollywood, et de nombreux films ont pu être sauvés grâce aux résultats qu'ils y ont obtenus. Avec la montée en force du nazisme et la future entrée en guerre des pays limitrophes à l'Allemagne, les majors américaines ne vont bientôt plus pouvoir profiter de cette manne financière supplémentaire, les obligeant ainsi à se focaliser sur des projets plus abordables. C'est dans ce contexte difficile que Garbo aborde l'année 1939 après une année 1938 vierge de tout film et où elle aura passé la moitié de son temps en Suède.


Dans la carrière de Garbo, ce cliché en couleurs est (avec celui de Camille) le seul exemplaire pris sur un plateau de tournage.

Pour le come-back de l'actrice, de nombreux films sont envisagés par la MGM pour effacer l'échec de Conquest. Le prétendant le plus sérieux est une production dédiée à la vie de Marie Curie et qui doit être réalisée par Ernst Lubitsch avec Garbo et Robert Donat dans les rôles titres. L'écriture du scénario, qui passe entre de nombreuses mains, finit dans celles d'Aldous Huxley qui se focalise plus sur la liaison entre Marie Curie et l'assistant de son mari que sur la découverte du radium. Le projet ne convient pas à la MGM et il est refusé par la major (le film sortira pourtant en 1943 sous la direction de Mervyn LeRoy avec Greer Garson dans le rôle principal), qui est toujours en quête d'un projet valable pour sa star. Bernard Hyman, qui cherche à changer l'image de l'actrice, souhaite lui proposer un projet de comédie et il va être aidé par la scénariste Salka Viertel. Celle-ci lui propose de travailler sur l'histoire de son confrère hongrois, Melchior Lengyel, qui raconte la découverte de Paris et du monde capitaliste par une jeune Bolchévique. Le scénario est travaillé par de nombreux auteurs et subit de nombreuses modifications, avant d'être finalement pris en main par le duo formé par Charlie Brackett et Billy Wilder. Ce choix s'explique par l'arrivée à la MGM du réalisateur d'origine allemande Ernst Lubitsch, qui tient absolument à tourner avec l'actrice et profite de cette opportunité pour prendre à son compte le projet.

Lubitsch, dont la sympathie procommuniste a été mise à mal lors d'un voyage en Russie en 1936, débute le tournage de Ninotchka le 31 mai 1939 et va proposer une comédie à double tranchant, se moquant à la fois du capitalisme et du régime Stalinien. Avec Ninotchka, tout comme il le fera de façon plus poussée en 1942 avec To Be or Not Be, le réalisateur cherche à faire rire en jouant sur la confrontation des idéologies, en égratignant le communisme au travers des trois camarades, et le capitalisme au travers du personnage de Léon. Mais le film est avant tout l'occasion de découvrir Greta Garbo dans un rôle qui se situe à l'opposé de tous ceux qu'elle a tournés pour la MGM, un rôle qui démontre que l'actrice est capable de s'adapter à la comédie. Son personnage de Nina Yakushova, qui devient Ninotchka dans les bras du personnage joué par l'excellent Melvyn Douglas, est un personnage riche dont les contours semblent avoir été dessinés spécialement pour elle et dont la rigueur se retrouve idéalement dans le visage de l'actrice.

Ninotchka se démarque également des autres films de l'actrice par la mise en scène de Lubitsch qui se montre ingénieuse et classieuse et qui ne se concentre pas sur Garbo, l'actrice, mais sur Ninotchka, le personnage. Seul le personnage de Léon d'Algout voit en elle une femme superbe - dont il tombe amoureux dès le premier regard - quand les trois commissaires voient en elle la rigueur du communisme et ce qui les attend à leur retour au pays. La force du film, et la maitrise du réalisateur, apparaissent dans l'évolution du personnage de la commissaire qui va échanger son caractère froid et rigide pour un tempérament plus ouvert. Ninotchka est prise à son propre jeu et se rend compte des bienfaits de la vie parisienne lorsqu'elle doit rejoindre Moscou, rappelée par le commissaire Razinin qui lui reproche, pour la première fois, d'avoir manqué à sa mission.


Ernst Lubitsch, qui a pris énormément de plaisir à diriger Garbo dans ce film,
n'a jamais réussi à concrétiser un second projet avec l'actrice.

