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Interviews

Après s’être infiltrés dans l’antre de Carlotta, vos serviteurs se sont aujourd’hui attaqués à un autre éditeur français prestigieux : Wild Side Vidéo. Un 'Incontournable' du marché du DVD s'est prêté au jeu des questions réponses, sans langue de bois. Manuel Chiche nous livre ses secrets professionnels les plus intimes et revient sur un parcours déjà éloquent. Magneto Jeff !

Jeff Costello : Comment définiriez-vous l’esprit Wild Side ?

Manuel Chiche : Un esprit de joueurs de baby-foot (rires). Plus sérieusement, je dirais que l’esprit Wild Side résulte d’un croisement entre l’artisanal et l’industriel. Une boîte ouverte et conviviale qui possède la rigueur nécessaire pour développer une activité pérenne. Notre volonté est simple : exhumer les classiques oubliés mais également faire découvrir les réalisateurs de demain. Une mission dont nous essayons de nous acquitter du mieux possible .

JC : Quelles sont les origines de votre maison d’édition ?

MC : Les personnes à l’origine de Wild Side ont un parcours commun : un passage plus ou moins long chez différentes Majors de l’édition vidéo. Au départ, un groupe d’amis décide de quitter Studio Canal pour monter deux sociétés, l’une d’édition vidéo et l’autre d’acquisition de droits. Nous avons été les premiers à nous lancer dans ce type d’éditions DVD, du moins de cette manière en ce qui concerne les classiques du cinéma. Je pense d’ailleurs que nous avons devancé les responsables de Carlotta Films, qui excellait dans la distribution salles avant de faire son apparition sur le marché du DVD. Carlotta est un éditeur que nous apprécions beaucoup, il propose des éditions de qualité tout en développant une ligne éditoriale spécifique. Notamment, ils réalisent un travail d’analyse des œuvres a posteriori, qu’ils confient à des gens qui sont souvent étrangers à la conception de l’œuvre. Alors que chez Wild Side, nous recherchons soit des documents d’archives, soit le concours des artistes qui ont contribué directement à l’œuvre. A titre d’exemple, Tatsuya Nakadai a accepté de collaborer pour cinq films et Kazuo Koike s’est montré tout aussi enthousiaste pour Baby Cart. En ce qui concerne le cinéma asiatique, nos équipes sillonnent toujours les routes en quête de matériel inédit. Les films de la Shaw Brothers offrent à ce titre des opportunités infinies !

Roy Neary : Les films de la Shaw Brothers représentent un marché de niche. Comment se passe la concurrence avec les éditions Celestial Zone 3 que vos clients potentiels ont déjà eu le réflexe d’acheter ?

MC : Je n’éprouve pas un sentiment de concurrence. Le produit que nous proposons est différent des éditions Celestial. Tout d’abord parce que nous procédons souvent à des retouches supplémentaires sur l’image et le son, sous-titrons tous nos titres, et que nous en doublons un tiers, s’agissant des films que nous considérons comme des œuvres majeures, viables aussi bien à la location qu’à la vente. Ensuite, parce que nous proposons des suppléments originaux qui semblent être, d’après de nombreux échos favorables, appréciés du public. Enfin, nous misons beaucoup sur le packaging qui, même s’il est relativement accessoire, revêt une importance particulière auprès des cinéphiles, tout comme les livrets que nous proposons dans ces éditions. Pour prendre un exemple, La 36e Chambre de Shaolin doit aujourd’hui tourner autour des 15 000 unités vendues, ce qui représente, selon nous, un bon résultat. Avec L’Hirondelle d’or, nous visons 10 000 exemplaires en fin d’année. Evidemment, tous les titres ne sont pas aussi porteurs, les éditions qui proposent un doublage français sont celles qui ont le plus de chance de s’imposer. En janvier 2005, CinéCinéma va démarrer sa programmation télé des productions de la Shaw, ce qui va certainement les rendre davantage populaires et démythifier leur côté pointu et inaccessible.

