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Critique de film
Le film
Affiche du film

Knightriders

L'histoire

Billy (Ed Harris) est le mentor d’une troupe ambulante de motards qui va de ville en ville présenter un spectacle de joute motorisée d’inspiration médiévale. Mais Billy, le roi, voit plus loin que la seule vie de saltimbanque et considère son clan comme une véritable survivance de l’esprit chevaleresque de la table ronde. Bientôt la troupe, confrontée à un shérif corrompu, doit choisir entre le jusqu’au-boutisme de Billy et Morgan (Tom Savini) qui, lui, souhaite capitaliser sur la renommée du groupe.

Analyse et critique

Au départ, George Romero écrit le scénario de Knightiders pour Sam Arkoff (producteur mythique de la série B des années 60/70) qui accepte de le financer mais lui demande de remplacer les chevaux du script original par des motos. Si Arkoff n’est finalement pas partie prenante du projet, les motos, elles, restent dans la course. C’est suite au succès de Dawn of the Dead que Romero décide de s’engager dans cette histoire qui lui tient particulièrement à cœur et qui lui permet, une nouvelle fois, d’essayer d’échapper à l’étiquette de réalisateur de film d’horreur qui lui colle à la peau. Ses précédentes tentatives de s’affranchir (du moins en partie) du cinéma fantastique (There’s Always Vanilla et Season of the Witch) avaient été des échecs cinglants et Romero dut rapidement renouer avec le genre qui l’avait vu naître aux yeux du public. Knightriders est un film sur les contradictions de la contre-culture des années 60, sujet très cher au cœur de Romero citoyen et cinéaste. C’est aussi un magnifique souvenir de tournage où le réalisateur est entouré de toute sa famille de cinéma. Pour toutes ces raisons, Knightriders est le film préféré de Romero.


Zombie est un succès colossal, le film rapportant 40 millions de dollars pour un budget de 1,5 millions, ce qui permet à Romero, et ce pour la première fois de sa carrière, de travailler confortablement sur un film (notamment avec des techniciens syndiqués, une nouveauté) tout en restant indépendant des studios. Il tourne près de sa ville d’adoption (Pittsburgh), entouré de ses amis et collaborateurs habituels. La position de Romero rappelle alors un peu celle de Robert Aldrich à la fin des années 60 (il y a d’ailleurs de nombreux rapprochements flagrants entre leurs films et leur sens de la mise en scène) : une indépendance de production, une vie loin d’Hollywood, un travail de longue date avec des collaborateurs fidèles. On trouve en plus chez Romero un sens de la débrouille qui compense ce qui reste somme toute des budgets réduits et une étonnante polyvalence des techniciens et collaborateurs du cinéaste. Il est assez rare en effet de voir un producteur signer une bande originale, un directeur des effets spéciaux faire l’acteur, un monteur s’occuper de la seconde équipe. Sur Knightriders, tout le monde met la main à la pâte et Romero de son côté apprend à déléguer. En effet, dans ses précédentes réalisations, le cinéaste avait la main sur tous les postes et avait du mal à imaginer un vrai travail d’équipe. Mis en confiance après plusieurs collaborations avec sa famille de cinéma, il commence à vraiment imaginer ses réalisations comme des œuvres collectives. Ce changement n’est pas pour rien dans le souvenir enchanteur qu’il conserve de ce tournage.


