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Critique de film
Le film

Victime du destin

(The Lawless Breed)

L'histoire

"The 'Bad Men' of the West, the Jameses, the Daltons, the Ringos and the Youngers, are now part of American folklore. Research has added another name to the list-John Wesley Hardin. Hardin's story is unique because it was written by the man himself. This extraordinary testament, now a collector's item, was published in Seguin, Texas in 1896."

1886. A la sortie du pénitencier de Huntsville, Texas. "J'avais peur que les murs ne soient pas assez hauts pour vous" dit le directeur de la prison à John Wesley Hardin (Rock Hudson) qui vient de finir de purger sa peine après 16 années de détention. Avant de prendre le train qui va le reconduire dans sa famille en Alabama, il se rend dans les bureaux du journal local où il confie l'autobiographie qu'il a écrit durant ses années d'emprisonnement. Le journaliste se plonge alors dans cette incroyable histoire d'un homme qui n'aura de cesse de fuir aussi bien la justice que des hommes voulant se venger. Flash-back. Elevé par un père rigoriste (John McIntire), ne supportant plus sa sévérité, il finit par être obligé de quitter la maison familiale promettant à sa fiancée (Mary Castle), orpheline habitant sous le même toit depuis son enfance, de venir la chercher une fois qu'il aura gagné assez d'argent pour acheter leur propre ranch. Lors d'une partie de cartes, il tue en état de légitime défense un membre de la famille Hanley. Il est cependant poursuivi par l'armée ainsi que par les frères de la victime qui comptent bien venger le mort. John Wesley, communément appelé Wes, trouve refuge chez son oncle John Clements (John McIntire à nouveau), sur le point de conduire son bétail à Abilene. Wes décide de l'accompagner afin de se faire oublier dans la région. Malheureusement, les frères Hanley, ayant appris sa destination, vont l'attendre là-bas. Lors d'un duel avec l'un d'entre eux, Wes le tue. Refusant d'être jugé par le fait d'estimer n'être pas dans son tort, il préfère fuir à nouveau. Par la suite, il se voit dans l'obligation de tuer des hommes de loi venus l'arrêter et sa fiancée périt elle aussi lors d'une échauffourée. Se cachant sous différentes identités, allant d'Etat en Etat, il arrive par son incroyable chance au jeu à vivre confortablement auprès de la nouvelle femme de sa vie, son amie de longue date, Rosie McCoy (Julia Adams), ex Saloon Gal. Il se fixe même en Alabama ayant réussi à réaliser le rêve de sa vie : avoir son propre ranch. Il finit néanmoins par être appréhendé et envoyé au pénitencier...

Analyse et critique

La première séquence de The Lawless Breed nous fait pressentir d'emblée qu'il s'agira néanmoins d'une série B un peu plus recherchée que la moyenne (une très bonne moyenne cependant concernant la compagnie Universal en cette première moitié de décennie, on ne le répètera jamais assez) : la sortie de prison de Rock Hudson est filmée en plongée par un ample et lent travelling arrière du plus bel effet, le tout soutenu par un admirable thème musical de Herman Stein (non crédité au générique) qui prouvait une nouvelle fois qu'il semblait vouloir suivre les traces de l'autre excellent compositeur du studio, Hans J. Salter dont le style lui est très ressemblant.

En toute objectivité (s'il est possible de la définir et lui mettre des limites), s'il est évident que ce film de Raoul Walsh n'atteint pas stylistiquement et plastiquement parlant les plus grandes réussites du cinéaste dans le genre que sont La Piste des géants (The Big Trail) ou La Charge fantastique (They Died with their Boots on) voire même que ses quelques semi-ratages comme Une corde pour te pendre (Along the Great Divide), s'il s'avère également assez impersonnel hormis dans les thématiques, il n'en possède pas moins un charme certain (dû en partie au système de production Universal) qui fait qu'il n'est pas interdit de prendre autant de plaisir à sa vision qu'à celles de ses films plus réputés à juste titre.

