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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Nuit des fous vivants

(The Crazies)

L'histoire

Un avion de l’armée s’écrase près d’Evans City, bourgade de la banlieue de Pittsburgh. Il contient à son bord un virus expérimental qui se déverse dans le réservoir d’eau de la ville. Les habitants sont peu à peu pris d’une folie destructrice. L’armée intervient, isole la ville et l’investit.

Analyse et critique

Après Season of the Witch, Romero enchaîne avec The Crazies, de nouveau un film à très petit budget, toujours tourné dans les environs de Pittsburgh et jouissant de la participation enthousiaste des habitants d’Evans City (et notamment de la brigade des pompiers).

The Crazies est un peu le chaînon manquant entre Night of the Living Dead et Dawn of the Dead. Le film reprend la trame de La Nuit des morts vivants, Romero remplaçant les zombies de son premier long métrage par la population d’une petite ville rendue psychopathe suite à la fuite d’un virus militaire expérimental (1). Que ce soit dans le final de Night (l’irruption d’une milice armée), dans Dawn (les exactions des SWAT - Special Weapons And Tactics- ou l’arrivée du gang de motards dans le supermarché) et dans The Crazies, on retrouve une poignée de rescapés qui doit se frayer un chemin entre une masse de créatures homicides et des groupes humains tout aussi dangereux. Dans La Nuit des fous vivants, nous suivons une poignée de peronnages qui doivent lutter à la fois contre leurs anciens voisins devenus des maniaques assassins et contre les militaires qui envahissent les lieux et sont décidés à effacer toute trace de cette expérience qui a mal tournée. On se demande constamment qui sont les plus dangereux, les créatures (zombies, fous) ou ces troupes armées (militaires, milices, gangs) qui agissent de manière aveugle et sans scrupule. Romero stigmatise une fois de plus les pulsions destructrices de l’homme en montrant le comportement destructeur et immoral de l’armée dont les agissements violents sont exacerbés par l’impunité qui leur est donnée via les directives du gouvernement.

Romero nous fait ressentir combien est fragile la frontière entre un Etat démocratique qui se plie au diktat de l’armée et un Etat fasciste. Pour Romero, l’homme est toujours prêt à abdiquer son individualité, sa morale et à rejoindre la masse. Dans The Crazies, les militaires sont déshumanisés par le port de tenues qui empêchent le spectateur de faire une différence entre un individu et un autre. On ne peut lire aucune réaction sur leurs visages, on ne peut leur deviner aucun sentiment, on est devant une masse uniforme qui n’a pour fonction que d’obéir aux ordres des supérieurs, fussent-ils les plus moralement inacceptables. Les zombies, figés dans des mimiques tragi-comiques et les fous de The Crazies semblent finalement bien plus humains que les silhouettes cliniques et impavides des troupes armées. Les fous vivants de The Crazies annoncent l’approche future de Romero vis-à-vis de ses zombies. Avec Dawn, Day et Land of the Dead, les zombies vont se charger d’affects. Ils vont d’abord mimer leur vie passée (Dawn), se rappeler d’instinct des gestes qu’ils effectuaient (Dawn et Day) et enfin commencer à agir de façon raisonnée (Day et Land). Les contaminés de The Crazies incarnent un peu toutes ces étapes de l’évolution des zombies de Romero.



Dans La Nuit des morts vivants, le héros du film succombe de façon absurde sous les balles d’une milice armée. Dans The Crazies, ces milices massacrent toute la population. Romero stigmatise la politique sécuritaire des Etats-Unis, celle de Nixon, celle des droits civiques bafoués, des incarcérations politiques multiples, des massacres du Vietnam. Quelle que soit la menace (zombie ou êtres humains contaminés dans les fictions de Romero, groupes contestataires, indiens, ouvriers, mouvements féministes dans la société américaine…), l’Etat apporte une seule réponse, celle des armes et de l’incarcération. Toute autre option est rejetée, même la plus rationnelle. Ainsi Richard France joue un scientifique qui tente de proposer des solutions à l’armée pour sauver Evans City. Le même Richard France incarne un rôle très similaire dans Dawn of the Dead où il interpelle la foule au cours d’un talk show pour l’inciter à adapter un comportement logique au vu des circonstances. Dans les deux films, on n’écoute pas ses conseils, on se replie sur ce que l’on sait faire. Ici l’armée capture et extermine (2), là les médias se moquent de propositions de ce scientifique excentrique. A la folie des habitants, le gouvernement répond par la force. Au cours de son histoire, les gouvernements américains, qu’ils soient républicains ou démocrates, ont toujours favorisé le recours aux armes plutôt que la négociation. C’est vrai en politique extérieure (le Kosovo et la Somalie sont les exemples les plus récents de cette approche) et tout aussi vérifiable à l’intérieur même de ses frontières. En février 1973, un mois avant la sortie de The Crazies, trois cent sioux Oglala prennent possession de Wounded Knee et déclarent la restitution de ce territoire confisqué à leur tribu. Quelques heures plus tard deux mille agents du FBI et des policiers locaux ceinturent la zone et commencent à ouvrir le feu. Le siège dure trois semaines, cent vingt indiens sont emprisonnés et la terre de nouveau confisquée alors même que les juges officialisent le fait qu’elle appartient bien aux Oglalas. De tels exemples abondent d’une réponse brutale de l’Etat aux revendications sociales, syndicales, politiques du peuple américain. La loi martiale déclarée dans The Crazies (ou celle proclamée au début de Dawn of the Dead), l’intervention musclée des unités militaires (qui se répèteront avec l’intervention des SWAT dans Zombie) ne sont que l’extension de la politique sécuritaire et violente de l’Etat américain.