RN : Comment sélectionnez-vous vos titres ?

MC : Lors de négociations menées il y a deux ans, nous avions établi une sorte de « Best of » composé de trente-deux titres. Depuis, nous avons approfondi nos connaissances, discuté avec des spécialistes et affiné nos choix. Cette année et l’année prochaine encore, nous sortirons ce qu’on pourrait appeler les incontournables. Ensuite, nous élargirons notre offre, nous viserons des produits plus difficiles d’accès, comme la Kung Fu Comédie.

JC : Certains de nos lecteurs se demandent si vous comptez éditer des comédies musicales de la Shaw Brothers ?

MC : Même s’il existe certains titres qui me tentent énormément, je dirais non, car nous serions confrontés à ce marché de niche que vous évoquiez précédemment. Dans un registre différent, nous pensons travailler sur les films érotiques, nous devrions en sortir un ou deux. Par contre, nous allons éviter le fantastique, un genre qu’à la Shaw j’apparente à du cinéma bis, même si nous recevons des avis divergents sur ce sujet.

JC : Combien de films avez-vous achetés ?

MC : En tout, 46 films. Nous avons sélectionné 16 films pour la première année, 14 sur pour la deuxième, et 6 pour la troisième. Et pré-sélectionné pas mal de choses pour la suite, notamment The 14 Amazons

JC : Sans être trop indiscret, les négociations ont-elles été difficiles avec Celestial et la concurrence ?

MC : Il y a eu aussi Metropolitan, Pathé… pas mal de monde en effet. Oui, la négociation a été difficile . Mais c’est notre volonté de conclure ce marché et la façon dont nous avons présenté l’exploitation qui, je pense, ont convaincu Celestial. Aujourd’hui, ils semblent satisfaits. Nous aussi d’ailleurs. L’enjeu véritable, en dehors du DVD, demeurait l’apport d’un diffuseur télé. Sans lui, le marché devenait compliqué. TPS et Multithématiques (Cine Cinema) ont souhaité les diffuser sur leur antenne. Nous sommes ravis, car Multithématiques s’est engagé avec beaucoup d’enthousiasme, ils ont même décidé de diffuser des compléments de programme avec les films. Toutes ces décisions ne peuvent qu’être bénéfiques à notre travail.

RN : Comment cela s’est-il passé avec les Zatoichi ?

MC : En raison du nombre de films qui composent la série des films Zatoichi, elle ne peut être confiée qu’à un seul diffuseur. Pour nous, il s’agira du « Best of » des Zatoichi, 14 films sur un total de 26.

JC : Comment avez-vous opéré votre choix ?

MC : De la même façon que pour la Shaw Brothers. Nous avons tenté de nous concentrer sur les films réalisés par Kenji Misumi. Puis, suivant diverses recommandations, nous avons sélectionné les titres qui nous semblaient les plus opportuns.

JC : Avez-vous de bons retours sur les ventes des Zatoichi ?

MC : Excellents. Nous sommes très contents, et même assez surpris. Nous pensions que le travail mettrait plus de temps à porter ses fruits, mais nous avons été énormément aidés par le succès du Zatoichi de Takeshi Kitano. Les ventes des Zatoichi font partie des très bons scores obtenus cette année. Curieux, les gens ont acheté les titres les uns après les autres.

RN : Comptez-vous éditer un coffret dans un avenir proche ?

MC : Cela nous paraît difficile en ce qui concerne les Zatoichi. Le seul coffret, qui vient d’ailleurs de sortir, comprend le remake Zatoichi de Kitano et le titre originel de la série. Kitano a beau s’être défendu d’en faire un remake, je vous invite vraiment à comparer les deux.

JC : D’une manière générale, qu’est-ce qui détermine la politique éditoriale de Wild Side ?

MC : L’équation entre nos goûts et la viabilité des titres sur le marché.

