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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz

(Die beispiellose Verteidigung der Festung Deutschkreuz)

L'histoire

Quatre hommes dans une forteresse à l’abandon. Ils y trouvent des armes et des uniformes militaires et s’amusent à jouer aux soldats. Ils se prennent rapidement au jeu et attendent impatiemment qu’apparaisse enfin cet ennemi qu’ils appellent de leurs vœux.

Analyse et critique

Après Héraclès, Herzog devient son propre producteur et le restera tout au long de sa carrière. Une situation compliquée à gérer, mais qui lui offre une totale indépendance, ce qui explique la longévité et la diversité de sa filmographie, le cinéaste n'ayant pas à se soumettre aux diktats des producteurs ou des télévisions. Il sera longtemps l’unique salarié de sa maison de production, afin de réduire les intermédiaires. Il est écrasé par la lourdeur administrative, débordé par le boulot, mais c’est un prix qu’il est prêt à payer pour garantir son indépendance. Cette volonté est aussi symptomatique de son besoin de contrôle, besoin qui sera personnifié par l'incessant combat qu'il mènera pour dompter l’animal Kinski.

Réunir des fonds est au départ difficile. Il accumule les petits boulots, allant jusqu'au Mexique - c'est ce que raconte la petite histoire - faire des rodéos et de la contrebande d’armes. Après Héraclès, il réalise en 1964 Jeu de sable, un film qu’il regrette d’avoir tourné et qu’il refuse de montrer : « Les enfants avec lesquels j’ai tourné sont devenus violents et sanguinaires durant le tournage et il en est sorti un film effrayant ». Si le film demeure invisible, ces quelques mots lâchés par Herzog ne sont pas sans écho avec des scènes de ses films à venir, notamment dans Signes de vie et Les Nains aussi ont commencé petits.

En 1967, il tourne La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz près de la frontière hongroise. C'est l'histoire d'un groupe de quatre copains qui prennent possession d’un fort abandonné. Ils y trouvent des armes, des munitions et des uniformes. Les panoplies de soldats revêtues, il ne leur reste plus qu’à faire la guerre. Il leur manque simplement un ennemi.

C’est un film très ironique où Herzog montre comment l'idée de guerre est profondément ancrée dans la nature humaine. Au départ, les quatre amis s’amusent à se bagarrer, avec un parapluie d'abord, rapidement remplacé par un fusil à baïonnette. Mais ce jeu les lasse et ils s’ennuient, comme s’ennuieront les soldats sans guerre de Signes de vie. Il leur faut plus, il leur faut une vraie guerre. Le film se développe alors autour de la facilité avec laquelle l'homme peut basculer dans l’horreur pour peu que la société le pousse un peu ou cautionne ses actes barbares. On retrouve ici l’idée omniprésente dans son cinéma, déjà clairement explicite dans Héraclès, que l'homme porte en lui la catastrophe.

L’ennemi humain absent, les guerriers novices se contentent au départ de maigres succédanés, martyrisant des animaux qui sont souvent chez Herzog les premières victimes de la frustration des hommes : ils maltraitent ici une souris ; les enfants de Jeu de sable torturaient une poule, tout comme un autre groupe de gamins le fera dans Signes de vie ; dans Les Nains aussi ont commencé petits, les nains s'acharneront sur un singe et un dromadaire... L’homme, projeté dans un monde où il peine à trouver sa place, se livre pour répondre à ce mal-être originel à une vengeance futile et aveugle contre ce qui est plus faible que lui. Le stade suivant consistant à détruire l'autre pour conjurer sa propre douleur.

La voix off mène le récit. Très ironique, c’est elle qui à un moment décrète qu’il y a des ennemis partout : elle est la voix intérieure d'une humanité qui pose la guerre comme un état naturel de l'homme. Dans Little Dieter Needs to Fly, Dangler, trente ans après avoir participé à la guerre du Vietnam, continue à entreposer des vivres, assuré que la guerre est toujours aux portes de sa maison. Cette voix, qui est celle de la société, est paranoïaque (l’ennemi peut se déguiser en cheval ou en gros chien, aussi il est logique de pourchasser une souris), délirante. Selon elle, l’absence d’ennemi est un piège et il faut se méfier du moindre brin d’herbe, du moindre caillou car il est bien connu que derrière chaque buisson peut se cacher un indien sanguinaire. Elle ne se contente pas de commenter les actions mais pousse les hommes vers la folie et la guerre. Elle précède et amplifie leur folie qui va s’accentuant alors que le film avance. La bande son participe à la manipulation des protagonistes : un tracteur s’avance dans un champ et l’on entend en fond sonore les grésillements d'une radio mugissant des ordres, des tirs de fusils, des explosions. La mise en scène ne rend pas compte de la folie qui gagne les personnages du film, elle participe à son apparition et à l'exacerbation de leurs pulsions guerrières. Cette mise en scène toujours participative, jamais objective ou en retrait est une constante du cinéma d'Herzog.

La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz est un prologue, un brouillon de Signes de vie, le premier long métrage du cinéaste. On retrouve dans ces deux histoire des hommes qui se tiennent (ou sont tenus) à l’écart de l’histoire collective, qui sont détachés du mouvement du monde. Ils tentent de recréer un espace qui leur soit propre, mais comme le monde ne peut être autre chose qu'imperfection, ce qu'ils inventent se révèle tout aussi bancal et destructeur. On trouve ici les prémices d'une œuvre en devenir qui d'Aguirre à Grizzly Man, en passant par Les Nains aussi ont commencé petits ou La Ballade de Bruno, ne cessera d'explorer encore et encore cette douleur de l'homme face au monde, face à sa propre existence.

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Par Olivier Bitoun - le 9 novembre 2009