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Interviews

"Pendant deux ans, on a tout fait pour avoir une interview de Scorsese. Tout. On a harcelé son assitante. Nicolas est même allé à son bureau de New York. Il a vu son chien : on lui a dit qu’on écrivait un bouquin sur son maître, mais bon, ça n’a pas changé grand chose. Scorsese tournait The Aviator, doublait un personnage dans Gang de requins, se consacrait aux commentaires audio pour la série de DVD Warner qui viennent de sortir, préparait son livre avec Robert De Niro ainsi que son documentaire sur Bob Dylan… Impossible de l’avoir."

Alexis Trosset referme la porte de son appartement. Son débit vocal est scorsesien. Tout en rejoignant le café où aura lieu notre entretien, il ne cesse de deviser sur Clouzot, Kubrick ou la vidéoprojection. Nicolas Schaller nous rejoint bien vite. Tous deux journalistes à Première - Alexis Trosset est également réalisateur -, ils se connaissent depuis le lycée, et nous offrent aujourd’hui leur premier ouvrage, une étude conséquente de la carrière de Martin Scorsese.

Jeff Costello : Quelle est l’histoire de la création de ce livre, et pourquoi le choix de Martin Scorsese ?

Nicolas Schaller : C’est l’histoire de plusieurs rencontres. D'abord la nôtre, il y a dix ans.

AT : Ce qui nous a réuni autour de Scorsese, c’est la découverte de After Hours quand on était encore au lycée. Je l’ai vu par hasard un dimanche soir, en deuxième partie de soirée, sur TF1. Les conditions étaient pitoyables : version française, coupures pub… Et malgré ça, j’avais l’impression d’être dans un autre monde. Il y avait quelque chose de magique. Le lendemain, en discutant, on s’est aperçu qu’on avait vécu la même expérience.

NS : Alors qu’il est souvent considéré comme un film mineur. Ensuite, ce fut la rencontre avec notre éditeur : nous lui avons proposé plusieurs cinéastes, et sommes tombés d’accord sur Scorsese. Tout le monde le considère comme un cinéaste majeur, l’un des plus grands, mais il n’y a jamais eu de véritable livre sur son œuvre en français. A part celui de Michel Cieutat dans les années 1980 qui s’arrêtait à La Couleur de l'argent. Il y a bien eu les livres de Scorsese, co-écrits avec Michael Henry Wilson, adaptés de ses documentaires, et le Scorsese on Scorsese qui est une retranscription de certaines de ses interventions dans des facs. Sinon, il y a eu un petit livre intitulé Regard sur la Trahison, et celui sorti chez Gremèse.

AT : Aux Etats-Unis, il en existe pas mal, notamment des entretiens avec ses collaborateurs et des ouvrages universitaires, mais en France, aucun.

NS : L’idée était de faire un livre d’analyse exhaustif, mais qui reste lisible.

AT : On s’adresse aussi bien à ceux qui aiment Scorsese et s’intéressent à son œuvre, qu’à ceux qui le connaissent un peu moins bien et ont la tête pleine de clichés réducteurs - le sang, la violence, la religion, la mafia…

Roy Neary : Justement, le thème de la religion vous touche-t-il particulièrement ?

AT : La réflexion de Scorsese sur la foi me touche beaucoup. Que l’on soit croyant ou non, le thème de la religion est intéressant en soi. Car au-delà du principe même des croyances et des convictions, c’est toute la mythologie religieuse qui est passionnante. La Dernière Tentation du Christ est certainement mon film "religieux" préféré car de toutes les oeuvres traitant de près ou de loin à la foi, c’est la plus intelligente, la plus audacieuse. On sent vraiment que c’est fait par quelqu’un qui a pensé à ça toute sa vie. J’ai du mal à trouver les mots pour décrire la façon dont il nous montre le Christ ; c’est tellement humain… et ce film contient aussi tout ce que l’on trouvait déjà dans les œuvres précédentes.

RN : Votre livre montre d’ailleurs que La Dernière Tentation du Christ représente une coupure dans sa carrière, alors qu’on considère souvent Raging Bull comme le film de la rupture.

AT : Après Raging Bull, Scorsese a dit « C’est la fin d’un cycle, je recommence tout ». C’est donc un film charnière, au même titre que La Dernière Tentation du Christ. Je pense que si on lui avait dit « Tu fais La Dernière Tentation du Christ mais tu meurs trois jours après », Scorsese n’aurait pas hésité.

