Menu
Livres

Midi-Minuit Fantastique L'intégrale vol.2

751 pages
Format : 270 x 220 x 50
Édité par Rouge Profond

Sortie : le 20 octobre 2015
Prix indicatif : 60 euros

Acheter sur Amazon

ANALYSE ET CRITIQUE

Après la parution et la réédition de son formidable ouvrage analysant la réception des films de la Hammer en France, et plus largement le rapport qu’a entretenu dès le départ la cinéphilie française avec la Hammer, Nicolas Stanzick a rapidement enchainé avec une autre idée de projet, assez démentielle, et en collaboration avec les grandes plumes ayant défendu la Hammer dès les années 1960 : la réédition complète, revue, augmentée, corrigée, agrémentée de dizaines de détails supplémentaires, de la fameuse revue Midi Minuit fantastique, magazine culte, et dont la parution s’est échelonnée durant dix années (1962-1972) et 24 numéros. Certains numéros étaient en particulier devenus introuvables, ou alors pour des sommes considérables…

En 2014, le choc se produit : le tome 1 de cette réédition voit le jour et, comble du bonheur, trouve son public. Ce premier ouvrage, de plus de 600 pages, comprenait les six premiers numéros du magazine, tout en les améliorant nettement. Ainsi, les trames de textes furent corrigées, ajustées, et fignolées, sans toucher le moins du monde au cœur du texte original. Les documents iconographiques ont tous été scannés à nouveau, à partir des sources premières (photos, dossiers de presse, affiches…), selon les derniers critères HD, et en permettant à un certain nombre d’entre eux de paraitre enfin en couleur. Les photographies noir & blanc y étaient plus belles que jamais, les affiches originales enfin rendues en couleurs. Des portfolios inédits ont été ajoutés, donnant un « plus » indéniable à la tenue de l’ensemble, sans pour autant toucher à l’intégrité du journal d’origine. Midi Minuit Fantastique retrouvait de fait la place et l’importance qu’il avait à l’époque de sa sortie en kiosque, mais en profitant de conséquentes améliorations qui n’en altéraient heureusement pas l’esprit. Ou de l’art de conserver le ton, la démarche frontiste et l’odeur de l’histoire, en y ajoutant l’exacte teneur de ce qui lui fallait encore de panache et de beauté visuelle, permettant ainsi à cette nouvelle parution de trouver un sens non seulement historique, mais également empreint de nouveauté et de redécouverte (y compris pour les amateurs de la première heure).

Un tome 1 puissant, mais aussi et surtout passionnant, et qui donnait à voir un magazine demeurant très intéressant en dépit de son appartenance datée à une époque désormais surpassée par de nombreuses autres parutions de magazines et autres ouvrages documentés sur le sujet. Plus qu’un simple document nostalgique, Midi Minuit Fantastique conserve trois forces essentielles : son témoignage d’une époque (d’un cinéma en train d’émerger dans les sphères françaises alors peu habituées au fantastique et au cinéma de la transgression de manière générale), son érudition encore inégalée jusque-là (critiques passionnantes, dossiers complets, iconographie gargantuesque et variée), ainsi que ses entretiens réalisés à l’époque de la sortie des films. Agréé à cet énorme travail éditorial, un DVD rempli de documentaires d’époque et autres témoignages vidéo, offrait deux heures de plaisir supplémentaires aux amateurs.

Ce tome 2, sorti en octobre 2015, rassemble les cinq numéros suivants, du n°7 au n°11. Et autant dire qu’il ne démérite pas face au premier. Ainsi, le même travail éditorial homérique est maintenu, renforcé même parfois (le contenu du DVD est étonnant !), au travers de plus de 750 nouvelles pages d’aventures, d’exotisme, de transgression, de fantastique et bien entendu d’érotisme. Car, chose passionnante apparaissant avec ce deuxième tome de l’intégrale de Midi Minuit Fantastique, nous pouvons maintenant observer l’évolution du journal entre les premiers numéros et les suivants. Les dossiers sont parfois plus imposants, et l’érotisme encore bien plus présent. Les portfolios ajoutés pour l’occasion (des suppléments spécifiques à cette luxueuse remise en page) en témoignent par ailleurs généreusement, dévoilant des clichés rares autour de films nébuleux et d’actrices au potentiel sensuel incandescent.

Conjointement aux films de la Hammer, et plus généralement aux films d’épouvante britanniques qui ont ici pignon sur rue (nous serons surpris, et enchantés, de trouver par exemple des textes et une reproduction du dossier de presse d’époque de L’impasse aux violences de John Gilling, un monument du genre…), le cinéma italien est également mis à l’honneur. Les autres cinématographies aussi, selon les cas, pourvu que les découvertes se fassent autour de l’étrange, de l’incompréhensible, de l’immaitrisable, avec une densité rare donnée aux freaks (mot anglais signifiant « monstres ») et aux tensions sexuelles et fantasmagoriques développées au travers de certaines productions dont, par ailleurs, les titres évoquent parfois le fantasme pur et dur, puisque régulièrement inconnus, quelquefois même pour les plus acharnés d’entre nous.

Faire l’article pour chaque numéro s’avèrerait un exercice difficile, car cela obligerait à synthétiser des documents et points de vue remarquables. Cela étant, le numéro 7 foisonne de critiques et notules, composant une véritable encyclopédie du genre, allant du péplum au film fantastique le plus abscond, en passant par une tonne de classiques contemporains et anciens (les fans du cinéma d’épouvante de l’âge d’or hollywoodien, si beau et si naïf, ne seront pas oubliés). Nous noterons en particulier un entretien avec l’illustre Riccardo Freda, mais aussi avec le mythique Terence Fisher (l’un des réalisateurs préférés de l’auteur de ces quelques lignes). Le numéro 8, longtemps introuvable (car interdit quelques semaines après sa sortie initiale), permet de faire le tour d’un panorama des réalisateurs les plus importants du cinéma fantastique depuis les véritables débuts du genre, mais surtout offre un dossier complet thématiquement concentré sur l’objet de sa censure à l’époque : l’érotisme et l’épouvante dans le cinéma anglais. Le matériel iconographique défie l’imagination dans tous les cas, avec des reproductions réimprimées absolument magnifiques ! Certaines des plus belles actrices de l’époque ont droit à quelques clichés inoubliables. Mario Bava y est aussi largement traité.

