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Portraits

Ida Lupino à travers ses films

Après le portrait que nous avons consacré à Ida Lupino cinéaste, nous vous proposons dans ce nouveau dossier de parcourir sa carrière à travers l'évocation de ses plus célèbres réalisations.

Ida Lupino, née en Angleterre en 1918, est issue d’une grande dynastie d’acteurs de théâtre dont les racines remontent à la Renaissance italienne. L’histoire raconte qu’elle écrit une pièce de théâtre à sept ans, évènement pas si improbable pour cette jeune fille baignant dans les arts dès sa plus tendre enfance, son père étant compositeur et sa mère une vedette du music-hall. Elle entre à l’Académie Royale d’Art Dramatique à treize ans, et un an plus tard part déjà en tournée dans toute l’Angleterre. Elle débute sa carrière au cinéma en 1932 - elle a alors dix-huit ans - dans un premier rôle que lui offre Allan Dwan.

Après quelques films tournés en Angleterre, elle gagne Hollywood en 1934 et devient en 1940 une star de la Warner. Elle tourne dans une quarantaine de films, pour Hathaway, Negulesco, Curtiz et son mentor Raoul Walsh. Son contrat avec la Warner arrivé à terme, Lupino monte avec son mari, le romancier Collier Young, une maison de production, The Filmakers. Elle passe à la réalisation en 1949 avec Not Wanted, premier film produit par ce studio indépendant, remplaçant au pied levé le réalisateur prévu, affaibli par une crise cardiaque. C’est le début d’une seconde carrière durant laquelle elle réalise six films magnifiques en l’espace de quatre ans. Lorsque le studio fait faillite, elle poursuit sa carrière d’actrice mais continue à réaliser pour la télévision. Elle réalisera en 1966 un dernier long métrage pour le cinéma.

avant de t'aimer (not wanted, 1949)

Not Wanted est le premier film réalisé par l’actrice Ida Lupino, dont la présence derrière la caméra tient en partie à un concours de circonstances. Elle fonde en 1949 Emerald Productions (qui deviendra The Filmakers) avec son époux Collier Young. Le premier film de ce studio indépendant - dont l’ambition est de réaliser des films à petits budgets traitant de sujets invisibles sur les écrans américains - est écrit par Lupino et Paul Jarrico et doit être réalisé par Elmer Clifton. Ce dernier a débuté comme acteur en 1912, puis est passé à la réalisation en 1919, enchaînant un nombre conséquent de films plus obscurs les uns que les autres. Trois jours après le premier coup de manivelle, Clifton subit une grave attaque cardiaque (il décèdera quelques mois plus tard) et Lupino décide de prendre sa relève, la production ne pouvant se permettre d’engager un autre réalisateur. Lupino explique que Clifton, malgré sa faiblesse, est resté près d’elle sur le plateau et qu’elle n’a pas manqué de lui demander conseil (Clifton reste seul crédité au générique). De même, le monteur William Ziegler (celui de La Corde d’Hitchcock) accepte de venir sur le plateau, chose très peu coutumière dans le système des studios, pour vérifier de visu si une idée de mise en scène de Lupino peut être effectivement utilisable par la suite.

Si Lupino est entourée, le film est si personnel, la mise en scène si étonnante, qu’on pressent que c’est par fausse modestie que la cinéaste parle des deux hommes comme de proches collaborateurs. Certainement ont-ils apporté de leur technique, de leur professionnalisme, mais on trouve d’évidence dans ce film les constantes de l’œuvre à venir de Lupino cinéaste, et Not Wanted est indéniablement marqué par son style et sa sensibilité artistique. Magnifiquement photographié (le film a parfois des allures expressionnistes), doté d’une direction d’acteurs sans faille, Not Wanted frappe par la maturité de l’apprentie cinéaste. On imagine que sa longue carrière d’actrice, entamée alors qu’elle n’avait que dix-sept ans, a été l’occasion pour elle d’observer le travail de grands cinéastes et que cette longue pratique des plateaux, ou encore son amitié avec Raoul Walsh, lui ont été bien plus profitables que n’importe quelle école de cinéma. Mais le film est si singulier qu’il est tout aussi évident que l’on se trouve en présence d’une réalisatrice née.