JC : Y a-t-il un équilibre avec les sorties, par exemple, des titres du catalogue Bac Films qui se vendent bien et qui permettent éventuellement de sortir des films qui ont moins de succès ?

MC : Très peu de films se sont révélés déficitaires et même dans cette éventualité, l’aide octroyée par le CNC nous permet, généralement, de combler les pertes.

JC : Quelles sont vos meilleures ventes et quelles ont été vos déceptions éventuelles ?

MC : En ce qui concerne les déceptions, je dirais le coffret Films Noir de Kurosawa, dont je ne comprends pas l’échec commercial. Selon moi, il s’agit de trois chefs-d’œuvre absolus, d’une modernité sidérante. Le titre s’est vendu à 4.000 exemplaires, une misère par rapport à la qualité artistique de ces œuvres et au travail de restauration que nous avons effectué. Je n’ai pas vu le DVD de Chien enragé édité par Criterion, mais je serais curieux de voir le résultat, car nous sommes tous deux partis des mêmes éléments, une copie 35 mm tiré d’un négatif extrêmement endommagé . Nous avons dû réaliser entre 150 et 170 heures de restauration. Nous avons même réétalonné l’image qui provenait d’une copie très pâle. L’éclairage me semblait douteux. Nous avons donc retravaillé les contrastes pour arriver à un résultat que je trouve franchement satisfaisant. Pour les deux autres films, le travail fut plus facile, le matériel disponible étant de bien meilleure qualité. Ce sont nos copies 35 mm qui ont été récemment projetées en salles. Nous avons été les premiers à proposer une copie 16/9e pour Entre le ciel et l’enfer, l’édition Criterion ne proposait qu’une image 4/3. Cependant, l’accueil a été décevant. Autre grosse déception, Body and Soul, probablement selon moi le meilleur film de boxe jamais réalisé.


RN : Peut-être le film souffre-t-il de sa confidentialité ?

MC : Justement, je pensais qu’un titre de cette envergure créerait la surprise. Je crois que nous devons être les seuls à l’avoir édité et je ne suis pas certain que la Paramount l’ait déjà sorti. Malheureusement, le bouche à oreille sur lequel nous comptions n’a pas eu lieu. Par contre, un titre comme L’Enfer de la corruption a lentement mais sûrement trouvé un public, convaincu de son importance cinématographique. En conclusion, quatre films qui me tenaient énormément à cœur n’ont pas encore trouvé grâce aux yeux des cinéphiles.

JC : Et pour en revenir à vos meilleurs scores ?

MC : Un film comme Le Pianiste atteint 280.000 unités vendues. En ce qui concerne les classiques je pense que le meilleur score concernant l’Asie doit être La 36e Chambre de Shaolin avec 15 000 unités (édition simple et coffret trois films confondus). Dans la série des Introuvables, le coffret Le tigre du Bengale / Le Tombeau hindou doit se situer aux alentours des 6 000 unités vendues.

JC : Qui est à l’origine des Introuvables ?

MC : Les Introuvables, c’était un vieux dada, l’envie de lancer une collection qui proposerait les titres dont nous avons toujours rêvé. Criterion a servi de modèle, notamment leur logo et leur politique qualitative. Mais le véritable modèle est un éditeur musical allemand, Bear Family Records, spécialisé dans la musique country et rock américaine des années 40-60, ce que j’ai vu de mieux depuis des années en terme d’édition !

JC : Quelles caractéristiques doit présenter un film pour être édité dans cette collection ?

MC : Une fois de plus, il s’agit de classiques oubliés, les critères sont donc relativement éclectiques. Je précise que j’ai toujours détesté l’esprit de chapelle, j’apprécie donc le mélange des genres et des cultures. A ce titre, je pense que le film de sabre japonais des années 1960 et les westerns spaghetti ont de nombreux points communs. De même pour les cinémas américain et chinois des années 1970. Des passerelles se créent et apportent un regard neuf sur la cinéphilie. C’est cet esprit que nous tentons de recréer au travers de nos Introuvables.