JC : C’est vrai qu’entre ces deux films, on sent qu’il s’agit d’une période d’incertitude, où il hésite. Quand il fait La Valse des Pantins, il change complètement de style, il abandonne ses légendaires travellings. Une période où il réalise des films extraordinaires, mais souvent mal considérés.

NS : C’est aussi une période différente pour l’économie du cinéma américain, avec l'impact de Star Wars et l'arrivée des blockbusters pop corn des années 80. Scorsese a du s’adapter à ce marché, se trouver une légitimité dans un système qui lui était totalement étranger tout en réalisant des films qui avaient un minimum d'intérêt à ses yeux. La Valse des Pantins a déstabilisé beaucoup de monde à sa sortie et s'est fait massacrer. Mais depuis, il ne cesse d’être reconsidé. Les années 80 mènent surtout à cette arlésienne qu’était La Dernière Tentation du Christ. Dans le livre, nous avons essayé de retranscrire cette courbe sinusoïdale que suit sa carrière dans les années 80.

AT : Scorsese a une faculté d’adaptation incroyable. Même s’il travaille dans la douleur... Par exemple, il a accepté de participer au film New York Stories alors qu’il est asthmatique; il devait composer avec tous les solvants des peintures malgré ses gros problèmes de respiration.

RN : Votre livre consacre à peu près le même nombre de pages, entre huit et dix à chaque film, alors qu’on s’attendrait à ce que Taxi Driver en ait quinze et Alice n’habite plus ici six. C’est une volonté de réhabiliter certains films ?

AT : C’est pour être objectif. Pour des monuments comme Taxi Driver ou Raging Bull, on pourrait en faire des tartines. Il nous semblait important d’en dire plus sur certains autres films, comme l’a fait Nicolas dans sa partie sur les courts métrages. Personne n’avait analysé correctement ses courts auparavant, que ce soit dans des livres anglais, américains ou tchétchènes !

RN : Et pourquoi n’avez-vous pas analysé son court-métrage pour ‘Amazing Stories’ ?

NS : En dehors des longs métrages, Scorsese a fait énormément de choses : de la télé, des clips, des pubs pour Armani, des documentaires… Comme nous étions limités en place, nous avons décidé de concentrer les longues analyses sur les films de cinéma et de parler de ses autres travaux dans les parties biographiques et thématiques.

RN : L’éditeur avait-il des exigences particulières ?

AT : Non, il nous a fait confiance et nous a laissé une liberté totale. On a vraiment fait ce qu’on voulait. Il n’y a qu’une chose qu’on n’a pas mis dedans, et c’était un choix personnel : il existe un film sur Charles Manson intitulé Helter Skelter. Ils ont évidemment demandé à Scorsese de jouer le rôle principal, car une fois maquillé, la ressemblance est flagrante. J’avais voulu le montrer, mais je me suis demandé ce qu’il penserait en voyant sa photo à côté de celle d’un des pires criminels du XXème siècle. Évidemment, si on avait eu 200 pages de plus…

NS : … ou au moins une dizaine pour pouvoir mettre un index.

RN : Le but de ce type de livre est-il d’approfondir l’analyse de films célèbres ou de faire redécouvrir des œuvres moins connues ?

NS : Les deux. Nous voulions aussi bien traiter en profondeur des œuvres trop souvent négligées que proposer une synthèse sur les classiques souvent analysés, quitte à essayer d’aller un peu plus loin. Comme, par exemple, dans l’article d’Alexis sur Casino axé davantage sur le sens métaphorique du film que sur sa mise en scène à proprement dit. L’un des buts du livre était aussi de créer une sorte de bible comprenant un maximum d’infos - box-office, etc. On m’a fait remarquer que si on regarde les entrées de ses films dans les années 70, on constate qu’un film comme Taxi Driver, qui, à priori, devait intéresser dix personnes, a quand même fait 2 800 000 entrées France. Aujourd’hui, une superproduction comme Gangs of New York avec des stars telles que Leonardo DiCaprio et Cameron Diaz fait à peine 2 millions d’entrées. C’est assez révélateur des changements auxquels Scorsese a du s’adapter. Il a beau être l’un des plus grands réalisateurs au monde, il a dû apprendre.

AT : J’espère qu’en lisant certains articles, les lecteurs auront envie de revoir les films sous un angle différent. Que l’on soit cinéphile ou non, je suis persuadé que l’on peut trouver un film mauvais alors qu’il suffit parfois d’être aiguillé dans une direction qui nous a échappée pour finalement l’apprécier à sa juste valeur.

