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Livres

on ne vit qu'une fois - souvenirs d'hier et d'aujourd'hui
un livre de Roger Moore

Traduit de l'anglais par Frédéric Albert Lévy
Hors Collection
Sortie : le 9 novembre 2017
Format : 15.4  cm x 24 cm
300 pages - broché
Prix indicatif : 19 euros

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Roger Moore s'est éteint le 23 mai dernier alors qu'il venait d'achever son dernier livre. Il aurait eu quatre-vingt-dix ans en octobre. Interprète inoubliable de James Bond, l'acteur britannique le plus "chic" de son époque revient, en détails et avec beaucoup d'humour, sur sa carrière et sur sa vie. Qui était l'homme derrière l'acteur ? Qui était Roger derrière l'archétype de l'aventurier aux mille talents qui l'a rendu aussi célèbre dans le monde entier ? De quoi étaient faits ses rêves alors qu'il était enfant ? Comment aborde-t-on la vieillesse et la décrépitude physique qui l'accompagne quand on a été l'un des sex-symbols les plus éclatants du 20ème siècle ? Roger Moore se raconte, livre ses pensées intimes, à l'aide de petits croquis qui illustrent ce livre/testament. Tour à tour amusant, touchant, perspicace mais toujours lucide, l'acteur fait le bilan de sa vie professionnelle comme de sa vie privée. Une vie bien remplie au service de son public, de son pays et de sa famille.
                                                                                                                                                         (Présentation de l'éditeur)

Pour les quadragénaires dont je fais partie, Roger Moore est James Bond, non parce qu’il est le "meilleur" dans le rôle, comme on a pu le dire de Sean Connery, mais parce qu’il est celui qui a le plus longuement imprimé notre rétine, par sa prestance, sur les deux décennies de notre enfance, de 1973 (Vivre et laisser mourir) à 1985 (Dangereusement vôtre). Outre les films, qui constituaient à l’époque ce qu’il y avait de mieux en matière d’explosions, d’exotisme et de cascades, comment oublier ces affiches merveilleuses et multicolores ornant les devantures des cinémas, où l’on pouvait admirer Moore en combinaison spatiale, Walther PPK au poing, au milieu d’une myriade de James Bond Girls (Moonraker), ou bien en smoking dans un paysage méditerranéen paradisiaque, menacé par une tueuse à l’arbalète, aux jambes sculpturales (Rien que pour vos yeux) ? La disparition du comédien, en mai 2017, a laissé un grand vide, pour beaucoup la sensation d’avoir perdu un proche...

Mais qu’était, au fond de lui, l’homme Roger Moore ? Qu’y avait-il derrière cette face imperturbable, ironique, digne d’un sphynx, que l’on retrouvait également chez le Saint ou Lord Brett Sinclair ? L’acteur avait en partie répondu à cela en racontant sa carrière en 2008, dans l’ouvrage Amicalement vôtre. Mais ce nouveau livre, On ne vit qu’une fois, souvenirs d’hier et d’aujourd’hui, édité à titre posthume chez Hors Collection, et traduit par le spécialiste bondien Frédéric Albert Lévy, est très différent. En vérité, l’ouvrage est beaucoup plus intime que le précédent, et plus surprenant. Il ne s’agit pas d’une narration chronologique, allant de la naissance à la vieillesse, mais d’une libre réflexion sur l’existence, faite par un homme parvenu à la fin de sa vie.