Nous sommes en 1981 lorsque Knightriders est tourné, et la vague contestataire des années 60 qui a tant marqué Romero semble bien lointaine à l’heure où Reagan devient le 40ème président des Etats-Unis. Le film, empreint de mélancolie, ausculte la façon dont les idéalistes des années 60 ont peu à peu abandonné l’espoir de pouvoir changer le monde. Ils vivent désormais repliés sur eux-mêmes et se contentent d’une réalité alternative qui leur permet d’évoluer selon leurs principes mais qui évite toute friction avec le monde, la société. Les rebelles sont sous contrôle, constamment surveillés par les forces de l’ordre, ils deviennent des bêtes de foire pour un public hilare, ils sont inoffensifs. L’ère des rêves et des espoirs fous est terminée. Ce repli, on le retrouve dans de nombreux films de Romero, notamment dans la saga des morts-vivants où les héros se réfugient dans un espace qu’ils espèrent conserver vierges (une maison, un supermarché, un bunker, une ville forteresse). Seulement, ce repli n’est qu’un leurre et les murs qui protègent ces sanctuaires trop fragiles. Pour Romero, les zombies de sa tétralogie représentent moins les masses révoltées que le désir de changement qui est en permanence au cœur de notre société et chacun des volets explore la façon dont celle-ci y résiste. Les individus luttent contre le changement, mais ne peuvent au final que perdre face à la force de cette volonté qui ploie le monde. A cette aune, on peut donc considérer que la tétralogie de Romero est résolument optimiste ! Knightriders est finalement plus sombre, plus désenchanté, mais Romero parvient malgré la tristesse du constat initial (celui de l’échec des utopies des années 60) à nous faire partager sa conviction que ce sentiment de révolte et cette soif de changement persistent envers et contre tout et ne demandent qu’à surgir de nouveau et à fondre sur monde.


Le monde imaginaire inspiré de la Table ronde que s’est façonné la troupe de motards est d’abord pour eux une échappatoire, une façon de ne pas se confronter au monde réel mais de le réinventer pour trouver la force d’y vivre. Ils ne pactisent pas avec « l’ennemi », mais ne luttent pas vraiment non plus contre lui. Cette position ambivalente crée des tensions dans le groupe. Pour une partie d’entre eux, la contre-culture est un rêve effectivement éteint, désuet, et leur mode de vie hors norme un hobby. Les joutes des chevaliers sont des spectacles qui leur permettent de gagner un peu d’argent, de vivre sans attache, comme un cirque, une troupe de saltimbanques. Une autre partie de la troupe suit Billy, leur roi, qui lui croit dans le code de la chevalerie, dans cet univers fantasmé. Lorsqu’on lui demande de jouer pour une importante somme d’argent, il rétorque : « We’re not in acting ! » Pour Billy, ce n’est pas un jeu, c’est une proposition de vie qu’il voudrait que chaque autre membre partage. Romero confronte sans cesse l’idéalisme d’une génération contestataire et le pragmatisme qui a amené à la dissolution de ses utopies. Dans Knightriders demeure malgré tout, au fond de chacun des membres de la troupe, cette volonté de continuer à vouloir faire exister ce rêve, à inventer une alternative à la société de consommation. Mais il y a cette amertume de Romero face à la révolution avortée des sixties : « Nous pensions que les Beatles allaient gagner (…) subitement sont arrivés les Bee Gees. »


La communauté rêvée par Billy doit affronter toute une série d’épreuves, comme dans un récit de quête médiévale. « I’m not trying to be an hero, I’m trying to fight the Dragon » déclare Billy. Le dragon que combat Billy, c’est la société américaine qui part à l’assaut des chevaliers de Camelot sous de multiples formes, une hydre qui lance à tour de rôle ses sept têtes pour tenter de corrompre et d’abattre Arthur et son entourage.

La première tête est celle des forces de police, garants de l’ordre établi. Un shérif véreux veut que la communauté lui verse un pot de vin. Morgan (Tom Savini) s’oppose à Billy qui refuse de se compromettre en acceptant ce marché. Dans ce récit de quête, il y a un combat terrible qui s’engage entre la pureté des idéaux et les compromis vus comme nécessaires par une partie du groupe. Payer cette dîme permettrait à la troupe de poursuivre tranquillement son chemin, mais Billy ne peut accepter de bafouer son honneur. Par cet acte il met en péril la troupe, mais accepter ce marché serait à coup sûr la condamner. Morgan représente le côté rationnel. Il craint que le groupe ne puisse faire son spectacle suivant et perde ainsi deux mille dollars, soit une fortune comparée à la somme dérisoire réclamée par le shérif. Mais la rationalité ne fait pas bon ménage avec l’utopie. A partir de cet évènement, Morgan veut devenir le nouveau roi et le film va tourner autour de la confrontation de ces deux hommes, de ces deux conceptions de la contre-culture : refuser tout compromis et risquer de mettre en danger l’existence de la communauté par cette posture jusqu’au-boutiste, ou se ranger du côté de la rationalité et espérer pouvoir composer avec la société pour poursuivre tranquillement sa vie dans les chemins de traverse. Tour à tour, l’hydre lance de nouvelles têtes voraces contre les chevaliers : l’argent, les médias, la renommée, le luxe. Billy déjoue ces chimères tandis que Morgan transige et parlemente. Lorsqu’un des fidèles de Billy lui explique que s’il venait à mourir, la communauté serait dissoute, Billy rétorque que la troupe est le code, et que le code est la troupe. Pour lui, mourir en étant fidèle à ses idéaux, à ses engagements, conforterait le code et le groupe. Tout compromis détruirait, anéantirait les deux.