RN : Je me trompe peut-être, mais certains articles, comme ceux consacrés à Taxi Driver ou Les Affranchis sont très réfléchis et méticuleux, alors que d’autres, comme After Hours, sont plus portés par l’émotion.

AT : Quand on écrit sur Taxi Driver et Raging Bull, deux piliers de l’œuvre scorsésienne que les fans ont vu trente-cinq fois, on se demande forcément : qu’est-ce que je vais mettre dans mon article qu’on n’a pas déjà lu partout? On est obligés d’être très méticuleux, d’autant plus que ce sont des films tellement foisonnants...

NS : Par exemple, pour Les Affranchis et Casino, deux films très proches, on les a chacun abordés d’une manière très différente. Moi, sur Les Affranchis, j’ai eu une approche plus analytique en terme de mise en scène, de mouvements de caméra, etc. Quant à Casino, qui est l’un des films dans lequel la mise en scène est la plus aboutie mais déclinée de celle des Affranchis, Alexis a davantage traité la construction narrative et la thématique. Comme le disait Thelma Schoonmaker, la monteuse de Scorsese, « Casino a une trame de fond, mais pas d’intrigue ». L’article d’Alexis permet de mieux saisir le fil conducteur et la richesse de ce film.

AT : Je pense à un truc maintenant… dommage, j’aurais bien aimé le mettre dans le livre (rires). On dit souvent que plus on va vers la simplicité, plus on se rapproche de l’Art. Scorsese, c’est tout le contraire : montage complexe, parcellisation de l’espace, mouvement permanent… et pourtant, c’est de l’Art.

RN : Justement avec le recul, est-ce que vous considérez la carrière de Scorsese comme une œuvre à part entière, ou bien arrivez-vous à les distinguer et à critiquer sévèrement certains d’entre eux ?

NS : J’espère qu’on est arrivé à échapper à ce côté " politique des auteurs" qui mène à tout justifier chez un cinéaste. Selon moi, Boxcar Bertha est son plus mauvais film. Nous avons aussi des réserves sur La Couleur de l’argent, New York New York

AT : Même dans La Couleur de l’Argent, on trouve une telle virtuosité qu’il est impossible de dire que le film est mauvais .Le livre nous a aussi permis de redécouvrir des films sous un jour nouveau. J’ai, par exemple, découvert beaucoup de choses en revoyant Raging Bull.

NS : Même chose pour moi avec A Tombeau Ouvert. C’est un film qui m’avait laissé perplexe à sa sortie. Je l’avais mal compris. Il contient un humour noir inattendu et, surtout, une frénésie qu’on ne lui connaissait plus depuis un moment.

RN : Comment jugez-vous l’accueil mitigé qu’a reçu Gangs of New York, aux Etats-Unis et même en France où Scorsese est considéré comme un demi-dieu ?

JF : Ne serait-ce pas du aussi à sa réputation de film mutilé, déjà un an avant sa sortie ?

AT : Remonté ou non, il faut juger le film tel qu’il est. On sent qu’il y a eu des coupes sévères, mais je trouve que le film tient très bien la route. Rien que pour le plaisir de rentrer dans une salle de cinéma et de découvrir les vingt premières minutes époustouflantes…

NS : La scène de combat ressemble plus au montage russe des années 1920 qu’à du Michael Bay, comme cela lui a été bizarrement reproché. C’est le problème du manque de recul de la critique. La presse voit le film le mardi et doit faire la critique le mercredi. Il faut du temps pour digérer un film comme celui-là. C’est aussi pour ça qu’un film difficile à appréhender comme Kundun a été reçu avec des pincettes polies. En plus, Scorsese bénéficie d’un tel statut qu’on attend un chef-d’œuvre à chacun de ses films. Et puis, pour Gangs, il y a eu toute l’histoire autour du film : sa production dantesque, la présentation du montage apéritif de 20 minutes à Cannes… Les gens ont commencé à juger le film à ce moment-là, ce qui est aberrant. Paradoxalement, le chaos de la production de Gangs of New York se retrouve dans le film et le sert, notamment dans sa description d’un New York apocalyptique.

JC : Comment écrit-on un livre en commun ? Et pour le choix des films, vous avez tiré au sort ?

AT : On se relisait réciproquement pour s’assurer qu’il n’y avait pas de redites ou de décalage de styles. Quant au choix des films, comme Nicolas était l’initiateur du projet, je lui ai laissé la priorité.