Le film s’intéresse à l’histoire d’une fille-mère poussée à abandonner son enfant. Un sujet très courageux que Lupino aborde avec une sincérité et une sensibilité qui évitent les dangers du mélodrame à vocation sociale. Elle opte pour un ton documentaire, du moins documenté sur le sujet abordé (une constante de son cinéma) mais qui se charge d’une intense force émotionnelle, jusqu’à un final bouleversant, une course muette pour la vie dont la force nous subjugue. Lupino décide au dernier moment de transformer les huit dernières pages dialoguées de son film en un climax purement visuel et signe ainsi l’une des plus belles scènes de sa carrière. Dès ce premier film, elle pose la base narrative de ses réalisations suivantes, soit l’histoire d’une femme blessée dont on suit le lent processus qui l’amène à retrouver goût à la vie, ou du moins à lui redonner un sens. Lupino va ainsi briller avec une série de portraits de femmes d’une infinie sensibilité, loin des canons du cinéma hollywoodien. Son style très singulier, son choix d’aborder des thèmes dérangeants, sa volonté de tourner des films ancrés dans la classe populaire et de ne jamais faire appel à des stars… tout cela fait que chacune de ses réalisations se soldera par un échec commercial. Seule exception, ce film, salué par la critique et qui rencontre un grand succès public. Réalisé pour moins de 100 000 dollars, les bénéfices permettent à The Filmakers de se consolider et de signer un contrat de distribution avec la RKO. Mais les échecs commerciaux à venir, ainsi que le choix de distribuer eux-mêmes leurs films, va en quelques années hypothéquer la sécurité du studio. Pour l’heure, l’engouement pour Not Wanted a suffisamment donné confiance à Lupino pour qu’elle poursuive une carrière de cinéaste née de la nécessité, et au studio pour qu’il poursuive dans la voie courageuse qu’il s’était fixée.

outrage (1950)

Anne Walton (Mala Powers), qui va se marier, est victime d’un viol la veille de l’évènement. Elle essaye de reprendre sa vie, mais ne supporte pas les regards de son entourage. Elle monte dans un car et prend la fuite. Elle erre dans la nuit, se blesse, continue à marcher dans la campagne avant de tomber d’épuisement. Elle reprend conscience dans le ranch des Harrison. Paul Ferguson (Tod Andrews), le pasteur qui l’a trouvé évanouie et l’a mise à l’abri, la prend sous son aile, tout comme les Harrison qui lui offrent le gîte et bientôt un emploi. Mais la famille d’Anne a contacté la police afin de retrouver la jeune fille en fuite et, lorsque celle-ci s’approche de son refuge, Anne reprend la route pour ne pas être rattrapée par son passé...

Lupino évoque avec Outrage de manière brillante et profonde les blessures inguérissables provoquées par un viol. Anne ne peut supporter les réactions de son entourage, quelle qu'en soit la nature. Elle désire reprendre sa vie, mais elle ne voit plus dans les regards de ses proches que de la compassion, de la curiosité malsaine, voire du dégoût. Elle n’a plus l’impression d’être Anna à leurs yeux, mais d’être une femme violée, n’existant plus qu’à travers le drame qu’elle a vécu. Pour redevenir Anne, elle doit devenir une étrangère, une errante, s’arracher au monde qu’elle connaît pour essayer de recommencer une nouvelle vie ailleurs, au milieu d’inconnus dont les regards seraient vierges de ce drame. Mai le viol n’existe pas que dans les yeux de son entourage, il est en elle et conditionne sa vision des autres, du monde. C’est ce qu’elle doit comprendre pour guérir.

Outrage est le récit de cette lente guérison et Anne est un personnage central du cinéma de Lupino qui, passée réalisatrice, n’a cessé de mettre en scène des êtres blessés par la vie qui cherchent comment panser leurs blessures. Cette blessure, le viol, est un moment de cinéma magistral : Lupino met en place une série de détails qui poussent le criminel à passer à l’acte. On ne dirait pas qu’il a au départ de telles intentions, mais c’est l’espace, la façon dont la ville est mise en scène (passant d’une vision réaliste à un quasi expressionnisme au cours de la séquence) qui semble faire que le viol ait lieu ; comme si c’était la ville toute entière, la société, qui contenait le crime en son sein. Le film ne s’attache d’ailleurs pas à trouver le coupable, à le punir, à se venger de lui, ce à quoi un film hollywoodien classique se serait attaché à faire. Outrage est une œuvre profondément poignante, sans jamais que le drame ne semble forcé, artificiel. Ainsi, lorsque Lupino filme une scène de séparation bouleversante, elle interpose un bus entre le spectateur et le couple qui se fait ses adieux. Cette retenue est l’une des grandes forces du style Lupino, la simplicité des histoires et des procédés nous emmenant vers une émotion pure et profonde. La cinéaste n’use pas des rouages classiques du mélodrame et refuse de faire des films à thèse, toutes choses qui viennent contredire ce qu’on pourrait attendre de ses films à la lecture des scénarios (un fille mère qui doit abandonner son enfant, une danseuse atteinte par la poliomyélite…).