The Lawless Breed prend pour héros le personnage réel qu’était le tueur sadique, cruel et sans scrupules John Wesley Hardin que, comme d'encore plus célèbres congénères auparavant, les scénaristes transforment en sympathique 'victime du destin' qui affirme en leitmotiv tout au long du film "I never killed anyone who didn't try to kill me first". Une fois que son autobiographie a été publiée à titre posthume en 1925, une légende s'est développée autour de son personnage, le transformant en mythe pour la simple raison qu'il fut peut-être l'un des derniers grands bandits du Far-West. C’est ce 'criminel malgré lui' (sur lequel Bob Dylan et Johnny Cash ont écrit des chansons, le premier lui faisant même l'honneur de le mettre en titre d'un de ses albums) qui raconte en flash-back ses mésaventures sanglantes par l’intermédiaire de quelques centaines de pages (écrites lors de son long séjour en prison) lues par un éditeur. Mais hormis quelques éléments comme sa rencontre avec Wild Bill Hicock, point trop de vérité historique à chercher dans ce portrait d’un malfaiteur notoire ! D’ailleurs, 'preview' catastrophique oblige, le Hardin de Rock Hudson ne tombera pas sous les balles lors d’une partie de dés mais se rangera définitivement auprès de son épouse et de son fils dans une ferme de l’Alabama. Quoiqu'il en soit, on sait depuis longtemps qu'il n'est pas besoin de respecter la vérité à la lettre pour accoucher d'un bon film et même qu'Hollywood peut violer l'Histoire à son aise sans que ça ne frustre le cinéphile ; et ce western de Raoul Walsh s'avère effectivement une bien belle réussite même s'il ne paie pas de mine de prime abord et qu'il peut même décevoir à la première vision.

Outre leurs immenses qualités respectives, ce western de Raoul Walsh entretient pas mal de points communs avec l'autre excellent western Universal de cette période, l'assez peu connu Le Traître du Texas (Horizons West) de Budd Boetticher. Dans les deux films, le personnage principal est en premier lieu une victime de la Guerre de Sécession en même temps qu'un homme souhaitant gagner de l'argent facilement. Dans le premier, c'était Robert Ryan qui, soldat confédéré n'ayant pas digéré la défaite de son camp et ne voulant pas suivre le laborieux exemple de son père, s'était élevé dans la société en écrasant tous ceux qui se trouvaient sur son passage. Le personnage joué par Rock Hudson dans le film de Walsh n'a pas participé au conflit puisqu'il n'avait que 7 ans en 1860 ; mais la Guerre Civile l'a néanmoins durablement marqué lui aussi puisqu'elle lui a fait perdre ou a mutilé divers membres de sa famille. La première fois qu'on le découvre, Wes peste contre 'l'armée d'occupation' et les Carpetbaggers qui l'ont toujours empêché de gagner correctement sa vie malgré son labeur constant. Comme dans la plupart de ses films, on remarque immédiatement que l'attention de Raoul Walsh se porte plus vers ces 'rebelles' et ces 'marginaux', dont le sort tragique est couru d’avance (enfin, le croit-on au vu du titre français assez mensonger), que vers l’ordre établi. A ce propos, on trouve une scène dans The Lawless Breed qui ne fait pas de cadeau à cette institution pourtant normalement respectable qu'est la justice. Alors qu'il n'était pas contre un procès, Wes sera obligé de le fuir par manque d'argent ; en effet, les hommes de loi lui font comprendre clairement que s'il ne les paie pas assez grassement, ils ne pourront pas faire pencher la balance de son côté et être cléments envers lui. Cette injustice, l'exemple de son père rigoriste n'étant jamais arrivé à joindre les deux bouts à force de résignation, l'incapacité qu'il a ne serait-ce qu'à accomplir son modeste rêve d'acquisition d'un lopin de terre, etc., tout ceci lui fait se dire que le mieux est d'amasser de la richesse sans rien faire d'autre que jouer, d'autant qu'il n'est pas dénué de chance.

