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Critique de film
Le film

L'Amazone aux yeux verts

(Tall in the Saddle)

L'histoire

L’énigmatique Rocklin (John Wayne) arrive dans la petite ville de Santa Inez où on l’attend pour travailler dans un ranch mais il apprend que le propriétaire vient d’être assassiné. Les successeurs sont une vieille dame et sa nièce, la jeune Clara Cardell (Audrey Long). Sa misogynie lui fait refuser de travailler pour des femmes mais il mène l’enquête quant à la mort celui qui aurait dû être son patron. Il est aidé dans sa tâche par son fidèle compagnon, le conducteur de diligence (George Gabby Hayes). Il a en revanche en face de lui de nombreuses personnes qui ne semblent pas pressées que la vérité se fasse : le juge Garvey (Ward Bond), le shérif Jackson (Emory Parnell), les frères Clews (Paul Fix et Harry Woods). D’autres ne supportent pas qu’on leur tienne tête, comme le frère et la sœur Harolday. La charmante Arly (Ella Raine), l’amazone aux yeux verts du titre français, ne se laisse pas démonter face à lui ; furieuse qu’il ait accusé son frère de tricher aux cartes, elle l’embauche dans son propre ranch afin d’avoir le plaisir de pouvoir le virer dans la foulée ! Après maintes péripéties, nous découvrirons la véritable identité de ce mystérieux personnage qu’est Rocklin ainsi que les ficelles d’un complot visant à voler des terres.

Analyse et critique

Instigateur du projet, John Wayne fait écrire le scénario de Tall in the Saddle par l’acteur Paul Fix (également son ami et interprète du film) et propose à son camarade John Ford de le mettre en scène. Mais celui ci, qui prépare Les Sacrifiés (They Were Expendables), refuse le tournage qui atterrit entre les mains d’un réalisateur de films de série, Edwin L.Marin. Cela dit, on se demande ce que Ford aurait pu faire avec un scénario aussi éloigné de son univers habituel. Le Duke arrive également à ce que Robert Fellows et la compagnie RKO participent à la production. Il en sortira cette série B sympathique à défaut d’être inoubliable, le seul des deux films que John Wayne tournera cette année-là, l’autre étant l’insupportable Alerte aux Marines (The Fighting Seabees).

Si la mise en scène d'Edwin L. Marin est terne et l’histoire bien inutilement compliquée, le scénario n’en propose pas moins quelques idées cocasses, nouvelles et (ou) originales (pour l’époque rappelons le, mes avis visant à faire comme si les films tournés après n’existaient pas encore). Plus aucune volonté historique n'est affichée, que ce soit dans les faits ou les personnages, mais c'est une des premières fois où le western propose une intrigue de film policier ; John Wayne doit résoudre l’énigme qui entoure le meurtre de celui qui aurait dû être son futur employeur (enfin, c’est ce qu’on nous fait croire). Comme pour les grands films noirs de l’époque, les scénaristes nous ont pondu une enquête dont nous ne comprenons pas immédiatement tous les tenants et aboutissants ; à vrai dire, il doit y avoir des trous béants dans l’écriture car on a parfois eu du mal à suivre ce qui se révèlera en définitive très clair. Paul Fix et Michael Hogan semblent s’être surtout fait plaisir à emmener les spectateurs sur des pistes obscures, mais le premier intérêt de ce scénario (qui aurait gagné à plus de limpidité) provient en fait de la description du caractère des personnages et des relations qu’ils entretiennent, notamment celles qui lient John Wayne avec les femmes et surtout la superbe Ella Raines.

Comme pour ses films précédents, John Wayne prouve son intelligence en continuant à se moquer un peu du personnage dans lequel on le cantonne un peu trop facilement, et il s’amuse une nouvelle fois énormément de ce Ronklin un peu maladroit et "jouissivement" misogyne : « Je suis indifférent à tout ce qui peut arriver à une femme » dira-t-il à son compagnon de route. Le voir refuser de porter les valises de deux femmes (dont une âgée) ou se faire tenir tête par l’actrice Ella Raines, femme indépendante et agressive sachant aussi bien que lui jouer du revolver ou du couteau, est un véritable plaisir. Fanfaronnant dans la rue alors qu’elle lui tire dessus, il entre ensuite dans un bar la tête haute, mais une fois à l’abri on constate qu’il était littéralement effrayé ; sa mimique à ce moment-là est follement amusante ! Une autre raison de se réjouir est la présence de Ward Bond dans le rôle du méchant de service ; la bagarre homérique qui l'oppose à John Wayne est bien aussi dynamique et dévastatrice, quoique plus courte, que celles mises en place jusqu’ici par Ray Enright, réalisateur pourtant bien plus talentueux.

Tous les seconds rôles font correctement leur travail à commencer par l’habituel George Gabby Hayes en old timer bougon, mais le principal attrait du film est bien évidemment Ella Raines dans un personnage féminin au tempérament de feu. Sa photogénie, sa manière de se vêtir et de se déplacer sont un véritable régal. La séquence du baiser fougueux donné par John Wayne est superbe et préfigure celle similaire tournée plus tard par John Ford dans L'Homme tranquille. A signaler aussi de beaux extérieurs et un thème principal de Roy Webb vraiment très réussi. On parle trop peu de ce compositeur de la RKO, dont les partitions ont souvent touché et sonné juste même si elles étaient sans génie particulier. Celle qu’il a écrite pour Tall in the Saddle est représentative pour moi de ce que j’espère entendre comme thème principal pour un western, une musique à la fois légère et grave dont la mélodie est immédiatement reconnaissable et non dénuée d’une certaine mélancolie. Au final, voici un film a postériori conventionnel mais bien plaisant notamment grâce à ses interprètes. En ces années de disette westernienne, cela devait être déjà pas mal !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 novembre 2002