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Critique de film
Le film
Affiche du film

Destination Gobi

L'histoire

Novembre 1944. La connaissance de la météo sur le théâtre des opérations dans le Pacifique étant cruciale pour le succès des Alliés, les Américains décident d’installer un poste d’observation météorologique en Mongolie, en plein désert de Gobi. L’officier Sam McHale (Richard Widmark) est convoqué au quartier général où on lui apprend que, au vu de son expérience pratique, il a été désigné pour se rendre en mission secrète à ce poste reculé. Pour un homme de la Navy assigné habituellement sur un porte-avions, en l’occurrence l’USS Enterprise, se retrouver planté sur la terre ferme avec six scientifiques se révèle une épreuve assez difficile d’autant qu’il se languit de la mer. Trois semaines avant la relève, l’équipe apprend que la cavalerie japonaise est sur le point de tomber sur leur base secrète. Mais au même moment, une tribu de nomade mongole vient installer son campement autour de l'oasis où se situe la station météo. McHale, découvrant leur virtuosité à manier les chevaux, a l’idée d’en faire des alliés contre les soldats japonais si ces derniers venaient à les attaquer. Pour ce faire, après les avoir vus lorgner dessus au travers d'images de magazines, il promet aux Mongols des selles de la cavalerie américaine en échange de leur aide. Etonnée par cette demande, l'armée américaine obtempère néanmoins et fait livrer ce curieux colis. Peu de temps après, le campement est bombardé par des avions japonais, et le lendemain les Mongols ont disparu (avec les selles). Dans l’impossibilité de demander de l'aide, leur radio ayant été détruite, n'ayant plus de chevaux à leur disposition et s'attendant d'un jour à l'autre à voir débarquer la cavalerie japonaise, nos héros décident de traverser le désert de Gobi à pied jusqu'à la mer, soit un millier de kilomètres. Les voilà partis sous le commandement de McHale, le chef de la station s'étant fait tuer lors du bombardement...

Analyse et critique

Et nous n'en sommes qu'à la fin de la première demi-heure ! Non pas que le film soit rempli d'action et de rebondissements, loin s'en faut, mais il nous tiendra en haleine durant encore l'heure restante, la suite se révélant tout aussi curieuse et même a priori tout aussi improbable. Un a priori qui devra être balayé, car ce que nous raconte Destination Gobi a réellement eu lieu ! Il est d'ailleurs indiqué dès la fin du générique : « In the Navy records in Washington, there is an obscure entry reading "Saddles for Gobi". This film is based on the story behind that entry - one of the strangest stories of World War II. » Cette réelle étrangeté de l'histoire est une des premières qualités de ce film d'aventure (plus que film de guerre) ; elle nous apporte une sorte de dépaysement et d'exotisme non déplaisants. Voir dès le début un officier de la Navy, dont la principale passion est la mer, se faire parachuter pendant des mois au sein d'un désert de sable est déjà cocasse. Voir son équipe devoir vivre aux côtés des autochtones qui ne peuvent s'empêcher de voler tout ce qu'ils possèdent ne l'est pas moins. Puis nous assistons à l'apprentissage culturel réciproque des us et coutumes des uns et des autres (les peuplades asiatiques sont d'ailleurs décrites sans trop de clichés et, au contraire, avec pas mal de dignité) et à cette fameuse affaire des "Sixty Saddles for the Navy" (ou comment l’US Navy a eu besoin de soixante selles) ! S'ensuivent un bombardement meurtrier puis le départ des survivants à pied à travers un pénible désert. Le groupe retrouve alors les Mongols qui s'étaient volatilisés le lendemain de l'attaque aérienne, et achètent à un marchand louche des chameaux pour pouvoir poursuivre leur périple jusqu'à la mer. Après avoir failli se faire dépouiller et assassiner, ils sont sauvés par les Mongols et décident de se dissimuler au sein de leur convoi. Faits prisonniers par les Japonais suite à leur dénonciation par leurs "alliés" provisoires, ils se retrouvent libérés par ces mêmes délateurs ! (Nous n’allons quand même pas vous expliquer le pourquoi de ces retournements de veste et de situation puisqu'ils participent également au sel de cette intrigue si curieuse, déjà bien dévoilée par ailleurs.)

