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Livres

Hitchcok
par
Hitchcock

386 pages
Editions Flammarion,  collection "POP culture"
Novembre 2012
Sous la direction de Sidney Gottlieb
Traduction et préface de Pierre Guglielmina

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ANALYSE ET CRITIQUE

Encore un ouvrage sur Hitchcock

Telle fut notre première réaction en apprenant la sortie de Hitchcock par Hitchcock, énième livre en français consacré au réalisateur. Depuis les années 60, l’édition française apprécie le "maître du suspense", en traduction ou en texte inédit. Loin de s’épuiser, la mode s’est poursuivie dans les années 2000 et au début des années 2010, avec plus d’une dizaine de nouveaux recueils lui étant consacrés, sans compter les nombreux articles ou chapitres dédiés au sein de titres plus généralistes. Il devient de plus en plus difficile de faire preuve d’originalité, et l’amateur déjà possesseur de quelques pavés dans sa bibliothèque n’en est que plus exigeant. Pour justifier sa pertinence, Hitchcock par Hitchcock propose de faire "parler" le réalisateur par l’entremise de textes inédits écrits tout au long de sa carrière, de 1927 (après une courte nouvelle d’une page datée de 1919) à 1977. 46 articles se succèdent sur un peu moins de 400 pages, souvent très courts et présentés dans un ordre à peu près chronologique.

Au premier abord, on pense immédiatement au célèbre Hitchcock/Truffaut, interview fleuve disséquant les films et le style du réalisateur. L’espace d’un instant, on se prend à espérer un complément moins orienté, moins dirigiste. Malgré ses qualités et son immense intérêt pour tout amateur de Hitchcock, Hitchcock/Truffaut comporte des défauts. L’influence de Truffaut est constamment palpable, par ses questions, ses interventions et sa présence admirative : Truffaut a des opinions bien tranchées (parfois fort discutables) sur le cinéma, sur la réalisation, et oriente les questions dans le sens de ses idées ; Hitchcock, de son côté, aime plaire à son public, à ses admirateurs, aime être flatté, et ses réponses cherchent à satisfaire son interlocuteur. Le résultat est absolument passionnant mais il est autant une interview de Hitchcock qu’une démonstration par Truffaut de ses théories. A l’inverse, à l’exception de quelques interviews, Hitchcock par Hitchcock est un recueil de textes écrits par Hitchcock, sans interlocuteur physique en face de lui, dans lesquels il est libre de développer sa pensée sans influence extérieure.

Ne faisons pas s’impatienter le lecteur : Hitchcock par Hitchcock n’est pas un nouvel ouvrage de référence et n’égale en rien Hitchcock/Truffaut. C’est un livre bancal, qui ne satisfera ni les néophytes ni les spécialistes du réalisateur, en raison d’une accumulation de défauts. L’ouvrage pâtit principalement de son principe même. La majorité des textes écrits par Hitchcock au long de sa vie ont été mis bout à bout. Hitchcock n’étant ni un écrivain, ni un théoricien, ce sont généralement de courts articles pour des journaux très divers. Il y aborde tantôt des problèmes techniques, tantôt des considérations générales sur son métier ou sur le cinéma, et les textes sont souvent trop courts pour développer une réelle réflexion. Il se borne le plus souvent à répéter quelques principes et anecdotes, en réponse à une question issue de la ligne éditoriale du journal dans lequel il intervient. A quelques exceptions près, ces journaux sont à diffusion assez faible et restreinte, destinée à un public précis, anglais ou américain. Hitchcock n’hésite pas à se répéter d’un article à l’autre, citant régulièrement les mêmes anecdotes et pensées. Malgré l’intérêt de le voir embellir à chaque passage ses histoires, les rendant toujours plus cinématographiques, le lecteur se lasse de lire plusieurs fois les mêmes choses.

La comparaison avec Hitchcock/Truffaut joue également fortement en sa défaveur. Quasiment tout ce qui est dans Hitchcock par Hitchcock était déjà dans Hitchcock/Truffaut, que ce soit les anecdotes amusantes ou les observations cinématographiques. L’inverse est loin d’être vrai, Hitchcock par Hitchcock n’abordant que très peu de films du réalisateur. Quelques rares passages, concentrés dans la deuxième partie, méritent tout de même une attention particulière. Ce sont des articles techniques, dans lesquels Alfred Hitchcock revient sur des problèmes concrets rencontrés lors de ses tournages. Dans « Mon film le plus excitant », article le plus passionnant, il explique en détail les difficultés du tournage de La Corde et les astuces utilisées ; dans « Eclairages, caméra, action - Entretien avec Herb A. Lightman », il revient sur les innovations introduites sur le tournage du Rideau déchiré ; dans « C’est un oiseau, c’est un avion, c’est Les Oiseaux », il détaille les trucages des Oiseaux ; et « Hitchcock au travail » présente une réunion de travail de 1976 entre Hitchcock, Evan Hunter et Robert Boyle à propos d’un film qui ne se concrétisera jamais. A noter enfin une préface assez étrange du traducteur, Pierre Guglielmina, absconse et peu dans l’esprit des textes compilés.

Bien qu’assez agréable à lire, Hitchcock par Hitchcock n’apporte rien de neuf. Son principal intérêt est de suivre l’évolution ou la permanence des idées du réalisateur sur certaines problématiques au cours du temps, comme l’utilisation du suspense ou la conformité du film à la réalité. Hitchcock manifeste plusieurs fois son intérêt pour des acteurs populaires américains ou pour des films d’autres réalisateurs, élément notablement absent de Hitchcock/Truffaut. C’est à peu près tout, soit un bilan plutôt faible pour presque 400 pages d’articles. Au final, nous conseillerons au novice de se tourner vers Hitchcock/Truffaut, non surpassé dans son créneau. L’amateur éclairé pourra aller fureter du côté d’Alfred Hitchcock : Une vie d'ombres et de lumière de Patrick McGilligan, traduction française récente d’un ouvrage américain de 2004. Centré sur l’analyse du travail du réalisateur, le livre, est bien réputé et fourmille apparemment d’informations sur les œuvres d'Alfred Hitchcock.

Par Jérémie de Albuquerque - le 17 décembre 2012