Ninotchka est un petit bijou de comédie, un chef-d'œuvre supplémentaire dans la filmographie d'Ernst Lubitsch, un des meilleurs films de la carrière de Greta Garbo et l'une des meilleures productions de l'année 1939, considérée comme l'année la plus faste de l'âge d'or d'Hollywood. A la richesse du scénario et de la mise en scène s'ajoutent l'intelligence et la finesse des dialogues qui font mouche tout au long du film. En voici un exemple caractéristique :
Ninotchka : Must you flirt ?
Léon d'Algout : Well, I don't have to, but I find it natural.
Ninotchka : Suppress it.

Le film de Lubitsch efface l'échec de Conquest grâce à des critiques enthousiastes et à un succès relatif lors de sa sortie, le 3 novembre 1939 aux Etats-Unis. Relatif car Ninotchka est diffusé à partir du mois de mars 1940 dans des pays européens qui ont malheureusement le regard déjà tourné vers l'Allemagne nazie et qui ne participeront pas aux recettes mondiales du film. Le continent européen vient d'entrer en guerre et Hollywood va devoir faire face à de profonds bouleversements au tournant de cette nouvelle décennie.

TWO-FACED WOMAN ET LA FIN D'UN MYTHE... L'APRES MGM

La MGM, comme toutes les autres majors, subit de plein fouet les conséquences financières de la Seconde Guerre mondiale qui fait rage en Europe et doit assurer ses revenus en se concentrant sur des productions susceptibles de rapporter et en essayant de reproduire les succès passés. C'est sur ce principe que s'établit la production du prochain film de Greta Garbo : reproduire le succès de Ninotchka en travaillant à nouveau sur un projet de comédie. Les dirigeants de la MGM sont persuadés que le public est demandeur de comédies avec l'actrice comme il l'a été de ses films dramatiques ou en costumes. Ils doivent également prendre en compte la perte du marché européen, qui a toujours bien accueilli les films avec Garbo, en rendant l'actrice suédoise plus "américaine", plus proche des comédiennes comme Claudette Colbert, Carole Lombard ou Joan Crawford.

Avec ce cahier des charges en poche, les équipes de la MGM se lancent à la recherche d'un scénario et, après de nombreuses recherches, choisissent la pièce autrichienne de Ludwig Fulda, The Twin Sister. Un nouveau contrat, le dernier, est signé en novembre 1940 entre la major et Garbo, avec comme changement significatif un salaire fortement réduit de 250 000 à 125 000 $. Le tournage de Two-Faced Woman débute le 18 juin 1941 et marque le début d'une accumulation de problèmes : un scénario incomplet que George Cukor et Greta Garbo ne trouvent pas drôle, une vingtaine de tenues dessinées par Adrian qui finissent à la poubelle car Cukor souhaite casser l'image de l'actrice, un directeur de la photo, Joseph Ruttenberg, qui efface en un film tout le travail réalisé par William Daniels, et Constance Bennett qui vole la vedette à Garbo dans de nombreuses scènes obligeant leur retournage un mois après la fin officielle des prises de vues.

Les ennuis continuent au moment de la distribution de Two-Faced Woman au mois de novembre lorsqu'il déclenche un scandale auprès de la Catholic Legion of Decency qui juge le film décadent pour l'image du couple, obligeant la MGM à rajouter des scènes en catastrophe pour démontrer que le mari de la jeune femme est au courant de son petit jeu de double personnalité. Cette affaire va attirer des protestations partout où le film est distribué - même en Australie où il est interdit -, au point que la MGM cherche à comprendre pourquoi sa production est visée quand sort au même moment The Shanghai Gesture de Josef Von Sternberg et le Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Victor Fleming, deux films aux sujets bien plus sulfureux et aux scènes bien plus provocantes que la comédie avec Garbo. Le film semble avoir été choisi comme bouc émissaire par les ligues puritaines américaines qui ont cherché à critiquer et à stigmatiser les majors hollywoodiennes ne respectant pas leurs valeurs, au travers de ce film et de son actrice étrangère (Garbo ne sera naturalisée qu'en 1951). Cette série de protestations oblige la MGM à supprimer et à modifier certains dialogues mais, malheureusement, la firme au lion brise tout l’intérêt du film en rajoutant la fameuse scène du coup de téléphone de Larry à Snow Lodge : le mari comprend que Karin et Katherine ne sont qu'une seule et même personne, ce qui fait perdre une grande partie de leur intérêt aux scènes suivantes entre le mari et Karin. Le film sort enfin le 11 décembre 1941, alors que les Etats-Unis viennent de déclarer la guerre au Japon suite à l'attaque de Pearl Harbor, et c'est un échec pour la MGM et son actrice.