Du haut de ses quatre-vingt-dix ans, à la veille de sa mort, Moore nous fait part de tout ce qui lui traverse l’esprit. A bien des égards, ce livre pourrait s’intituler Dans la peau de Roger Moore, comme il y eut autrefois Dans la peau de John Malkovich. L’analogie avec ce film célèbre de Spike Jonze n’est pas gratuite, le projet de chacune de ces œuvres est bien le même : nous mettre littéralement dans la tête d’un homme et nous faire éprouver, en même temps que lui, toutes ses sensations visuelles, auditives, voire, pour Moore, tactiles ou olfactives ! En effet, Sir Roger n’a qu’à fermer les yeux et nous voilà projetés instantanément, avec lui, au début des années trente, dans la cuisine de sa mère confectionnant une tourte, dans un vieux cinéma crasseux d’après-guerre ou dans un supermarché moderne face à une caisse automatique récalcitrante. Pas de chronologie ici, car la mémoire n’est pas chronologique : pour elle, et le vieil âge renforce cette faculté, tout ce qui remonte du passé prend la même importance et la même présence. "Quand je pense à mes parents, écrit-il de manière émouvante, lui qui a grandi dans un milieu modeste, je sens immédiatement la trace du parfum préféré de ma mère et celle de l’après-rasage auquel mon père était si attaché. Ces deux odeurs sont imprimées dans mon cerveau et, avec quelques autres qui remontent elles aussi à l’enfance, occupent une place particulière dans ma « carte mémoire » : elles ont le goût du bonheur."

Ces flash-back n’ont rien de mélancolique, rassurez-vous. Moore a été toute sa vie un maître de l’autodérision et sa description de la vieillesse est souvent très drôle, pleine de cet esprit laconique et ironique délicieusement britannique : la vieillesse, dit-il entre autres choses, c’est quand "vous regardez votre baignoire en vous demandant si vous pourrez en sortir après vous y être assis"... Le tout accompagné de dessins humoristiques de la main même de l’auteur (l'acteur a commencé sa carrière dans un atelier d’animation) et d’aphorismes sur le vieil âge émis par d’autres célébrités (notre favori étant celui de Sir Norman Wisdom : « Trois choses caractérisent la vieillesse. La première est la perte de mémoire. Les deux autres, je les ai oubliées. »).

De manière subtile, le comédien a ajouté à son texte principal des petits encadrés sur les occasions manquées de sa carrière, qui permettent aux lecteurs de réfléchir aux étranges caprices de la vie. Nous apprenons ainsi qu’au début des années 90, Moore a failli jouer dans L’Expert aux côtés de Sharon Stone, à la place de Sylvester Stallone ! Il est certain que la belle musique de John Barry qui accompagne ce thriller aurait eu une autre résonance avec un interprète de cette classe, un parfum d’éternel retour, celui d’un mythe nommé James Bond, alors figure fantomatique. (1)

Tout au long de ces flux et reflux entre hier et aujourd’hui, on ressent une troublante sensation de proximité et d’universalité : au fil des pages, on est surpris de voir que Roger Moore est, tout comme nous, à la fois noble et lâche, charmant et ronchon, insouciant et hypocondriaque. Et qu’il peut passer deux heures à chercher une petite pile tombée sur la moquette. Pour tout homme qui avance en âge, le temps héroïque de la jeunesse devient une contrée lointaine, étrangère, inaccessible. Mais le vieux Moore a la sagesse, l’humour et l’élégance de s’en amuser : "Je regarde désormais les escaliers d’un regard dédaigneux et circonspect. Je ne saute plus des voitures ; je m’en extrais laborieusement en m’efforçant de n’émettre aucun bruit qui trahirait mes efforts. Finalement, le seul adversaire contre lequel je sois encore capable de livrer bataille, c’est mon étui à lunettes, fermé comme une huître, lorsque je dois examiner un menu."

A dire vrai, le sourire constant que procure cet ouvrage provient d’un étrange spectacle : voir notre grand et beau James Bond se métamorphoser en Mister Magoo !

(1) Rappelons qu’à l’époque la série était presque morte et enterrée : pas d’épisode depuis l’échec de Permis de tuer en 1989, imbroglio juridique quasi insoluble entre producteurs. On ne savait pas encore qu’elle connaîtrait une résurrection en 1995, avec Pierce Brosnan, revenant d’ailleurs à l’esprit de Roger Moore après le réalisme de Timothy Dalton.

Par Claude Monnier - le 29 janvier 2018