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Critique de film
Le film

Ciel rouge

(Blood on the Moon)

L'histoire

En route vers le Texas, Jim Garry (Robert Mitchum), s’apprêtant à passer la nuit à la belle étoile, manque de se faire piétiner par un troupeau de vaches apeurées. L’homme qui récupère les bêtes, un cow-boy de l'éleveur John Lufton (Tom Tully), l’emmène au campement de son patron pour le dédommager des pertes qu’il vient de subir. Lufton lui explique qu’il est en lutte contre les fermiers de la région qui ne veulent pas que son bétail vienne empiéter sur leurs nouvelles terres. Ces derniers empêchent le cheptel de traverser la rivière ; le troupeau est ainsi dans l’impossibilité de sortir de la réserve indienne où il risque d’être confisqué par l’armée s’il n’est pas évacué rapidement. Sans pour autant être convaincu de la neutralité de Jim dans ce conflit, Lufton le laisse partir. En fait, Jim loue ses services à son vieil ami Tate Rilling (Robert Preston) et à l’agent aux Affaires indiennes, Pindalest (Frank Faylen), qui ont combiné un plan astucieux pour s'approprier les bêtes de Lufton à vil prix sous couvert de respectabilité, donnant comme excuse l‘aide aux fermiers « qui risquent sans eux d’être spoliés. » Rilling est aidé dans ses agissements par la propre fille aînée de Lufton, Carol (Phyllis Thaxter), qui est amoureuse de lui et ne se doute pas du but poursuivi par son amant. Révolté par les méthodes expéditives de Rilling, Jim finit par rejoindre les rangs des défenseurs de Lufton au sein desquels la plus active participante est la propre fille cadette de John, Amy (Barbara Bel Geddes). Rilling va alors tenter de faire tuer son ex-ami...

Analyse et critique

Chef monteur d’Orson Welles pour Citizen Kane et La Splendeur des Amberson, Robert Wise devient metteur en scène en 1944. C’est Val Lewton qui lui met le pied à l’étrier en lui proposant de remplacer Günther Von Fritsch sur La Malédiction des hommes-chats. Il tourne ensuite pendant quatre ans quelques films à budgets réduits. Auparavant à la MGM où il fut producteur exécutif, Dore Schary vient d'être engagé à la RKO comme vice-président. Il défend une politique d'aide aux jeunes réalisateurs. Robert Wise, associé à Theron Warth (comme lui ancien monteur), décide de proposer aux dirigeants de la RKO un scénario de western acheté par le studio et demeuré enfoui dans les tiroirs. Grâce à la confiance qu’accorde Dore Schary à Wise, le projet de ce dernier prend forme et, après six films, le cinéaste se voit offrir la possibilité de réaliser deux œuvres plus ambitieuses avec des moyens beaucoup plus conséquents (qui restent quand même assez faibles si on les compare avec les budgets alloués aux autres majors) : Ciel rouge et Nous avons gagné ce soir. Après cet immense chef-d’œuvre, Wise quittera la RKO (Schary, son tuteur, ayant rapidement démissionné en raison de la tyrannie exercée sur le studio par Howard Hughes) pour rejoindre la 20th Century Fox.

Pour Blood on the Moon, Wise et Theron souhaitent obtenir l’accord d’une certaine star. Celle-ci accepte à condition que ce soit son metteur en scène attitré qui officie. Dore Schary oppose alors son veto : « C'est Wise qui a travaillé sur le script et c'est Wise qui va tourner le film. Si la vedette pressentie se refuse à tourner avec lui, nous en trouverons une autre moins difficile. » Et c’est ainsi que Robert Mitchum obtient le rôle de Jim Garry. Robert Wise aborde le western pour la première fois. Il ne jugera pas son film réussi et avouera même avoir toujours détesté le genre. Il remettra pourtant le couvert en 1950 avec Two Flags West puis, en 1956, avec James Cagney en vedette, l’assez bon La Loi de la prairie (Tribute to a Bad Man). Ciel rouge possède une assez solide réputation en France par le fait que Wise tente de faire éclater le schéma traditionnel du genre en lui ajoutant certains éléments constitutifs du film noir. Et pourtant ce n’est pas une totale réussite : le résultat est certes intéressant mais un peu bâtard. Ce "western d’atmosphère", effectivement plus proche visuellement du film noir que du western, se trouve quelque peu engoncé aux entournures et le cinéaste pris au piège par sa trop grande volonté à vouloir se démarquer. A trop vouloir s’arrêter sur des recherches purement formelles et stylistiques, Wise en oublie d’insuffler du rythme à son œuvre. Faute à un manque de dynamique interne, Ciel rouge, à plusieurs reprises, nous paraît un peu statique.

