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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Écumeurs

(The Spoilers)

L'histoire

1900 : Nome (Alaska), en plein boom de la ruée vers l’or. De prétendus agents du gouvernement font régner la loi dans la région en spoliant les chercheurs d’or ; le vol de concessions sous couvert juridique va bon train. Les petits propriétaires décident alors de s’associer à Glennister (John Wayne), détenteur de l’un des plus gros gisements de la région, pour contrer les "écumeurs" menés par Alexander McNamara (Randolph Scott), pourtant commissaire aux mines. Avec l’aide d’un juge véreux, McNamara essaie de s’approprier les terrains aurifères les plus juteux dont le filon découvert par Glennister. Ce dernier, trompé par ses adversaires, perd le bénéfice de ses parts puis est envoyé en prison. Au milieu de tous ces imbroglios, on trouve Cherry Malotte (Marlene Dietrich), patronne du saloon, tiraillée entre la jalousie de voir son amant Glennister reluquer la nièce du juge, l’amour intense que lui porte le croupier (Richard Barthelmess) et la tentative de séduction du peu recommandable McNamara. Elle finira par aider Glennister à contrecarrer les sombres complots du fonctionnaire malhonnête en jouant de ses charmes pour neutraliser ce dernier.

Analyse et critique

Même si Les Ecumeurs date seulement de 1942, il n’en est pas moins la quatrième adaptation d’un célèbre roman de Rex Beach publié en 1906. La première avait vu le jour en 1914 et William Farnum (qui joue le juge véreux dans la version de Ray Enright) tenait alors le rôle de Glennister. En 1930 c’est au tour de Gary Cooper d’endosser le rôle du mineur, et une dernière version sera tournée en 1955 par Jesse Hibbs, le trio Malotte / Glennister / McNamara étant cette fois interprété par Ann Baxter, Jeff Chandler et Rory Calhoun. Mais le western couronné de succès de Ray Enright demeure encore aujourd’hui la version de référence pour cette histoire. Il fait partie de ce courant "westernien" qui développe ses intrigues à l’époque de la ruée vers l’or, signifiant une limite géographique qui se situe au Nord-Ouest des USA, au Klondyke plus particulièrement. Dès 1925, dans La Ruée vers l’or, Charlie Chaplin pose les bases de ces northern westerns en décrivant de façon inoubliable la faune grouillante qui s’était établie dans ces terres froides : ses chercheurs d’or avides, ses hommes de loi véreux, ses saloons débordant de vitalité, de filles et de violence... C'est surtout dans les années 1940, plus particulièrement à la RKO et à la Republic, que l’on verra fleurir les westerns narrant avec nonchalance - et sans jamais se prendre vraiment au sérieux - les problèmes opposant les mineurs aux spoilers ; mais c’est Anthony Mann qui nous offrira en 1954 le plus beau fleuron du gold rush western avec son sublime et inoubliable Je suis un aventurier (The Far country).

Les Ecumeurs ne saurait soutenir la comparaison avec le film d'Anthony Mann mais il faut le visionner en connaissance de cause : comme la plupart des westerns de l’époque, il n’a pas d’autres prétentions que de divertir et il faut bien avouer qu’il y réussit très bien. Mais le film se révèle surtout un formidable véhicule pour ses trois têtes d’affiche. Pour son 80ème film, John Wayne venait pour la seconde fois soutenir la carrière, chancelante à l’époque, de Marlene Dietrich. Très à son aise dans la peau de cet aventurier un peu lourdaud, il arrive pourtant à être éclipsé par ses deux partenaires. Randolph Scott, jusqu’à présent confiné la plupart du temps dans la comédie, commence ici à jouer du revolver mais il se trouve alors encore du mauvais côté de la barrière ; il se sort avec les honneurs de son rôle de bad guy, son sourire et son aisance faisant merveille. Scott peut en tout cas remercier Ray Enright, le premier à avoir façonné les contours de son mythe et grâce à qui il deviendra le cow-boy le plus prolifique du western parlant, bien devant John Wayne ou Gary Cooper. Boetticher assiéra définitivement la légende de l’acteur et Peckinpah lui fera cadeau en 1962 de son plus beau rôle dans son chef-d’œuvre crépusculaire, Coups de feu dans la Sierra.

