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Édito

Cette période de l’année est toujours pour nous propice à faire des bilans, tracer des perspectives d’avenir (ou pas… lorsque notre paresse naturelle est ravivée par un soleil radieux), se féliciter de notre belle longévité de site cinéphile sur cette satanée toile et se réjouir de la fidélité de notre lectorat (ainsi que de celle des membres de notre forum). Sauf que cette période estivale - certes bienvenue - ne ressemble à aucune autre qui l’a précédée ; ainsi votre serviteur s’adresse à vous en portant un t-shirt floqué d’un « 2020 written by Stephen King » et ses pensées vagabondent bien au-delà de l’univers du cinéma que nous chérissons tant. Mais attention ! Le texte que vous avez sous les yeux n’est pas sponsorisé par une marque de mouchoirs et il est hors de question ici de sombrer dans un mélo navrant (avec les sœurs Olsen) ou de s’enferrer dans un plaidoyer ridiculement lyrique en faveur d’un film français de SF grotesque (façon D., un certain youtubeur en quête de maturité, qui nous rassure sur le fait que le sommet de la bêtise reste toujours un territoire à conquérir) afin de fuir la triste réalité.

Trêve de plaisanterie (pour au moins quelques lignes), la pandémie de Covid-19 s’accompagne hélas d’autres épidémies presque aussi délétères. Biberonnés durant plusieurs mois en continu à BFM TV et/ou Bolloré News, certains voient le sol s’écrouler sous leurs pieds et cèdent fort logiquement à une panique disproportionnée ; d’autres comme BHL et ses affidés relativisent à tout va et feraient presque culpabiliser les malades d’être malades et les morts d’être morts ; enfin les plus nombreux s’improvisent experts médicaux au quotidien et au débotté (et ne se privent évidemment pas de le faire savoir) sans se rendre compte qu’ils disent souvent le contraire de ce qu’ils avaient péremptoirement affirmé la veille. Cela dit, comment en vouloir à ces derniers quand certains grands pontes de la médecine font de même - mais après tout, la recherche médicale avance également de cette manière - quoique surtout ceux-ci se tirent volontiers dans les pattes comme des voyous à la gâchette facile (mais sans l’humour des Tontons flingueurs) pour savoir lequel d’entre eux sera le héros du jour. Au sein de notre belle communauté humaine se distinguent aussi les quelques valeureux défenseurs des grands principes qui considèrent que le port du masque est une atteinte fondamentale à leur liberté individuelle (un éléphant républicain, ça Trump énormément) sans imaginer un seul instant que leurs revendications constituent une atteinte fondamentale à l’intelligence. Sans oublier les petits malins (que l’on observe malheureusement toujours plus nombreux de par le monde) qui se soucient autant des gestes barrières qu’un réalisateur de comédie française lambda de mise en scène.

Comme le faisait dire, un peu caricaturalement certes, Michel Audiard dans Un taxi pour Tobrouk - « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche » -, continuons plutôt à estimer que les vrais héros du jour restent l’ensemble des personnels soignants, les employés de la grande distribution, les forces de l’ordre, les agents de la voirie, les agents municipaux en prise avec le risque sanitaire, les agents des transports, ainsi que ceux (de loin les plus nombreux malgré les perfidies coutumières propagées à dessein dans l’opinion) parmi les fonctionnaires de l’Education nationale qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour assurer la continuité de leur fonction. Pardon si j’ai oublié des personnes, ils se rajouteront d’eux-mêmes dans le grand générique final. Comme nous avons quotidiennement applaudi tout ce beau monde (enfin surtout les premiers, mais les pensées solidaires, comme le coronavirus, n’ont pas de frontières) tels des spectateurs d’un théâtre de la vie incertain dans sa dramaturgie, il n’est pas interdit de se projeter un peu dans un spectacle purement fantaisiste. Avant un happy-end que nous espérons vite atteignable pour la crise qui nous occupe, imaginons un instant une superproduction propre à un âge révolu dans laquelle tous ces héros du quotidien luttant contre l’épidémie et pour l’espèce humaine seraient interprétés par Kirk Douglas, Richard Widmark, Burt Lancaster, Humphrey Bogart, John Wayne, Gary Cooper, Henry Fonda, Cary Grant, Charlton Heston, Barbara Stanwyck, Olivia de Havilland, Gene Tierney, Ingrid Bergman, Ava Gardner, Dorothy Malone, Lana Turner, Elizabeth Taylor… Pardon si j’ai oublié des personnes, vous les rajouterez vous-mêmes dans le grand générique initial. Enrobons ensuite ce joli rêve animé d’une musique originale signée Ennio Morricone qui commencerait comme la ritournelle à suspense du Casse et s’achèverait dans une extase rappelant celle de Mission, et notre bonheur éphémère serait total. Il faut bien avouer que ce film au casting improbable aurait une toute autre gueule que le misérable feuilleton que l’on nous sert chaque jour sur une petite lucarne toujours plus étriquée.