Cette retenue dans les effets ne signifie pas une mise en scène simpliste : Lupino, tout au contraire, maîtrise merveilleusement le cadre, l’espace. Ainsi, c’est contre une barrière que l’héroïne est violée et la réalisatrice ne va cesser de placer des éléments renvoyant à cet objet partout dans les cadres, glissant par le biais de l’image combien le drame vécu par Anne est profondément ancré en elle et conditionne son regard sur le monde. Mala Powers, une inconnue du cinéma hollywoodien tout juste âgée de dix-sept ans (âge auquel Lupino elle-même a commencé sa carrière en tant qu’actrice), se révèle bouleversante, évitant tous les clichés que son rôle pouvait appeler. Lupino favorise toujours dans ses film les acteurs inconnus, les visages nouveaux, s’écartant des modes et des tics d’Hollywood.

Outrage est un film éblouissant de maîtrise. Pour sa troisième réalisation, Lupino atteint la sérénité des grands maîtres, fait preuve d’une maturité tout bonnement sidérante. Le film, une commande de Howard Hughes, coûte 250 000 dollars. Son sujet, bien trop en avance sur les mœurs américaines, déstabilise un public peu habitué à voir des films de cette trempe. L’échec commercial est patent, d’autant que le contrat avec Hughes entraîne un partage des recettes. La situation financière de The Filmakers, le studio indépendant fondé par Lupino, devient de plus en plus délicate, ce qui n’empêche pas la réalisatrice et sa société de production de garder le cap et de continuer à tourner et à produire des œuvres à l'écart des modes hollywoodiennes.

jeu, set et match (Hard, Fast and Beautiful,1951)

Hard, Fast and Beautiful, quatrième réalisation d’Ida Lupino, est une charge féroce contre le carriérisme et le culte de la réussite. Cette success story dépressive raconte comment une mère détruit la vie de sa fille pour assouvir ses propres frustrations. Florence Farley (Sally Forrest) est, depuis son enfance, sommée par sa mère Millie (Claire Trevor) de faire carrière dans le tennis professionnel. Ambitieuse, assoiffée de reconnaissance, Millie pousse sa fille dans un monde de compétition dont visiblement elle ne veut pas. On retrouve dans le rôle principal Sally Forrest, qui a déjà joué sous la direction de Lupino dans Not Wanted et Never Fear. L’actrice est, tout comme Lupino, d’origine anglaise et ceci n’est certainement pas sans rapport avec le fait qu’elle soit devenue l’espace de trois films une alter ego de la cinéaste lorsque celle-ci passe derrière la caméra. Rapprochement d’autant plus frappant que Forrest ressemble beaucoup à Ida Lupino jeune.

Hard, Fast and Beautiful tourne beaucoup autour de son duo d’actrices, leur jeu portant les enjeux du film : Sally Forrest est tout en fragilité, en sensibilité à fleur de peau ; Claire Trevor, de con côté, fait sentir dans chacun de ses gestes la psychose de son personnage. Pour Lupino, le culte de la réussite tient bien de la folie, et ce même si c’est l’un des fondements de l’american way of life. La famille, autre élément sacré de la culture américaine, est ici également présentée comme le nœud du dysfonctionnement. Une simple vue de la chambre à coucher des parents de Florence, avec ses deux lits individuels disposés tête bêche, suffit à montrer la névrose de cette famille américaine qui fait route vers le succès. Florence voit sa personnalité confisquée par Millie : c’est sa mère qui parle à sa place, qui décide de sa vie. Lupino utilise plusieurs fois des images qui renvoient à l’idée de marionnette (un mannequin, un petit chien mécanique), une symbolique un peu appuyée, d’autant que Lupino est passée maître dans la concision et la retenue des effets.