Se détachant de son austère famille, renonçant à ses études de droit (la première action qu'il entreprend de faire pour entamer son pécule une fois avoir quitté le cocon familial est de revendre ses livres destinés à l'apprentissage), il comprend vite que le jeu est un moyen plus simple et plus rapide pour gagner sa vie. Malgré des intentions honnêtes, les tricheurs, les mauvais perdants et les jaloux le contraignent tout aussi rapidement à jouer de la gâchette ; il manie les armes avec autant de dextérité que les cartes et il est bientôt acculé aux crimes en série ; sa réputation de meurtrier prend le dessus sur celle de Gambler. Il perd vite tout crédit auprès des siens et se voit sans cesse poursuivi par les autorités et vengeurs de tous horizons au point de ne jamais pouvoir rester longtemps au même endroit. A peine 80 minutes pour condenser une vie aussi mouvementée et un film qui semble gonflé à bloc et ne jamais pouvoir prendre de pause. Et pourtant ces dernières sont bel et bien présentes, apportant même souvent beaucoup de douceur au sein de cette continuelle fuite en avant finalement assez sombre.

Si d'un côté, et c'est tant mieux pour lui, Wes réussit pleinement à amasser une fortune grâce à son talent pour le jeu et à sa baraka, c'est donc la jalousie qu'attise cette veine qui le fera se transformer en un meurtrier malgré lui, étant obligé de se défendre face à des hommes l'accusant de tricherie, face à des hommes de loi transpirant la lâcheté ou des juristes véreux. Le spectateur ne peut que finir par le prendre en pitié et lui vouer une forte sympathie malgré ses accès de violence que l'on arrive à trouver alors pleinement justifiées. Le parcours de cet homme ne sera plus qu'une longue et éreintante course effrénée contre les institutions juridiques et policières d'un côté (jusqu'aux Texas Rangers qui se sont reformés pour l'occasion) et de l'autre les hommes voulant le tuer par vengeance ou jalousie. Un peu comme les frères James dans les films que leurs ont consacrés Henry King ou Fritz Lang ainsi que tous les autres célèbres Outlaws transformés en victime par l'usine à rêve. Et c'est donc Rock Hudson qui interprète cet homme marqué par une éducation trop austère et qui tuera son premier homme en état de légitime défense. Pour son premier rôle en tête d'affiche, il s'en sort vraiment bien et nous délivre une robuste interprétation d'autant que son personnage est loin d'être monolithique, à la fois violent et doux, frustré et éclatant de vitalité. Après son premier 'meurtre', la malchance ne le quittera alors plus malgré quelques instants idylliques passés auprès de son épouse, les relations qu'il aura avec la pulpeuse Julia Adams se révélant d'ailleurs être à l’origine des séquences les plus réussies et émouvantes de ce western.

Il faut dire que le personnage de Rosie McCoy s'avère être de loin le personnage le plus riche et le plus touchant (sans naïveté aucune) d'un film qui contient finalement de nombreuses séquences d'une belle sensibilité. Femme de petite vertu, elle est la meilleure amie de Wes, n'hésitant pas à risquer sa vie pour le sortir des différentes impasses où il se fourre, accourant à son secours alors qu'il est grièvement blessé. Pourtant à ce moment là, ils ne sont pas amoureux l'un de l'autre, Wes étant encore fortement attaché à sa future épouse. C'est par pure amitié que réagit Rosie, ce qui était encore unique à priori dans le western de l'époque. Après la mort accidentelle du personnage joué par Mary Castle (très bien écrit lui aussi), Rosie acquiert ensuite une importance considérable qui n'est pas pour nous déplaire. Femme forte ayant bien les pieds ancrés sur terre, en même temps que l'amante, elle est un peu l'ange gardien de Wes en plus de sa conscience ; elle n'hésite pas à le secouer pour lui faire comprendre qu'il fait fausse route quitte à lui tenir tête, lui balançant à la figure sa trop grande complaisance dans la violence, dans l'excitation du jeu qui peuvent tous deux l'éloigner de son idéal de paix et de bonheur. Outre sa sublime beauté (quels beaux yeux et quel potentiel érotique lors de ses quelques séquences en petite tenue !), l'actrice nous confirme l'immense talent que l'on avait décelé dans les magnifiques Les Affameurs (Bend of the River) de Anthony Mann et Le Traitre du Texas (Horizons West) de Budd Boetticher dont nous parlions ci-avant et où elle avait déjà l'occasion de tenir un rôle très riche aux côtés de Robert Ryan. Impossible de ne pas sourire de plaisir devant la joie qui se dégage de son visage à l'annonce qu'elle va se marier dans la minute qui suit ; impossible de ne pas être bouleversé quand elle apprend à Rock Hudson qu'elle est enceinte et impossible de retenir ses larmes quand elle fond en pleurs au départ de son mari pour la prison tout comme à leurs retrouvailles seize ans plus tard : une très grande performance d'actrice ! Comme Joanne Dru à la fin des années 40, ce pourrait être l'actrice la plus importante du genre en cette première moitié de décennie. N'empêche, elle en a eu de la chance l'étrange créature du lac noir l'année suivante ! Dommage que sa carrière au cinéma ait été aussi peu importante car elle prouvait ici qu'elle avait autant de talent pour nous rendre crédible tour à tour la femme de petite vertu puis la mère au foyer aimante.