RN : Vous éditez également quelques grands classiques reconnus dans cette collection. Lettre d’une inconnue de Max Ophuls ne s’apparente pas vraiment à un classique oublié.

MC : En effet, mais aviez-vous déjà vu ce film dans de telles conditions ? Le temps passé à restaurer cette copie fait de sa sortie DVD un événement.

JC : Il y a un débat qui court chez nos lecteurs à propos des Introuvables. Certains ne comprennent pas qu’un Ophuls et qu’un Fulci se retrouvent dans la même collection.

MC : Cela ne me pose pas de problème, d’ailleurs la question du choix des films ne se fait pas en ces termes-là. Wes Craven vient également d’intégrer la collection.

RN : Editez-vous ces films à un rythme régulier ? On a l’impression qu’ils sortent par à-coups.

MC : C’est vrai, les sorties se font au gré des découvertes et des restaurations. Nous adaptons nos plannings afin d’éviter la concurrence dans ce créneau. Mais, mis à part les westerns italiens et Les Frissons de l’angoisse, il n’y a pas eu trop d’accrocs.

JC : La parution des Frissons de l’angoisse s’est donc faite dans des conditions difficiles ?

MC : Un vrai calvaire. Nous avons passé deux ans à trouver le matériel adéquat. Puis il a fallu reconstituer les versions audio et sous-titrer les passages qui n’avaient jamais été doublés. La copie, que nous avons retravaillée, est à la base identique à celle proposée par Anchor Bay, en un peu mieux . Après deux ans de travail ardu, nous sous sommes dits que nous n’arriverions pas à faire mieux. Je ne considère pas le résultat comme exceptionnel, mais il me convient . La sortie des westerns italiens, qui, mis à part El Chuncho, correspondent aux versions Anchor Bay, fut également un calvaire. Il a fallu dénicher les versions françaises et sous-titrer les passages inédits. Si nous prenons en compte le rythme de production, le travail est considérable.

JC : Au sujet de la restauration, quelle politique privilégiez-vous ? Le rachat de masters déjà restaurés ou l’investissement personnel ?

MC : Sur ce plan là, nous ne différons pas des autres éditeurs. Aujourd’hui, acheter un master restauré, s’il est à notre goût, simplifie notre vie et notre marge. Mais, jusqu’à présent, le cas s’est rarement présenté. Généralement, nous devons refaire des télécinémas, mais heureusement, nous avons un assez joli stock de copies 35 mm en très bel état. Cela dit, je me serais bien passé de ces investissements.

RN : A combien peuvent se chiffrer ces investissements ?

MC : Pour une copie 35 mm neuve d’un classique, il faut compter environ 2 000 €, plus le télécinéma qui se chiffre aux alentours des 5 000 €. Viennent ensuite s’ajouter les frais de restauration. Rapidement, on peut atteindre 10-12 000 € rien que pour le master. Et je ne parle ni du sous-titrage ni du nettoyage audio. Les dépenses s’accumulent rapidement.

RN : Puisque certains films demandent beaucoup de dépenses, êtes-vous tentés d’éditer des titres avec un minimum d’investissement éditorial et à bas prix ?

MC : Si le marché continue d’entraîner les prix à la baisse, nous serons obligés de modifier notre politique économique, ce qui implique une répercussion sur la qualité. C’est frustrant, mais c’est un équilibre à trouver. Nous sommes une entreprise comme les autres, nous avons des actionnaires. Nous devons proposer une image de qualité tout en rendant nos produits plus accessibles. Il s’agit d’un défi quotidien !

JC : Que vous inspire ce marché des DVD à bas prix, ces titres que l’on trouve dans les solderies ou en complément d’un journal ?

