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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Nuit des morts-vivants

(Night of the Living Dead)

L'histoire

Venus se recueillir sur la tombe d’un proche, Johnny et Barbara sont attaqués par un personnage inquiétant. Horrifiée, Barbara voit Johnny se faire tuer. Elle s’enfuit et trouve refuge dans une petite maison perdue au milieu de la campagne. Elle y trouve Ben, ainsi que d’autres fugitifs. La radio leur apprend alors la terrible nouvelle : des morts s’attaquent aux vivants.

Analyse et critique

En commençant sa trilogie par La Nuit des Morts-vivants, George Romero s’imaginait-il bouleverser d’une façon aussi radicale le monde de l’horreur et engendrer un genre en soit, qu’on appellerait plus tard suite à une vague de films y faisant directement écho, le film de zombies. Qu’a de si particulier ce film tourné en 1968 ? De quoi tire-t-il un tel impact ? On rappellera pour le contexte sociologique et historique que La Nuit des Morts-vivants est sorti durant l’année 1968, année capitale, durant laquelle eurent lieu les évènements de Mai 68 en France, les JO de Mexico où des athlètes montèrent sur la marche du podium les poings gantés en écho aux Black Panthers, l’assassinat de Martin Luther King en avril, ou encore, toujours pour le cinéma, la sortie du classique de la science-fiction 2001 l’Odyssée de L’Espace (1968), film visionnaire et métaphysique s’il en est.

Au contraire des films très léchés de la Hammer qui représentent pour leur part un sommet esthétique, et par opposition aux films de James Whale tournés en studio dans les années 30, le film de Romero apporte une nouveauté sur le plan formel. Il est tourné caméra à l’épaule et le son « pris sur le vif » rajoute au réalisme. Night of the living dead, titre cauchemardesque en VO qui en appelle à nos cauchemars enfantins, atteint à l’évidence son but dans le malaise et le sentiment d’oppression qu’il distille. Pour s’en convaincre il suffit de regarder la séquence d’ouverture (1) : un cimetière, une tombe, un frère et une sœur, un mort-vivant, des effets sonores amplifiés par un mixage agressif. Les bases de tout un cinéma et de toute une génération sont posées. Ce sera efficace, brutal et sans concessions. Ajoutez à cela un montage heurté et une impression de fin du monde, et vous obtenez un des premiers films très sérieux à parler de l’Apocalypse.

De même, le jeu des comédiens lorgne du côté de la performance, comme si nous assistions à un film tourné sans répétitions. En choisissant cette lumière expressionniste, La nuit des Morts-Vivants anticipe d’une bonne vingtaine d’années le reportage live, alors que la télévision a fait sa place dans les foyers depuis dix ans. Il pose par la même un bon nombre de questions : la place de l’humain dans la société, l’égoïsme, le racisme quotidien, la place des « Freaks » entourés des gens dits normaux. Mais l’articulation centrale du récit, celle qui fait tant parler d’elle est ce questionnement de la Science et de ses apprentis sorciers. Ainsi, il n’est pas nécessaire de tourner autour du pot : Romero se pose en tant que cinéaste contestataire et pointe du doigt les dangers liés au nucléaire dont on digère alors les conséquences de la bombe atomique lancée sur le Japon en 1945.