Autre filiation avec La Nuit des morts vivants, la mise en scène documentaire de Romero. Image granuleuse, cadres souvent saisis à l’arrachée, montage sec, très découpé et vif, caméra à l’épaule confèrent au film un sentiment d’urgence et un réalisme qui tire le genre horrifique vers le pamphlet contestataire et politique. Romero n’utilise pas la parabole, il assène par le biais de scènes violentes et emblématiques son discours social et anti-militariste. En ne passant pas son discours en contrebande, en attaquant frontalement son sujet, Romero peine malheureusement à nous passionner complètement. Il appuie trop lourdement ses symboles (notamment sur la guerre du Vietnam avec les images choquantes de soldats brûlants des êtres humains au lance flamme ou celle d’un prêtre qui s’immole) et ne permet pas au spectateur de faire son cheminement dans le film. Cette tendance de Romero reviendra amoindrir la portée de Land of the Dead, film trop explicite qui peine à marier le cinéma de genre et le pamphlet. En l’état, The Crazies demeure un film important dans la carrière de Romero, un film charnière, certes imparfait mais indispensable pour qui se plonge dans son œuvre. Film à la frontière entre les tournages en franc tireur et le professionnalisme de Dawn of the Dead où Romero cherche l’équilibre entre discours et forme (il ajoute de nombreuses scènes de combat à l’histoire originale de Paul McCollough). Un film où le réalisateur laisse éclater son sens de l’absurde (un soldat vole une canne à pêche, une contaminée passe le balais au milieu d’un champ couvert de cadavres) et de l’ironie en pointant des détails incongrus (des petits soldats en plastique renversés par les bottes des militaires), en jouant sur les ruptures de tons ou encore sur une musique qui désamorce le sérieux des situations. Ce sens de l’absurde qui se marie avec un versant réaliste compense la tendance de Romero à trop charger son pamphlet.
C’est dans ces moments d’indécision entre comédie et horreur que le film trouve son ton juste, lorsque le doute se créé sur ce que Romero nous donne à voir. Une jeune fille prise de folie qui massacre son père est-elle contaminée ou se venge t-elle de l’inceste qu’il lui fait subir ? Romero s’intéresse à l’instinct de survie, à la part animale qui sommeille en l’homme. Le film s’ouvre sur des enfants qui jouent à se faire peur. Bientôt ce seront les adultes qui seront terrifiés, mais il n’y aura plus de jeu. Romero fait remonter à la surface quelque chose de primal, encore vivace chez l’enfant puis étouffé par la société mais qui reste encore là, tapi, prêt à ressurgir.

En France, The Crazies sort tardivement en salles en 1979 sous le titre La Nuit des fous vivants, puis plus tard et toujours aussi discrètement sous celui de Cosmos 859. En VHS il est rebaptisé Experiment 2000. Aux Etats-Unis, il est exploité sous Code Name : Trixie ou encore The Mad People. Cette exploitation sous de multiples titres, en Europe comme aux Etats-Unis, montre bien la situation de Romero dans cette époque qui sépare Night à Dawn of the Dead. Boudé par les critiques et le public, cette partie de sa filmographie, certes imparfaite, est pourtant une passionnante période d’expérimentation où Romero s’essaye à diverses approches cinématographiques qui nourriront ses chefs d’œuvre à venir que sont Martin, Dawn et Day of the Dead.


(1) Dans une des premières versions du scénario de Night of the Living Dead, on devait découvrir à la toute fin du film une troupe de militaires en haut d’une colline. On comprenait ainsi que le retour des morts était une expérience de l’armée et que les zombies étaient télécommandés par ceux-ci.
(2) Le thème de la lutte entre militaires et scientifiques sera également au centre de Day of the Dead.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 28 avril 2008