Second portrait en couleurs de l'actrice réalisé par son photographe attitré Clarence Sinclair Bull,
cette photo est également la dernière réalisée par Garbo pour la MGM.

Malgré l'entrée en guerre des Etats-Unis, l'investissement des majors dans l'effort de guerre et ce premier gros échec commercial, la MGM, qui tient à son actrice, signe un nouveau contrat de 150 000 $ pour un nouveau projet de film. Dans The Girl from Stalingrad, Greta Garbo doit incarner une résistante russe pendant la Seconde Guerre mondiale mais l'actrice n'est pas intéressée par ce projet et le rejette. Avec ce dernier refus, l'actrice préfère mettre un terme à ce contrat et Louis B. Mayer ne peut qu'accepter son départ de la MGM, dix-huit ans après son arrivée. Les raisons qui ont poussé la star à quitter aussi vite la major restent floues mais nous pouvons imaginer qu'elles sont multiples - la lassitude des tournages, les décès d'Irving Thalberg, de Mauritz Stiller ou de sa sœur, les changement de goûts du public - et que les événements récents ont fini par catalyser cet acte, sans doute mûrement réfléchi. Après le départ de Norma Shearer en 1942 et celui double de Joan Crawford et de Greta Garbo en 1943, Mayer perd les trois actrices qui ont fait les beaux jours de la MGM et qui ont imposé son image et son style face aux autres majors. Greta Garbo, qui devient citoyenne américaine le 9 février 1951, s'installe à Manhattan dans un appartement de la 52ème Rue. Après dix-huit années au sein de la MGM où le mystère autour de sa vie, sa discrétion et sa fameuse phrase « I want to be alone » ont forgé le mythe Garbo, l'actrice ne change en rien son style de vie solitaire. Entourée d'amis fidèles avec qui elle va voyager, Garbo s'évertue à rester très discrète, refuse toute interview et ne répond à aucun courrier. Elle évite également de croiser la route des photographes car, inquiète de se voir vieillir, elle souhaite que le public conserve d'elle une image plus proche des standards MGM.

Mais cette retraite anticipée - elle n'a que 36 ans lorsqu'elle quitte la MGM - n'atténue en rien le mythe et le mystère qui restent associés à l'actrice. Greta Garbo va être courtisée par des studios, des producteurs, des réalisateurs qui tiennent absolument à ce qu'elle joue dans leurs films, même pour une apparition. Entre 1943 et la fin des années 60, elle va recevoir une liste de films dont la richesse des scénarios et la qualité des réalisateurs feraient pâlir de nombreux acteurs, qu'ils soient contemporains ou non. Parmi ces films, on peut citer : des remakes de ses propres films comme Flesh and the Devil (prévu en 1950 avec Clarence Brown à la réalisation), Inspiration (prévu en 1948 avec George Cukor à la réalisation) ou Grand Hotel (un téléfilm pour la télévision italienne en 1964) ; des biographies de personnalités telles que George Sand, Cléopâtre, Jeanne d'Arc, Elisabeth d'Autriche, Marie Curie, Sarah Bernhardt, Coco Chanel ou Catherine II de Russie ; des scénarios originaux comme Olympia (tourné en 1960 par Michael Curtiz), Saint Joan (tourné en 1957 par Otto Preminger), Woman of the Sea (jamais tourné), L'Inconnue de la Seine (un projet de Billy Wilder jamais tourné), My Cousin Rachel (avec George Cukor prévu à la réalisation, mais tourné en 1951 par Henry Koster) ou Ulysse (un projet de G. W. Pabst qui est finalement tourné en 1954 par Mario Camerini). Il faut également noter que de nombreux réalisateurs/producteurs envisageaient l'actrice comme leur premier choix pour un rôle dans leurs films : Arch of Triumph (Lewis Milestone), Joan of Arc (Victor Fleming), Anastasia (Anatole Litvak), Sunset Boulevard et Fedora (Billy Wilder), L'Aigle à deux têtes (Jean Cocteau), Les 55 jours de Pékin (Nicholas Ray), Ludwig (Luchino Visconti), Madame Bovary (Vincente Minnelli), The Paradine Case (Alfred Hitchcock), A Royal Scandal (Otto Preminger), Scaramouche (George Stevens) ou A Woman's Face (George Cukor). Dans la majorité des cas, Garbo a refusé le rôle qui lui était proposé mais certains films ont pu dépasser l'étape de la simple proposition. Parmi ces projets, on peut citer l'adaptation du roman La Duchesse de Langeais par Max Ophuls qui représente le projet de come-back le plus avancé de l'actrice.