Délivrés et évadés du camp japonais, nos soldats et scientifiques américains se retrouvent à bord d'une jonque ; ils doivent encore essayer de quitter la côte chinoise infestée de bateaux nippons. Ayant embarqué un canon du siècle dernier à bord de ce frêle esquif, ils s'en serviront pour détruire un navire ennemi, alors que ce dernier leur tirait pourtant dessus avec des armes beaucoup plus sophistiquées. Vous avouerez que l'intrigue semble avoir été écrite par un scénariste sous l'emprise de la boisson ou d’autres substances illicites ! Et pourtant, sans velléité de dramatisation, Everett Freeman et Robert Wise arrivent à nous la rendre crédible, tout du moins fortement distrayante. Car ce film n'est rien d'autre qu'un divertissement ; les auteurs ne cherchent ni à susciter la réflexion et encore moins à faire passer un quelconque message. Et c'est aussi grâce à ce manque de prétention que Destination Gobi réussit son coup. Car oui, le film est mineur au sein de la superbe filmographie de Robert Wise - The Set-Up (Nous avons gagné ce soir), West Side StoryLa Mélodie du bonheur (The Sound of Music)Le Mystère Andromède (The Andromeda Strain), La Maison du Diable (The Haunting)... on en passe et des meilleurs - mais l'on sait très bien depuis longtemps que des films sans autre prétention que celle de divertir (ce que j'estime être déjà hautement honorable) ont souvent mieux vieilli dans une filmographie que d'autres œuvres plus ambitieuses. Il en va ainsi par exemple de ce Destination Gobi pour Wise comme de Ca commence à Vera Cruz (The Big Steal) pour Don Siegel, L’Enigme du Chicago-Express (The Narrow Margin) pour Richard Fleischer (déjà produit par Stanley Rubin) ou encore Sabotage à Berlin (Desperate Journey) pour Raoul Walsh.

Si j'ai cité ce dernier titre c'est que Destination Gobi m'y a fait beaucoup penser de par la curiosité de son intrigue (tous deux se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale) et aussi de par son ton : une ironie distanciée qui règne tout au long du film mais sans cet humour pesant qui phagocytait trop à mon avis le film de Walsh. L'humour, il y en a dans Destination Gobi, mais plus effacé, moins picaresque. Ce qui est assez jouissif, c'est que les auteurs ne sont pas dupes des clichés propres à certaines des situations mises en scène. Un exemple devrait pouvoir vous le faire comprendre. Après que le groupe de soldats américains a affronté le désert, la chaleur de ses journées, la froideur de ses nuits, l'insupportable vent et tout simplement la marche harassante au milieu de tout cela, il retrouve enfin les Mongols. La première chose qu'un des hommes se préoccupe de faire en arrivant est de courtiser une femme de la tribu alors qu'il est censé, comme ses camarades, tomber de fatigue. Mais avant que les spectateurs aient eu le temps de se gausser de ce poncif et de cette invraisemblance, ses congénères nous ont devancés en s'étonnant eux-mêmes d'une telle énormité. La bonhommie qui semble ressortir de cette séquence règne sur l'ensemble du film car le scénariste n'a recherché ni le sentimentalisme (les décès ne sont pas suivis de larmes) ni la tension (le danger, même s'il est réel, ne nous semble que rarement présent) et encore moins le dramatisme ; c'est un peu comme si nous regardions une aventure du Club des 5 (ou plutôt du clan des 7 en l'occurrence) dans le désert de Gobi. Et contrairement à ce que l'on aurait pu penser, ce n'est absolument pas déplaisant, tout au contraire. C'est d'ailleurs assez difficile à expliquer mais en tout cas, rares sont les films qui ont adopté une telle tonalité, les auteurs s’efforçant de désamorcer constamment le ridicule annoncé.