Mais Les Ecumeurs demeure avant tout un film dans lequel Marlene Dietrich brille de tous ses feux. « Tu serais belle même dans un sac de jute » lui rétorque à un moment donné Wayne / Glennister. Il s’agit du second rôle de Marlene en tant que saloon gal. Après l’avoir été dans Femme ou démon (1939) de George Marshall où elle avait pour partenaire le tout jeune James Stewart, elle restera comme l’inoubliable Altar Keane dans le western baroque de Fritz Lang, L’Ange des maudits (Rancho Notorious) en 1952. Belle, enjôleuse, joviale, indépendante, énergique, boudeuse, difficile à conquérir, elle impose ici la vision archétypale de ce genre de personnage dans le western, la femme à la fois forte et frivole. Dans la peau de cette "lady" à la moralité pas tout à fait irréprochable mais "au cœur grand comme ça", l’actrice se fait plaisir et monopolise le film, ses partenaires et les spectateurs. Le port altier, se déplaçant nonchalamment au milieu des rues boueuses du Klondyke, elle attire tous les regards et attise tous les désirs. Toujours élégamment vêtue de robes façonnées sur mesure, elle est en outre magnifiquement et amoureusement photographiée et il ne fait pas de doutes que le héros ne pourra que tomber dans ses bras plutôt que dans ceux de la trop sage et réservée Margaret Lindsay, d’autant plus que cette dernière se révèle in fine faire partie du gang des écumeurs. En conclusion, même sans être fan de ce genre de films, la prestation de Dietrich ne pourra que séduire le plus grand nombre surtout que les dialogues qui lui sont confiés sont remplis de sous-entendus. En revanche, il faut prévenir les amoureux de la "chanteuse Dietrich" qu’elle ne pousse ici à aucun moment la chansonnette.

Toujours par sa distribution, ce western de série nous propose d’autres occasions de nous réjouir : nous avons la chance de trouver parmi les seconds couteaux deux acteurs bien oubliés de nos jours. Tout d’abord, le sympathique Harry Carey, ici l’associé de John Wayne, vieux cow-boy philosophe n’arrivant pas à dompter son fusil "‘Betsy" qui tire sans prévenir ; il fut l’acteur fétiche de John Ford et second rôle mémorable dans L’Ange et le mauvais garçon de James Edwart Grant. Son duo avec John Wayne dans le film de Ray Enright préfigure celui tenu par James Stewart et Walter Brennan dans le déjà cité Je suis un aventurier. On trouve ensuite Richard Barthelmess avec son air de chien battu, amoureux transi de Marlene Dietrich et qui n’hésitera pas à faire accuser de meurtre son rival en amour. Ceux qui connaissent cette merveille du 7ème art qu’est Seuls les anges ont des ailes de Howard Hawks savent quel très bon acteur il était. Le poète Robert Service, auteur de The Shooting of Dan McGrew (dont Tex Avery s’inspirera pour un de ses chefs-d’œuvre avec The Wolf et Droopy) vient même faire une apparition sous forme de private joke dans le courant du film.

Avec un postulat de départ convenu, des situations courantes et sans grande originalité, comme on peut s’en douter le film ne cherche pas à délivrer un quelconque message ; il s’agit là, comme nous l’avons déjà signifié, de pur divertissement mené de main de maître par un artisan qui a du métier, le réalisateur Ray Enright, surtout célèbre pour avoir dirigé Rintintin et des chorégraphies de Busby Berkeley. Ces westerns de série B sont assez cotés et possèdent surtout un rythme vigoureux et trépidant : Du sang sur la piste (1947) et Far West 89 (1948) sont deux des westerns les plus rapides et nerveux que j’ai pu voir. Enright ne s’embarrasse d’aucune psychologie ou bavardage mais va de l’avant avec une célérité étonnante, même si au début des années 50 il commence à s’essouffler (Montana avec Errol Flynn traîne un peu la patte). Les Ecumeurs, réalisé bien avant et avec beaucoup plus de moyens, témoigne des mêmes qualités : film efficace, enjoué, d’une belle vitalité et plein d’humour, il nous gratifie en outre d’une des scènes de pugilat les plus spectaculaires du cinéma. Une science du découpage étonnante et une caméra très légère font de cette scène justement célèbre un must pour les amateurs. Les deux acteurs principaux restent crédibles tout au long de la bagarre malgré la présence de deux cascadeurs, ce qui prouve la brillance du montage de Enright et de ses techniciens. Enfin, ce "western" nous propose aussi quelques fulgurances et de superbes plans comme celui qui ouvre le film en nous faisant voir un train qui arrive au milieu de la ville aux rues boueuses grouillantes d’un monde bigarré.

Devant l’immense succès du film, le trio Scott / Wayne / Dietrich se reformera sous la direction de Lewis Seiler dans Pittsburgh (La Fièvre de l’or noir) la même année, un film encore plus tourné vers la comédie. Pour nous, spectateurs d’aujourd’hui, amateurs de productiions de série, c’est avec un immense plaisir que nous redécouvrons Les Ecumeurs, un film gentillet, pas inoubliable, mais qui a le mérite de faire passer un bien agréable moment, les lacunes du scénario étant palliées par l’inattaquable métier du réalisateur.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 octobre 2003