MC : Nous avons participé à certains DVD vendus avec des journaux, trois pour être exact : Monsieur Batignolle, The Barber et L’Ami américain. Cette expérience n’a pas eu de répercussion négative sur leur vente dans le réseau traditionnel. N’oublions pas que la vente « avec journal » est un phénomène épisodique, qui ne dure pas plus que quelques jours. En ce qui concerne les DVD à petit prix, ils risquent de désorienter le consommateur qui finira par perdre de vue la valeur réelle d’un titre DVD. Est-ce 1 €, 6 €, 10 € ou encore 14 € ? Cette tendance a modifié les habitudes de consommation. Mais je comprends la logique économique des Majors : leurs éditions couvrent le monde entier et leur pressage n’est pas cher. Le raisonnement économique est implacable. Mais pour un éditeur indépendant comme nous, c’est très dur. C’est le même DVD qui tourne et on le décote d’année en année. Je prends la collection western de la Paramount comme exemple. Quand ces films sont sortis, j’avais très envie d’acquérir Un homme nommé Cheval ou Cent dollars pour un shérif. Mais à 22,99 €, vu la qualité de leurs éditions, l’achat était impensable. En revanche, quand ils sont ressortis à 14,99 €, j’en ai acheté six (rires).

RN : On a d’un côté les majors comme vous disiez, et de l’autre les éditions à très bas prix vendues sur Internet. Je pense par exemple aux séries Ciné Club.

MC : Tout à fait. D’ailleurs ils ont repris notre typologie d’emballage. Mais si leur packaging est très soigné, la qualité technique n’est heureusement pas encore à la hauteur. Mais en tant que label indépendant, notre marge d’action est limitée, nous ne pouvons que suivre la tendance. A nous de trouver des solutions et de nous adapter.

RN : En optant pour des rééditions à bas prix par exemple ?

MC : Le jour où nous baisserons les prix, ce qui ne saurait tarder, nous serons obligés de changer de typologie d’emballage et de supprimer les livrets. Nous garderons les packagings de qualité pour les éditions prestige et événementielles Mais la qualité de restauration de nos films qui est, je crois, notre marque de fabrique, ne va, elle, pas changer. Car nous ne sommes pas qu’éditeurs de DVD, nous sommes aussi distributeurs salles et vendeurs télé. Nous jouons sur trois tableaux. Si nous options pour une baisse de prix, celle-ci frapperait de plein fouet la collection des Introuvables, qui serait alors proposée dans une version "light", avec la même galette. Le coût de fabrication du packaging et du livret des Introuvables est énorme. Au prix où nous les vendons, soit 21,99 €, je peux vous dire que la marge est serrée. Si nous en vendions 12 ou 15 000 unités, le problème ne se poserait pas. Mais ce n’est pas le cas. Nous ne pourrons pas tenir éternellement car, somme toute, nous nous adressons à un cercle souvent plus restreint que ce que nous imaginions au départ. Quand nous avons lancé Les Frissons de l’angoisse, je pensais que nous en écoulerions 10, 15 voire 20 000 exemplaires. Au final, nous terminerons l’année aux alentours des 8 000 unités vendues. Ce n’est pas tout à fait le résultat escompté.

RN : Et qu’en est-il des rééditions qui consistent à ressortir un titre avec une amélioration technique ou accompagné de nouveaux suppléments ?

JF : Je pense particulièrement à Goyokin.

MC : Cela ne nous était jamais arrivé jusqu’à Goyokin. La rencontre avec Okazaki Kozo, tout à fait fortuite, nous a permis de parfaire nos connaissances sur le film. Pour la première fois, nous nous sommes dit que nous disposions de suffisamment d’éléments de valeur pour faire une édition Collector. Le making of, tourné par Okazaki Kozo, même s’il n’est pas d’une qualité technique extraordinaire, se révèle un document d’exception. Je pense qu’il n’y aura que les possesseurs de la première édition qui se plaindront de cette réédition. Et encore…

RN : Les gens s’impatientent aussi pour l’édition des Baby Cart.

