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Critique de film
Le film

Les Premiers pas du cinéma - Un rêve en couleur

L'histoire

« La naissance du cinéma sonore et du cinéma en couleur racontée à travers deux films captivants de 52 minutes, A la recherche du son et Un rêve en couleur. » Présentation de Lobster Films.

Analyse et critique

Technicolor, Fujicolor, THX, DTS, Dolby Surround EX, les habitués de l’univers DVD jonglent avec les définitions techniques depuis un certain nombre d’années. Une partie du grand public non au fait des technologies les plus modernes semblent même leur emboîter le pas. Avant d’atteindre un niveau technique de haute qualité - et les innovations en matière de cinéma numérique n’en sont qu’à leurs débuts - le rendu des films est passé par bon nombre d’expérimentations, en matière d’image comme de son. Il est amusant aujourd’hui d’effectuer un grand bond en arrière afin de remonter jusqu’aux origines de cinéma et d’observer la marche du progrès qui a transformé un simple sujet d’expériences scientifiques en un spectacle populaire d’un impact sans précédent. C’est ce que nous propose en collaboration avec la chaîne Histoire Serge Bromberg, directeur de Lobster Films, sous la forme de deux documentaires de 52 minutes relatant la naissance du cinéma sonore et du cinéma en couleur.

A LA RECHERCHE DU SON (2003)

Pendant plus de trente ans, de l’arrivée des photogrammes animés réservés à des machines individuelles jusqu’aux grandes productions de studios projetées dans des salles immenses, le cinéma ne s’est défini que par son travail sur l’image. C’est vite oublier que durant la même période, des « Géo Trouvetou » de toutes origines et de tous pays, soutenus ou non par de grandes compagnies de production, n’ont eu de cesse de chercher le moyen d’adjoindre le son à cette image pour atteindre un niveau supérieur de réalisme. Le film A la recherche du son permet de suivre cette lente évolution vers le cinéma parlant en nous présentant succinctement mais avec suffisamment de détails les différentes approches techniques choisies.

Il ressort avant tout de ces nombreux travaux que la difficulté principale de l’exercice consistait à trouver un moyen de synchroniser le son et l’image. Avant d’arriver à la fameuse représentation publique du Chanteur de Jazz en 1927, officiellement le premier long métrage parlant de l’histoire du cinéma, le chemin fut tortueux et surtout non sans rapport avec l’idée que se faisaient tant les producteurs que le public de ce que l’on a considéré plus tard comme une véritable forme d’art. Le cinéma fut à ses débuts une sorte de phénomène de foire, une attraction certes impressionnante mais guère plus qu’un spectacle digne du train fantôme ou de la femme à barbe. Il n’est donc pas étonnant de constater que parmi les premières expériences en la matière on trouve celles menées par des bruiteurs (munis parfais de machines à bruits) associés à l’accompagnement musical traditionnel (qui va du simple piano aux orchestres dans les grande salles). Le cinéma est ensuite l’occasion de filmer benoîtement un fait historique, une représentation théâtrale ou un opéra. 1908 sera l’année de la première musique composée pour un film, celle de Camille Saint-Saëns pour L’Assassinat du Duc de Guise. Le cinéma fait également appel à la participation du public et le spectacle gagne logiquement la salle quand il s’agit d’entonner les chansons proposées à l’écran. Somme toute, les ancêtres du clip et surtout du karaoké naissent dans les années 1910 avec Les Chansons de G. Lordier (au fort relent nationaliste, le pays est en guerre). L’idée sera reprise par les frères Fleischer aux Etats-Unis avec leurs Screen Songs et leur texte défilant à l’écran et souligné par une animation.

Différents scientifiques travaillent plus précisément à confectionner des machines. A l’exemple du célèbre inventeur et producteur Edison avec son Kinetophone associé à son Kinetoscope. Le documentaire s’applique à nous raconter ainsi l’historique de la représentation sonore. Les techniques envisagées se résument principalement à deux support : le son sur disque et le son optique qui consiste à photographier le son et l’image sur pellicule. Les documents proposés par le documentaire sont souvent exceptionnels, comme l’allocution de Mussolini s’adressant à la Nation américaine en 1927 grâce aux équipes de la Fox Movietone dépêchées en Italie. Le son optique (qui sera, nous le savons, le futur du cinéma parlant) est pour l’instant supplanté par le son sur disque. C’est ainsi que Warner avec son procédé Vitaphone sort Dom Juan, le premier long métrage sonore mais non parlant, en 1926. Suivi l’année suivante par l’illustre Chanteur de Jazz d’Alan Grosland. Il est amusant de constater qu’à toute époque des techniques concurrentes s’opposent et que l’on n’est jamais sûr du résultat de ces confrontations, voire si la meilleure de ces approches finit par l’emporter. Avant les combats futurs VHS/Betamax ou Blue-Ray/HD-DVD, les deux techniques sonores s’affrontaient avant que le son optique, avec ses différents procédés, mette à l’amende le son sur disque qui va peu à peu disparaître. A la recherche du son se termine non sans humour en citant le DTS, le meilleur format son actuel dont l’information sonore se trouve… sur un CD-ROM.