NS : Je ne pouvais pas laisser passer After Hours. En fait, je me rends compte que j’ai hérité de pas mal de ses "films maudits" comme La Valse des pantins ou New York, New York.

JC : Il y a un plaisir particulier à défendre ces films ?

NS : Bien sûr. En même temps, il est moins difficile de défendre un film maudit de Martin Scorsese qu’un film maudit de Joel Schumacher.(rires).

RN : Comment le cinéma de Scorsese a-t-il influencé votre cinéphilie et votre vie professionnelle ?

AT
: C’est simple, il m’a rendu fou.

NS : Il est à l’origine de mon amour du cinéma. A ce propos, on dit souvent que les jeunes cinéastes s’inspirent de Scorsese dès que l’on voit un plan-séquence au steady-cam, en référence à ceux impressionnants des Affranchis. Filmer un type qui rentre dans une boîte en roulant des mécaniques, ça ne suffit pas. Il y a peut-être une tentative d’adaptation de la forme, mais il manque souvent tout ce qu’il y a derrière. Chez Scorsese, il y a un point de vue. Dès que je vois un élément pris dans son oeuvre, je ne peux pas m’empêcher de l’écrire. Par exemple, un film clairement pompé, alors qu’à priori il n’a rien à voir : Janis & John, qui reste un film sympathique par ailleurs. Bien sûr, il y a l’utilisation de la musique, mais surtout certains plans qui sont les mêmes que ceux filmés par Scorsese. Et ça, je ne l’ai vu écrit nulle part. Pourtant, on m’a chambré là-dessus à la rédaction. Mais je pense que suis tellement influencé par son cinéma que j’en retrouve des traces partout.

AT :La plupart du temps, ce sont des "emprunts" visuels replacés dans un contexte tellement différent qu’ils n’ont plus aucun sens.

NS : C’est pareil pour ce qui est de la violence. Contrairement à ce que certains ont pu écrire, Scorsese ne glorifie pas la violence. Il la montre de façon réaliste. Quand tu vois le dernier plan des Affranchis et le regard mort de Ray Liotta, tu n’as pas une seule seconde envie de vivre sa vie.

RN : C’est peut-être aussi parce que Scorsese est aujourd’hui un "classique".

JC : Au même titre que Hitchcock ou Kurosawa, ses figures de style font désormais partie de la grammaire cinématographique.

RN : Vous préférez le Scorsese très torturé du début ou celui d’après La Dernière Tentation du Christ ?

AT : Ce que je trouve magnifique, c’est de constater que Scorsese a 61 ans et qu’aujourd’hui encore il ne cesse d’évoluer. Il n’a jamais perdu son énergie, dans aucun de ses films.

NS : Son niveau créatif est impressionnant, surtout comparé aux autres cinéastes de sa génération. Il suffit de voir le dernier De Palma ou certains Woody Allen récents pour voir à quel point certains maîtres peuvent s’auto-caricaturer en vieillissant. Un réalisateur qui aurait voulu parodier De Palma aurait pu faire Femme Fatale. C’est un problème que l’on retrouve surtout chez les cinéastes formalistes. Chez De Palma, le fond naît de la forme. Chez Scorsese, le fond et la forme s’imbriquent, se répondent. Dans Kundun, par exemple, on retrouve la patte Scorsese dans le montage, les effets de caméra et dans la thématique. Mais tous ces éléments s’adaptent à un style inhabituel, une sorte d’opéra au rythme très lent. Scorsese doit être le cauchemar des services marketing des studios qui ne doivent pas savoir comment vendre ses films : Kundun a fait un score minable aux Etats-Unis, quelque chose comme 1 million de dollars. A Tombeau Ouvert a été vendu comme le nouveau Nicolas Cage.

JC : Ainsi que comme une "suite" de Taxi Driver : retour à New York, Paul Schrader au scénario,…

NS : Oui mais pour ceux qui venaient de voir Nicolas Cage dans Les Ailes de l’Enfer ou 60 Secondes chrono

RN : Est-ce que son rapport à la violence n’a pas aussi changé ?

AT : Aujourd’hui, c’est moins une violence physique qu’une violence existentielle.

