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Critique de film
Le film
Affiche du film

Deux soeurs vivaient en paix

(The Bachelor and the Bobby-Soxer)

L'histoire

Susan Turner (Shirley Temple), jeune lycéenne, tombe amoureuse de Richard Nugent (Cary Grant), un séduisant artiste venu dans son école discourir de la tradition classique de la peinture. Quelques heures plus tôt, l’artiste comparaissait devant la sœur de Susan, la juge Margaret Turner pour coups et blessures lors d’une bagarre dans un club. Subjuguée par l’artiste, Susan s’introduit chez lui en son absence, prétextant qu’elle souhaite lui servir de modèle. Nugent est surpris en la présence de Susan par une Margaret qui n’hésite pas à le faire embarquer au poste de police. L’artiste tentera de convaincre son avocat de son innocence dans cette affaire ; une mission délicate compte tenu de sa réputation de charmeur invétéré. Nugent va se retrouver bien malgré lui pris dans un triangle amoureux…

Analyse et critique

1947, la Commission des Activités Anti-américaines présidée par J. Parnell Thomas entend ses premiers témoignages. Pour l’ultra conservateur, il ne fait aucun doute que l’industrie du cinéma est rongée par le mal rouge. Une liste noire circule ; le climat n’est pas au beau fixe pour qui désire vivre du septième art. C’est dans cette atmosphère pesante que naît le projet de Deux sœurs vivaient en paix, une œuvre légère à mille lieues des préoccupations politiques anti-communistes.

Si on se réfère à Coursodon et Tavernier (1), ce film n’a jamais existé. Pas une ligne, pas une référence… rien. Même constat en ce qui concerne son malheureux réalisateur Irving Reis : nada. On se pose alors des questions sur la qualité d’un film qui a pourtant remporté l’Oscar du meilleur scénario et rempli les caisses de la RKO cette année-là. Ce n’est certainement pas Cary Grant qui aurait donné tort aux deux auteurs en ce qui concerne le pauvre Reis, à qui il dénie le droit à la réalisation de cette comédie classique. En 1946, Cary Grant sort de deux succès critiques et publics, Notorious et Night and Day. L’acteur souhaite ardemment retourner à ses premières amours : la comédie. La MGM lui propose The Hucksters, mais c’est finalement Clark Gable qui acceptera le rôle. Arrive alors le script de Sidney Sheldon, Deux sœurs vivaient en paix. Grant souhaite honorer le contrat qui le lie à RKO et accepte donc le projet. L’enthousiasme de Grant ne représente pas pour autant une quelconque garantie ; l’acteur a refusé de nombreux projets. Irving Reis est proposé par le studio afin de tourner le film. Grant lui préfère Leo McCarey. Reis a pourtant un solide passé derrière lui. Il est le fondateur et directeur de la station CBS pour laquelle il a écrit, produit et réalisé de nombreux dramatiques radio dans les années 30, notamment War of the worlds en collaboration avec Orson Welles. Il est ensuite entré à la Paramount en 1938 comme scénariste puis est passé à la RKO deux ans plus tard, en tant que réalisateur de B-movies. Le curriculum n’impressionne pas Grant qui accuse Reis de ne rien entendre à la comédie (le film marquera la seule et unique collaboration entre les deux hommes). Le tournage fut donc des plus pénibles, que ce soit dû aux relations houleuses entre les deux artistes ou encore suite aux investigations du FBI menées à l’encontre de Grant, interrogé pour l’amitié qu’il portait à Howard Hughes. Pour couronner le tout, Frank Vincent, ami et partenaire en affaires de Grant, décède d’une crise cardiaque. Rien de tout cela ne transparaît à l’écran. Grant est semblable à lui-même : magnifique. Le film rapporte 5,5 millions $ au box-office ; un succès public qui permit au Studio de se la couler douce jusqu’en 1948.

Deux sœurs vivaient en paix marque la première collaboration de Cary Grant avec sa partenaire Myrna Loy, qu’il retrouvera un an plus tard sur Mr. Blandings builds his dream house, un autre succès de la RKO. L’alchimie fonctionne à merveille entre les deux acteurs, il ne faut d’ailleurs pas longtemps à son personnage du juge Turner pour tomber sous le charme de Richard Nugent. Dès les premiers plans communs, l’honorable juge ne peut cacher son attachement à cet artiste un rien débauché, dont le mode de vie semble à des années lumières de l’univers logique et sérieux de la magistrate.

La romance débute rapidement, Richard Nugent donne une conférence sur la peinture à laquelle assiste la jeune Susan, qui ne tarde pas à se découvrir une passion pour le pinceau et pour l’artiste en particulier. Surpris en la compagnie de Susan par sa sœur la juge Margaret Turner, Nugent n’a d’autre choix que de céder aux exigences de Margaret s’il veut échapper à la prison. Nugent va devoir détourner Susan de son amourette pendant que l’oncle Matt (Ray Collins) s’évertuera à pousser Margaret dans les bras de Richard. Un triangle amoureux qui donne droit à du comique de situation, ceci dit rien de bien extraordinaire pour un Grant que l’on a déjà connu bien plus comique, en cela aidé par de meilleurs scénarii. Quoiqu’il en soit, Temple et Grant tirent magnifiquement leur épingle du jeu, notamment lors des nombreuses scènes de « je t’aime moi non plus » ou lors des vaines tentatives de Grant pour tomber dans l’oubli amoureux. Le casting sauve donc un film qui aurait semblé bien terne sans ses stars. Myrna Loy est tout à fait crédible en juge sérieuse et Shirley Temple en adolescente fascinée par son chevalier en armure brillante.

Au final, Deux sœurs vivaient en paix s’en sort comme une comédie familiale honnête, mais certainement pas le film magistral annoncé par Serge Bromberg. Après tout, Tavernier et Coursodon devaient avoir leurs raisons…

(1) 50 ans de cinéma américain, Paris, Omnibus, 1995, 1268 p.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Dave Garver - le 24 janvier 2004