En 1947, Walter Wanger signe un contrat avec Greta Garbo pour le tournage d'un film dédié à la vie de George Sand. Wanger, déjà producteur de Queen Christina, s'attache les services de G. W. Pabst qui retrouve l'actrice après le tournage, en 1925, de La Rue sans joie. Mais le réalisateur autrichien travaille sur un projet de film retraçant la vie d'Ulysse dans lequel il aimerait donner un rôle double à Garbo (ceux de Circé et Pénélope). Bloqué par ce choix et peu satisfait du scénario de Salka Viertel, le producteur préfère se concentrer sur un autre projet avec l'actrice. Wanger souhaite produire une adaptation de La Duchesse de Langeais d'Honoré de Balzac avec Greta Garbo dans le rôle titre, James Mason dans celui de Général Armand de Montriveau et Max Ophuls à la réalisation. Le tournage est prévu pour le mois de septembre 1949 dans les studios italiens de Cinecittà où les travaux sur les décors ont débuté depuis le mois d'août. Le choix de l'Italie tient au fait que Walter Wanger s'est allié à Giuseppe Amato et à Angelo Rizzoli, respectivement producteur et éditeur italiens. A la mi-avril, Wanger et Garbo rencontrent les deux hommes dans la chambre d'hôtel de l'actrice, qui fait en sorte qu'ils ne puissent pas détailler son visage sous toutes les coutures en tirant les rideaux et en portant un large chapeau. Peu rassurés par le physique de l'actrice, les deux financiers exigent que Garbo réalise un screen-test, ce qu'elle fait le 5 mai 1949 avec le directeur photo Joseph Valentine. 23 minutes de film en noir et blanc sont tournées et le résultat, superbe, rassure Wanger qui est persuadé qu'il va satisfaire les financiers.


Screen-test photographié par Joseph Valentine.

Mais un premier problème apparaît avec le décès soudain de Valentine. Wanger est obligé d'engager un autre directeur de la photographie, et il n'hésite pas à recruter James Wong Howe et William H. Daniels pour réaliser de nouveaux essais le 25 mai. Les deux nouveaux screen-tests, d'une durée d'environ 15 minutes, confirment que l'actrice est toujours aussi impressionnante devant l'objectif et apportent une vision encore plus fascinante de Garbo. Au noir et blanc très glamour, très MGM de Daniels, Howe répond par une photo plus proche du film noir et utilisant la méthode du soft-focus. Si les deux travaux sont aussi bons et intéressants l'un comme l'autre, Wanger avoue une préférence pour le premier test et engage pour son projet le directeur photo James Wong Howe.


En haut le screen-test photographié par James Wong Howe, et en bas celui de William H. Daniels.

Tout semble réuni pour que le film se réalise ; l'actrice est prête, l'acteur est choisi tout comme le réalisateur et scénariste Max Ophuls, et il ne reste plus qu'à obtenir l'aval des Italiens. Mais malheureusement pour Walter Wanger, rien ne se passe comme prévu et beaucoup de problèmes arrivent d'un seul coup : les deux financiers ne supportent pas de voir le budget augmenter, tardent à apporter leur part de financement prétextant que Garbo ne les a pas assurés de sa participation, et finissent par se retirer du projet ; la MGM, qui débute le tournage de Quo Vadis, a réservé tous les studios de Cinecittà et Wanger ne peut pas grand chose face à la puissance de la major ; le Hays Office annonce au producteur que le script n'est pas acceptable ; et enfin Max Ophuls doit repartir en France dès le mois de novembre pour tourner La Ronde.