MC : Il faudra en effet être patient (rires). Nous prévoyons d’organiser une ressortie en salles des six films en copie neuve, en juillet ou en août 2005, suivie d’une sortie DVD en septembre.

JF : Quand les éditions HK Vidéo les ont sortis, nous savions déjà que vous deviez les éditer. Beaucoup d’entre nous hésitions car nous nous demandions ce que vous alliez proposer de plus.

MC : En terme de qualité d’image, je pense que notre copie sera un cran supérieure, mais, honnêtement, la copie HK était plutôt satisfaisante. Nous prévoyons d’inclure un entretien avec Kazuo Koike, ainsi que plusieurs modules sur la transposition de la BD à l’écran, la violence au cinéma, etc., énormément de documents d’archives et un livre de 80 pages. Nous devrions proposer un coffret des six films, accompagné d’au moins un DVD pour les compléments. Il n’est pas exclu qu’il y ait les reproductions des affiches originales à l’intérieur du coffret.

JC : Justement, à propos du packaging, des jaquettes et du design, êtes vous animés par un esprit de collection ? La volonté d’en mettre plein la vue ?

MC : Nous sommes sensibles à l’esthétique. Depuis la création de Wild Side, nous travaillons avec le même graphiste (Valérie BOUCREUX – Agence Atomika), qui est responsable de quasiment tous nos packagings et affiches de cinéma. Un style a fini par s’affirmer avec le temps. Nous rêvions que la notoriété et la qualité du label soient telles que le public, fidèle et confiant, finirait par acheter le nouveau titre, sans se soucier de la nature du film. Ce que l’on pourrait appeler le syndrome Criterion. Dans la réalité, ce n’est pas vraiment le cas. Nous devons donc faire un peu plus d’efforts que prévu.

RN : Puisque nous évoquons les éditeurs, cherchez-vous des accords ou en avez-vous conclus avec des éditeurs étrangers comme Anchor Bay, Criterion ou Bfi ?

MC : En matière d’achat, nous recherchons les masters existants, mais nous n’avons pas d’accords spécifiques. Tout se joue au coup par coup. Pour Sisters, on nous a proposé de nous racheter bonus et packaging pour une exploitation mondiale. De même, il arrive que le Bfi nous contacte afin d’acheter nos copies. Parfois, nous sommes intéressés car cela signifie de nouvelles rentrées d’argent. Enfin, de notre côté, nous pourrions acquérir, par l’intermédiaire de la Toho, les masters de Criterion.

JC : A propos de Sisters, le problème du léger recadrage a été soulevé.

MC : J’en porte la responsabilité. Il n’y avait pas vraiment le choix, car les sous-titres français étaient incrustés dans le négatif. Pour les quelques scènes incriminées, deux options s’offraient à nous : soit nous laissions les sous-titres français, et le résultat aurait été très laid, soit on pratiquait ce petit recadrage. Alors oui, il y a bien un zoom, mais je vous assure que ce recadrage est extrêmement léger. J’avoue qu’une telle maniaquerie me dépasse… Nous n’avons pas le sentiment d’avoir commis un crime de lèse-majesté.

RN : Puisque l’on évoque les questions qui fâchent, certains de nos lecteurs émettent des critiques à l’encontre de certains titres. Par exemple, le cadrage de Shock Corridor qui est zoomé.

MC : Ce film n’a jamais été recadré. Il a seulement été matté pour le cinéma. Les copies que nous possédons proposent l’image telle qu’elle a été tournée.

RN : Plusieurs personnes ont parlé d’un léger voile verdâtre sur Force of Evil.

MC : C’est ce que j’ai lu sur certains forums et j’ai gentiment suggéré aux gens de régler leur diffuseur car c’est de la pure fantaisie.

RN : Pour parler plus généralement, les gens adorent Wild Side, mais souvent des critiques ponctuelles apparaissent pour certains titres, notamment à propos de la compression. Aujourd’hui, est-il encore concevable qu’un éditeur puisse mal compresser un film ?

