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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un roi à New York

(A King in New York)

L'histoire

Une révolution populaire oblige le roi Shadov à fuir son pays, l’Estrovie. Arrivé à New York, il est vivement accueilli par la presse américaine. En compagnie de son ambassadeur et fidèle comparse Jaume, il loue une grande suite au Ritz Hôtel afin de conserver son standing. Mais il apprend vite que son Premier ministre a disparu avec la fortune du royaume. La recherche de liquidités devient alors la première de ses préoccupations, le roi Shadov ayant un rang à tenir. Alors qu’il découvre la vie nocturne et tumultueuse de la métropole américaine, il fait la connaissance d'une jeune et belle journaliste, Ann Kay, qui s’amuse et abuse de sa naïveté. Le roi est alors contraint de faire de la publicité pour gagner sa vie. C’est à ce moment qu’il choisit de prendre sous sa protection le jeune et désœuvré Rupert, un enfant d’une grande intelligence dont les parents ont été arrêtés pour propagande marxiste. Cette rencontre humaine change profondément son séjour puis sa vision de l’Amérique, puisqu’il se retrouve vite accusé lui-même de sympathies communistes.

Analyse et critique

Un roi à New York est l’avant-dernier film de Charles Chaplin et il porte en lui toutes les caractéristiques d’une fin de règne. Cette œuvre ô combien mal-aimée est pourtant riche d’enseignements, et se révèle une source de plaisir pour les amateurs de l’immense cinéaste qui apprécient la verve satirique d’une œuvre née d’un divorce profond entre un artiste et le pays qui l’avait adopté. Chaplin fut régulièrement la cible privilégiée de plusieurs lobbies (les politiciens, la presse, les ligues de vertu), sa vie privée fut sans cesse attaquée et décortiquée (parfois l’artiste, qui jouissait sans peine de ses privilèges et de sa grande fortune, donnait aussi la corde pour se faire pendre) et ses prises de position politiques et sociales, souvent courageuses et en avance sur leur temps, quasiment toujours vilipendées.

Après un dernier procès en paternité (l’analyse de sang l’avait disculpé, mais il finit condamné en appel !), et les tentatives de censure de Monsieur Verdoux par le Breen Office (branche de la Légion de la Décence), le voilà maintenant convoqué par la Commission des Activités Anti-américaines. Une conférence de presse se transforme en tribunal d’accusation politique, un député demande son expulsion au sein même de la Chambre des Représentants, la Ligue Catholique essaie d’empêcher la projection de son film, la presse locale et nationale en profite pour se déchaîner, la United Artists affiche un déficit de 1 million de dollars... Grâce au réconfort et à l’amour de sa nouvelle et jeune épouse Oona O’Neill et au soutien de ses proches, le réalisateur parvient tout de même à achever le tournage de Limelight (Les Feux de la rampe). Mais fin septembre 1952, Charles Chaplin et sa famille quittent définitivement les Etats-Unis. Sa femme viendra plus tard discrètement récupérer leur argent et leur mobilier. Chaplin revend sa propriété hollywoodienne, s’empare des négatifs de ses films puis s’exile en Suisse où il trouvera un havre de paix. Mais ce caractériel n’en a pas encore fini avec le cinéma...

Toutes ses tristes péripéties vont devenir en quelque sorte la matrice d’une dernière comédie amère et mordante. Chaplin se remet au travail et après plusieurs années d’écriture, le scénario du Roi à New York est terminé. Les multiples rencontres faites en Suisse avec plusieurs princes déchus vont lui inspirer la création de son nouveau personnage. On dit souvent que les artistes en fin de carrière perdent de leur acuité et de leur génie. Si la mise en scène de ce film s’affiche comme relativement fonctionnelle (il faut se rappeler tout de même que, chez Chaplin, tout est mis au service de son histoire et de ce qui se passe dans le cadre), son humour à la fois léger et corrosif reste toujours vivace. On y décèle aussi beaucoup d’amertume et une certaine acrimonie (déjà présentes dans Les Feux de la rampe) mais les circonstances entourant la création du film et les conditions de tournage difficiles à Londres (ville à laquelle il ne put jamais s’acclimater) amplifient ce sentiment. Chaplin passe à la moulinette un certain nombre de travers propres à la société américaine. Avant le final burlesque qui voit le cinéaste prendre sa revanche à l’encontre du maccarthysme, il s’attaque de front à la toute nouvelle puissance de la télévision (Chaplin invente déjà le grand écran plat !), aux brusques changements de comportement introduits par la publicité, au jeunisme (formidables séquences comiques tournant autour de la chirurgie esthétique), à la violence gratuite qui s'empare de plus en plus du grand écran, et bien entendu à l’intolérance et au harcèlement politique dont le jeune Rupert est la victime.