Mais grâce au métier de Robert Wise et de son équipe, Blood on the Moon, même s’il donne l’impression de manquer légèrement de conviction, nous maintient pourtant éveillé de bout en bout. Le cinéaste sait assurément construire un plan, placer ses personnages là où il faut et son expérience du montage est toujours visible à l’écran. Il ne faudrait pas passer sous silence l’aide considérable qu’il eut du talentueux chef opérateur Nicholas Musuraca : les intérieurs en semi-obscurité, les scènes de pluie, de neige, la superbe utilisation de la profondeur de champ et le célèbre pugilat étonnamment violent et réaliste dans une cabane plongée dans la pénombre lui doivent énormément. En revanche, Robert Wise ne semble pas très concerné par les scènes d’action, préférant utiliser de vilains stock-shots plutôt que de sortir du studio dans lequel il se sent bien plus à l’aise (voir le final dans une forêt entièrement reconstituée). Le "duel" en pleine rue est néanmoins superbement filmé et les vastes paysages très bien mis en valeur. Le tout baigné en arrière-plan d’un très beau thème musical principal de Roy Webb.


Le scénario, tiré d’une histoire de Luke Short (auteur des romans dont ont été aussi adaptés Embuscade de Sam Wood ou La Cité de la peur de Sidney Lanfield), ne propose pas tant d’ambiguïté qu’on a bien voulu nous le faire croire. L’incursion de la psychologie mise en avant dans de nombreux ouvrages - alors qu’elle est bien présente dans Pursued de Raoul Walsh même si cet élément alourdit considérablement ce film, mais c’est une autre histoire - est loin d’être flagrante même si les protagonistes sont bien écrits. Robert Preston a trouvé un personnage d’une richesse toute autre quand il tourna Whispering Smith (1949) de Leslie Fenton par exemple. Ici, dès le départ, son portrait de roublard est tracé à grands traits et il n’évoluera pas vraiment. Certains ont comparé son Tate Rilling aux rôles que tenaient Arthur Kennedy dans Les Affameurs ou Robert Ryan dans L’Appât, tous deux d’Anthony Mann ; nous en sommes malheureusement bien loin ! Le "trop fier" Jim Garry de Mitchum, s’il peut paraître trouble à première vue - à l’instar des personnages qu’il tiendra dans les films de Jacques Tourneur (La Griffe du passé) ou d'Otto Preminger (Un si doux visage) -, ne l’est que par le jeu subtil tout en underplaying de l’acteur et non pas par son écriture lors du scénario initial. Au milieu du film, il n’y aura d’ailleurs plus aucune équivoque sur son compte. Les deux personnages féminins sont plus intéressants sans pour autant qu’ils révolutionnent quoi que ce soit. Phyllis Thaxter, traître par naïveté, et Barbara Bel Geddes, en femme de tête dont l’apparition est l’objet d’une séquence bien savoureuse qui fait ressortir la misogynie de Jim Garry, tiennent toutes deux assez bien leur rôle, surtout cette dernière qui apporte un peu du "peps" qui fait défaut au film. Quant au final, comment ne pas le trouver décevant ? Abrupt, forcé et en porte-à-faux par rapport au ton qui a régné sur Ciel rouge depuis le début.

Malgré tous ces défauts, ce western hivernal et pluvieux à l’ambiance nocturne et enfiévrée de film noir est loin de laisser indifférent et se révèle même très bon d’autant que les seconds rôles sont tenus par des acteurs chevronnés tels Charles McGraw, Tom Tully et le Stumpy de Rio Bravo, le savoureux Walter Brennan, ici assez émouvant quand il apprend la mort de son fils. Un western qui a le tort de s’être pris trop au sérieux et qui manque quelque peu de vigueur mais qui porte la patte d’un des grands réalisateurs du Hollywood de l’âge d’or, l’inégal mais souvent passionnant Robert Wise dont les meilleurs films pourraient être ses deux comédies musicales, West Side Story et La Mélodie du bonheur.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 janvier 2005