La culture, ce terrain de l’inutile qui peut pourtant sauver des existences, a permis à beaucoup d’entre nous de passer le cap du confinement général sans sombrer dans la dépression, manger du Nutella à même le pot, insulter à tour de bras sur Internet, dénoncer ses voisins ou étrangler sa progéniture. Si nous avons déjà mentionné l’inévitable Stephen King qui fait partie des lanceurs d’alerte dans le secteur des épidémies à grande échelle ainsi que dans le domaine des grands sentiments qui redonnent confiance en l’être humain (non, là je déconne), nous nous appesantirons avant tout sur notre passion. Que toutes celles et ceux qui se moquaient de nous et de notre propension à empiler des DVD et des Blu-ray dans les placards, la cuisine, les toilettes et jusqu’au plafond du grenier ravalent désormais leurs saillies ! Plus que du grain à moudre pour contenir notre angoisse, le cinéma à la maison nous a fait garder le contact avec la complexité de l’existence et tout simplement avec l’humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus fécond et de stimulant à produire sur un plan artistique et spirituel. Les victimes du mercantilisme de niche que nous sommes aujourd’hui avons ainsi pu combler un certain retard de visionnage dans ce domaine. Et il nous faut profiter de cette occasion pour féliciter les éditeurs vidéo qui ont développé de nouvelles idées pour faire vivre leur commerce et surtout espérer que toute la profession se sorte sans trop de dommages de la crise actuelle, dont les effets économiques désastreux ne cessent de s’amplifier dans presque tous les secteurs d’activité. Nous avons justement une pensée particulière pour les exploitants de salles (notamment les plus fragiles) car pour les cinéphiles (pour beaucoup vieux, colériques et décatis) que nous sommes, le premier lieu de rencontre entre un film et son spectateur reste la salle. Et la simple idée que celle-ci inévitablement périclite, sous les coups de boutoir conjugués du Covid-19 (nous préférons garder le masculin - pardon aux Académiciens inutilement sortis de leur léthargie à cette occasion - car comme disait un Renaud alors bien plus inspiré « Pas une femme n'est assez minable pour astiquer un revolver et se sentir invulnérable ») et d’accords possiblement dangereux passés outre-Atlantique entre grands studios et exploitants, cette simple idée donc nous rend soudainement inquiets voire malades.

Trêve d’idées noires cette fois, qu’il nous soit permis de souhaiter à ceux qui le peuvent de passer de bonnes vacances, ou tout simplement les meilleures vacances possibles. Et de souhaiter à tous, sans exception, de vivre au mieux et sans plus de drames cette période étrange où tant de choses du quotidien se révèlent aléatoires (comme organiser un séjour sans contretemps, fréquenter un lieu culturel, trouver une idée de cinéma dans 90 % des blockbusters actuels).

DVDClassik prend donc ses congés d’été. Nous reviendrons tout ragaillardis dès le 31 août 2020 avec plein de nouveaux articles. D’ici là, vous pouvez toujours consulter notre site (et rattraper vos retards de lecture) d’autant que nous ne cesserons pas de mentionner les reprises en salle cet été.

Par Ronny Chester - le 3 août 2020