MC : L’éditeur n’est pas en cause, tout dépend de l’authoring.

RN : Pourquoi un éditeur accepterait-il de sortir un titre avec une compression limite ?

MC : En ce qui nous concerne, je n’ai pas relevé de problèmes majeurs de compression sur nos titres. Mais ça peut arriver, tout dépend du matériel de départ, car la qualité de la copie d’origine a un impact sur la compression. Certains des défauts présentés par la copie s’accentuent énormément à la compression et il est extrêmement difficile de les corriger. Cela dit, j’estime que notre niveau de qualité est élevé, nous y mettons un point d’honneur.

JC : Quelle est votre politique concernant les bonus ? Engagez-vous régulièrement des journalistes ?

MC : Je dirais non, exception faite des films de la Shaw, pour lesquels nous avons engagé Frédéric Ambroisine sur l’intégralité de l’édition, compte tenu de son désir ardent d’y participer et de ses compétences. Et le résultat, impressionnant, parle de lui-même. Pour le reste des titres, c’est au coup par coup. Nous préférons effectuer personnellement le travail de recherche et de compilation d’archives.

RN : Préférez-vous créer les bonus ou vous procurer du matériel existant ?

MC : Se procurer des documents tous faits facilite grandement notre travail, mais lorsque nous n’obtenons pas le matériel souhaité, nous avons la possibilité de réaliser des documents qui éclairent le film de manière intelligente. Quand nous n’avons pas la possibilité d’offrir des suppléments, nous sortons alors le film tel quel. Mais en général, nous nous arrangeons toujours pour trouver des photos et autres documents rares, même si ce ne sera pas toujours le cas. Sur le coffret Films noir de Kurosawa, peu de matériel était disponible et nous ne pouvions pas acheter les seuls documents valables qui étaient malheureusement déjà réservés. Nous sommes allés chercher un petit document à l’INA qui avait été fait sur le tournage de Kagemusha, mais de nombreux journalistes l’ont trouvé hors sujet. Ce que je conteste, car ce petit film permettait d’apprécier le travail du maître à l’œuvre.

JC : Au niveau du son, quelle est votre politique ? Une volonté de préserver la bande son d’origine ?

MC : La même politique que pour l’image. Même si nous avons remasterisé certains films comme Short Cuts ou Barton Fink, la volonté de préserver les éléments d’origine est une exigence. Sur les classiques, nous conservons toujours la piste d’origine nettoyée. Nous passons donc également énormément de temps sur le son, mais moins que sur l’image. Si restaurer une piste audio japonaise de fond en comble est assez compliqué et son impact relativement réduit, en revanche, restaurer les pistes en anglais, apporte une réelle valeur ajoutée. Par ailleurs, nous faisons beaucoup de recherches sur les VF d’origine, bien qu’on n’arrive pas toujours à les retrouver.

RN : Et quel est votre avis sur les sous-titres réservés aux malentendants ? En France, nous sommes très frileux à ce sujet par rapport à ce que font les Américains.

MC : C’est très juste, mais nous ne parlons pas du même marché. Tout est une question de coût. Notre budget ne nous permet pas d’investir dans ce procédé. Nous souhaiterions offrir cette facilité, mais sans l’apport de subventions publiques, c’est aujourd’hui infaisable.

JC : J’imagine que l’absence de sous-titres anglais est du à une question de droits ?

MC : Tout à fait.

RN : Quelle importance attachez-vous à Internet ? En particulier à un site comme le nôtre, ou aux demandes exprimées par les lecteurs de la toile ?