Chaplin, qui a toujours su allier le burlesque au drame, réussit encore à nous émouvoir de façon intelligente, même si quelques effets autour de la tragédie vécue par l’enfant sont appuyés. Il parvient cependant à éviter le piège du manichéisme en se moquant gentiment du garçon, comme de son prosélytisme enfiévré et de son talent oratoire. L’interprétation de Michael Chaplin est ébouriffante et, même si l’on se doute bien que le jeune comédien n’entend pas grand chose à ce qu’il déclame, son jeu est d’une telle spontanéité que ses scènes deviennent jouissives. Le monde des adultes avec leur suffisance et leurs phrases toutes faites est joyeusement ridiculisé ; mais là où l’intelligence de Chaplin confine au génie, c’est lorsque se dégagent des tirades ampoulées du gamin un certain nombre de vérités sociales et politiques bien senties qui restent encore actuelles aujourd’hui. Derrière le drame que vit Rupert, obligé de dénoncer ses propres parents, Chaplin fait clairement allusion aux époux Rosenberg dont la condamnation judiciaire à la peine de mort fut l’un des hauts faits célèbres de cette triste période. Le cinéaste anglais fut de ceux peinés par le sort réservé aux époux Rosenberg accusés d’espionnage au profit de l’URSS (à l’époque leur culpabilité n’était pas prouvée), et cette affaire participait du climat paranoïaque et tendu qui pesait sur la société américaine.

Le temps de la vengeance sur le monde politique des Etats-Unis est arrivé. Le talent de Chaplin fut de ne pas employer les moyens grossiers de ses ennemis, ni même d’opposer une vision politique dogmatique à une autre, mais au contraire de jouer sur l’innocence, et surtout en faisant appel au comique le plus burlesque. Prouvant que la technique de l’arroseur arrosé fonctionne toujours soixante ans après sa création, Chaplin nous rejoue le coup sans vergogne et la scène fameuse des commissionnaires aspergés d’eau restera dans les annales. L’homme s’est souvent défendu de faire des films politiques. En affirmant cela, Chaplin disait vrai si l’on se place d’un point de vue étroitement politicien, or il déguisait légèrement la vérité car ses œuvres dévoilent des prises de positions morales affirmées et témoignent d’une vision sociale bien réelle. Certes, l’arme la plus efficace reste l’humour mais le sous-texte reste bien présent. Peut-être même trop présent dans Un roi à New York, car ce film pêche certainement par un certain didactisme et un manque de poésie. Vraisemblablement, le sujet ne s’y prêtait pas, mais le spectateur fidèle est en droit de se montrer relativement déçu.

Les moments de poésie visuelle ou de grâce propres à l’univers de Chaplin sont ainsi bel et bien absents. Il ne faut donc pas chercher dans Un roi à New York l’équivalent de la danse des chaussures dans La Ruée vers l’or, du jeu aérien avec la mappemonde du Dictateur, du passage du vagabond dans les rouages des Temps modernes, des chorégraphies du Cirque, des aventures nocturnes des Lumières dans la ville ou du numéro de music-hall de Calvero dans Les Feux de la rampe. Même si certains moments drôles, quelques mimiques de Chaplin acteur, le jeu entre le roi et son ambassadeur, l’hommage au comique burlesque par l’entremise du numéro des peintres gaffeurs, la parodie du cinéma américain (avec laquelle il est permis de ne pas être d’accord) ou plusieurs scènes mettant en relief la musicalité du découpage nous renvoient au bon souvenir des grands films du passé, nous sommes en présence d’un film accordant une grande place à la parole et témoignant d’une bien trop grande simplicité dans sa mise en scène.

Mais si l’on veut bien se placer d’un point de vue plus personnel, il est aisé de remarquer qu'Un roi à New York établit une relation intime entre son histoire et la vie de Charles Chaplin. Comme lui, Shadov sera contraint à l’exil par la Commission des Activités Anti-américaines et la note amère qui conclut le film, associée au fait que nous assistons à la dernière apparition à l’écran de l’artiste, achève ainsi de nous émouvoir. Les Etats-Unis mettront une quinzaine d’années avant de rendre enfin hommage à leur fils adoptif honni (United Artists refusa de distribuer Un roi à New York qui sortit finalement 15 ans plus tard dans une version censurée) lors de la cérémonie des Oscars 1972. L’Europe, elle, lui a constamment accordé sa confiance mais Charles Chaplin, isolé dans son manoir de Vevey, eut toujours le regard tourné vers l’Amérique...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 19 octobre 2003