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Livres

Le cinéma ruiné
de f.w. Murnau
de Stéphane Pirot

72 pages sur papier glacé dont 33 pages de photos
Éditions du Pingouin masqué
"Collection des films invisibles"
décembre 2012

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Analyse et Critique

Fondées en avril 2012, les Editions du Pingouin masqué se sont fixé pour objectif « la découverte de films, l’accès aux courts et longs métrages rares ou méconnus, la valorisation des archives, films et non-films. » Vaste programme parsemé d’embûches, écrire sur les films invisibles tient de l’exercice d’équilibriste sur un fil graissé sans filet financier. Difficulté d’écriture tout d’abord : il n’est guère aisé de passionner le lecteur par des films qu’il ne verra jamais. Le risque est grand d’attiser sa frustration plus que sa curiosité. Seule une recherche de qualité couplée à une écriture et une présentation agréables pourront susciter l’intérêt du lecteur (ou du spectateur dans le cas de reconstitution filmée).

La reconstitution de Four Devils de Murnau, présente sur le DVD de L’Aurore édité par Carlotta, est un bel exemple de réussite : l’histoire est racontée en voix off de façon fluide, accompagnée de détails techniques, d’anecdotes et de contextualisation du long métrage, sur fond de photographies de tournage, d’extraits du script et de storyboard. A l’inverse, celle de London After Midnight de Tod Browning, présente dans le coffret TCM Archives consacré à Lon Chaney, s’était révélée décevante : les auteurs de la reconstitution ont tenté de recréer un film muet à partir des quelques photos de tournage restantes, avec musique, intertitres et moult zooms sur les photos afin de donner une impression de mouvement. Aucune explication, excepté un rapide texte initial. Nous en aurions appris et vu autant en regardant quelques images sur Internet et en lisant un synopsis de dix lignes. Dans le cas de l’écrit, le challenge est encore plus grand : le nombre de photos reproduites est forcément limité, et le texte doit retenir suffisamment l’attention du lecteur. Difficulté financière ensuite : l’édition cinématographique n’est pas en grande forme ces dernières années. Les titres se vendent mal, y compris des livres prestigieux consacrés à de grands réalisateurs, écrits par des auteurs réputés (cf. l’interview donnée par Patrick Brion en ces lieux). Sans vouloir jouer les Cassandre, se positionner sur l’édition de livres consacrés à des films invisibles nous semble très périlleux, et nous craignons que le public ne réponde pas présent, quelle que soit la qualité des parutions.

Pour son premier ouvrage, les Editions du Pingouin masqué ont décidé de s’attaquer à un grand nom du cinéma muet : Friedrich Wilhelm Murnau. En comptant Four Devils, mentionné précédemment et non traité dans Le cinéma ruiné de F.W. Murnau, 9 des 21 films réalisés par Murnau sont aujourd’hui invisibles, partiellement ou complètement disparus. Pour la plupart, il ne subsiste que quelques secondes de métrage et des photos de tournage ou d’exploitation. Ce sont principalement des films allemands remontant au début de la carrière du réalisateur, dont plusieurs avec Conrad Veidt en pleine période expressionniste. Cinq d’entre eux sont abordés dans Le cinéma ruiné de F.W. Murnau : Der Bucklige und die Tänzerin (Le Bossu et la danseuse), Der Januskopf (Le Crime du Dr. Warren), Abend Nacht Morgen (L'Emeraude fatale), Sehnsucht et Die Austreibun. Die Macht der Zweiten Frau (L’expulsion, L’exorcisme). Il existe toujours le mince espoir de retrouver un jour une copie d’un de ces films. Phantom et La Terre qui flambe, deux films de Murnau de 1922 longtemps considérés comme perdus, ont ainsi resurgi dans les années 1970. La probabilité de pouvoir visionner un jour ces titres reste cependant très mince, une constatation fort triste lorsqu’on lit, par exemple, que Der Januskopf « va jusqu’à égaler Caligari, qu’il lui est même supérieur dans certaines scènes prenantes. » (p.32)

Le cinéma ruiné de F.W. Murnau s’ouvre sur une courte introduction de quatre pages, écrite par Stéphane Pirot, le créateur des Editions du Pingouin masqué. Il met en avant la difficulté d’accès aux œuvres de Murnau, les films perdus ne constituant qu’une partie du problème : les films visibles ont survécu dans des conditions souvent précaires, mixage de plusieurs sources, avec des intertitres recréés et une usure souvent perceptible. Une présentation rapide du contenu suit : Stéphane Pirot, nous dit-il, ne cherche pas à reconstituer au plus près les films, le matériel n’étant pas suffisant. A travers un générique, quelques photos et articles de l’époque, il souhaite donner une vision nouvelle du cinéma de Murnau en insistant notamment sur l’importance des éclairages. D’où la place prédominante accordée aux photos, un soin particulier ayant été apporté à leur reproduction (lorsque le matériel d’origine le permet).

Le lecteur ne doit pas s’attendre à une analyse de fond ou à une recherche exhaustive : le livre est court et se lit très rapidement. A l’heure du tout-électronique, l’auteur/éditeur fait le pari du papier avec une sorte d’Imdb amélioré, auquel auraient été ajoutés des photos et un résumé ou une critique d’un journal d’époque. Dès lors, l’intérêt de ce travail est à débattre. D’un côté, loin de tout verbiage, il permet d’en savoir plus sur les premiers films de Murnau en allant à l’essentiel : un résumé de l’histoire et des photos pour retranscrire l’atmosphère. De l’autre, un peu plus de contenu sur le contexte de tournage, sur les acteurs, les techniciens, la réception des films... n’aurait pas été superflu. Et la plupart des informations sont facilement accessibles sur Internet à tout lecteur anglophone ou germanophone.

Au final, les amateurs de Murnau avides de belles photos de tournage sur papier glacé y trouveront probablement leur compte. Les autres, bien que le livre se lise agréablement, resteront sans doute sur leur faim.

en savoir plus

site des Editions du pingouin masqué

Par Jérémie de Albuquerque - le 1 mars 2013