MC : Nous avons déjà échangé des points de vue avec des internautes sur des forums ou des chats Internet. Nous tenons compte de ce qui nous semble pertinent, mais je le répète, j’ai personnellement du mal avec la maniaquerie excessive. Une remarque récurrente concerne la richesse de notre catalogue, les acheteurs ne peuvent plus suivre. Nous réfléchissons à la question, peut-être faudrait-il varier les rythmes des sorties ? De fait, nous tenons à cette proximité. Nous recevons quotidiennement quelque 10 à 15 mails, tant positifs que négatifs. Nous répondons toujours aux mails qui nous sont envoyés. Puisque nous évoquons Internet, nous n’allons pas tarder à proposer de la vente en ligne sur notre site, vraisemblablement aux alentours du 15 décembre ; ce serait l’idéal avant Noël. Notre prix public conseillé y sera maintenu tout le long de l’année.

JC : Parlons de l’avenir. Quelques petits scoops pour 2005 ? Et avant toute chose, une question qui nous brûle les lèvres : La Rage du tigre, c’est pour quand ?

MC : La Rage du tigre sortira en salles le 26 janvier 2005. Le DVD est prévu pour le printemps, début avril, dans une édition double DVD. Le coffret de la trilogie paraîtra au même moment et les deux autres films ne seront pas disponibles à l’unité. Nous sortirons aussi deux dessins animés absolument magnifiques : Le Chat botté et Les Joyeux pirates de l’île au trésor, les débuts de Miyazaki. Le coffret la Trilogie du Sabre de Kenji Misumi avec Kiru (Tuer), Ken (Le Sabre) et Ken Ki (La Lame diabolique), qui était prévu cette année, paraîtra finalement en février prochain. Les sorties Shaw Brothers s’étaleront tout au long de l’année. La Main de Fer a été repoussé, car c’est le film Shaw Brothers que nous avons choisi de sortir en salles en janvier 2006. Il y aura un autre dessin animé proprement génial, Space Firebird, scénarisé par Tezuka. L’intégrale Baby Cart que nous avons déjà évoquée. Un coffret Jules Dassin pour octobre 2005 avec Les Démons de la liberté et La Cité sans voiles dans des copies à tomber par terre, que nous sortirons en salles juste avant. En octobre également, le Macbeth d’Orson Welles, enfin restauré dans sa version intégrale. Voilà dans les grandes lignes. Il y aura un peu moins de titres que cette année et le rythme sera moins soutenu. Pour certains films qu’on essaie d’avoir, nous nous heurtons à des conditions économiques qui ne nous conviennent pas. Et nous sommes donc obligés d’attendre une meilleure opportunité. Il y aura enfin plusieurs opérations commerciales autour des Introuvables et de la Shaw Brothers vers, je l’espère, le mois de mars 2005.

JC : Peu de place pour le western….

MC : Je serais ravi d’en proposer ! J’avais d’ailleurs fait des propositions à la Paramount afin de racheter les droits de La Vallée de la peur et des Aventures du capitaine Wyatt, qui est l’un de mes films préférés. Mais ils ont décliné mon offre. Ce n’est donc pas faute d’avoir essayé.

JC : Quels titres rêveriez-vous d’éditer ?

MC : Il y en a beaucoup. Mon grand rêve serait de sortir une édition digne de ce nom de La Nuit du chasseur. Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies : il existe une copie restaurée par l’UCLA qui a été présentée à Cannes il y a deux ans par Martin Scorsese, existe également deux heures de rushes réunis dans un documentaire qui a été projeté dans divers festivals et enfin le livre Between Heaven and Hell : Filming The Night of The Hunter qui mériterait une édition française dans une traduction digne de ce nom. Vraiment, il y a matière à faire quelque chose de superbe.

JC : Quel est le titre dont vous êtes le plus fier ?

MC : En terme de qualité éditoriale, certainement le coffret Le Tigre du Bengale / Le Tombeau hindou. Ces deux films correspondent à un vrai souvenir d’enfance et je tenais vraiment à rendre hommage à ce grand classique du cinéma d’aventures. Je suis également fier du coffret Films noir de Kurasawa, en particulier pour la qualité des copies. En fait, vous vous trouvez en face d’un éditeur qui est fier du travail accompli (rires).

Par Franck Suzanne et Ronny Chester - le 1 novembre 2004