NS : Si A Tombeau Ouvert est la version "apaisée" de Taxi Driver, c’est aussi parce que le contexte est différent. L’époque de Taxi Driver était à la drogue, à la guerre du Vietnam, aux tendances suicidaires… Aujourd’hui, Scorsese a 60 ans, il a eu plusieurs enfants… Le personnage de Taxi Driver voulait "faire le ménage", celui d’A tombeau ouvert est plus enclin à sauver des vies.

RN : A la lecture du livre, on sent que vous aimez bien Les Nerfs à vif ?

AT : Ca me fait plaisir de l’entendre. Ca ressemble à un film grand public mais derrière le vernis du thriller horrifique, ça reste un film de Scorsese. On le sent partout ! Et Robert De Niro est hallucinant.

RN : La fin du film a pu être mal interprétée. Le personnage de Nick Nolte trouve une sorte de justification pour son crime, une rédemption en lavant ses mains ensanglantées dans l’eau.

AT : De quel crime est-il question au juste ? Max Cady, c’est le diable. On ne sait pas vraiment s’il est mort. Comme dans une fable, il risque de revenir.

NS : .Et puis, après sa mort, on ne se dit pas que la famille va vivre heureuse parce qu’elle s’est débarrassée du démon. Comme dans un film de Joel Schumacher (rires). Les parents et leur fille sont revenus à un état primitif, maculés de boue. Quelque part, la famille est morte aussi. Ce qui est une manière plutôt maligne d’assurer le spectacle final avec un climax et de l’action comme on le lui avait demandé. Une manière détournée de sacrifier au côté spectaculaire hollywoodien sans tomber dans les clichés héroïques traditionnels.

AT : C’est très différent de la version d’origine.

RN : Quels sont vos films favoris dans son œuvre ?

AT : Je décerne une mention spéciale à La Dernière Tentation du Christ, même si d’autres sont plus aboutis. Peut-être aussi parce que personne ne l’aime et qu’il s’est fait massacrer à sa sortie.

NS : After Hours. Je sais très bien que ce n’est pas son meilleur film, mais c’est celui dont je me sens le plus proche. Sinon, Les Affranchis. Mais c’est très difficile de choisir quand, à côté, il y a aussi Taxi Driver, Le Temps de l’innocence...

AT : Si j’ai le droit d’en citer un deuxième, je dirais Casino. Si quelqu’un me demandait « Qu’est-ce que le cinéma ? », je lui montrerais Casino. Le film-bilan d’un siècle de cinéma.

NS : Je suis d’accord. Mais Casino est tellement riche qu’il faut presque du courage pour s’y replonger. Je peux revoir After Hours tous les jours, mais pas Casino.

RN : Vous citez plus facilement ces films que des monuments comme Raging Bull ou Mean Streets. Vous n’avez pas non plus beaucoup d’atomes crochus avec New York New York ?

NS : Il y a beaucoup de choses intéressantes dans New York, New York. Mais, pour le coup, c’est vraiment ce que l’on appelle un "grand film malade".

AT : Et quand même, un film avec Liza Minnelli de 2 h 40… il faut s’accrocher. En plus elle chante dans celui-là (rires).

NS : De Niro est pourtant formidable… Mais Scorsese venait de recevoir la Palme d’Or, se noyait dans la drogue. Il s’est retrouvé avec un gros jouet pour enfant gâté, la possibilité de devenir Minnelli le temps d’un film. Il a voulu faire deux films en un en mélangeant le musical des années 50 et le film de couples à la Cassavetes. Deux genres représentatifs de la dualité qui habite Scorsese.

RN : L’attachement au classicisme hollywoodien et à la modernité des années 70 en somme.

JC : Quelle est pour vous l’importance de l’iconographie dans ce genre de livre ?

AT : Faire un livre de cinéma sans images, c’est une aberration en soi. On a évité les photos déjà connues, hormis quelques classiques, et on a puisé directement dans les films en utilisant les captures d’écran.

RN : J’aime aussi les comparaisons, comme entre The Big Shave et Psychose.

AT : Il y a également le fait de placer plusieurs photos côte à côte parce que leur association veut dire quelque chose. Comme on voulait aussi créer du mouvement et présenter des aspects différents du film qui correspondent sur la même page.

NS : On est aussi assez fier de la page présentant tous les films qui l’ont marqué : Wendy dans Peter Pan (sa première émotion sexuelle), L’Evangile selon St Mathieu, Le Roi des rois, Umberto D.… Je me dis que si Scorsese voit cette page, ça lui fera sans doute plaisir.

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Par Franck Suzanne et Ronny Chester - le 1 août 2004