Tout le reste de la distribution, comme dans la plupart des westerns Universal de l'époque, est parfaitement bien choisie : John McIntire interprétant deux rôles, Hugh O'Brian, Dennis Weaver et même Lee Van Cleef sont de la partie. La séquence qui oppose ce dernier à Rock Hudson au cours d'un duel dans une rue balayée par une tempête de vent est d'ailleurs une de celles qui fait s'élever ce western de série B un peu plus haut que beaucoup d'autres, une de celles que l'on peut raisonnablement attribuer au seul Raoul Walsh. Le cinéaste nous offre dans l'ensemble une mise en scène dynamique et bien rythmée même si jamais vraiment virtuose ; ce n'est pas non plus au travers de ce film que l'on pourra s'extasier devant son talent plastique par exemple même si le Technicolor de Irving Glassberg est chatoyant et que ce procédé photographique demeure néanmoins toujours un véritable plaisir pour les yeux. Concernant l'action, on trouve dans le courant du film une course de chevaux entre Rock Hudson et un adversaire, exemple typique de la politique Universal concernant les séquences 'mouvementées' : aucune tricherie par l'inserts de gros plans de comédiens visiblement assis sur des chevaux de bois devant des toiles peintes ou des transparences mais au contraire une séquence filmée du seul point de vue des spectateurs et qui malgré tout se révèle tout aussi efficace, nous reportant sur la couleur des chevaux pour connaître le suspens de son déroulement.

Un bien beau film, noble dans ses intentions, respectueux par sa modestie, vif dans son rythme, solide dans son exécution, sans humour intempestif (le seul trait d'humour que l'on trouve est celui apporté par le personnage du croque mort), qui démontre qu'un homme est capable de changer pour le meilleur et qui délivre une morale qui dénonce la vengeance et la violence sans en passer par un message pompeux et trop édifiant malgré le happy end imposé. Alors que Wes réagit envers son fils avec la même violence que son propre père avait eu à son encontre lors de la première séquence, il ira ensuite le sortir du mauvais pas dans lequel il allait se fourvoyer, l'empêchant de tomber à son tour dans la spirale inexorable de la violence qui lui a valu de perdre seize années de sa vie en prison. La rédemption existe et nous en sommes finalement heureux pour les personnages du film de Raoul Walsh d'autant qu'à sa sortie de prison, Wes semblait avoir de grandes difficultés de réinsertion au point que même le poney qu'il se mettait à caresser semblait s'en méfier en se cabrant ! Le crime ne paie pas, le rachat est possible, la violence et la vengeance sont inutiles et surtout à bannir ; c'est une partie de ce que nous dit naïvement mais noblement Raoul Walsh avec son talent de conteur habituel au sein d'un western vigoureux que j'ai grandement réévalué.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 5 janvier 2009