Walter Wanger réalise une conférence de presse en janvier 1950 annonçant que le tournage débutera dès le printemps suivant mais, malgré toutes ses tentatives auprès des grandes majors américaines, il n'arrive pas à trouver les fonds nécessaires pour mener à bien son projet. Greta Garbo, de son coté, a perdu tout intérêt pour le film et préfère mettre un terme à son contrat. Exaspérée d'avoir perdu autant de temps dans la préparation d'un film, l'actrice rentre à New York où elle jure auprès de ses proches qu'elle ne tournera plus jamais. Ces trois screen-tests, qui étaient considérés comme perdus il y a encore une dizaine d'années, sont les dernières apparitions de la Divine devant une caméra. Ces essais témoignent de la beauté et de l'élégance d'une actrice qui a préféré se retirer du cinéma à un moment où tous les regards étaient tournés vers l'Europe, comme si elle voulait disparaître en toute discrétion sans que personne ne s'en aperçoive. Après ce rendez-vous raté, Greta Garbo se fait plus discrète que jamais et tire un trait, définitif cette fois-ci, sur le monde du cinéma. Les années vont passer, les gens vont continuer à l'admirer, espérant la revoir de nouveau sur grand écran, espérant revoir le nom de Garbo apparaître en toutes lettres après le grognement du lion de la MGM. Mais c'est fini, la Divine n'existe plus que sur la pellicule de ses films en noir et blanc et les projets tant rêvés par Billy Wilder, Max Ophuls ou Luchino Visconti nous font regretter qu'elle ait quitté si vite le monde du cinéma.

Elle vit ses dernières années presque recluse dans son appartement new-yorkais et doit subir les assauts des paparazzi qui cherchent à capter sur pellicule un visage que l'on ne reconnaît plus et un regard qui a disparu. Greta Garbo s'éteint le 15 avril 1990 à l'âge de 84 ans.

Aujourd'hui Greta Garbo est synonyme, pour certains, d'un cinéma classique, dépassé, poussiéreux, qui n'apporte rien et ne distrait pas. Ses rôles peuvent paraître ridicules, son jeu si particulier peut faire rire et l'image qu'elle renvoie peut laisser de marbre. Elle est pourtant l'une des plus grandes représentantes d'un cinéma aujourd'hui disparu qui façonnait des Stars avec un S majuscule. Star qui a marqué le studio de la MGM pendant dix-huit ans, Greta Garbo était une actrice dont le visage impassible, le regard magnifique, la voix unique et le jeu affecté ont fasciné des millions de personnes. Garbo est un mythe du cinéma, non par la qualité intrinsèque de sa filmographie, mais simplement par l'image que l'on conserve d'elle depuis son retrait en 1941 après l'échec de Two-Faced Woman. L'actrice fascine par sa beauté froide qui capte la lumière comme aucune autre, par ses yeux qui valent tous les mots et par sa présence à l'écran qui attire tous les regards. Ses 24 films hollywoodiens et ses milliers de portraits réalisés par des photographes, dont les noms ne parlent qu'à ceux qui se passionnent pour cet âge d'or du cinéma (Arnold Genthe, Edward Steichen, Clarence Sinclair Bull, Ruth Harriet Louise ou George Hurrell), sont autant de traces indélébiles du magnétisme que l'actrice projetait à l'écran ou sur papier glacé. Chacun de ses films sont autant d'occasions de découvrir une actrice différente, une femme pouvant être pure, sensuelle, attirante, superficielle ou désirable. Garbo, comme d'autres actrices de cette période, a influencé la mode et a redéfini les bases du glamour et de l'élégance. Son visage si subtilement photographié par William H. Daniels, sa première apparition dans chacun de ses films, ses tenues signées Adrian ont influencé de manière directe ou indirecte de nombreux réalisateurs et stars féminines. Difficile d'imaginer les carrières de Marlene Dietrich ou de Joan Crawford sans la rivalité réelle, ou créée de toute pièce, avec la Divine... Difficile de dire si un réalisateur comme Clarence Brown aurait eu la même filmographie sans les sept films tournés avec elle... Difficile d'imaginer le même travail de William H. Daniels sur un autre visage que le sien... Difficile d'imaginer le standing qu'aurait obtenu la MGM si la major n'avait pas recruté la jeune Suédoise... Difficile de ne pas reconnaître une certaine influence sur le cinéma actuel et plus particulièrement sur la relation qui lie la star avec les majors et la presse, ou sur le besoin d'indépendance dont souhaite jouir chaque acteur contemporain.

