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Livres

la comedie screwball hollywoodienne 1934-1945
de Grégoire Halbout

423 pages + 16 pages de photos sur papier glacé
Format : 240x160x23
Edité par Artois Presse Université dans sa collection "Lettres et civilisations étrangères - Cinémas"

Sortie : le 8 novembre 2013
Prix indicatif : 28 euros

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Analyse et Critique

Qu’est-ce qu’un genre cinématographique ? Quand considère-t-on qu’un ensemble de films constitue un genre ? Quelles sont les caractéristiques et les limites d’un genre ? Ces quelques questions simples en apparence, exemples parmi d’autres de la multitude d’interrogations suscitées par l’analyse d’un genre, déchaînent des débats interminables et illustrent la difficulté de la catégorisation. Il serait cependant dommage de rejeter les études génériques. Le genre constitue un critère de recherche pertinent pour comprendre certaines cinématographies. En France, l’analyse générique n’a longtemps pas été considérée à sa juste valeur, d’après nous pour trois raisons principales :

* la notion d’auteur, longtemps omniprésente dans notre pays, avait tendance à étouffer le genre en mettant l’auteur au-dessus de tout le reste. Un western de Fritz Lang était un film de Fritz Lang avant d’être un western.
* le genre ne faisait pas sérieux. Aujourd’hui encore, on appelle "cinéma de genre" un certain type de cinéma (horreur, science-fiction, arts martiaux, fantastique...) peu reconnu par la critique. Longtemps, le western, genre emblématique du cinéma américain, n’a pas été considéré comme important par l’intelligentsia.
* en France, à l’inverse d’autres pays, le genre a été peu structuré par l’industrie cinématographique, tant au niveau de la production que du marketing. Si genres il y a, ce sont plus des constructions a posteriori regroupant des films aux thématiques proches, comme le réalisme poétique des années 30. Aux Etats-Unis, en Italie ou au Japon par exemple, les genres ont été plus structurants : on produisait et on commercialisait un western, une comédie musicale, un giallo, un péplum ou un chambara.

Après quelques précurseurs dans les années 80, l’analyse générique a réussi à percer en France dans les années 90. Des ouvrages intéressants ont ainsi été écrits sur le western ou le film noir et, depuis le début des années 2000, des études sont consacrées à des genres moins emblématiques.

Ainsi en est-il de La comédie screwball hollywoodienne 1934-1945 de Grégoire Halbout, issue de sa thèse de doctorat rédigée en 2010. Il s’intéresse ici à un genre (1) très particulier et circonscrit dans le temps : la comédie screwball américaine, comédie loufoque de l’ère Roosevelt fondée « sur des situations et des personnages réalistes mais [qui] obéit à un traitement parodique qui confine à l’excentricité. […] Tout y est présenté à travers le prisme du couple américain urbain [de cette époque]. » Dans ce livre, l’auteur s’attache à démontrer l’existence de la comédie screwball en tant que genre, ses caractéristiques et son ancrage dans son époque, à travers l’étude d’une quarantaine de films (parmi les 130 comédies screwball ou apparentées dénombrées par Grégoire Halbout entre 1933 et 1945). Ne voulant pas adopter une approche purement chronologique et/ou étudier uniquement quelques œuvres emblématiques, il tente de cerner la comédie screwball par différentes approches complémentaires.

A l’inverse d’un bon film noir, La comédie screwball hollywoodienne 1934-1945 commence par le début, soit les origines du genre. Né en 1934 avec trois films sortis à quelques mois d’intervalle, It Happened One Night de Frank Capra, Twentieth Century de Howard Hawks et The Thin Man de W.S. Van Dyke, la comédie screwball n’a pas surgi du néant. Elle est l’héritière de l’évolution de la comédie américaine, bouleversée à la fin des années 20 par l’arrivée du parlant et d’une nouvelle génération de scénaristes venus des milieux littéraires et journalistiques de la côte Est. Elle est le résultat de plusieurs années d’expérimentation et fait partie des quatre grands sous-genres de la comédie encore présents au milieu des années 30 (avec une nette domination des deux derniers durant la deuxième moitié de la décennie) :

* la comédie burlesque héritée des années 20
* la comédie sophistiquée, dont le représentant le plus connu est Ernst Lubitsch
* la comédie populiste, portée par des réalisateurs comme Gregory La Cava ou Frank Capra
* la comédie screwball

Ces quatre sous-genres s’entremêlent régulièrement, notamment la comédie populiste et la comédie screwball.

A partir de 1934, et durant une dizaine d’années, la comédie screwball prospère à travers un nombre réduit de protagonistes importants, toujours les mêmes. Leur présence récurrente et la perpétuation de leur fonction d’un film à l’autre ont contribué de façon non négligeable à la formation de la comédie screwball en tant que genre et lui ont donné nombre de ses spécificités. Elle s’articule ainsi autour :

* de quelques studios : principalement la Paramount, la Columbia et la RKO
* de scénaristes : Preston Sturges ou Charles Brackett et Billy Wilder pour citer les plus connus
* de réalisateurs comme Mitchell Leisen, Wesley Ruggles, Alexander Hall ou William Seiter
* d’acteurs et actrices de premier plan. Si on devait n’en citer que quelques-uns : Cary Grant, Fred MacMurray, Clark Gable, Melvyn Douglas, William Powell, James Stewart pour les hommes ; Loretta Young, Myrna Loy, Carole Lombard, Ginger Rogers, Claudette Colbert, Irene Dunne, Jean Arthur pour les femmes
* d’acteurs et actrices secondaires : Eugene Pallette, Jean Dixon, Charles Coburn, Beulah Bondi, Franklin Pangborn...