Pourtant, malgré l’absolu de sa quête, Billy a déjà dû composer. Les joutes de ses chevaliers sont aussi des spectacles et l’idéalisme de Billy est battu en brèche dès le début du film. Le film démarre sur l’un de ces shows et Romero filme les spectateurs comme une horde vorace, assoiffée de sang et de bière (Stephen King et sa femme font une amusante apparition en couple particulièrement beauf). La joute nous apparaît de prime abord comme complètement ridicule, désuète. Mais peu à peu, Romero nous immerge dedans, nous fait partager les sentiments véritables qui animent ces chevaliers anachroniques. On bascule très rapidement de leur côté et l’on ressent combien cela est vrai pour eux, malgré les spectateurs, malgré la mise en scène. Le spectateur modifie son regard au moment même où une jeune fille insulte ses parents et s’enfuit avec un des jeunes motards : la rébellion vient toujours de la jeunesse, elle ne peut que naître dans l’opposition aux aînés, aux parents. La jeunesse peut encore rêver. Les touristes ahuris eux aussi commencent à croire à ces improbables combats, ils s’investissent et ressemblent de plus en plus à de véritables spectateurs d’une joute du Moyen-Âge. C’est le dynamisme de la mise en scène de cette séquence qui permet à Romero de relever ce défi ô combien hasardeux. Si le spectateur n’adopte pas à ce moment-là le regard de la communauté, le reste du film s’écroule comme un château de cartes. Plus tard dans le film, Morgan cède aux sirènes des médias, se prend au jeu de la télé, du luxe. Le groupe se déchire et les joutes ne parviennent plus à embarquer le public et le spectateur. Le montage est moins rythmé, il n’y a plus de crescendo, la caméra se fait plus lointaine, ne s’immerge plus au cœur des duels. Point d’orgue de cette déliquescence, l’ingénieur du son, excédé, claque la porte en plaçant un morceau funk sur les duels. Les spectateurs dansent et chantent, le rêve de Camelot semble à ce moment-là réduit à néant.

La société de consommation est déjà au cœur de Zombie. Romero y aborde cette question de façon très personnelle, loin de certains clichés hérités des années 60. L’heure n’est plus à la guerre entre ceux qui veulent changer le système et ceux qui le dominent. Désormais, le seul combat qui existe est celui entre individus pour la possession. On retrouve dans Knightriders cette capacité destructrice de la société de consommation, sa voracité, la façon dont elle contamine toute chose, tout rêve. Morgan est l’incarnation du rêve des sixties devenu produit mercantile, spot publicitaire. Une scène nous le montre lors d’une séance photo où il est allongé sur un divan où est inscrit Knightriders : Romero sait que son propre film va aussi devenir un produit. Morgan se rend compte qu’il a trahi ses idéaux quand, après avoir quitté la troupe pour fonder un autre Camelot avec l’argent d’un promoteur télé, il assiste médusé à ses chevaliers se battant comme des chiffonniers alors que la radio joue le même morceau funk que lors de la joute avortée. Il saisit alors que son engagement n’a plus rien de réel, que son mode de vie est complètement factice, qu’il n’est plus qu’une image vide et docile. Morgan sait alors qu’il lui faut retourner auprès de Billy, qu’il ne peut y avoir qu’un roi, qu’un rêve. Il va le combattre pour prendre sa place, mais dans les règles de la chevalerie, comme un membre de la Table ronde. Cette dernière joute se fait sans spectateurs et elle est la plus joyeuse de toutes celles filmées par Romero durant le film. La toute fin de Knightriders, poignante, est paradoxalement foncièrement optimiste. [SPOILER] Billy, déchu de son rang de roi, repart sur la route. Il rejoint un enfant auquel au début du film il avait refusé un autographe (le jeune garçon avait ressorti un vieux magazine où Billy apparaissait comme un motard participant au système). Billy entre dans la classe. Les élèves chantent un hymne devant le drapeau américain. Scène iconoclaste où toute la classe est au garde à vous devant un Star and Stripes planté à endroit du mur ou le plâtre s’est écroulé laissant apparaître, miracle, les contours des Etats-Unis ! Billy donne son épée au jeune garçon, il passe le relais, il sait que le rêve n’est pas mort : Morgan le poursuivra, cet enfant lui succèdera. [FIN DU SPOILER]