Un film bon enfant, ni belliqueux ni violent, à l'image de sa dernière séquence, sorte de léger running gag. Entretemps, il y aura quand même eu des morts, des séquences à suspense (très réussies d'ailleurs, à l'image de celle du soldat sur le point de se faire égorger ou cette autre au cours de laquelle une troupe de cavaliers japonais croise en plein désert celle des Mongols au sein desquels étaient cachés nos Américains), des scènes de bataille et autres, le tout filmé avec le plus grand sérieux du monde. C'est ce décalage entre la gravité de l'histoire et les réactions anti-dramatiques des personnages qui confère également cette originalité au film de Robert Wise, son premier essai en couleurs. A ce propos, son chef opérateur Charles G. Clarke (Capitaine de Castille) utilise le Technicolor avec virtuosité en nous délivrant quelques plans d'une étonnante beauté (ses éclairages de nuit en décors naturels sont superbes). On le pressent, le cinéaste, non content de l'efficacité de sa mise en scène (très classique cependant, expressément sans recherche d'une quelconque virtuosité) a su s'entourer d'une formidable équipe technique. Non seulement la photo de son film s’avère très belle mais les artificiers s'en sont eux aussi donnés à cœur joie : les effets pyrotechniques lors des bombardements aériens sont très convaincants. Les auteurs des rares toiles peintes que l'on peut voir notamment lors de l'arrivée du groupe sous la grande Muraille de Chine (autrement, le film a été tourné presque entièrement en décors naturels, le Nevada faisant office de Mongolie, les Indiens Paiutes de la région se révélant très crédibles en peuplade asiatique) ont accompli eux aussi un travail de toute beauté et Ray Kellogg aux effets photographiques (probablement les attaques aériennes) s'en sort aussi remarquablement bien. Esthétiquement, Destination Gobi ne ressemble déjà donc pas à une série B fauchée.

Malgré un tournage assez difficile au dire de son réalisateur, les comédiens nous donnent l'impression de s'y être en tout cas bien amusés. Ils forment un groupe uni et fortement sympathique, paraissant s'entendre à merveille malgré les épreuves traversées. Et, autre petite originalité du script, Everett Freeman (qui venait une année auparavant d'écrire le scénario du très bon Million Dollar Mermaid - La Première sirène de Mervyn LeRoy avec Esther Williams) ne nous offre pas une galerie de personnages typés comme souvent au sein du film de guerre hollywoodien (le gros rigolo, le couard, le brave, le fanfaron, la grande gueule, le rusé, l'égoïste...) mais un ensemble de braves gars quasiment interchangeables. C'est bien le groupe qui a intéressé le scénariste et non les individualités, si l'on excepte le personnage interprété par Richard Widmark qui finit pourtant par se fondre dans la masse. En effet, alors que ce dernier tente de se faire respecter en tant que chef de groupe en faisant montre d'autorité, ses hommes, pas dupes, le charrient ; ce qui finit par le faire sourire, rire de lui-même et ne plus tenter d'en imposer par la suite. Les autres soldats météorologistes, nous connaissons plus ou moins leur tête sans forcément savoir de qui il s’agit. En l’occurrence nous retrouvons les plaisants Don Taylor (l’époux de Liz Taylor dans Le Père de la mariée de Vincente Minnelli, et qui était déjà du casting du splendide Bastogne de William Wellman) mais aussi Earl Holliman, Ross Bagdasarian, Martin Milner, Casey Adams, Max Showalter ou Darryl Hickman. Quant au personnage du digne chef Mongol Kengtu, Murvyn Vie s’y coule à merveille et surtout avec sobriété, là où la tentation aurait été forte d’en faire de trop.

Amateurs de films de guerre sombres, violents ou virils, de combats et de batailles, vous pouvez passer votre chemin. Destination Gobi lorgne bien plus vers le film d’aventure coloré et rocambolesque, mais sans nécessairement se dérouler sur un rythme effréné. Une réussite de plus, même si mineure, au sein de la belle filmographie de Robert Wise. Une œuvre légère et amusante, efficace et bien menée, loin d’être inoubliable mais qui draine un capital sympathie qui emporte l’adhésion.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 octobre 2011