Au niveau scénaristique, le genre se divise en deux grandes catégories : le nouvel amour, la rencontre et la formation d’un couple ; l’amour ancien, la vie du couple marié depuis plusieurs années qui a perdu la flamme ou s’est perdu de vue. Autour de ces deux schémas, toujours centrés sur le couple et ses problèmes, les récits s’articulent selon une structure ternaire : exposition (rencontre initiale ou lassitude d’un ou des deux époux), confrontation (actions résultant de l’exposition), résolution (happy end). Les mêmes personnages se retrouvent de film en film : les héros sont systématiquement un couple en devenir ou un couple établi dans la société américaine contemporaine ; ils ont des rivaux amoureux peu charismatiques, des alliés (domestique, confident, famille) et des ennemis (le plus souvent un ou plusieurs membres de la famille). Des thèmes récurrents ponctuent leurs péripéties, comme la faim d’un des héros (métaphore de l’envie de sexe), l’alcool désinhibiteur ou le travestissement d’un des personnages principaux.

Malgré la présence de l’entourage et de la société, le couple reste systématiquement l’élément central du film, à la fois amoureux et antagoniste. Cela distingue la comédie screwball de la comédie populiste : la première se focalise sur le couple et ses problèmes personnels ; la seconde donne la priorité à la représentation sociale et au discours moral. Le couple héroïque porte en outre l’essentiel de la charge comique, y compris à travers des scènes burlesques et des gags : la comédie screwball se démarque ici de la comédie sophistiquée, où les gags sont apportés par des personnages secondaires.

Outre ses protagonistes et ses thématiques, Grégoire Halbout estime que la comédie screwball possède une autre caractéristique majeure : elle ne peut être dissociée de son époque en raison de son lien inextricable avec la censure des premières années du Code Hays et de la vision qu’elle propose de la société.

En 1934, année de naissance de la comédie screwball, Hollywood met en place un code de production des films, généralement appelé Code Hays, qui établit toute une série de règles et d’interdits visant à limiter les excès des titres projetées. Le PCA (Production Code Administration) est chargé d’évaluer la bonne conformité des films au code et tamponne le résultat final, une absence de tampon risquant d’entraîner un boycott du film. D’inspiration catholique, ce code très puritain a été créé en réaction à des phénomènes présents dans un certain nombre d’œuvres du début des années 30, par exemple dans les sex comedies à la Mae West : libéralisme social et des mœurs, absence de morale finale, complaisance vis-à-vis de la violence et des hors-la-loi, langage cru... De nos jours, tous ces longs métrages de genres divers sont regroupés dans ce qu’il est convenu d’appeler les films Pré-Code.

La comédie screwball parle essentiellement du couple, des problèmes de couple et de sexe. Le PCA intervenant dès la phase de conception du scénario, le genre développe dès le départ une logique de contournement. Cela n’empêche cependant pas les scénarios de faire de nombreux aller-retour entre le PCA et le studio. Nombreux exemples à l’appui, Grégoire Halbout montre comment les scénaristes et les réalisateurs esquivaient l’esprit du code tout en respectant ses règles, parfois avec le soutien tacite du PCA. Les dialogues, expurgés de tout vocabulaire sulfureux, développaient les sous-entendus, les jeux de mots et les métaphores. Si, théoriquement, le désir devait être systématiquement refoulé et les institutions toujours respectées, dans les faits les contournements étaient nombreux : le gag et la dérision permettaient de diminuer la charge du propos et la morale était à peu près sauve à la fin du récit. Dans tous les cas, une fois le film approuvé par le PCA et prêt à être diffusé en salles, la retenue des producteurs s’envolait et les campagnes promotionnelles prenaient un malin plaisir à révéler tous les sens cachés : afin d’attirer le badaud, les publicités mettaient en avant les aspects les plus scabreux, explicitant métaphores et ellipses.

L’autre lien important de la comédie screwball à son époque est son ancrage dans l’ère rooseveltienne. Comme dit précédemment, les comédies screwball se déroulent dans les Etats-Unis des années 30 et les allusions à la société sont légion. Tout le questionnement et le jeu sur le mariage, omniprésents dans le genre, sont en adéquation avec l’époque, avec l’explosion du nombre de divorces, la multiplication des articles et des ouvrages sur la conjugalité et l’épanouissement dans le couple. Dans une période où les figures d’autorité, jugées responsables de la crise, ont perdu en crédibilité, les figures traditionnelles du père et du fiancé conservateurs sont remises en question au profit d’un amour sexué, joyeux et faisant fi des convenances.

Bien qu’assouplies, les règles ne sont pas toutefois pas fondamentalement remises en cause. On améliore le système mais on ne fait pas table rase. Le mariage demeure la finalité, le travail une valeur rédemptrice, les héros restent attachés à la liberté et à la démocratie américaine. Sans pousser le discours aussi loin que dans la comédie populiste, la comédie screwball plébiscite la société rooseveltienne, les libertés et l’assouplissement des conservatismes qu’elle propose.

Cette présentation de l’ouvrage de Grégoire Halbout reste très partielle : le livre est dense, regorge d’informations et d’exemples, et cette critique se contente de survoler son contenu. Il permet de prendre vraiment la mesure de la comédie screwball sous toutes ses facettes et donne envie de voir, ou de revoir, la plupart des films régulièrement cités. Le style est agréable, très lisible et précis, et l’auteur ne tombe jamais dans l’excès de jargon, défaut trop souvent présent dans les livres universitaires. Une fort belle réussite et nous espérons que Grégoire Halbout continuera dans la voie de la recherche cinématographique.


(1) Ou plutôt à un sous-genre si on considère que la comédie screwball est incluse dans le grand genre fourre-tout "comédie.

Par Jérémie de Albuquerque - le 15 janvier 2014