Elevée au statut d'icône de la MGM, Garbo a toujours entretenu un rapport tendu et méfiant avec la major et ses dirigeants (limitation de ses séances avec les photographes et de sa présence sur les plateaux, conflits avec Louis B. Mayer concernant ses rôles et ses contrats), au point de menacer ces derniers de son souhait de quitter le cinéma si elle n'obtenait pas plus de liberté dans ses choix. Sa liaison avec John Gilbert fait d'elle une habituée des couvertures des premiers magazines dédiés aux stars du cinéma (Photoplay publiera l'une de ses rares interviews en 1928 et s'appliquera à rédiger quasi mensuellement des articles plus ou moins élogieux sur sa vie privée ou sur ses choix de films) et préfigure l'avènement de la presse people qui se nourrit aujourd'hui de la vie des célébrités du petit et du grand écran. Enfin sa discrétion en dehors des écrans, ses périodes d'inactivité, son refus du contact avec les journalistes et le public ou son absence lors des premières va contribuer à la création d'un mystère autour de sa vie privée. En totale contradiction avec les autres stars du cinéma qui se montrent plus disponibles, Greta Garbo devient une impasse, une actrice intouchable, inaccessible, coupée du monde, à laquelle aucune femme ne peut s'identifier et qu'aucun homme ne peut posséder. Son retrait définitif en 1941 va accentuer cette impression d'actrice à la jeunesse irréelle, d'immortelle au visage parfait cristallisant un mythe Garbo qui perdure encore aujourd'hui. Greta Garbo a marqué le cinéma muet, le passage au parlant, la MGM, les yeux de millions de spectateurs, ceux de nombreux photographes, a impressionné des kilomètres de films et de pellicules mais surtout elle continue encore aujourd'hui d'influencer la mode, le cinéma, les actrices, et de fasciner le public qui la découvre. Ses films et son image ont traversé les décennies et, tel des tableaux de grand maitre, nous regardons les premiers comme des instantanés de l'âge d'or hollywoodien et nous restons fascinés par tout ce qui peut se dégager de la seconde. Greta Garbo est un mythe, une actrice intouchable, une icône unique qui se fond dans la masse des autres actrices hollywoodiennes pour certains mais qui, pour d'autres, trouve sa place au sommet d'un mont Olympe où, telle une déesse grecque, elle contemple toutes les autres.

A mes yeux, elle est l'actrice dans ce qu'elle représente de plus parfait, mélange idéal de beauté, de mystère et de sensualité. Actrice "hypnotisante" dont la seule présence efface instantanément tout ce qui l'entoure, actrice envoutante dont le regard véhicule à lui seul toutes les émotions, actrice éternelle dont la voix et le visage semblent insensibles au temps. Si elle a su cultiver son envie de rester seule, Greta Garbo est une actrice fascinante quels que soient son rôle et son partenaire ; elle subjugue par la perfection de son visage, elle séduit par la beauté de ses yeux, elle éveille le désir et attire sur elle tous les regards. Peu importe que peu de ses films comptent parmi les grands chefs-d'œuvre des années 20 et 30, ils sont pour moi une source de plaisir à chaque visionnage. Le magnétisme de Garbo - cette voix si particulière dont l'accent rappelle à chaque instant ses racines suédoises, cette façon de se déplacer et de capter la lumière - est catalysé par le fait que l'actrice n'a jamais le rôle de femme-objet - elle est celle qui attire - et surtout par l'attraction de ce visage, si différent des autres actrices et capable de donner vie à tous les personnages. Garbo est une pierre précieuse dont le potentiel semble inépuisable lorsqu'elle est placée entre les mains d'un réalisateur comme Rouben Mamoulian (Queen Christina), Ernst Lubitsch (Ninotchka), George Cukor (Camille), Jacques Feyder (The Kiss) ou Edmund Goulding (Love), et qui semble retrouver son état brut à chaque nouveau film comme pour mieux mettre en avant ses multiples facettes. Garbo est plus qu'une Star, elle est un Mythe que Federico Fellini résume idéalement par la phrase « Elle fut la fondatrice d'un ordre religieux appelé cinéma... »

FILMOGRAPHIE

FIGURATIONS ET COURTS METRAGES :

1921 : Herr och fru Stockholm / Herrskapet Stockholm ute på inköp - Ragnar Ring
La sœur ainée
La section où apparaît l'actrice est titrée Från topp till tå (From Head to Toe), plus connue sous le titre "How Not to Dress".
(Le film complet de 23 minutes est considéré comme perdu, à l'exception de cette section.)