UN RÊVE EN COULEUR (2004)

Nous sommes habitués à considérer l’histoire du cinéma suivant trois évolutions successives et distinctes : le muet, le parlant et le cinéma en couleur. Bien entendu, nous sommes très loin de la vérité. A l’exemple des expérimentations sonores qui ont débuté au début du siècle dernier, la reproduction de la couleur fut envisagée dès les origines du cinéma. Puisqu’il s’agissait de donner l’illusion parfaite de la réalité, les recherches dans ce domaine ont commencé très tôt. Déjà les pantomimes lumineux d’Emile Reynaud de 1892 étaient projetés en couleur. Ce documentaire présente la course échevelée à la couleur et les différentes techniques mises à contribution. Plus encore que pour le son, le rendu des couleurs fit appel à des idées et des technologies dont l’originalité - parfois l’incongruité - le disputait à la complexité. La première approche fut celle du coloriage à même la pellicule, un travail long et fastidieux qui ne pouvait produire que des films uniques. Cette technique connût néanmoins un développement avec la coloration au pochoir en 1905 qui permit de générer un nombre illimité de copies. Documentaires et films historiques tiraient partie de ce procédé. Procédé qui atteint son plus haut niveau de développement avec le teintage du support associé parfois au virage pour donner une couleur particulière à une scène. Ainsi l’utilisation de la couleur s’apparenta à un effet de style et acquit un rôle narratif. Mais ces techniques rudimentaires étaient destinées à disparaître, ce qui se produisit à la fin des années 1920. Car le but était logiquement de disposer d’un support déjà prêt à enregistrer l’information couleur.

Avant de poursuivre dans l’exposition des technologies abordées, le documentaire dispense un petit cours magistral sur la couleur. Le sujet est plutôt complexe mais les explications apportées, certes assez brèves, trop même, remplissent assez bien leur office. On aborde la théorie de la séparation des couleurs et l’étude la décomposition de la lumière solaire et la naissance de la trichromie. Voilà une introduction nécessaire pour aborder ce qui sera finalement le sujet principal du film : les procédés Technicolor.

Des dizaines de système différents ont existé mais quasiment aucun n’eut de viabilité commerciale. Un rêve en couleur aborde quelques uns d’entre eux qui connurent une véritable exploitation. En 1908, le procédé anglais du Kinemacolor eut un certain succès de par le monde. En 1913, le Chronochrome Gaumont fut considéré comme le meilleur d’entre eux, mais ses films trichromes nécessitaient un projecteur spécifique. Les problèmes de compatibilité entre différents supports grevaient son potentiel commercial. L’Autochrome Lumière et les films gaufrés (particulièrement difficiles à reproduire) sont également abordés, jusqu’au Kodacolor de 1928, pellicule inversible destinée aux amateurs. Tous ces procédés utilisaient la synthèse additive, à savoir recréaient la couleur lors de la projection. La société Technicolor naquit en 1915 et le premier procédé sorti de ses têtes pensantes faisait également appel à la synthèse additive. Mais c’est en utilisant la synthèse soustractive des couleurs que la firme fut capable de proposer une technique réellement innovante et spectaculaire, et finit par prendre son essor. Technicolor créa même sa propre société de production en 1922.

Le documentaire s’emploie ainsi à retracer l’historique des différents systèmes Technicolor avec les films marquants qui les ont utilisés. Jusqu’à la naissance du Technicolor trichrome en 1932 qui permit de reproduire un spectre de couleur plus complet. On se rend compte que toute technologie, même la plus ingénieuse, ne peut exister sans appui commercial. Une sorte de « feedback » se crée entre la plus-value apportée par la technique et le succès public des films qui la promeuvent. Ce fut le cas du Pirate noir avec Douglas Fairbanks, associé au Technicolor bichrome. Suite à la crise économique de 1929, la firme conclut un accord avec Walt Disney qui eut le monopole du procédé pendant trois ans jusqu’en 1935. Les dessins animés, dont les célèbres Silly Symphonies, surent populariser le système qui devint incontournable. En 1934 sortit La Cucaracha, premier court métrage en couleur trichrome. Et le documentaire de boucler la boucle en citant à nouveau le premier long métrage en couleur de l’histoire du cinéma : Becky Sharp (1935) réalisé par Rouben Mamoulian, dont la bande-annonce figure dans les suppléments du DVD. Enfin, le procédé Agfacolor (négatif et positif) créé en Allemagne en 1939 est abordé. Au delà du fait qu'il fut grandement utilisé par les productions du IIIème Reich, l'Agfacolor est la pellicule moderne qui servit de base à tous les procédés à venir après la Deuxième Guerre mondiale..

A la recherche du son et Un rêve en couleur remplissent parfaitement leur fonction, à savoir présenter assez habilement l’évolution de deux technologies consubstantielles à la nature de cet art qui nous passionne (même si le cinéma muet en noir et blanc nous a livré en son temps un grand nombre de chefs-d’œuvre qui n’ont absolument rien perdu aujourd’hui de leur pouvoir de fascination). 52 minutes pour chacun de ces documentaires ne permettent pas toujours de s’appesantir sur chacun des sujets traités, mais le survol de chacune des techniques abordées reste instructif. Le spectateur peut toujours s’adonner à la lecture d’ouvrages spécialisés pour compléter son apprentissage. On doit cette réussite à une voix off habile à son transmettre son enthousiasme et à des interviews de neuf spécialistes des débuts du cinéma : Julien Anton (collectionneur, spécialiste de l’histoire du phonographe), Paolo Cherchi Usai (George Eastman House), Gian Luca Farinelli (Cineteca di Bologna), Maurice Gianati (collectionneur et historien), Stephen Herbert (historien, ancien directeur du Museum of the Moving Image), Anthony L’Abbate (George Eastman House), Dominique Païni (Centre Georges Pompidou, ancien directeur d la Cinémathèque Française) et Gilles Trarieux Lumière (arrière-petit-fils de Louis Lumière). Mais surtout nous sont proposés en extraits des documents anciens et pour la plupart exceptionnels qui font toute la richesse de ces deux documentaires. Plusieurs pages d’histoire s’animent ainsi devant nous ; à ce niveau, aucun livre ne pourra jamais produire ce type de sensation.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 20 novembre 2005