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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Roman de Mildred Pierce

(Mildred Pierce)

L'histoire

Apres le meurtre de son mari, Monte Beragon, Mildred Pierce est tenue de raconter son histoire à l’inspecteur Peterson qui l’interroge. Quelques années auparavant : Mildred est mariée à Bert Pierce, mais souffrant de la mauvaise situation financière de son mari et découvrant l’infidélité de ce dernier, elle décide de vivre seule avec ses deux filles. L’aînée, Veda, est une jeune fille gâtée et snob qui a honte des origines modestes de sa mère. Mildred, harcelée par les insatiables goûts de luxe de Veda décide d’ouvrir un restaurant avec l’aide de Wally Fay, un ami de Bert amoureux de Mildred. Il la présente à un bellâtre aux manières aristocratiques, Monte Beragon, qui lui offre le terrain dont elle a besoin. Le restaurant devient prospère et Mildred est bientôt à la tête d’une chaîne d’établissements…

Analyse et critique

Le Roman de Mildred Pierce, à l’instar de Casablanca, est dans les années 40, un des fleurons du studio Warner Bros qui, sous la direction de Hal Wallis puis Jerry Wald (directeurs de production), nous a donné tant de chefs d’œuvres signés par les plus grands réalisateurs hollywoodiens : Raoul Walsh (Strawberry Blonde, La Charge fantastique, Gentleman Jim), Howard Hawks (Air Force, Sergeant York), John Huston (Le Faucon maltais) ou encore Frank Capra (L’Homme de la rue).

Michael Curtiz, réalisateur d’origine hongroise, a fait l’essentiel de sa carrière à la Warner en signant quelques films mémorables notamment dans le genre du film d’aventures (L’Aigle des mers, Capitaine Blood, Les Aventures de Robin des Bois), le western (Les Conquérants) ou encore le fantastique (Docteur X, Masques de cires). Curtiz adopta très vite le style Warner dans les années 30 : rapidité de la narration, utilisation d’ellipses, accent mis sur le rythme. C’est un perfectionniste qui possède un talent certain pour la mise en scène (à la différence d’un ‘artisan’ comme Lloyd Bacon), ce qui va en faire un pilier du studio et l’un des plus prolifiques ; il sera amené à diriger, tout naturellement, le mythique Casablanca.

Le mélodrame féminin est un des ‘genres’ qu’affectionnait la Warner. Son âge d’or se situe dans la première moitié des années 40 avec souvent, comme interprète principale, Bette Davis dans des films comme Now,voyager d’Irving Rapper. Le Roman de Mildred Pierce, sorte d’apogée de ce ‘genre’ à l’intérieur du studio (mais on le verra plus loin, le film sera assimilé au film noir), marque l’arrivée de Joan Crawford qui, après avoir passé dix huit ans à la MGM, débarque avec la ferme intention de (re)lancer sa carrière. Elle sera d’ailleurs récompensée de la plus belle des manières en recevant l’oscar de la meilleure actrice en 1946 et s’imposera désormais comme la ‘grande star féminine’ du studio

Le livre de James Cain, ‘Mildred Pierce’, est une peinture sans concession de la petite bourgeoisie américaine. Abandonnée par son mari, Mildred Pierce désire offrir un avenir à ses enfants. Obsédée par l’argent, elle va utiliser les hommes avec une absence d’émotion qui la rend peu sympathique. Cain lui donne pour seule excuse une volonté inébranlable de réussir qui finit par forcer le respect. Mais le vrai sujet du roman est l’amour, quasi incestueux et exclusif de Mildred pour sa fille Veda, qui la conduira à sa perte.

Sous l’impulsion de Jerry Wald, la Warner achète les droits du livre de James Cain. Lorsque le producteur décide de le porter à l’écran, il désire que le film ait la même tonalité que Assurance sur la mort (autre roman de Cain porté à l’écran par Billy Wilder et la Paramount). Il suggère donc d’ouvrir le récit sur un meurtre et de raconter l’histoire en flash-back (ce qui n’est pas dans le roman). Il propose à Cain de travailler lui-même cette idée mais ce dernier refuse. Jerry Wald va faire alors appel à une multitude de scénaristes (7 au total) mais un seul sera crédité au générique : Ranald Mc Dougall, le futur réalisateur du film Le monde, la chair et le diable en 1959. Bien plus que de vouloir profiter du succès du film de Wilder, Jerry Wald cherche en fait à suivre un courant qui prend de l’ampleur dans les années 40 : le film noir.

Michael Curtiz a bien compris les désirs de son producteur et va donc accentuer les éléments noirs du scénario par le choix d’éclairages sombres, d’intérieurs obscurs, d’extérieurs nuits mais aussi par des cadrages travaillés (ainsi le meurtre de Monte Beragon tombant au pied de la camera) qui donnent une dimension crépusculaire au film. De plus, il fait de ses personnages d’une grande noirceur, des êtres sans scrupules. Veda, la fille de Mildred, est l’archétype de la femme fatale, celle qui causera la perte du personnage principal : c’est une jeune fille gâtée qui aspire à vivre dans le luxe. Elle est l’incarnation de la perversité derrière un masque d’innocence ; elle n’hésitera pas à avoir une aventure avec le mari de sa mère. Les personnages masculins ne sont guère mieux lotis : Monte Beragon et Wally Fay trahiront la confiance que Mildred avait placée en eux. Tout ce petit monde ne vit que pour une chose : l’argent. Seul Bert, son ex-mari, échappe à cette galerie de portraits peu reluisants.

La construction en flash-back renforce le coté mystérieux de l’intrigue, les rapports ambigus entre les différents protagonistes et apporte une certaine force dramatique au film. Les rares moments mélodramatiques (la mort de Kay, la cadette des deux filles) ne gênent en rien le plaisir que procure le film qui, par son atmosphère et sa noirceur, est une authentique réussite du film noir.

Le choix du casting est prodigieux : l’interprétation de Joan Crawford est magistrale mais ne doit pas occulter celle d’Ann Blyth, alors âgée de 17 ans et dont c’est le premier grand rôle, le plus marquant de sa carrière. Sa beauté et son visage angélique donnent beaucoup de densité à son personnage : Veda est peut-être la plus belle garce du cinéma hollywoodien, au même titre que les femmes fatales jouées par Jane Greer dans La Griffe du passé ou Barbara Stanwick dans Assurance sur la mort. Les principaux rôles masculins sont tenus par Zachary Scott (L’Homme du sud, Bandido Caballero) et Jack Carson (M. Smith au sénat, Strawberry Blonde) très convaincants dans leurs interprétations respectives.

Comme Casablanca, Le Roman de Mildred Pierce est le parfait exemple de la production hollywoodienne de l’âge d’or. Michael Curtiz a pu bénéficier du talent des meilleurs techniciens de la Warner pour mener à bien son film : le photographie de Ernest Haller (Autant en emporte le vent, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?), la musique de Max Steiner (La Charge fantastique, Le Grand sommeil), et un casting irréprochable.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Altar Keane - le 16 mai 2003