Le film est d’ailleurs d’une facture plus classique que les précédentes réalisations de Lupino, même si cette dernière est entourée de ses collaborateurs réguliers (les réalisations de The Filmakers se font en famille) : Archie Stout à la photo (Never Fear, Outrage), William Ziegler au montage (Not Wanted, Never Fear). C’est plus d’ailleurs au niveau de la narration (pour une fois, Lupino n'a pas participé à l’écriture d’un de ses films) que du style que ce classicisme se ressent. Hard, Fast and Beautiful n’en reste pas moins une œuvre passionnante par ses thèmes, son interprétation et les éclats de mise en scène de Lupino. La dernière séquence voit Millie seule, abandonnée, dans un court de tennis vide. On devrait déguster la victoire de Florence sur sa mère, la jeune fille étant parvenue à s’émanciper de cette figure possessive, mais c’est l’amertume qui l’emporte devant cette vie brisée par la folie du succès. Si cette scène nous emplit d’émotion, c’est uniquement par la façon dont elle est filmée, cadrée, éclairée. Du grand art qui montre qu'Ida Lupino reste, même dans un schéma plus classique, une réalisatrice de premier plan.

bigamie (the bigamist,1953)

Harry (Edmond O’Brien ) et Eve (Joan Fontaine) vivent à San Francisco. Mariés depuis huit ans, leur couple se délite : Eve ne peut avoir d’enfants et, pour essayer de compenser ce manque, se consacre entièrement à sa vie professionnelle. Harry, toujours amoureux, se sent délaissé. A Los Angeles, où il passe la moitié de son temps pour affaires, il fait la connaissance de Phyllis (Ida Lupino). Ils deviennent amis, puis amants. Lorsque Eve accepte finalement de lancer une procédure d’adoption, Harry décide de rompre avec Phyllis. Mais celle-ci vient de tomber enceinte et Harry ne peut pas l’abandonner à son sort...

Si Ida Lupino n’est pas créditée au scénario de The Bigamist (alors qu’elle a participé à l’écriture des autres films qu’elle a mis en scène), le film s’inscrit pleinement dans la lignée de ses précédentes réalisations. La présence de Collier Young n’est par ailleurs certainement pas pour rien dans l’unité de l’œuvre de la cinéaste. The Bigamist raconte comment un homme marié tombe amoureux d’une autre femme et l’épouse lorsqu’il apprend qu’elle est enceinte, tombant dès lors sous le coup de la loi. La bigamie, sujet très peu traité au cinéma, n’est pourtant pas le coeur du film. Ce qui intéresse avant tout Lupino, c’est de parler d’êtres prisonniers d’une vie qu’ils n’envisageaient pas d’avoir. Harry et Eve voient leur couple se disloquer au fil des années. Ce n’est pas par manque de sentiments - on sent qu’ils sont toujours profondément amoureux l’un de l’autre - mais parce que les aléas de la vie font qu’ils ne peuvent former un couple comme un autre. C’est le récit d’une histoire d’amour survenue trop tard et qui vient mettre en péril une autre histoire d’amour, certes malmenée par les aléas de la vie, mais toujours vivace. Harry n’a rien d’un séducteur, et son histoire d’amour avec Phyllis naît d’abord de sa maladresse à aborder cette fille. Ils deviennent amis car ce sont deux âmes solitaires, perdues dans San Francisco, et leur histoire d’amour advient tout naturellement, sans éclats.

Dans un mélodrame classique, Harry aurait été dévoré d’amour pour Phyllis tout en souffrant d’une femme acariâtre et possessive, trame également éprouvée du film noir. Lupino joue d’ailleurs brillamment sur cette imagerie du film noir. The Bigamist démarre dans le bureau de Mr. Johnson, employé d’une agence d’adoption qui annonce aux Graham que leur dossier est accepté mais qu’il doit mener une enquête sur les deux époux. Le film a alors tous les atours du film noir : un secret à découvrir, une course contre la montre entre un enquêteur et un suspect qui se sait traqué, le tout porté par une musique et une mise en scène jouant sur le suspense et la tension. Cette première partie court jusqu’à ce que Johnson découvre le deuxième foyer d’Harry. Il pénètre dans la maison et confond le criminel. Mais l’habituel coup de feu qui serait survenu dans un polar est remplacé par le cri d’un enfant. Ce cri stoppe la musique, casse le rythme, rompt avec l’imagerie du film noir. Le film change radicalement de registre avec la confession d’Harry qui remonte le temps, raconte le délitement de son couple, sa rencontre avec Phyllis et les évènements qui l’ont amené à avoir cette double vie. La musique reprend, sur un mode mélancolique, à l’image du film qui devient terriblement poignant.