Le numéro 9 fait le tour du monde de la production fantastique. Il s’agit sans doute du numéro le plus étrange de ce tome 2, en termes de photographies s’entend. Très intéressant, d’autant que conjointement à cela nous retrouvons des entretiens inestimables de cinéastes et d’acteurs légendaires, dont émerge d’ailleurs un bon échange avec le réalisateur Don Sharp (rappelons qu’il est au moins l’auteur d’un sublime chef-d’œuvre : Le baiser du vampire, d’ailleurs largement cité dans le numéro en question). Le reste concerne des critiques et notules une fois encore passionnantes. Ensuite, le numéro 10 se distingue entre autres par un exceptionnel entretien avec Terence Fisher, également évoqué dans un dossier plus avant au sein du numéro. On appréciera en outre de voir largement traité The old dark house ou le cinéaste Roger Corman (qui a droit à un long entretien).

Le numéro 11, enfin, démarre avec un bel entretien avec Edgar G. Ulmer, et continue avec un nombre impressionnant de critiques et notules sur des films parmi lesquels une dizaine de classiques du cinéma d’épouvante de l’âge d’or du cinéma hollywoodien (Dracula, Frankenstein, Les poupées du diable, L’homme invisible…), mais aussi des classiques anglais de la Hammer (Le cauchemar de Dracula), le cinéma japonais (Kwaidan), et aussi le cinéma italien (un vrai bonheur de voir quelque-chose sur La sorcière sanglante, un film immense).

Reste que le travail iconographique effectué offre au lecteur un véritable plaisir de cinéphile (beauté des clichés, grand nombre de photos souvent très judicieusement sélectionnées), mais aussi de collectionneur (avec de nombreuses raretés, tout comme dans le tome 1). Nous serons d’ailleurs particulièrement charmés par l’une des photographies de production échappée du remarquable Danse macabre. Les ajouts sont nombreux, mais bien séparés du reste. Les textes demeurent souvent passionnants, rarement inutiles, et sont idéalement complétés par des ajouts sensés bénéficier d’un nouveau regard. La revue semble ainsi continuer à vivre, et non rester un simple mausolée qu’il ne s’agirait de changer sous aucun prétexte. En cela réside probablement l’un des problèmes majeurs rencontrés par Stanzick et les midi-minuistes lors de la conception de ces rééditions : trouver un équilibre à cette intégrale, lui donner du sens au-delà du simple re-surfaçage (déjà énorme, il convient de l’avouer). En outre, et il est essentiel de le préciser en ces lignes, la lecture de cette intégrale confirme bien ceci : Midi-Minuit Fantastique reste une valeur sûre et unique concernant l’approche du cinéma de genre, et notamment du cinéma fantastique. Car beaucoup des articles et des documents iconographiques présents n’ont jamais été réutilisés ailleurs, beaucoup de sujets n’ont jamais fait l’objet de nouvelles études sérieuses par la suite… Et très honnêtement, qui d’autre que Midi Minuit Fantastique a su offrir en France des entretiens avec Terence Fisher ou Barbara Steele, pour ne citer que ces noms-là ? Leur valeur, fondamentale et historique, est indiscutable.

Le livre se referme sur un DVD aussi généreux, intéressant, et audacieux que pour le précédent tome. Des bonus informatifs, faisant notamment souvent intervenir Nicolas Stanzick, qui s’exprime avec simplicité et sérieux à propos de l’identité profonde de la revue et de ses auteurs pour lesquels son respect (doublé d’une admiration évidente) est total. Ses analyses sont souvent pertinentes. A côté de cela, cinq courts-métrages restaurés (des pièces rares et précieuses, même si l’on aura le droit de ne pas tout apprécier) desquels ressort une œuvre en particulier : Fantasmagorie. 40 minutes qu’il serait impossible de résumer en une ligne, si ce n’est que ce moyen-métrage possède une importance historique esthétique incontestable (au milieu de la production de l’époque). Plus qu’une curiosité, un petit trésor retrouvé.

Si l'on ajoute à cela une préface générale écrite pour l'occasion par Barbara Steele elle-même, le bonheur est complet. L'actrice, si belle et si étrange (héroïne de certains des plus beaux fleurons du cinéma fantastique italien des années 1960, tels que L'effroyable secret du docteur Hichcock ou La sorcière sanglante... deux perles incontournables du genre) possède une bien jolie plume, poétique et sincère, mais dont nous regretterons légèrement l'injustice qu'elle fait aux films anglais de la même époque. Quoiqu'il en soit, Midi Minuit Fantastique vol. 2 n'a pas déçu. Bien au contraire, il s’avère encore un peu plus fort et tout aussi jouissif que le premier volume. Un vrai travail d’historien qu’il faut encourager et célébrer. Et dire qu’il va falloir attendre une année encore pour avoir le tome suivant… Ce sera long. Mais cela vaut le coup. Car cette anthologie est sans doute l’une des meilleures acquisitions potentielles de livre cinéma pour cette année ! A savourer sans modération. Pour l’esprit, pour le propos, pour la liberté de ton, pour le plaisir des yeux.

Par Julien Léonard - le 11 décembre 2015