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Portraits

Un cinéaste de l’ombre, Dominique Benichetti

Dominique Benichetti* était un artiste technicien aux multiples talents. Auteur prolifique, réalisateur fervent défenseur des films grands formats et formats spéciaux, spécialiste référent, inventeur créatif...: sa carrière professionnelle fut atypique et injustement méconnue.

Il est né à Paris en 1943. Enfant, il observe avec admiration le travail minutieux de son père bijoutier graveur. Cet univers d’artisan orfèvre, où chaque geste de la main a son prix, l‘inspirera toute sa vie. Par mimétisme, il maîtrise très tôt le métal et la fabrication de bijoux, mais ce qui le fascine vraiment à l’adolescence, c’est la manivelle de la caméra Pathé-Baby qui enregistre les souvenirs de famille et les photos stéréoscopiques découvertes chez un ami.

Il intègre à 17 ans l'École Nationale Supérieure des Arts Appliqués, puis l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts où il développe son talent et son goût pour le dessin. Lors d’une projection au ciné-club des « Arts’zA », il est subjugué par les dessins animés de Norman MacLaren. Dès lors, il affirmera définitivement son désir de devenir cinéaste. Il poursuit donc ses études à l’Institut des Hautes Études Cinématographique (IDHEC) et sort diplômé, en 1965, de la section récemment créée : « Dessin Animé et Film d’Animation ».

Cette même année, il entre à l’ORTF, en tant qu’opérateur de prises de vues banc-titre, où il se perfectionne et explore toutes sortes de trucages optiques. Il lui semble assez vite en avoir fait le tour et se prend à rêver d’écrans plus larges qui l’éloigneraient du format cathodique...

Benichetti commence alors l’écriture et la réalisation d’un film qu’il veut immersif sur la vie d’un forgeron en Bourgogne. Il tourne par intermittence pendant cinq ans, en Techniscope et en son stéréo, le quotidien de son cousin éloigné du côté de sa mère. Le film est à peine terminé qu’il est sélectionné dans plusieurs festivals internationaux. Le Cousin Jules est encensé par les critiques puis est récompensé, en 1973, du Prix Spécial du Jury au Festival de Locarno. Malgré l’enthousiasme que suscite son film, il ne trouve pas de distributeur. Dominique Benichetti refuse qu’il soit diffusé dans un autre format que celui qu’il a choisi. À l’époque, peu de salles arts et essais sont équipées pour le projeter et Le Cousin Jules restera inconnu en France.

Les échos très positifs de la presse américaine interpellent le président de l’Université de Harvard qui fait appel à l’Ambassade de France à New York pour contacter son auteur. Dominique Benichetti accepte spontanément la proposition qui lui est faite de diriger un cours sur la réalisation de film documentaire, au département des Arts Visuels. Il restera sur le site de Cambridge plus de quatre ans, détaché un temps au département de Physique Expérimentale pour concevoir et fabriquer un androïde à usage télévisuel puis au Centre d’astrophysique au Harvard-Smithsonian où il initie un programme vidéo d’enseignement de l’astronomie.

À la fin de ses contrats, de retour en France au début des années 80, Dominique Benichetti relance l’activité de sa société de production Rytmafilm ainsi que le banc-titre 35 mm qu’il avait personnellement construit et créé dix ans plus tôt. Il se spécialise et réalise des dessins animés, des publicités et des films institutionnels ou médicaux, dans lesquels il exprime largement ses capacités de conteur et de vulgarisateur. Mais peu à peu, l’utilisation de la vidéo se normalise et l’arrivée des images de synthèse programme la fin irrémédiable de sa production qui lui aura permis de signer des dizaines de films en pellicule.

Il rejoue son rôle d’enseignant, à partir de 1991, en mettant en place un cours pratique de cinéma documentaire pour l’Université Paris VIII. Il reprend aussi ses crayons pour écrire puis dessiner les story-boards de plusieurs scénarios de films en relief. Il obtient quelques aides à la réécriture qui lui permettent d’espérer que ses projets aboutiront.

Ces années 90 marqueront également sa rencontre avec Les Productions du Futuroscope, qui développe des projets pour le Parc Européen de l’Image près de Poitiers. Avec sa polyvalence et sa connaissance des formats spéciaux, il s’impose comme un interlocuteur privilégié. Il collabore, pendant près de dix ans, à la conception et à la réalisation de films novateurs ou inédits qui participeront aux succès du Futuroscope. De même à cette époque, il réalise, pour Le Hameau du Vin de Georges Duboeuf, La Revole, la première comédie musicale française en 35 mm relief et Le Prix de la liberté, un film en 360° projeté sur 9 écrans pour Le Musée du Débarquement d’Arromanches, à l’occasion du cinquantième anniversaire du Débarquement en Normandie. Ces deux films resteront longtemps programmés dans leur salle respectivement construite pour leur seule diffusion et seront vus par des millions de spectateurs.


Début 2000, il peine toujours à trouver des partenaires pour ses projets de films en relief. Le film Avatar de James Cameron qui impulsera ce standard dans les salles est encore loin d’être sorti. Il rejoint les équipes d’Arane-Gulliver, le laboratoire spécialiste des grands formats qu’il a contribué, des années auparavant, à installer et à développer. Il continue d’améliorer, inventer et construire quelques machines dédiées au tirage des pellicules argentiques, dans tous les formats. Dans le même temps, avec les nouvelles possibilités qu’offrent les images numériques haute définition, il se lance dans la restauration de son premier long métrage qu’il souhaite diffuser en relief, son format de prédilection. En parallèle, il remporte un appel d’offres pour le Parc Vulcania et termine, en 2009, L’Odyssée magique, son dernier film grand format, en 70 mm 8 perforations, qui mélange prises de vues réelles et animation d’un personnage 3D. Il décède en juillet 2011, à Paris, sans avoir pu terminer la numérisation de son unique long métrage, alors qu’il réussissait à prouver, sur quelques minutes, qu’il pouvait être projeté en relief.

Dominique Benichetti était un virtuose des techniques cinématographiques, un maître de l’optique et de la mécanique. Souvent apparenté à un "professeur Tournesol" touche-à-tout, il était précurseur dans de nombreux domaines. Il laisse derrière lui un grand nombre de scénarios, en relief ou en grands formats, mais aussi plusieurs projets et films inachevés. Un an après sa disparition, ses qualités de cinéaste singulier seront finalement reconnues avec l’engouement critique que suscitera la distribution en numérique, aux États-Unis et en France, de son premier et définitivement dernier film, Le Cousin Jules.


* Dominique Benicheti change son patronyme en Benichetti en 2005 - parution au Journal Officiel.

Merci pour les illustrations de l'article qui proviennent de la Page Facebook "Dominique Benichetti In Memory" consacrée au cinéaste.

Par Cédric Thomas - le 29 avril 2015