Si The Bigamist est moins abouti formellement, moins étonnant que Not Wanted ou Outrage, il n’en demeure par moins une œuvre passionnante, portée par la justesse du regard de Lupino et par une interprétation magistrale. La réalisatrice signe ici l’une de ses plus belles apparitions à l’écran et Joan Fontaine est parfaite, jouant merveilleusement bien de cette fausse froideur qui masque difficilement la tristesse profonde de son personnage. Edmond O’Brien est quant à lui magistral dans un rôle masculin à la fragilité et à la sensibilité peu coutumières dans le cinéma américain. On le retrouve à l’affiche du Voyage de la peur, réalisé la même année par Lupino.

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le voyage de la peur (the hitch-hiker,1953)

Roy Collins (Edmond O’Brien) et Gill Bowen (Frank Lovejoy) prennent la route pour une escapade à deux, cachant à leurs épouses respectives qu’ils s’en vont en virée du côté du Mexique. Ils prennent sur leur route un auto-stoppeur, Emmet Myers (William Talman), qui se révèle être un dangereux criminel en fuite recherché par la police de plusieurs Etats pour une série de meurtres commis contre des automobilistes. Le fuyard prend les deux hommes en otage et les oblige à le conduire jusqu’à la frontière mexicaine.

Ce film, tourné la même année que The Bigamist, tranche avec les précédentes réalisations de Lupino. D’une part car il ne prend pas comme sujet principal le parcours d’une femme meurtrie mais se consacre à un trio masculin, d’autre part car Lupino s’essaye à un genre très codé et, ce faisant, modifie son approche de la mise en scène. Lupino et Collier Young partent d’un fait divers sanglant qui vient de se dérouler en Californie : un homme a assassiné une famille (dont trois enfants) avant de prendre un couple en otage, forçant celui-ci à faire route jusqu’au Mexique où il espère échapper à la police. Le film est un exercice de style assez brillant même si, au final, on ne peut que rester sur sa fin lorsqu’on le compare aux autres réalisations si fortes et originales de Lupino. Mais cette envie de se confronter à un genre très codé et de travailler sur un tout nouveau style correspond aussi à une volonté de la part de la cinéaste d’évoluer dans son métier.

Elle a démarré sa carrière de réalisatrice par hasard, et l’a poursuivie à la fois en tirant moult enseignements des cinéastes qu’elle a côtoyés sur les plateaux et en suivant son instinct et ses propres aspirations artistiques. Elle souhaite certainement à ce moment de sa carrière tenter une autre approche de la mise en scène, en l’élaborant et en la pensant dès avant le tournage. Le film à suspense est certainement le meilleur moyen pour elle de s’y essayer, le comique n’étant pas vraiment son fort et le mélodrame - genre qui demande aussi une écriture cinématographique extrêmement précise - ayant toujours été un genre qu’elle souhaite aborder de biais. La rupture avec ses autres films n’est pas non plus totalement franche et l'on retrouve dans  The Hitch-Hiker cette linéarité du récit propre à la cinéaste, ainsi qu’une galerie de personnages perdus, désorientés, qui ne savent pas comment faire face au drame qui les accable. Si la mise en scène de Lupino est des plus efficaces, notamment dans la mise en place de l’intrigue - magistralement menée par une série de plans brefs extrêmement pertinents et pensés - l’intrigue se révèle trop répétitive, voire routinière, pour que l’on adhère totalement au film. Le Voyage de la peur est une œuvre bancale, une curiosité qui mérite néanmoins franchement le détour, ne serait-ce que pour la qualité de l’interprétation et les quelques brillantes idées qui la parsèment.

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Dossier : Ida Lupino cinéaste

Par Olivier Bitoun - le 28 janvier 2013