On pense à Godzilla qui représente la peur de cette bombe mais surtout les forces primitives (c’est-à-dire naturelles) réveillées par les explosions atomiques et qui se rebellent contre les hommes. Cette créature, sorte de divinité chtonienne, destructrice et incontrôlable au bout de quelques films défend la terre (pas forcément l’Humanité) contre d’autres monstres de la technologie humaine. Cette symbolique se vérifie dans Godzilla contre Hedora, dans lequel l’horreur monstrueuse est née de la pollution que rejette toutes les industries du Monde. On peut aussi penser aux films de Inoshiro Honda et son fameux Rodan (1956) dans une veine un peu différente mais découlant de la même peur initiale et qui marquera de façon profonde le cinéma de genre au Japon. N’est-il pas fait allusion à une expérimentation scientifique qui a mal tourné et dont les retombées sont visibles sur les humains qui se transforment en morts-vivants ? L’angoisse dans ce film naît aussi des interrogations suscitées par la jeune femme blonde qui passe le plus clair de son temps à se demander ce qui se passe, en répétant à tue-tête: « What’s Going on out There ? » ( « Que se passe-t-il dehors ?» ) Phrase d’autant plus terrible qu’elle répond en quelque sorte à ce préambule macabre durant lequel son frère blaguait en disant : « They’re Coming to Get you Barbara » (Ils viennent te chercher Barbara), ultime pied de nez à la mort qui finira par le faucher.

Tout comme dans Massacre à la tronçonneuse (1974), les seules informations viennent de la radio et de la télévision dont les nouvelles ne font rien pour les rassurer, au contraire. Mais comment faire entendre raison à des gens chez qui la folie galopante commence à faire des ravages, tel ce personnage du vieux briscard qui croit coûte que coûte à une solution pourtant éphémère ou à ce jeune couple dont l’évasion en camionnette n’est qu’une chimère parmi tant d’autres ? Les personnages harcelés par une menace extérieure s’enferment et se cloisonnent. Romero dissèque en fin observateur le comportement de gens qui n’ont rien à faire ensemble entre quatre murs et révèlent leurs rivalités.

On sait que l’Inconnu suscite la peur et ce même inconnu ne répond pas seulement à une peur enfantine (la Nuit, les bois, la peur de se perdre) mais à une réalité beaucoup plus dramatique (les humains sont décimés par des morts qui viennent hanter les vivants). Après tout, ce spectacle avant d’être cérébral par les questions qu’il soulève est avant tout charnel. Très charnel. Et gore. Corps éventrés, balles dans la tête, mains dévorées crues, chair(s) en lambeaux, éviscérations, et même comble de l’horreur : cannibalisme à tous les étages, montré sans fard et plein champ. Tout est sujet à la détérioration et au final à la putréfaction comme ce plan hallucinant d’un crâne vide avec un œil hagard couché à l’horizontal, écho stupéfiant à la scène finale qu’il serait criminel de dévoiler, mais qui relève du même dispositif de mise en scène : celui qui a vu finira comme les autres. Il fallait surtout oser mettre dans le rôle majeur, un acteur noir qui ne soit pas une caricature, en ces temps où le ségrégationnisme et le racisme le plus violent des Etats du Sud en Amérique s’affichaient chez les extrémistes de tous poils, dont le Klu Klux Klan porta le flambeau. Mais ce n’est pas tout, car ici, tout le monde y passe, femmes, enfants, vieillards, tout converge vers ce final estomaquant et pessimiste et ces inoubliables images de polaroïds, qui comme des flashs d’un appareil photo crépitant au milieu de la nuit, révèlent le film négatif des évènements. En signant La Nuit des morts-Vivants, George Romero a réalisé l’œuvre de sa vie, et continuera avec deux autres volets dont le brillant Zombie (1978). Ici préfigure l’horreur des années 70-80-90 et le gore de Fulci. Dommage qu’il n’ait pas réitéré par la suite un tel exploit -à l’exception du très bon Creepshow (1982)- mais une telle œuvre mérite au moins le respect. La nuit des Morts-Vivants ou l’histoire de l’horreur moderne en quelque sorte. Une date.

Merci à Vic pour ses précieuses infos nécessaires à la rédaction de cet article

(1) Le film contient en fait deux génériques d’ouverture différents qui ont tous deux été exploités en salle pendant la reprise de ce classique. Ainsi, il compte un générique avec des lettres en mouvement et un autre sans le mouvement de ces mêmes lettres. Ici, c’est le générique sans le mouvement qui est proposé.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Politique des zombies, l'Amérique selon George A. Romero sous la direction de Jean-Baptiste Thoret

Par Jordan White - le 5 octobre 2010