1921 : En Lyckoriddare (A Fortune Hunter / The Gay Cavalier / Le Chevalier du bonheur) - John W. Brunius
Une servante de la taverne
(Le film est considéré comme perdu.)

1921 : Konsumtionsföreningen Stockholm Medom Neijd (Konsum Stockholm Promo) -  Ragnar Ring
La section où apparaît l'actrice est titrée "Our Daily Bread".
(Le film complet de 27 minutes est considéré comme perdu; à l'exception de cette section de 8 minutes.)

1922 : Kärlekens ögon (A Scarlet Angel / Les Yeux de l'amour) - John W. Brunius
Figurante (non créditée)
(Le film est considéré comme perdu.)

1922 : Sverige och Svenska Industrier (Sweden and Swedish Industries) - Réalisateur inconnu
(Le film est considéré comme perdu.)

LONGS METRAGES MUETS :

1922 : Luffar-Petter (Peter the Tramp / Pierre le vagabond) - Erik A. Petschler
Greta (créditée Greta Gustafsson)

1924 : Gösta Berlings Saga (La Légende de Gösta Berling) - Mauritz Stiller
La comtesse Elizabeth Dohna (créditée Greta Garbo)

1925 : Die Freudlose Gasse (La Rue sans joie) - G. W. Pabst
Greta Rumfort (non créditée)

1926 : Torrent (Le Torrent) - Monta Bell
Leonora Moreno / La Brunna

1926 : The Temptress (La Tentatrice) - Fred Niblo
Elena, Marquise de Torre Bianca

1926 : Flesh and the Devil (La Chair et le Diable) - Clarence Brown
Felicitas von Rhaden / von Kletzingk

1927 : Love (Anna Karenine) - Edmund Goulding
Anna Karenine

1928 : The Divine Woman (La Femme divine) - Victor Sjöström
Marianne
(Le film est considéré comme perdu; à l'exception d'une bobine de 9 minutes.)

1928 : The Mysterious Lady (La Belle ténébreuse) - Fred Niblo
Tania Fedorova

1928 : A Woman of Affairs (Intrigues) - Clarence Brown
Diana Merrick Furness

1929 : Wild Orchids (Terre de volupté) - Sidney Franklin
Lillie Sterling

1929 : A Man's Man (Un homme) - James Cruze
Cameo où elle joue son propre rôle
(Le film est considéré comme perdu.)

1929 : The Single Standard (Le Droit d'aimer) - John Robertson
Arden Stuart Hewlett

1929 : The Kiss (Le Baiser) - Jacques Feyder
Madame Irene Guarry

LONGS METRAGES PARLANTS :

1930 : Anna Christie - Clarence Brown
Anna Christie / Anna Christopherson

1930 : Romance - Clarence Brown
Madame Rita Cavallini

1930 : Anna Christie - Jacques Feyder (version allemande)
Anna Christie / Anna Christopherson

1931 : Inspiration (L'Inspiratrice) - Clarence Brown
Yvonne Valbret

1931 : Susan Lenox (Her Fall and Rise) (La Courtisane) - Robert Z. Leonard
Helga / Susan Lenox

1931 : Mata Hari - George Fitzmaurice
Mata Hari

1932 : Grand Hotel - Edmund Goulding
Grunsinskaya

1932 : As You Desire Me (Comme tu me veux) - George Fitzmaurice
Zara / Maria Varelli

1933 : Queen Christina (La Reine Christine) - Rouben Mamoulian
La Reine Christine de Suède

1934 : The Painted Veil (Le Voile des illusions) - Richard Boleslawski
Katrin Koerber Fane

1935 : Anna Karenina (Anna Karenine) - Clarence Brown
Anna Karenine

1936 : Camille (Le Roman de Marguerite Gautier) - George Cukor
Marguerite Gautier

1937 : Conquest (Marie Walewska) - Clarence Brown
La comtesse Marie Walewska

1939 : Ninotchka - Ernst Lubitsch
Nina Ivanovna Yakushova dite Ninotchka

1941 : Two-Faced Woman (La Femme aux deux visages) - George Cukor
Karin Borg Blake / Katherine Borg

Par Sébastien Torregrosa - le 27 mars 2012