Knightriders est un film magnifique sur le pouvoir de l’imaginaire, sur le rêve, mis en scène avec poésie et humour. Véritable profession de foi, la réplique d’un membre de la troupe qui s’enfuit à l’arrivée de la police avec son camion chargé de vin. On lui crie : « Wine is not illegal ! », ce à quoi il rétorque : « It’s more exciting to think it is ! » Il y a une grande joie qui irradie des interprètes, un vrai sentiment d’être en famille. Romero développe de nombreux personnages secondaires, tous brillamment interprétés, qui lui permettent en quelques touches d’aborder de nombreuses questions de nos sociétés, comme la réception des homosexuels ou les femmes battues. Romero est entouré de toute sa troupe d’acteurs, dans des rôles plus ou moins importants : Ken Foree et Scott H. Reiniger (les deux SWAT de Zombie), Joseph Pilato (aperçu dans Dawn of the Dead et futur chef militaire dans Day of the Dead), John Amplas (Martin dans le film éponyme), Christine Forrest (la femme de Romero qui jouait également dans Martin), Anthony Dileo Jr. (qui jouera Miguel dans Day of the Dead). Dans le rôle de Merlin on trouve Brother Blue, un célèbre conteur américain qui a sillonné tout le pays, ses prisons, ses quartiers dévastés à partir des années 60. La musique est orchestrée par Donald Rubinstein (compositeur discret qui fera deux de ses trois seules compositions originales pour Romero avec Martin et Bruiser), qui joue également l’un des musiciens du trio qui accompagne les joutes dans un mélange de musique folklorique médiévale et celtique. La photographie est de Michael Gornick, qui a déjà collaboré avec Romero sur Martin et Dawn of the Dead, et qui signera plus tard celles de Creepshow et Day of the Dead. Gornick travaille sur l’imaginaire arthurien : l’adoubement d’un chevalier au bord d’un lac ; Barry et sa reine faisant l’amour dans la forêt ; une scène de bataille baignée des brumes d’Avalon... toutes ces images sont placées à des moments clefs du récit où l’imaginaire médiéval de la troupe prend le pas sur la réalité. Dans l’ouverture du film, on découvre le couple royal nu dans les herbes. Barry se lève, s’empare de son épée et prie. Ils revêtent ensuite leurs vêtements médiévaux, montent sur leurs montures et c’est seulement alors que l’on découvre que ce sont des motos. Romero nous fait croire à un univers médiéval juste avant de le contredire avec cet effet purement comique. Mais ce qui se joue ici, c’est la croyance du spectateur. Romero montre d’emblée le ridicule de la situation, la naïveté de ses hommes et de ses femmes, pour ensuite s’évertuer à faire partager cette réalité au spectateur. D’où ces passages qui semblent tout droits sortis d'Excalibur (les deux films sortent en même temps aux USA, le 10 avril !) qui sont le reflet du monde intérieur des membres de la troupe. Le récit se réfère constamment à la geste arthurienne : la trahison de Lancelot, la fidélité de Perceval, Excalibur, le Chevalier noir... Toute cette mythologie, ces hommes y croient et la vivent. Romero, amoureux de ses personnages, leur rend hommage avec son film : il les accompagne en leur offrant la transcription littérale de leur imaginaire.

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 17 avril 2008